Emmanuel Benazera and Nicolas Meuleau

1typologie des savoirsobjets d’étudeespace acteurs de savoirprofessioningénieur espaces savantscirculationexplorationEn deux années d’exploration de la surface de Mars, deux petits véhicules automatisés de la NASA (National Aeronautics and Space Administration), ou « rovers », dont la mission MER (Mars Exploration Rovers) ne devait initialement pas dépasser 90 jours, ont révolutionné aussi bien la connaissance de la planète rouge que les modalités de l’étude géologique des planètes et des satellites éloignés. La complexité des technologies mises en œuvre, le nombre de chercheurs et d’ingénieurs impliqués, ainsi que les contraintes instrumentales de la communication et de l’opération à distance, ont imposé l’élaboration d’une méthodologie innovante de la pratique exploratoire.

2typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesinformatiquealgorithmique et combinatoire inscription des savoirscodage de l’informationdonnéeEn ce 25 janvier 2004, au cœur de l’hiver nordique martien, la sonde1 MER-B protégeant le second rover, Opportunity, a déjà procédé à de très précises corrections de trajectoire et réduit les derniers milliers de kilomètres qui la séparent de la haute atmosphère martienne. Les opérateurs du Jet Propulsion Laboratory (JPL), en Californie, n’ont alors reçu que les données que la sonde leur a communiquées environ dix minutes auparavant. L’entrée dans l’atmosphère et l’atterrissage, étapes critiques de la mission, vont s’effectuer automatiquement, la sonde n’émettant que quelques signaux afin d’informer du bon déroulement des opérations, sous la forme d’un « bip » de trente-six secondes relayé par le satellite Mars Global Surveyor et, dans le cas contraire, par le silence. La descente doit durer « six minutes de terreur » où la sonde va passer d’une vitesse de 20 000 km/h à l’arrêt complet sur le sol de Mars, véritable cimetière de robots explorateurs, écrasés sur sa surface ou pulvérisés au contact de son atmosphère. La sonde a défini son angle d’approche à la planète et plonge dans la haute atmosphère martienne avec un frottement tel que la température de son bouclier thermique atteint jusqu’à 1 447 °C, celle de la surface du Soleil. Le bouclier évacue la chaleur, maintenant le rover à une température opérationnelle de quelques dizaines de degrés Celsius. À une vitesse de 1 800 km/h et à une distance de 10 kilomètres de la surface, le parachute supersonique se déploie. Encore vingt secondes, et le bouclier devenu inutile est éjecté. Dix secondes plus tard, à environ 8 kilomètres de la surface, l’atterrisseur s’échappe de la capsule protectrice et descend de quelques mètres le long d’un filin en Zylon2. Dès lors, la machine utilise des algorithmes d’estimation et de contrôle embarqués afin de stabiliser sa descente : sa vitesse verticale et son altitude sont calculées à partir de mesures radar, la comparaison de trois images successives du sol détermine sa vitesse horizontale, et ces informations sont utilisées pour le calcul de l’orientation et de la poussée des rétro-fusées, activées six secondes avant l’impact. Une grappe protectrice d’airbags se gonfle et enrobe l’atterrisseur, les rétro-fusées sont activées, le filin coupé, l’atterrisseur heurte la surface martienne, roule et rebondit sur ses airbags pour enfin s’immobiliser. Si tout a correctement fonctionné, les airbags se dégonfleront et l’atterrisseur déploiera ses pétales mécaniques pour révéler le rover à la surface de Mars.

Figure 1. Le rover Opportunity descend, le 24 janvier 2004, sur Mars lors de la mission MER-B.
Le rover 
          descend, le 24 janvier 2004, sur Mars lors de la mission M-B.

3inscription des savoirsvisualisationimageAu JPL, on a suivi chaque étape avec un décalage de dix minutes et reçu les impulsions attestant le succès ; mais, après l’impact, c’est l’attente. Les yeux sont rivés sur l’écran de l’opérateur de communication où, quelques petites secondes après les six minutes cruciales, un signal se met à osciller : c’est gagné, le rover a survécu et commence à transmettre ses premières impressions martiennes. Stupéfaction : non seulement les premières images sont celles d’une terre brune et sombre jamais encore observée sur la planète rouge, mais le rover s’est posé en vue d’un petit escarpement rocheux affleurant au milieu de la poussière, une aubaine inespérée. En fait, Opportunity a atterri au centre d’un petit cratère, réalisant le plus parfait coup de billard de l’histoire de l’exploration spatiale.

4Le site d’exploration choisi pour le premier rover, Spirit, est le cratère géant Gusev, ouvert sur le réseau de vallées martiennes Ma’adim Vallis, et évoquant par sa forme la présence d’un ancien lac3 ; pour Opportunity, Meridiani Planum, une plaine faite de sédiments et de rochers désagrégés, portant des traces d’hématite, détectées depuis l’orbite4, un minéral souvent associé à la présence d’eau. Les données renvoyées par Spirit se révèlent tout d’abord décevantes, l’analyse des premiers rochers manifestant l’ensevelissement de traces d’eau potentielles sous une avalanche de basalte d’origine volcanique. C’est au prix d’un an d’efforts harassants que le rover finit par se hisser au sommet de la colline Columbia et par y mesurer enfin les traces d’une humidité passée. Opportunity, de son côté, met rapidement au jour les vestiges de larges quantités d’eau dissipées quelques millions d’années plus tôt, visibles aussi bien dans les compositions chimiques du sol que dans les formes des roches de surface, attestant la présence non pas d’un océan, mais de petites nappes d’eau et d’acide.

