Kasper Risbjerg Eskildsen

1espaces savantslieubureau acteurs de savoirmodes d’interactionretrait typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoireLe 6 avril 1884, l’historien allemand Leopold von Ranke (1795-1886), qui se faisait vieux, ouvrit son Journal relié pour écrire un long billet sentimental. Ranke, qui avait près de quatre-vingt-dix ans, avait cessé d’enseigner depuis plus d’une décennie. Depuis des années, il s’était isolé dans son appartement pour se concentrer sur sa tâche herculéenne : une histoire du monde qui ne fût pas un abrégé, et qu’il devait laisser inachevée. En cette journée de printemps de 1884, cependant, il fut submergé par les souvenirs du temps où les étudiants et des débats animés emplissaient ses pièces, désormais vides; des souvenirs réveillés par la visite de l’un de ses premiers étudiants, l’historien munichois Wilhelm von Giesebrecht. Évoquant six étudiants qui se rassemblaient autour de son bureau dans les années 1830, il écrivit dans son Journal :

acteurs de savoircommunautéfamille acteurs de savoirmodes d’interactionamitiéEn compagnie des membres jadis jeunes, aujourd’hui grisonnants, qui participaient aux exercices historiques, je me souviens de l’étude de l’histoire allemande, qui n’en était qu’à ses débuts. […] Des débuts bénis par la grâce du ciel. Les hommes en question ont fait leur chemin dans ce monde ; pour autant qu’ils soient encore en vie, ils n’en sont pas moins soudés et unis avec moi dans une vieille amitié. C’est le genre de lien familial qu’on trouve en littérature. Puisse aucun vent mauvais ne voiler cette amitié d’un nuage1 !

L’autonomie d’une science historique

2inscription des savoirsgenre éditorialatlas construction des savoirspolitique des savoirsinstitutionnalisation typologie des savoirsdisciplinesEn 1884, Ranke avait de bonnes raisons de faire du sentiment. La discipline historique se professionnalisait et s’institutionnalisait. Les exercices privés au domicile du professeur n’étaient plus de mise. Les étudiants se formaient plutôt en séminaires, équipés de salles, de bibliothèques de références, de cartes et d’atlas, de l’éclairage au gaz, de bureaux et d’armoires. À l’Université de Berlin, celle de Ranke, un de ses anciens étudiants, Julius Weizsäcker, avait négocié deux années durant avec le ministère pour pouvoir créer un pareil séminaire : quand il ouvrit, en janvier 1885, il ne comptait pas moins de quarante-deux nouveaux étudiants2.

3construction des savoirséducationévaluation pédagogiquediplôme construction des savoirsvalidationréputation espaces savantslieusalle de séminaireEn ces temps de cliniques hospitalières, d’universités vouées à la recherche et de laboratoires scientifiques, les séminaires offraient aux historiens légitimité et prestige professionnel. Issus des séminaires de philologie et de pédagogie du xviii e siècle, qui se focalisaient sur la formation des maîtres, les séminaires d’histoire du xix e siècle devinrent des centres de recherche et de formation de chercheurs3. Financés par l’État, les séminaires offraient souvent des bourses et des pensions sans frais d’inscription. L’admission des étudiants et les examens reposaient sur les résultats que chacun obtenait par écrit. Pour décrocher son diplôme, il fallait faire montre d’indépendance d’esprit : ainsi que Weizsäcker l’écrivit au ministère en 1882, « les étudiants doivent venir par eux-mêmes et travailler par eux-mêmes4 ».

4acteurs de savoircommunautéfamille acteurs de savoirqualités personnellesloyauté espaces savantslieubureauLes exercices de Ranke ne ressemblaient guère à ces institutions modernes. Des années 1830 à 1868, Ranke accueillit un groupe d’étude hebdomadaire, dont les travaux n’étaient interrompus que par les voyages de recherche et les plongées dans les archives. Installés autour de son bureau, dans son cabinet de travail, les étudiants participaient à son œuvre. Plutôt que de choisir leurs propres sujets de recherche, ils s’ajustaient aux centres d’intérêt présents de leur maître. Ranke n’avait ni bourses ni hébergement à proposer ; seulement un surcroît de travail. Il choisissait les nouveaux membres au gré de ses sympathies et les soumettait à des examens oraux informels. En contrepartie, il attendait d’eux une loyauté et une obéissance inconditionnelles. Plutôt que des penseurs indépendants, les exercices créaient, ainsi qu’il l’écrivit en avril 1884, un « genre de lien familial » sous la houlette d’un patriarche doublé d’un autocrate.

5espaces savantslieuuniversité matérialité des savoirsmobilierlampeSous la lumière vive des lampes à gaz, les exercices de Ranke ressemblaient à un monde prémoderne, promis à se dissiper face aux forces modernes de la rationalisation scientifique, de l’émancipation individuelle et de la bureaucratisation universitaire. Dès 1860, l’historien berlinois Johann Gustav Droysen plaida que, faute de séminaire, l’Université de Berlin prenait du retard sur la recherche historique par rapport au reste de l’Europe5. En 1882, Weizsäcker compara son projet de séminaire au laboratoire du naturaliste et dit au ministère : « Que cette sollicitation vienne si tard de la part des sciences historiques ne signifie pas qu’il n’y ait pas de besoin pressant et que celui-ci n’existe pas de longue date6. »

6Dans les années suivantes, cependant, Ranke allait être justifié. Tandis que Droysen et Weizsäcker devaient disparaître dans les recoins poussiéreux de l’historiographie allemande, son étoile allait briller d’un éclat toujours plus vif. À la fin du xix e siècle, du Texas à Tokyo, il fut reconnu comme le « principal créateur de l’autonomie de l’histoire en tant que science7 » et même, malgré les preuves du contraire, comme le père du séminaire d’histoire. Pour saisir ce paradoxe, il faut comprendre ce qui se cachait derrière les portes closes du bureau de Ranke, au milieu du xix e siècle.