5construction des savoirséconomie des savoirsfinancement construction des savoirspolitique des savoirsgestionprojet espaces savantscirculationexplorationAfin de comprendre la définition des objectifs et la planification de la mission MER dans ses grandes lignes, il faut revenir aux institutions qui y sont engagées. En effet, la pratique de l’exploration à distance et la production du savoir qui en découle s’effectuent dans un cadre institutionnel où la position et la fonction des acteurs sont principalement déterminées par, d’un côté, les enjeux stratégiques, politiques et technologiques caractéristiques des missions spatiales et, de l’autre, par les coûts, les techniques et les objectifs scientifiques qui y sont attachés. La mission spatiale robotique est le produit de la collaboration de grandes institutions nationales ou internationales aux acteurs et objectifs très hétérogènes, et dont l’agencement et les rapports de force débordent ceux du champ scientifique5, mais dont le but affiché reste celui d’un engagement pour la science. L’idée même de mission d’exploration spatiale visant à atteindre des espaces vierges ou partiellement étudiés6 appelle celle de conquête susceptible d’apporter des gains aussi bien scientifiques que matériels. Cela justifie une forte concurrence internationale, chaque nation visant à revendiquer ou, implicitement, s’approprier les bénéfices potentiels de la mission, qu’il s’agisse de la conquête de nouveaux espaces, de retombées matérielles ou scientifiques. Ainsi, les enjeux politiques de compétition ou de prestige s’imposent-ils dans la mission : non seulement ils participent dès sa phase préparatoire à faciliter l’obtention des financements nécessaires, mais, de façon tout aussi importante, ils contribuent à réunir les acteurs, par ailleurs souvent hétérogènes, de la mission spatiale – organismes publics, industriels ou fabricants de matériel militaire, institutions scientifiques, universitaires ou de recherche technologique.

6acteurs de savoirqualités personnellescréativité espaces savantscirculationmission acteurs de savoirmodes d’interactioncollaborationIl en résulte un positionnement pragmatique des acteurs, soumis à la double contrainte d’une part des collaborations à la frontière de leurs domaines respectifs, et d’autre part de la structure institutionnelle en étoile au centre de laquelle s’affirme l’agence spatiale, entité étatique à mi-chemin entre la recherche, l’industrie et l’armée : l’agence organise en effet la collaboration d’acteurs appartenant à différents champs, industriel, scientifique ou politique, aussi bien lors de la conception de la mission que lors de sa réalisation. Autour de la NASA, la recherche spatiale s’est institutionnalisée dans les universités : l’ingénierie aérospatiale au MIT (Massachusetts Institute of Technology), la robotique à Carnegie Mellon, l’astronomie à l’Université de Cornell. Elle se compose, en outre, d’un groupe mixte d’associations et d’industriels, AIAA (American Institute of Aeronautics and Astronautics), Mars Society, ainsi que d’un ensemble d’investisseurs et d’entrepreneurs privés. La NASA doit ainsi coordonner plusieurs champs et les possibles retombées de chacun d’entre eux. Disposant de ses propres fonds, ainsi que de nombreux centres de recherche et de développement, elle tend vers une concentration des pouvoirs décisionnels et exécutifs. Elle est en position de force, mais aussi dans l’obligation de faire des concessions à l’industrie et aux universités. Parallèlement au déroulement de la mission des deux rovers jumeaux, depuis 2003, après la perte de la navette Columbia et un recentrage de ses activités autour des vols habités, l’agence est soumise à une double pression, de la part du gouvernement et des entrepreneurs privés, qui demandent une redéfinition de ses structures internes et de ses pouvoirs, et de la part des chercheurs associés aux nombreux programmes d’exploration, qui militent en faveur de la continuation des projets déjà initiés (sauvetage de Hubble, poursuite des missions scientifiques planifiées). Il en résulte une hésitation schizophrénique sur les objectifs internes : dans ce contexte, la mission MER apparaît comme la vitrine d’une collaboration institutionnelle réussie, sous la forme d’une sous-traitance au JPL, institut relevant du California Institute of Technology, une université privée de recherche, mais travaillant pour le compte de la NASA. Du fait même de sa position centrale, l’agence continue cependant de cumuler les bénéfices des retours scientifiques et technologiques et jouit ainsi d’une aura exceptionnelle, acquise à l’époque des missions Apollo, maintenue et modernisée à l’aide d’une promotion très puissante de ses objectifs et de ses réalisations7. Certainement aussi, la créativité des centres et groupes de recherche de l’agence, tant dans les directions théoriques que dans les applications concrètes, repose sur une pratique nécessairement à la croisée des champs, qui compense la force centrifuge naturellement exercée par la sur-spécialisation8.

7typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la vie et de l’environnementexobiologieLa conséquence en est que, au sein du champ scientifique, la mission spatiale permet à des acteurs très divers (roboticiens, géologues, minéralogistes) de développer leurs activités dans des directions nouvelles, de travailler aux frontières des disciplines et à l’intersection des champs (astro-et exo-9), de poser de nouvelles questions ou de bénéficier de l’engouement public et de l’actualité couramment associés à la mission. Ainsi ces paramètres structurent-ils la répartition des gains techniques, scientifiques mais aussi symboliques (prestige et crédit des laboratoires et des chercheurs) entre les différents lieux impliqués.

8typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la Terre et de l’UniversastronomieL’une des institutions emblématiques de la mission MER est l’Université de Cornell, dans l’État de New York, dont le département d’astronomie participe activement depuis une quarantaine d’années aux missions martiennes en collaboration avec la NASA, des missions Mariner, en passant par les deux sondes et plates-formes Viking, aux caméras de Pathfinder et de Mars Global Surveyor, jusqu’à un contrat de 17 millions de dollars avec la NASA pour la mise au point de l’ensemble des instruments des rovers, dénommé Athena10. Ainsi Steve Squyres, responsable d’Athena, devient-il rapidement, après l’atterrissage réussi des deux rovers, le chercheur scientifique emblématique de la mission : il est présenté comme tel dans les médias, succédant, les rovers à ses côtés, à l’astronaute et son module. L’Université de Cornell dispose d’ailleurs, à l’heure actuelle, du contrôle des rovers, dont elle a progressivement dépossédé le JPL en 2004.

9La spécificité de la mission robotique spatiale tient au fait que les scientifiques, mais aussi d’autres acteurs individuels, agissent et pratiquent leur métier à distance par l’intermédiaire d’outils très sophistiqués. Ces équipements partiellement automatisés constituent les extensions physiques et les médiateurs sensoriels du chercheur et de l’ingénieur (opérateur), et sont sujets à une double contrainte dans le processus de la communication avec la Terre : en termes de temps (délais) et de débit informationnel.

10Un rover est un châssis stabilisé sur deux ensembles de trois roues articulées (ou bogie), contenant les principaux équipements électroniques (processeur protégé des radiations, interface), et couvert de panneaux solaires. Sous la plate-forme se trouvent les caméras de navigation, un bras articulé et une « main » rotative portant quatre instruments d’investigation scientifique : le RAT (Rock Abrasion Tool) permettant de gratter et de dépoussiérer quelques centimètres de la surface des roches, un microscope numérique, un spectromètre d’émissions thermiques (Thermal Emission Spectrometer), un spectromètre de Moessbauer capable d’effectuer une étude minéralogique détaillée des différents types de roches et de sols ferreux. Sur la plate-forme se trouvent les antennes et le mât portant les yeux du rover : une double caméra panoramique rotative et multispectrale permettant de produire un effet stéréoscopique sur différentes longueurs d’onde. La composante de raisonnement est présente sous la forme d’une « intelligence » logicielle embarquée qui détermine l’« autonomie » de l’outil, principalement en tant qu’aide à la navigation : elle photographie, mesure, contourne les petits obstacles, et détermine les chemins les plus sûrs pour effectuer des corrections locales aux longues traversées du rover (programmées depuis la Terre).

11matérialité des savoirsinstrumentinstrument de communicationLa contrainte communicationnelle maintient la durée minimale de l’échange entre le rover et le centre de contrôle sur Terre à une vingtaine de minutes aller-retour. Sonde et rover possèdent plusieurs types d’antennes : à faible impédance et multidirectionnelle, utilisée lorsque la sonde n’est pas trop éloignée des environs de la Terre ; à moyenne ou haute impédance et unidirectionnelle, demandant plus de puissance, de plus faible débit, et devant être pointée vers le récepteur ou l’émetteur. Les informations peuvent transiter par l’un des satellites en orbite, Mars Odyssey ou Mars Global Surveyor, la communication entre le rover et le satellite s’établissant par l’antenne UHF (ultra haute fréquence) du rover, de courte portée et permettant des transmissions rapides à 128 000 bits / s, celle entre le satellite et la Terre utilisant un lien direct en bande X (micro-ondes). Ce dispositif présente de multiples avantages : il permet la sauvegarde des données avec un risque d’erreur moindre, puisque les satellites sont relativement proches des rovers, en orbite à environ 400 kilomètres du sol, qu’ils demeurent plus longtemps en vue de la Terre, avec un accès sur environ les deux tiers de leur orbite quotidienne, soit seize heures, et enfin que les rovers dépensent ainsi moins d’énergie à émettre le signal de proximité, alors que les satellites disposent d’une exposition plus généreuse au soleil et de plus larges panneaux solaires. Sur Terre, la réception et l’émission des signaux sont assurées par le Deep Space Network (DSN), équipement composé de trois ensembles d’antennes géantes, mesurant entre 34 et 70 mètres de diamètre chacune, capables de percevoir des signaux distants de plusieurs millions de kilomètres, et disposés à environ 120 degrés les uns des autres afin d’optimiser la couverture planétaire. Cependant, le DSN ne dispose que de plages temporelles limitées pour chacune de la trentaine de missions qu’il suit.

12Ainsi chaque jour n’offre-t-il qu’une plage de trois heures au plus pour la communication directe avec les rovers, laissant donc les machines livrées à elles-mêmes le reste de la journée. La rotation de Mars dure quarante minutes de plus que celle de la Terre, et les rovers disposent ainsi quotidiennement de quelques minutes supplémentaires pour leurs opérations, imposant à l’ensemble du personnel technique, chercheurs et ingénieurs, de caler leur cycle d’activité sur le temps martien11. Chaque jour, un plan est défini pour chacun des rovers : une séquence d’actions à exécuter sans intervention humaine, comme naviguer en direction d’un objectif, prendre des photos panoramiques des environs, faire des mesures atmosphériques, se positionner pour recharger les panneaux solaires, placer le bras articulé au contact d’un rocher, activer un instrument, communiquer avec la Terre ou creuser une tranchée avec les roues. Ces instructions sont envoyées vers le rover concerné au début de la journée martienne et exécutées de manière autonome pendant la journée. En fin d’après-midi, en temps local martien, la communication est inversée et transmet vers la Terre les informations recueillies sur l’état du rover et / ou sur le résultat des expériences scientifiques. Ces informations serviront de base à la planification du jour suivant.