Dans les salles de cours

7construction des savoirstraditionreligionchristianismeprotestantismeNé en 1795 dans une petite ville du cœur de l’Allemagne, Ranke était l’héritier d’une longue lignée de pasteurs luthériens. En 1809, il entra au prestigieux Gymnase de Schulpforta, puis, en 1814, commença des études de théologie et de philologie à l’Université de Leipzig. Couronnant ses études par une thèse sur l’historien grec Thucydide, il devint en 1818 professeur de langues anciennes au Gymnase de Francfort-sur-l’Oder en Prusse.

8Sa carrière universitaire commença en 1825. L’année précédente, il avait publié une monographie, Geschichten der romanischen und germanischen Völker von 1494 bis 1535. L’ouvrage lui valut un poste à la nouvelle Université de Berlin, fondée par le roi de Prusse en 1810 et qui servit de modèle à l’Université moderne vouée à la recherche. Elle se fit connaître par sa liberté de pensée, l’impératif de la recherche et les principes de la L ehr- und Lernfreiheit – qui permettaient aux professeurs de choisir en toute liberté les sujets de leurs cours et aux étudiants de suivre librement les cours de leur choix8. Toutefois, le public allemand avait d’autres raisons de chérir l’Université.

9acteurs de savoirprofessionprofesseur espaces savantslieuuniversitéLes professeurs de Berlin entretenaient avec le grand public des liens sans précédent dans l’Université allemande9. Annoncés dans les quotidiens, leurs cours attiraient des foules d’auditeurs. Aux premières leçons de Johann Gottlieb Fichte, le public se pressa si nombreux que la moitié de l’auditoire dut rester debout. L’auditoire de Barthold Georg Niebuhr, rapporta sa femme, était issu « de toutes les classes et de tous les milieux, un couple princier, des courtisans, des officiers, bon nombre de fonctionnaires, et même quelques érudits locaux […] sans compter les enseignants du public au grand complet10 ». En 1842, dans les pages de la Rheinische Zeitung, Friedrich Engels décrivit l’Université comme la principale attraction touristique de Berlin :

Je ne parle pas des imposantes façades de la Place de l’Opéra, ni du Musée d’anatomie et de minéralogie, mais des nombreuses salles de cours, avec leurs professeurs pédants et pleins d’allant, leurs étudiants jeunes ou vieux, enjoués ou sérieux, les bandes de camarades et les éternels étudiants ; des salles de cours dans lesquelles ont été prononcés et sont prononcés tous les jours des mots dont la circulation n’est pas limitée par les frontières de la Prusse ni même, en vérité, par les bornes de la langue allemande. L’Université de Berlin jouit de la réputation de refléter, plus qu’aucune autre, les idées de son temps et de s’être transformée en arène des batailles intellectuelles11.

10acteurs de savoirstatutoisifTout en étant un farouche défenseur de la liberté universitaire, Ranke ne se souciait guère d’ouvrir au public les salles de cours. Dès 1824, dans un discours prononcé au Gymnase de Francfort-sur-l’Oder, il condamna les enseignants qui transformaient le savoir « en bulle de savon pour oisifs12 ». Il prévenait son auditoire juvénile :

acteurs de savoirqualités personnellesméticulositéUn enseignement qui n’est pas minutieux (gründlich) n’est pas un enseignement. Il corrompt parce qu’il paralyse les forces de l’esprit, au lieu de les renforcer, et amollit les pensées. Il séduit parce qu’il applique directement ce raisonnement relâché aux principes de vie. Aussi la minutie (Gründlichkeit) est-elle le premier impératif de tout enseignement13.

11inscription des savoirslivreprix espaces savantslieusalle de classe Ranke n’avait pas non plus, dans les salles de cours, le même succès que ses collègues plus illustres et plus démocrates d’esprit. Son auditoire était « lunatique et inconstant14 », allant et venant à sa guise. Il lui fallut annuler des cours, parce que seuls deux ou trois étudiants étaient prêts à payer. Dans les années 1830 et 1840, il attira un plus large auditoire, mais les effectifs diminuèrent à nouveau dans les années 1850 et 1860 15. Son dernier cours, dans l’été de 1871, fut annulé, par manque de public et parce que les rares étudiants qui l’avaient suivi au départ, rappela son assistant, « semblaient s’en être totalement désintéressés16 ».

12construction des savoirslangage et savoirsstyle acteurs de savoirstatutgénieLes étudiants qui délaissaient les cours vivants de Schleiermacher, Savigny ou Schelling pour se retrouver dans la salle de Ranke étaient rarement impressionnés. Son dialecte lourd, sa voix basse et peu distincte, ses phrases hachées et son débit rapide le rendaient quasi inintelligible : « Ce n’était pas un cours, mais, parsemé de pauses aléatoires, un monologue marmonné, zézayant et grommelé, dont nous ne comprenions que quelques mots », rapporta un étudiant17. Les plus dévoués de ses élèves eux-mêmes le décrivaient comme un professeur moins que parfait18. Mais pour peu qu’on l’écoutât d’assez près, insistaient-ils, son génie étincelait. Andrew Dickson White, qui étudia à Berlin dans les années 1850, a décrit la scène :

pratiques savantespratique corporelleposition du corpsposition assise espaces savantslieubureauLes cours de Ranke, le plus éminent des historiens allemands, je ne pouvais pas les suivre. Il était d’habitude tellement plongé dans son sujet qu’il s’affalait sur son siège, un doigt pointé vers le plafond, marmonnant une sorte de rhapsodie que la plupart de mes camarades allemands s’avouaient incapables de comprendre. Le spectacle était comique : une demi-douzaine d’étudiants qui se pressaient autour de son bureau, tendant l’oreille tels des prêtres écoutant la sibylle sur son trépied, les autres étudiants épars à travers la salle, à divers stades de découragement19.