13inscription des savoirscodage de l’information pratiques savantespratique lettréedéchiffrementPratiquement, les opérateurs et les chercheurs se trouvent dans des situations de traduction (ou codage / décodage) sous la forme d’un enchaînement de micro-décisions et d’actions réparties entre le chercheur et l’opérateur, l’opérateur et la machine. L’exploration et l’expérience scientifiques sont conduites selon une suite ordonnée de négociations quotidiennes des micro-objectifs et des actions sur le terrain, où les compétences techniques et logiques des différents acteurs s’opposent ou se combinent en vue d’atteindre les objectifs préétablis de la mission. Ainsi chercheurs (géologues et planétologues) et opérateurs (ingénieurs et roboticiens) interagissent-ils et se contraignent-ils mutuellement tant dans la définition des objectifs que dans le choix des moyens techniques pour les réaliser. La journée de travail terrestre, ou nuit martienne, commence pour les chercheurs avec l’interprétation des nouvelles données reçues, la redéfinition des priorités en fonction des résultats obtenus, la formulation d’hypothèses scientifiques et la participation à des réunions d’expertise (sols, minéralogie, atmosphère, géologie), au cours desquelles ils exposent leurs théories et leurs intuitions. Vient ensuite l’une des deux rencontres quotidiennes cruciales réunissant l’ensemble des acteurs, scientifiques et ingénieurs, le Downlink Assessment Meeting – DAM – (réunion d’évaluation des données retournées), qui permet l’échange d’analyses sur les dernières données : un micro passe entre les mains de chacun des responsables des groupes d’expertise, qui expose les opinions et recommandations de ses collègues. À la fin de cet échange de vues, un ingénieur prend la parole et fait le point sur l’état du rover, donnant aux scientifiques une idée des options techniques, ainsi que de la charge de travail actuelle des opérateurs. Avant de clore la rencontre, les différentes équipes discutent de leurs priorités respectives : quel rocher étudier, quel instrument utiliser, où se positionner. Il s’agit d’un cycle de négociation des objectifs de haut niveau (par opposition à la simple mise au point des commandes aux rovers).

14construction des savoirsépistémologietechniqueCar la définition des objectifs se fait sous la contrainte de la technique : les ressources du rover (énergie disponible des batteries, en fonction de l’ensoleillement, mémoire libre pour le stockage des résultats, et accès à l’outil) sont drastiquement limitées (seulement quelques mesures sur chaque rocher), tout comme les possibilités de placement et de déplacement. Il y a donc négociation sur les objectifs réalisables, entre les chercheurs et les opérateurs. Ainsi, à l’issue du DAM, les scientifiques retournent-ils dans leurs unités respectives afin de définir et d’affiner les opérations qu’ils souhaitent voir exécutées, mais aussi de préparer les opérations des jours suivants, en fonction des résultats potentiels ou attendus. Vient alors la rencontre décisive de la journée, le Science Operations Works Group – SOWG – (Groupe de travail sur les opérations scientifiques) où se rencontrent à nouveau chercheurs et ingénieurs pour détailler, étape après étape, les expériences du jour. Les ingénieurs y donnent aux scientifiques les éléments d’informations leur permettant de comprendre les contraintes techniques qui restreignent les possibilités ainsi que les implications de leurs choix en terme de ressources, c’est-à-dire principalement le temps, l’énergie, le stockage des données, la plage de communication, qui forment un réseau si complexe d’interdépendances que les vérifications sont effectuées par des logiciels spécialisés. Jamais l’importance de cette négociation ne se fait autant sentir que dans le cas d’une panne sur le rover (problème logiciel, roue bloquée, articulation du bras endommagée) ou de situations environnementales extrêmes (pente trop abrupte, température dangereusement basse, ensoleillement réduit, tornade de sable), où la contradiction des objectifs peut apparaître pleinement entre, d’une part, l’optimisation du gain scientifique, c’est-à-dire de relevés et de données scientifiques immédiats et, de l’autre, l’extension de la durée de vie du rover. Enfin, les priorités du jour établies et les négociations terminées, la création de la séquence de commandes et sa communication reviennent aux opérateurs. La possibilité d’un échec des négociations est prise en compte par un programme d’expériences prédéterminées qui peut être communiqué au rover si nécessaire.

15construction des savoirsépistémologieerreurLes exemples abondent de décisions rapides, négociations et renégociations des objectifs, gestion des erreurs matérielles et des difficultés environnementales. Le 18e jour, une anomalie sérieuse affecte Spirit qui ne peut reprendre ses opérations normalement que le 33e jour. Un mois plus tard, il atteint le bord du cratère Bonneville, mais la décision de l’y faire descendre est annulée après l’analyse des premières photos. Spirit est mis en sommeil durant les trente jours du passage de Mars derrière le Soleil ; et, six mois plus tard, à la mi-février 2005, il escalade la colline Columbia, profitant de l’inclinaison afin de mieux s’exposer au faible soleil d’hiver. Le matin du 10 mars 2005, il est touché par une petite tornade qui dépoussière ses panneaux solaires, permettant une extension inespérée de la durée de la mission. De l’autre côté de la planète, une des roues d’Opportunity se bloque et oblige les ingénieurs à mettre au point un savant système de marche arrière forcée, jouant de la roue inutile comme d’un gouvernail. Le 8 juin 2004, le rover entre lentement dans le cratère Endurance, au risque de ne plus pouvoir en sortir. En janvier 2005, il s’approche des restes de son bouclier thermique, en partie consumé pendant la plongée dans l’atmosphère un an auparavant, et permet aux ingénieurs d’étudier la résistance effective de la structure du bouclier et de ses matériaux. Le 26 avril de la même année, les quatre roues directrices s’embourbent jusqu’à mi-hauteur en tentant de franchir une élévation de trente centimètres dont le rover ne sort que le 4 juin : pendant ce temps, les équipes scientifiques en profitent pour utiliser les senseurs à distance et faire procéder à des mesures susceptibles d’informer sur l’atmosphère et le climat.

Figure 2. Vue des roues du rover Opportunity enlisé dans une dune miniature.
Vue des roues du rover  enlisé dans une dune
          miniature.

16matérialité des savoirsinstrumentlogicielAlors que le petit robot Pathfinder 12 était dirigé à l’aide d’un contrôleur manuel, les rovers MER, plus autonomes que leurs prédécesseurs, ont déplacé le rôle de l’opérateur de l’action vers la décision. Il faut dès lors se représenter ces opérateurs comme disposant d’un nombre limité d’entrées, c’est-à-dire d’accès aux variables de contrôle du robot, pour la réalisation de micro-objectifs (mouvement d’une articulation du bras, déplacement millimétré d’une roue, orientation d’une antenne), commandes dont les résultats de l’exécution ne sont jamais déterminés ou déterministes, d’une part, car les systèmes et les sous-systèmes logiciels, électroniques et physiques du rover sont eux-mêmes non déterministes : ils sont en effet sujets à des fautes (blocage, erreur de mémoire, dégradation des équipements) ou à des événements exogènes imprévisibles liés à l’exploration des espaces inconnus (taux de poussière atmosphérique, fluctuation thermique, densité du sol, influence du vent) ; d’autre part, parce que l’autonomie embarquée pour justement aider à répondre à l’incertitude (évitement automatique des petits obstacles, mécanisme de sauvegarde du bras en cas de risque de choc ou de mauvais placement) contribue à rendre pratiquement contre-intuitive l’exécution effective des commandes par un opérateur humain. Les ingénieurs opérateurs, en position d’intermédiaires entre les scientifiques et la machine, voient donc leurs plans souvent déjoués et cherchent à minimiser les décalages entre volonté et réalité, afin de les maintenir dans des limites acceptables, tout en intégrant les objectifs et les directives des chercheurs. Dans cette position a priori inconfortable, les contraintes sont telles que, mesurant la difficulté d’en tenir compte de façon optimale, c’est-à-dire en en négligeant le moins possible, voire aucune, les ingénieurs tendent à déléguer à la machine non seulement la traduction des commandes de haut niveau en micro-instructions prêtes à être exécutées, mais aussi, ce qui est remarquable, la proposition des décisions optimales concernant notamment l’ordonnancement des tâches concurrentes (charger une batterie avant ou après une opération, réchauffer un instrument avant son utilisation tout en effectuant une transmission). Ainsi, dans la phase de contrôle du rover, l’opérateur se trouve-t-il engagé dans des activités d’ordre décisionnel et, au-delà, de mise au point et d’utilisation de puissants outils d’aide à la décision, où la machine génère un plan d’action, et l’opérateur apporte ses connaissances et son expérience, formule des critiques et impose certaines contraintes et tâches, avant de laisser la machine vérifier de nouveau la cohérence des commandes générées13.

17pratiques savantespratique intellectuelleraisonnement pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementdéductionDans la phase de réception des données, et à partir de celles-ci, l’opérateur use d’un raisonnement déductif afin de reconstruire la chaîne des événements effectivement survenus en réponse aux commandes envoyées. Cette étape de diagnostic nécessite un retour actif au rover : il s’agit de construire des stratégies de réduction des ambiguïtés et des hypothèses des dysfonctionnements observés, et ce en usant de commandes qui doivent, plus que jamais, passer par toutes les étapes de validation décrites précédemment.

18On comprend alors que les opérateurs tiennent le double rôle propre aux activités de coordination, d’interaction avec la machine d’abord, par un jeu de traduction / déduction, et d’interaction avec les scientifiques ensuite, par un jeu de traduction / accommodation : les opérateurs ont un rôle stratégique du fait du déplacement, de l’autonomisation, de la cohésion et de la complexification du laboratoire. Les scientifiques demeurent cependant les directeurs implicites de la mission, et leur présence sur le terrain de l’exploration est médiatisée par l’utilisation d’outils spécifiques, tels que des écrans collaboratifs et des environnements virtuels de visualisation, à la manipulation desquels ils ont été formés avant la mission. La fonction de ces outils est de suggérer, notamment aux géologues, une sensation partielle mais utile pour l’appréciation de ce terrain qui se dérobe à leurs sens, tout comme à leur expérience. Ces techniques numériques de pointe utilisent des supports visuels collaboratifs, tels les larges écrans tactiles, qui permettent de combiner les schémas logiques et fonctionnels avec l’information en provenance des rovers et des satellites – images, représentations tridimensionnelles du terrain, cartes spectrométriques ou minéralogiques.