Loin des salles de cours

13construction des savoirséducationformationDès l’hiver de 1825, Ranke délaissa les salles de cours pour son appartement. Les exercices privés n’étaient pas son invention. À l’Université de Leipzig, Ranke avait suivi les exercices philologiques de Christian Daniel Beck et de Gottfried Hermann 20. À Berlin, les professeurs d’histoire Rühs et Wilken avaient tous deux offert des exercices privés avant son arrivée21. En 1825, Ranke douta même de posséder les qualités requises pour marcher sur les brisées de ses prédécesseurs22. Ce n’est pas avant les années 1830, au retour de plusieurs années de travail dans les archives en Italie et en Autriche, qu’il mit au point les techniques d’enseignement qui devaient par la suite le rendre célèbre dans le monde entier.

14construction des savoirséducationcycle éducatifenseignement supérieur construction des savoirséducationformationC’est en 1837, avec la parution du premier volume des Jahrbücher des Deutschen Reichs unter dem Sächsischen Hause, que le monde découvrit qu’il se passait quelque chose d’inédit derrière les portes du cabinet de travail de Ranke. Si le volume était l’œuvre de Georg Waitz, le nom de Ranke figurait en bonne place sur la page de titre. Dans sa lettre d’accompagnement au ministre prussien de la Culture, il écrivit que l’ouvrage de Waitz était le « commencement d’un travail […] entrepris par plusieurs jeunes gens qui ont pris part à mes exercices historiques » et un « signe de mes activités à l’Université23 ». L’introduction de Ranke à l’ouvrage de Waitz sur le roi saxon Henri i er, mort en 936, portait sur la formation des futurs chercheurs.

Selon l’introduction, les cours étaient nécessaires à tous les étudiants qui fréquentaient l’Université. Toutefois, pour le petit groupe des étudiants, qui se sentaient « appelés » à participer à la recherche future, ils ne suffisaient pas. Les étudiants avaient besoin d’une « introduction plus fouillée à la réalité des affaires universitaires » et d’être « guidés vers l’activité individuelle ». Selon Ranke, cela faisait « bien longtemps » que séminaires et cours privés offraient une formation au travail universitaire indépendant. Mais précisément, suivant son expérience, les étudiants avaient tendance à abuser de cette indépendance. Quand bien même ils découvraient quelque chose de nouveau, cela se terminait par des « articles dispersés24 », qui se prêtaient mal à la publication. Aussi avait-il choisi de coordonner leurs efforts. Pendant plusieurs semestres, ses étudiants travaillèrent tous sur un siècle d’histoire allemande, de 919 à 1024.

Figure 1. Leopold von Ranke dans son bureau, vers 1880-1890, New York, Syracuse University.
Leopold von Ranke dans son bureau,
            vers 1880-1890, New York, Syracuse University.

15inscription des savoirsgenre éditorialrevue acteurs de savoirmodes d’interactionconformismeAvec la parution d’autres Jahrbücher, il apparut clairement que Ranke ne coordonnait pas seulement les sujets des contributions de ses étudiants. Les Jahrbücher brillaient par leur uniformité. Écrits dans une prose sèche, incolore et monotone, ils suivaient un ordre chronologique strict. Ils se focalisaient de manière rigide sur les événements militaires et politiques, tout en faisant abstraction des nombreuses histoires de l’agriculture et du commerce, de la culture et de la religion, de l’art et de la littérature, de la science et des techniques écrites aux xviii e et xix e siècles. La vie des monarques et des nobles était amplement documentée, celle des paysans, des prêtres, des mendiants, des savants et des femmes disparaissait, réduisant l’immense majorité à des « masses exotériques, souffrantes et passives », ainsi que l’observa un critique en 1841 25.

16Les jugements de valeur étaient cependant exclus des pages des Jahrbücher. Le récit historique suggérait neutralité et objectivité. Les voix des auteurs ne se manifestaient que dans la critique. Les données peu concluantes s’accompagnaient de remarques personnelles du style « je n’ose pas », « je crois », « nous sommes presque tentés de croire » ou « qui pourrait savoir ? ». La découverte de « trésors manuscrits inconnus » était célébrée avec joie tandis qu’on déplorait le manque de sources. Les sources et traditions peu fiables suscitaient de vives discussions, à seule fin de se voir rejeter « avec un effroi doublé d’une profonde répugnance ». Quant aux récits historiques passés, ils étaient célébrés pour leur « acuité » ou tournés en ridicule sous prétexte qu’ils tenaient du « roman » ou de la « fable », qu’ils étaient « incroyables et, à dire vrai, presque risibles26 ».

17construction des savoirstraditionsource acteurs de savoirprofessionscribe pratiques savantespratique intellectuelleimagination pratiques savantespratique intellectuellecritiqueLa tâche de « toute critique », observait Ranke dans son introduction, était de dévoiler « la relation entre sujet et objet, entre l’auteur et son artefact27 ». Le récit des Jahrbücher suggérait cependant que ce n’était pas seulement la tâche de « toute critique », mais aussi de toute écriture de l’histoire. Le dialogue décisif ne se situait plus entre historiens et acteurs historiques, mais entre les historiens eux-mêmes. Avec les Jahrbücher, on avait le sentiment de se retrouver assis au bureau de Ranke, aux prises avec l’écriture difficile des scribes médiévaux et en débat avec des siècles d’interprétation. Ils faisaient passer l’excitation de l’historien pénétrant dans des archives italiennes oubliées, non pas celle des acteurs historiques pénétrant sur les champs de bataille de l’Italie d’autrefois. L’imagination avait droit de cité, mais seulement en prenant ancrage dans une étude des documents28.