19pratiques savantespratique intellectuelleobservation espaces savantslieulaboratoireL’exploration contrôlée à distance, en délocalisant partiellement le laboratoire, modifie plus généralement, et à des degrés variables, la pratique des acteurs. Si cette dernière apparaît de façon singulière dans le cas de l’aventure spatiale, elle s’observe aussi à tous les niveaux de l’évolution des pratiques d’observation scientifique – telles les campagnes de mesures sur les océans et les forêts, le réchauffement climatique et ses conséquences, qui impliquent et utilisent des techniques modernes organisées en réseau complexe, des relevés de terrain à la simulation informatique, et qui éloignent physiquement et cognitivement le chercheur de la maîtrise de son matériel d’observation. Plusieurs facteurs déterminent les positionnements des différents acteurs ainsi que les raisonnements pratiques rendus nécessaires par leurs expériences. D’abord, un arbitrage strict sur les éléments et capacités à déplacer, ainsi que leur marge de mobilité. Ensuite, le caractère unique et non reproductible des expériences (dû aux contraintes de temps ou de matériel, ou encore au type de mission : écrasement volontaire de Deep Impact sur la comète Tempel 114, descente mortelle de Huygens sur Titan15) implique la mise en place de protocoles expérimentaux adaptés reposant sur la redondance des équipements, des observations et des expériences, afin d’assurer avant tout la validité scientifique des résultats récoltés et reportés.

20construction des savoirsépistémologiehypothèse construction des savoirslangage et savoirsgenreénigme pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementSur le plan du raisonnement, on peut dire qu’à la pratique quotidienne de l’exploration à distance correspond la production d’un jeu de micro-énigmes16, construites à partir des éléments envoyés par la machine, rapidement explicitées ou même résolues, puis vérifiées par envoi de nouvelles commandes à la machine. Dans ces micro-énigmes, l’hypothèse du médiateur défectueux et / ou du milieu mal maîtrisé prend une importance toute particulière. Les grandes théories – de l’évolution du climat à celle de la vie à l’échelle de la formation de la planète – résultent, elles, de la confrontation des résultats d’une série de missions échelonnées dans le temps, d’observations quotidiennes récoltées à l’aide de télescopes, de satellites et de sondes, de probabilités conditionnelles sur des hypothèses générées par le traitement de larges ensembles de mesures, de la validation ou de l’infirmation d’hypothèses pouvant durer des décennies, dans l’attente de la mission dédiée qui saura mesurer les variables décisionnelles, c’est-à-dire mettre fin à l’indécision et à l’ambiguïté des hypothèses existantes.

21construction des savoirsépistémologiedécouverteLa technicité, mais aussi la préparation et l’engagement cognitif et social caractéristiques des grands projets scientifiques font que l’exploration dans son ensemble ainsi que les expériences quotidiennes sont planifiées par un très petit nombre de personnes qui communiquent leurs résultats au grand public dans des conférences de presse aux moments clés de la mission – atterrissage, premiers mois de l’exploration, découvertes importantes –, et à leurs pairs, dans des revues prestigieuses et des articles techniques et détaillés, parfois cosignés par une trentaine de chercheurs, ce qui renforce le caractère très spécifique de cette catégorie de savants et d’investigateurs.

22matérialité des savoirsinstrumentmachine à calculerCependant, contrairement à d’autres sous-champs et disciplines scientifiques17, la pratique de la recherche à distance implique, du fait de l’articulation de l’opérateur / ingénieur et de la mise au point de sa machine, que les conditions de l’obtention des résultats fassent elles-mêmes l’objet d’une science ou d’une technique et se trouvent ainsi objectivées dans un champ dont les règles de validation sont similaires à celles du champ qui traite des résultats proprement dits de l’exploration. Ainsi les équipements et les techniques de calculs et de communication font-ils l’objet d’études très poussées dans les universités et les centres de recherche de pointe, avec publications dans des actes de colloques ou dans des journaux spécialisés sous le contrôle scientifique de pairs.

23Les formes du savoir produit par l’exploration à distance se caractérisent, d’une part, par les contraintes introduites par les médiateurs mécaniques, électroniques et logiciels utilisés, les conditions mal maîtrisées de l’expérience, l’étrangeté et la nouveauté d’objectifs lointains et observés pour la première fois ; d’autre part, par la diffusion des résultats et la divulgation rapide et populaire des possibles implications de la connaissance effectivement produite, où la distance physique par rapport aux éléments observés reste le facteur structurant principal.

24Le savoir tiré de l’exploration à distance est riche en conclusions inédites, en constructions ingénieuses fondées sur des observations et des mesures disparates, en retournements de situation (par exemple, les premières déductions contradictoires sur la question de l’expansion accélérée de l’Univers) : il éclaire souvent pour la première fois des espaces jusqu’alors inexplorés, ou prend en compte des mesures établies par des moyens techniques nouveaux. Parce que les instruments livrent des informations qui doivent être analysées et assemblées, les conclusions finales peuvent ne pas être immédiates et nécessiter des opérations de traitement et retraitement complexes. Ainsi, par exemple, les mesures de couleur, envoyées par les caméras des rovers, sont-elles relatives et nécessitent-elles des traitements différents afin de produire des images pouvant approcher ce que serait la perception de la planète rouge par un œil humain, ou bien contribuer à la caractérisation des roches. Souvent aussi, ce savoir suscite plus de questions qu’il n’en résout, enrichissant ainsi implicitement la chaîne des interrogations, expériences et solutions quotidiennes de la mission, voire plus généralement la chaîne des missions exploratoires. Ici, le savoir issu de l’activité des rovers procède aussi bien de la récolte quotidienne d’informations que d’une prospection active qui se situe à mi-chemin d’autres types d’exploration, tels l’étude principalement photographique ou sensorielle (sonde Cassini aux abords de Saturne) et le prélèvement d’échantillons (la mission Stardust, qui a rapporté sur Terre des échantillons de poussières stellaires). Mais il intègre les données retournées au schéma directif et argumenté de l’exploration18 – ce qui, dans le travail du géologue terrestre, équivaut au carnet de notes, où sont consignés aussi bien les lieux visités, les échantillons ramassés ou étudiés, que les investigations et conclusions partielles qui déterminent l’espace des choix possibles pour les investigations des jours suivants. À cette différence près que la séparation du géologue d’avec son terrain d’observation et les outils qu’elle implique, crée un espace de négociation qui désenclave au moins partiellement le chercheur de son laboratoire19 et le maintient intégré dans sa communauté pour tous les principaux aspects de son travail quotidien, et non plus pour la seule discussion des résultats.

25typologie des savoirsobjets d’étudeespaceCependant, la diffusion dans la sphère publique de ces nouvelles connaissances et l’imaginaire collectif lié au rêve de conquête spatiale, y compris dans ses aspects politiques et scientifiques20, conduisent bien souvent à ce que seules les grandes lignes des résultats soient relayées dans les médias. Il faut aussi noter que le savoir obtenu à partir des données récoltées définit implicitement les possibilités offertes à la poursuite de l’exploration : ainsi, l’absence de tout indice prouvant l’existence de l’eau sur Mars aurait mis un frein à plusieurs disciplines et branches de la recherche en astrobiologie. Heureusement, la découverte de preuves tangibles permet d’espérer plusieurs missions exploratoires complémentaires dans un futur proche.

Figure 3. Une vue de la station de base d’Opportunity dans le cratère Eagle – point d’arrêt «miraculeux» à l’atterrissage.
Une vue de la station de base d’Opportunity
          dans le cratère Eagle – point d’arrêt «miraculeux» à
          l’atterrissage.

26construction des savoirsvalidationfalsificationOn ne perçoit jamais mieux le conditionnement implicite de ce savoir par l’exploration à distance qui l’a produit que dans l’effort renouvelé de réfutation ou d’édification de théories du complot ou de l’escroquerie, qu’il s’agisse de démontrer la falsification des produits de la mission Apollo à l’aide d’un décor lunaire hollywoodien, ou de suggérer la possibilité de rovers pataugeant dans un bac à sable.

27acteurs de savoiracteur non humainmicro-organisme construction des savoirsvalidationEnfin, les conditions de validité de ce savoir étant liées à son obtention, pratique et savoir se déterminent réciproquement. Le savoir établi grâce aux mesures des deux rovers attestant la présence d’eau sur Mars dans le passé renforce la conjecture de l’existence passée de formes de vies organiques, mais jamais observées. Ce savoir s’est récemment enrichi lors de la découverte de bactéries terrestres capables de résister à des conditions de vie proches de celles du voyage interplanétaire, reposant avec force la question de la contamination de Mars par les sondes21. Le but affiché de la mission MER, déterminer la possibilité de l’existence passée ou présente d’une vie martienne, est ainsi lui-même soumis à l’évolution des connaissances, et sa validité dépend du calcul de la probabilité d’une non-contamination de la planète par les rovers eux-mêmes.

28Les approches futures de l’exploration à distance découlent de la configuration actuelle des pouvoirs décisionnels et opératoires. Les opérateurs et ingénieurs s’orientent implicitement vers la réduction et la dissipation des frictions sociales liées à leur rôle de coordination, en déléguant notamment à l’outil une plus large gamme de décisions, c’est-à-dire en renforçant son autonomie. Les chercheurs, vu le volume d’informations récoltées par la mission MER et les satellites en orbite martienne, tendent à vouloir vérifier des points précis, empiriques ou théoriques, et passer ainsi de la mission exploratoire à l’expérience planifiée, en programmant des atterrissages de haute précision en des points cruciaux de la planète. Enfin, le défi à long terme demeure inchangé : l’exploration humaine directe de Mars. Dans la pratique, ce défi apparaît, aujourd’hui plus que jamais, indissociable de l’interaction homme-machine.

Notes
1.

La sonde spatiale est l’engin cosmique non habité lancé pour étudier le milieu interplanétaire. Dans le cas de la mission MER, c’est une structure en aluminium recouverte de panneaux solaires, qui encapsule le rover dont l’ordinateur de bord est connecté aux équipements de la sonde. Ceux-ci sont maintenus à une température fonctionnelle par un système de chauffage / refroidissement et par la rotation de la sonde sur elle-même, qui équilibre leur exposition au rayonnement solaire.

2.

Le Zylon est la marque d’un polymère synthétique caractérisé par une très grande résistance aux forces et impacts, ainsi que par une excellente stabilité aux changements thermiques.

3.

Voir « Spirit at Gusev Crater », août 2004.

4.

Voir « Opportunity at Meridiani Planum », décembre 2004.

5.

Bourdieu, 2001.

6.

Les objectifs fondateurs de la NASA aussi bien que le terme de « mission » sont indissociables de la théorie de Turner qui associait la spécificité américaine et l’activité exploratoire des espaces (voir Turner, 1893). Cette théorie simplificatrice rencontrait encore au milieu du xx e siècle un succès certain dans la société américaine. Les noms des deux rovers, Spirit et Opportunity, ont été adoptés à l’issue d’un concours (la lauréate fut une immigrée russe de neuf ans) et en référence à la conquête de l’Ouest, the land of opportunity, et au pioneering spirit des colons.