18construction des savoirstraditionsource acteurs de savoirqualités personnellesexactitudeL’uniformité des disciples de Ranke ne devait pas échapper aux contemporains. En 1837, dans une lettre à Friedrich Perthes, Johann Gustav Droysen évoqua sa confrontation avec un jeune homme « de l’école des sources de Ranke ». À l’en croire, le disciple de Ranke représentait en histoire une tendance naissante, qui tenait « l’exactitude des faits » pour la « seule fin des études historiques », et une exactitude qu’ils « croient pouvoir trouver en examinant les sources premières29 ».

19Tout le monde ne partageait pas la consternation de Droysen face à Ranke et sa « critique pour la critique ». Dès 1841, les Hallische Jahrbücher observent que Ranke, « de tous les historiens » berlinois, est « maintenant le professeur qui a le plus de succès. […] À cet égard, il s’est particulièrement illustré à travers la fondation d’un séminaire d’histoire, dont les membres, comme on le sait généralement, publient [les Jahrbücher] sous son autorité30 ». Ceux-ci, comme devait plus tard le prétendre Giesebrecht, firent le renom et la gloire de « l’école de Ranke 31 ».

20acteurs de savoirstatutdisciple construction des savoirstraditionécole de penséeHors de l’Allemagne, l’émergence de cette école ne passa pas non plus inaperçue. En 1854, René Taillandier brossa dans la Revue des deux mondes un tableau des historiens allemands. S’il y tourna en ridicule les leçons de Ranke, il reconnut aussi l’influence croissante de son « séminaire d’historique » : « Ce séminaire, expliquait-il au public français, a porté des fruits heureux, l’Allemagne en a vu sortir des hommes et des ouvrages qui tiennent un rang honorable dans la littérature historique du xix e siècle. M. Ranke ne me démentira pas, si je dis que le mérite sérieux des disciples fait partie de la renommée du maître32. »

Comme le renom de Ranke et de ses disciples se propageait, des étudiants de l’Europe entière affluèrent à Berlin afin de participer à ses exercices33. Mais il n’était pas facile d’y entrer. « Notre maître n’avait aucune envie de réunir le plus grand nombre possible de participants, se souvient un étudiant, il ne voulait qu’une petite bande de disciples assoiffés de connaissances, ambitieux et, surtout, bien préparés34. » D’ordinaire, il n’acceptait pas plus de cinq à dix étudiants à la fois et, avec l’accroissement du nombre d’étudiants arrivant à Berlin, il lui fallut même choisir ceux qui feraient les meilleurs disciples.

21Ranke demandait habituellement aux étudiants de présenter des lettres de recommandation de professeurs qu’il connaissait et en qui il avait confiance. En 1839, Jacob Burckhardt fit le voyage de Bâle à Berlin dans l’intention d’étudier auprès de Ranke 35. Faute d’introduction, cependant, il ne put prendre part aux exercices de Ranke que dans l’été de 1840, après un an de vie berlinoise. Trois années plus tard, en mars 1842, il put enfin rapporter à son vieux mentor, Heinrich Schreiber : « Ranke ne fraternise avec presque personne ici ; j’ai cependant réussi à gagner sa bienveillance36. »

22construction des savoirspolitique des savoirsévaluation de la rechercheMême les étudiants qui arrivaient à Berlin munis des recommandations requises n’avaient pas ipso facto accès au cabinet de travail de Ranke. Quand ils se présentaient à lui, le professeur commençait par tester leurs capacités, leurs compétences linguistiques et leurs connaissances. En 1844, par exemple, Otto von Heinemann dut donner un « petit cours impromptu » sur le juriste Hermann Conring qui, au xvii e siècle, avait enseigné à l’Université de sa ville natale de Helmstedt 37. Les tests se poursuivaient dans les premières semaines du semestre, quand les nouveaux étudiants intégraient la communauté très soudée des disciples. Pour Ranke, ces nouveaux représentaient un « boulet », et beaucoup ne tardaient pas à être « rejetés38 ».

Dans le cabinet de travail

23En 1862, l’étudiant alsacien Rodolphe-Ernest Reuss suivit les cours de Ranke. Comme tant d’étudiants avant lui, il n’en fut guère impressionné : « Le professeur parlait sans grande animation […]. Sans doute qu’après quarante ans de professorat, il ne se sentait plus lui-même qu’une vocation médiocre pour ce genre d’exercice et n’éprouvait aucun plaisir à se trouver en face d’un public si juvénile et si mélangé39. » Les notes de cours de Ranke, cette année-là, confirment le soupçon de Reuss. Quoique physiquement présent dans la salle de cours, ses pensées restaient du côté de son appartement. Dans son esquisse de cours introductif, Ranke écrivait :

Ce matin, au petit déjeuner, j’ai lu une lettre de Goethe dernièrement publiée […] dans laquelle il dit que les gens lui attribuent souvent une pensée tournée vers l’objet. […] Il me semble que cette forme de pensée tournée vers l’objet est de mise pour l’historien. Il devrait se garder d’appliquer une théorie à l’événement historique ; il doit reproduire l’objet dans son esprit et le construire indépendamment. D’où la méthode de recherche et de présentation dont je parle ; et c’est pour cela qu’il importe de se dépouiller de toutes ses sympathies et antipathies […]. Le raisonnement politique, voire la réflexion morale sont ici superflus […]. Nous ne devons pas écrire l’histoire suivant la position des astres au-dessus de notre maison, de notre bureau40.

24construction des savoirsépistémologieméthode construction des savoirspolitique des savoirssecret acteurs de savoirqualités personnellescompétence construction des savoirsépistémologieméthode acteurs de savoirstatutdiscipleTrouver des disciples dignes de ce nom dans un auditoire « juvénile » et « mélangé » n’était pas facile ; apprendre aux élus à oublier leurs convictions politiques, leurs certitudes morales et même leur position géographique sur la planète l’était moins encore. La « méthode de recherche et de présentation » de Ranke n’y suffisait certainement pas. Nombre de ses élèves doutaient même que la méthode fût sienne. D’aucuns tenaient Niebuhr pour le véritable père de la méthode historique. D’autres soulignaient qu’elle n’était que bon sens. La méthode historique de Ranke, expliquait Sybel, « n’est pas un secret découvert depuis peu, [une méthode] apparentée à une méthode de calcul mathématique ou de production industrielle jusqu’alors inconnue. Au contraire, son principe fondamental est bien connu et, une fois énoncé, il va de soi pour tout le monde41 ».

25construction des savoirslangage et savoirsgenreoracleLe succès des exercices de Ranke devait autant à sa personnalité qu’à tout ce qu’il a jamais pu dire ou écrire. Oublier ses attaches politiques, morales et géographiques exigeait un engagement personnel. Et c’est au sein de son cabinet de travail que Ranke incitait à cet investissement. Quand Reuss, après l’expérience décevante des salles de cours, fut admis à y participer, il y trouva une tout autre personne : « Alors sa physionomie ridée s’animait d’une flamme singulière, il gesticulait comme un jeune homme, il plaisantait même, et ceux d’entre ses élèves qui étaient suffisamment attentifs et instruits pour profiter des oracles de l’illustre écrivain, se trouvaient amplement dédommagés de mainte séance plus maussade42. »

26construction des savoirsépistémologieobjectivité typologie des savoirsobjets d’étudetempspasséEn salle de cours, objectivité et détachement étaient des principes directeurs ; dans son bureau, ils devenaient des actes de passion. Les étudiants de Ranke montraient leur objectivité non seulement en parlant du passé sans passion, mais aussi en parlant passionnément de démarche critique. Ce déplacement de l’émotion était le produit des exercices. Ils y apprenaient le plaisir du travail fastidieux en archives, la joie de démasquer des impostures séculaires, la félicité qu’il y a à détruire le consensus. La devise que Ranke choisit en 1865 pour ses armoiries n’était pas pour rien labor ipse voluptas : « Le travail est lui-même le plaisir. » « Son objectivité, se souvient Julian Schmidt, ne se caractérisait pas par un isolement et une indifférence aristocratiques, mais par le plaisir des objets, de l’être en soi, par l’intérêt immédiat pour la chose, en quelque sorte43. »

27Diriger ses sentiments dans la bonne direction exigeait une formation intensive. En 1859, Ranke soutenait que l’« idéal de l’enseignement historique consisterait à former le sujet à se transformer entièrement en organe de l’objet, c’est-à-dire de la science elle-même44 ». Dans son bureau, ne faire qu’un avec la science voulait dire, avant toute chose, ne faire qu’un avec Ranke. Les étudiants apprenaient en l’imitant et en participant à son travail. « Quand il étudia Don Carlos, nous avons tous appris l’espagnol », rappelle Waitz 45. Non moins enthousiaste, Giesebrecht a décrit la sensation d’être envoûté par le maître :

construction des savoirsépistémologievérité acteurs de savoirémotionjoieComme il travaillait sous nos yeux, nous étions enchantés de travailler nous-mêmes. Seule comptait l’application de la vraie méthode de recherche historique, qui n’était pas enseignée sous forme de règles abstraites, mais directement dans l’exercice, soit que le maître présentât les objets qui avaient retenu son intérêt, soit qu’il soumît nos études à sa critique. Il était pris d’un rire joyeux et d’une vraie jubilation quand il parvenait à anéantir une fausse tradition et à débusquer le véritable événement historique46.

28construction des savoirsépistémologievérité pratiques savantespratique intellectuellecritique construction des savoirstraditionsourceLa critique des sources demandait également passion et jubilation. Avant de prendre ses distances par rapport à ses devanciers, l’étudiant devait commencer par les comprendre. « Le moyen par lequel la critique réussit à éliminer l’élément subjectif des récits existants, expliquait Sybel, réside dans une connaissance aussi profonde que possible des conditions extérieures et du caractère personnel de l’auteur de ces récits47. » La personnalité d’un individu ne saurait cependant « être définie, comme dans les formules chimiques de matières composites ; on ne peut la saisir qu’au prix d’un effort d’imagination, c’est-à-dire par une démarche en tous points analogue à la démarche artistique48 ». Suivant le résumé de Waitz, les étudiants apprenaient :

acteurs de savoirqualités personnellesexactitudeà poursuivre la reconnaissance de la vérité, au prix d’un engagement complet, sans craindre un travail fastidieux et apparemment tatillon ; toujours à suivre les sources les plus pures de la tradition historique ; à les tester systématiquement et sans idées préconçues ; à déterminer chaque fait avec exactitude et à l’apprécier dans la plénitude du contexte vivant de la vie historique ; à ne jamais vouloir en savoir plus qu’il n’est possible et à ne pas se fier outre mesure à la certitude apparente ; à remarquer partout ce qui est le plus significatif ; à saisir le vrai sens des faits et la nature des acteurs [historiques] ; à ne pas colorer ni idéaliser leur récit pour une raison ou pour une autre ; mais à considérer que l’histoire est tout à la fois une science et un art, qui doit non seulement être appris, mais aussi reçu49.