7.

Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer le curieux phénomène qui consiste à attribuer à la NASA l’origine ou la source des technologies les plus diverses et présentées comme étant toujours les plus utiles (Baker, 2001).

8.

Shinn, 2000.

9.

L’astro- ou exo-biologie est un champ interdisciplinaire combinant l’astronomie et la biologie pour l’étude de l’origine et de la distribution de la vie dans l’Univers ; l’astro-géologie combine l’astronomie et la géologie ; l’on peut citer d’autres proto-sciences, c’est-à-dire encore à l’état spéculatif, comme l’astro-socio-biologie ou l’exo-linguistique.

10.

Le rover dans son design, son développement et sa production reste sous le couvert des régulations de l’ITAR (International Traffic in Arms Regulations).

11.

De plus, les rovers se trouvant sur deux faces opposées de la planète, les opérations se succèdent en continu, jour et nuit, ne laissant que peu de répit aux personnels.

12.

Golombek et   al., 1997.

13.

Le logiciel utilisé est dénommé MAPGEN, Mixed Initiative Activity Planning Generator (générateur-planificateur d’activités à initiative mixte), la mixité de l’initiative renvoyant à l’interaction homme-machine ou encore au coefficient de prise en main.

14.

Voir « Deep Impact », octobre 2005.

15.

Voir Lebreton et   al., 2005.

16.

Kuhn, 1972.

17.

Latour et Woolgar, 1979.

18.

En d’autres termes, le savoir ainsi obtenu reste indissociable de la course exploratoire du rover, non seulement parce que les surfaces explorées sont négligeables à l’échelle de la planète, mais aussi parce que l’on découvre plus facilement ce que l’on cherche : l’étude de nombre de rochers ou cratères a été repoussée tant que la recherche de traces d’eau dominait l’exploration. Il faut comprendre le succès affiché de la mission comme reflétant la mesure de l’adéquation entre les buts annoncés et le savoir effectivement produit.

19.

Dans les premiers temps de la mission Mer, les scientifiques appartenant aux différentes universités impliquées s’étaient regroupés dans le cadre du Jpl, à la fois centre de commande et espace de recherche interdisciplinaire.

20.

Mccurdy, 1997.

21.

Le COSPAR (Committee On Space Research) impose des restrictions sur les satellites et sondes interplanétaires, à partir du calcul probabiliste des chances de contamination de Mars : aujourd’hui, celles-ci imposent pour chaque satellite ou sonde martienne un risque inférieur à 1 % de voir la planète contaminée dans les vingt ans qui suivent. Une telle exigence reste théorique : seule l’absence totale de contact entre un satellite et l’atmosphère de Mars pourrait lui donner un statut objectif.

Appendix A Bibliographie

  1. Baker, 2001 : David Baker, Scientific American : Inventions from Outer Space : Everyday Use of NASA Technology, New York.
  2. Barnes, 1974 : Barry Barnes, Scientific Knowledge and Sociological Theory, Londres.
  3. Barnes et Bloor, 1982 : Barry Barnes et David Bloor, Relativism, Rationalism and Sociology of Knowledge, Oxford.
  4. Bourdieu, 2001 : Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris.
  5. « Breakthrough of the Year », Science, 5704 (306), 17 déc. 2004.
  6. Cole et Cole, 1967 : Stephen Cole et Jonathan R. Cole, « Scientific Output and Recognition. A Study in the Operation of the Reward System in Science », American Sociological Review, 32, p. 377-390.
  7. « Deep Impact », Science, 5746 (310), 14 oct. 2005.
  8. Garfield, 1975 : Eugene Garfield, « The Obliteration Phenomenon », Current Contexts, 51 / 52 (5-7).
  9. Gingras, 1991 : Yves Gingras, Les Origines de la recherche scientifique au Canada, Montréal.
  10. Golombek et al., 1997 : Matthew Golombek et al., « Overview of the Mars Pathfinder Mission and Assessment of Landing Site Predictions », Science, 5344 (278), 5 déc. 1997.
  11. Hacking, 1992 : Ian Hacking, The Self-Vindication of Laboratory Sciences, Chicago.
  12. Klerkx, 2004 : Greg Klerkx, Lost in Space. The Fall of NASA and the Dream of a New Space Age, New York.
  13. Kuhn, 1972 : Thomas Samuel Kuhn, The Structure of Scientific Knowledge, Chicago.
  14. Latour et Woolgar, 1979 : Bruno Latour et Steve Woolgar, Laboratory Life. The Social Construction of Scientific Facts, Los Angeles ; trad. fr. La Vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, Paris, 1988.
  15. Lebreton et al., 2005 : Jean-Pierre Lebreton et al., « An Overview of the Descent and Landing of the Huygens probe on Titan », Nature, 438, déc. 2005, p. 758-764.
  16. Mccurdy, 1997 : Howard E. Mccurdy, Space and the American Imagination, Washington.
  17. « Opportunity at Meridiani Planum », Science, numéro spécial, 5702 (306), 3 déc. 2004.
  18. Shinn, 2000 : Terry Shinn, « Formes de divisions du travail social et convergence intellectuelle, la recherche technico-instrumentale », Revue française de sociologie, 3, p. 447-473.
  19. « Spirit at Gusev Crater », Science, numéro special, 5685 (305), 6 août 2004.
  20. Turner, 1893 : Frederick Jackson Turner, The Significance of the Frontier in American History, Chicago.