29Les exercices se focalisaient strictement sur des sources, des thèmes ou des personnes donnés. Un semestre, c’était Napoléon i er, un autre le Catilina de Salluste, un troisième les descriptions de la Germania par Tacite et Einhard 50. La voie de la compréhension passait par un travail répétitif, l’étude minutieuse des sources et, surtout, la rédaction d’un certain nombre d’études semblables à celles publiées dans les Jahrbücher.

30construction des savoirsvalidationenquête inscription des savoirsgenre éditorialarticleLes étudiants étaient censés écrire au moins un article par semestre. Ils n’étaient pas autorisés à s’abandonner à des « récits colorés ou au contenu spirituel des événements », mais devaient se limiter à une « enquête critique sur les aspects extérieurs du fait suivant les sources les plus fiables, en excluant toutes les traditions non établies et en considérant la totalité de la littérature accumulée51 ». Les aspirations littéraires étaient mal vues. Dans les exercices, Ranke fulminait souvent contre les romans historiques, notamment ceux de sir Walter Scott, et invitait instamment ses étudiants à suivre ses « trois commandements : critique, précision et pénétration52 ».

31construction des savoirslangage et savoirsstyle construction des savoirstraditionvulgarisation Burckhardt, qui admirait les ouvrages de vulgarisation de Ranke et essaya d’imiter son style, n’était guère compris de son maître. En mars 1842, Burckhardt confia à un ami que, en écrivant, « il avait toujours pensé au public, non pas au petit Ranke ». Celui-ci, à son tour, encouragea Burckhardt à publier son étude, sans se défendre pourtant d’un « rire réellement méprisant53 ». Le souci des lecteurs ne pouvait que susciter des sentiments mélangés et contrariait le transfert de la passion du monde à la science historique.

32Les études étaient discutées lors des exercices, sans être présentées par leurs auteurs. Tantôt Ranke en résumait les résultats, tantôt il déléguait cette tâche à l’un de ses étudiants54. Les bévues ou erreurs d’interprétation faisaient l’objet d’une critique intraitable et sans merci. Il fallait s’asseoir sur sa vanité personnelle. Force était aux étudiants de voir dans la critique une aide pour progresser. « Tout encouragement, se souvenait Giesebrecht, qu’on pouvait prodiguer à un autre était reçu avec gratitude ; mais aussi la critique cinglante, même quand elle blessait55. » Ranke, selon Sybel, n’était « pas exactement un maître clément : économe de ses louanges et très ferme dans le blâme. Mais louanges et blâmes étaient toujours formulés de manière à inciter à redoubler d’efforts56 ».

La maison de la critique

33acteurs de savoirqualités personnellesméticulosité pratiques savantespratique intellectuellecritiqueEntrer chez Ranke donnait l’impression d’entrer dans une dimension parallèle57. Du champ de l’histoire, on pénétrait dans celui de la critique historique. Le mobilier, la division des pièces, les routines journalières : tout indiquait que quelque chose avait changé. Ranke s’efforçait d’émanciper ses écrits, mais aussi son logis de la « position des astres au-dessus de notre maison, de notre bureau ». Le test auquel il soumettait ses étudiants n’était qu’un élément mineur du schéma méticuleux qui, surtout lorsqu’il se fit vieux, protégeait et régissait son univers. Ranke, pour citer l’un de ses assistants, inventa un « régime de l’âme […], une sorte d’économie concernant toutes les forces physiques et surtout mentales58 ».

34acteurs de savoirstatutétudiant acteurs de savoircommunautéfamille construction des savoirstraditionrèglementÀ peine entrés chez lui, les nouveaux venus se heurtaient à l’économie domestique de Ranke. S’ils enfreignaient certaines règles non écrites, Ranke s’en plaignait aussitôt bruyamment. Une des règles mineures était l’interdiction de fumer. Il détestait l’odeur du tabac. Les assistants qui fumaient devaient se changer avant d’entrer, et les visiteurs étaient sagement invités à laisser leurs pipes dans leurs poches. De même, ceux-ci n’avaient accès à l’appartement que dans un créneau horaire limité. En dehors de ces heures de visite – 13 h-13 h 30 et de nouveau, après le dîner, de 18 h à 18 h 30 –, seuls pouvaient entrer chez lui les proches amis de la famille, les étudiants ou les autres personnes associées à son travail. Quand ils s’en allaient, Ranke rappelait aux visiteurs l’endroit qu’ils quittaient par des adieux du style, « maintenant, adieu, et surtout écrivez de bons livres59 ».

35D’autres règles valaient pour les membres de sa maison. Ranke demandait que chacun suivît son emploi du temps et il détestait les irrégularités. Tous les jours à quatorze heures, par exemple, il effectuait la même promenade au Tiergarten de Berlin. À son retour, la porte du couloir devait être ouverte, tandis qu’un des domestiques, posté à la fenêtre, devait annoncer son retour. Une règle plus sérieuse était l’interdit frappant la religion. Fervent luthérien, Ranke ne voulait pas que sa maison fût troublée par des déchirements confessionnels. Aux assistants juifs, il déclara aussitôt que, « dans les études historiques, on peut et on doit faire abstraction des différences de religion » ; il espérait que leurs croyances « ne perturberaient pas la communauté de travail60 ». Les chrétiens n’étaient pas davantage privilégiés. Les fêtes n’étaient pas célébrées ni même signalées. Chaque jour était consacré au travail. Noël était le seul jour où les assistants se rebellaient rituellement pour rester en famille, au grand dam de Ranke.

36acteurs de savoircorpsvêtementLa seule interruption du rythme régulier qu’il jugeât acceptable était la visite en personne d’acteurs historiques. Comme dans les Jahrbücher, seules les familles royales et la haute noblesse européennes entraient dans cette catégorie. Au cours de ces visites, l’appartement de Ranke réintégrait l’histoire. Lui-même délaissait la robe de chambre grise, qu’il portait généralement à domicile, pour s’habiller conformément à l’étiquette. Les étudiants n’avaient plus leur place dans son appartement. Un jour des années 1840, ceux-ci le trouvèrent dans l’escalier. Pomponné dans un « habit de cérémonie inhabituel », il leur fit signe de s’en aller en criant : « Allez-vous-en, allez-vous-en ! Débarrassez le plancher61 ! » Dans la rue attendait la voiture de Maximilien Ii, roi de Bavière.

37Les membres de sa maison excusaient les excentricités de Ranke. Comme ses étudiants, ils trouvaient même justifiables ses agressions verbales. Il fallait défendre l’économie du corps et de l’âme, et les insultes n’étaient, à cet égard, qu’un inconvénient mineur. L’assistant Theodor Wiedemann, qui eut plus que sa part d’humiliation en seize années, expliqua : les insultes « ne m’ont jamais pesé […] parce qu’elles étaient de nature impartiale et venaient de l’ardeur scientifique à proclamer la vérité ». Les mouvements d’humeur de Ranke étaient le sous-produit pardonnable de sa quête passionnée d’objectivité, non pas le « produit arbitraire d’une rancune […] subjective62 ».

Chez lui, comme dans les exercices, la route de l’objectivité passait par Ranke. Le salon, qui accueillait les visiteurs, était bourré de meubles, de petits objets d’art et de portraits de famille. L’intérieur n’en rappelait pas moins aux intrus que Ranke avait créé une école. Dans les dernières années, rapporta un visiteur, le salon « regorgeait de souvenirs de sa renommée63 ». Un buste de Niebuhr commémorait son tournant vers l’histoire. Une peinture à l’huile et un buste, tous deux offerts par des étudiants et des admirateurs, représentaient Ranke lui-même. Sur une console trônait une photographie du prince héritier allemand, qui l’avait signée avec cette inscription : Doctor doctori salutem (« Le docteur adresse son salut au docteur »). En parcourant les pièces de l’appartement, on suivait le cheminement de Ranke vers la gloire.

38pratiques savantespratique intellectuelleclassement espaces savantslieubibliothèqueLa bibliothèque, qui comptait plus de 20 000 volumes, occupait les cinq plus grandes pièces. Du sol au plafond, les murs étaient couverts d’étagères. D’autres bibliothèques étaient disposées au milieu des pièces, avec des livres sur deux ou trois rangées. Le désordre le plus complet y régnait. Il n’y avait ni marques claires ni ordre systématique, et d’une pièce à une autre on trouvait différents volumes du même ouvrage. Ranke n’en interdisait pas moins à ses assistants de ranger la bibliothèque, rangement qui n’aurait pu que le dérouter. Lors même qu’il devint de plus en plus aveugle, il se souvenait de la place de la plupart des livres. Il les connaissait par leur matière, leurs reliures et leurs couvertures. L’ordre des catalogues de bibliothèque n’était pas celui de sa tête. Il préférait l’ordre organique résultant de ses acquisitions et usages passés.

39À côté de la bibliothèque se trouvaient deux cabinets de travail, également couverts de livres. Dans le plus petit, avec juste une fenêtre qui donnait sur la cour, Ranke et ses assistants travaillaient quand la lumière était trop faible dans le restant de l’appartement. Il y avait placé un petit bureau à l’ancienne, qu’il avait acquis quand il était jeune professeur à Francfort-sur-l’Oder. Il avait appartenu à Ludwig Jahn, emprisonné en 1819 en Prusse pour cause d’activités révolutionnaires. Peut-être le bureau lui rappelait-il le temps jadis, où il supportait mal l’autoritarisme prussien, et avait-il donc été relégué au plus petit cabinet de travail. Dans la même pièce se trouvait une autre table de travail, dans le style rustique des artisans allemands, ainsi qu’un canapé, sur lequel il aimait à s’allonger au soleil en hiver.

40espaces savantslieubureauLe principal cabinet de travail était dominé par son grand bureau de bois – où avaient lieu les exercices – recouvert de notes et des livres dont il se servait. À côté se trouvaient un grand fauteuil de cuir capitonné, un canapé ainsi qu’un petit bureau avec de quoi écrire et des manuscrits. Les murs étaient couverts d’in-folio contenant ses nombreuses notes et extraits, témoignage d’une vie de travail commencée en copiant des extraits des ouvrages de Niebuhr, au temps de ses études à Leipzig. Dans la bibliothèque, on pouvait suivre à la trace sa découverte d’autres auteurs ; le cabinet de travail commémorait sa propre culture. Ranke avait même donné à ces extraits et à ces notes le nom de hylê, la matière originelle dans la physique d’Aristote, tandis que les volumes eux-mêmes étaient surnommés « les bois » en raison de leur matériau, de leur taille et de leur quantité.

Hors du cabinet de travail

41pratiques savantespratique intellectuellecritique construction des savoirstraditionfondation construction des savoirstraditionécole de penséeEn 1867, quand Ranke fêta le cinquantième anniversaire de sa thèse de doctorat – sa naissance universitaire –, son école avait envahi la plupart des universités allemandes. Des générations d’étudiants étaient passées par son cabinet de travail, et cette expérience les avait changés à jamais. Quittant ce cabinet, ils s’en allaient porteurs d’une nouvelle sensation de ce qui comptait dans cette vie. Dans l’environnement contrôlé de l’appartement de Ranke, ses disciples avaient acquis la passion de la critique et appris à oublier le monde extérieur. Dans leurs nouvelles universités, nombre de ces disciples avaient aménagé des cadres analogues et rassemblé des élèves avec lesquels ils reproduisaient l’intensité et l’intimité du bureau de Ranke. En 1867, ses vieux et nouveaux disciples affluèrent de l’Allemagne entière à Berlin pour rendre hommage au maître64. Sous la houlette de l’un des premiers collaborateurs des Jahrbücher, Rudolf Köpke, ils se rendirent chez lui. Il les reçut dans son salon. Il montra du doigt le buste de Niebuhr et répéta le récit fondateur de son école :

C’est l’esprit des siècles passés, qui a d’abord conduit à moi les plus anciens de ce groupe […]. J’ai tâché de transmettre à mes jeunes amis ce qui me paraissait désirable dans le champ des études historiques ; ils l’ont assimilé et transmis à une génération foisonnante d’étudiants. […] Je peux envisager l’avenir avec espoir et joie ; je vois émerger des forces jeunes, qui avec vaillance et vigueur veulent travailler et poursuivre le voyage que j’ai entrepris. Le culte partagé de la véracité les rattache tous à moi, comme un seul esprit, dans une grande famille historique. Nous sommes tous de la même famille65.

42acteurs de savoircommunautéfamille acteurs de savoirstatutétudiantDès 1867, cependant, nombre des étudiants de Ranke avaient trahi le cabinet de travail pour les séminaires. Sybel et Giesebrecht, par exemple, animaient maintenant des séminaires à Bonn et à Munich 66. Dans son message de Göttingen, Waitz mit en garde contre l’institutionnalisation de la famille. Il craignait que les séminaires ne corrompissent les valeurs et ne ruinassent la passion de l’étude. Ils attiraient des étudiants peu scrupuleux, qui ne s’intéressaient qu’aux bourses, à la gratuité de l’enseignement et à l’hébergement. On acceptait un nombre inouï d’étudiants, dont on ne pouvait convenablement tester les capacités. La frontière entre l’étude et le monde se brouillait, il était impossible de la surveiller. Si l’on voulait sauver la « famille historique » de Ranke, il fallait faire quelque chose. « Aujourd’hui, plaidait Waitz, la tâche du maître est moins d’attirer, et plus d’admonester, voire de dissuader, ceux qui veulent se consacrer à l’étude de l’histoire67. »

43Les disciples de Ranke, qui avaient quitté le cabinet d’étude, n’étaient pas d’accord. Ils croyaient que son esprit pouvait survivre dans les séminaires, fût-ce avec des effectifs croissants68. Le bureau de Ranke avait été décisif dans la construction d’un nouveau sens de l’objectivité; mais, ce sens étant désormais bien ancré, le cabinet de travail n’était plus nécessaire. Peu après la mort de Ranke, en 1886, Giesebrecht célébra cette transformation. « C’est à Ranke, déclara-t-il dans une formule révélatrice, que revient l’heureuse idée d’assurer ainsi la propagation de la recherche historique critique; lui-même n’a jamais parlé de séminaire, mais ses exercices sont devenus le séminaire de tous ces séminaires, qui existent désormais dans nos universités69. »

Émancipé du cabinet de travail, le sens de l’objectivité de Ranke devint plus influent que jamais. En 1881, l’historien belge Paul Frédéricq, en voyage en Allemagne du Nord, visita différentes universités. La question de savoir s’il convenait d’enseigner l’histoire dans des cabinets de travail ou en séminaires était encore « très controversée parmi les professeurs allemands70 », mais Frédéricq observa une étrange similitude parmi les historiens allemands. Ignorant du monde animé des salles de cours berlinoises dans la première moitié du xix e siècle, il conclut ses notes de voyage en ces termes :

À ses exercices pratiques le professeur consacre toute sa science, tout son zèle, tout son amour-propre; alors que souvent il fait ses cours théoriques [dans les salles de cours] avec plus ou moins d’indifférence, comme on s’acquitte d’une tâche imposée qui constitue une perte de temps. Aussi, en Allemagne, où l’on ne vise pas à l’élégance littéraire, à l’esprit, au brio des professeurs français, les cours théoriques sont parfois très ternes et même fastidieux; au contraire les cours pratiques sont instructifs au plus haut degré et, en général très vivants, très attachants; c’est là que le professeur déploie toute sa verve, toutes les ressources de son esprit. Les cours pratiques d’histoire ont surtout pour père l’illustre Leopold von Ranke 71.
Notes
1.

Ranke, 1964-1975, I, p. 83-84.

2.

Lenz, 1910, p. 255-257.

3.

Sur le concept allemand d’université et de séminaires, voir Turner, 1980 et 1983. Sur les origines du séminaire au xviii e siècle, voir Clark, 1989. Sur les séminaires d’histoire, voir Pandel, 1994 ; Smith, 1995 ; Huttner, 2001.

4.

Cité in Lenz, 1910, p. 255.

5.

Huttner, 2001, p. 39-43.

6.

Lenz, 1910, p. 255.

7.

Nalbandian, 1901, p. 103. Voir aussi Iggers, 1962 et 1990, et Mommsen, 1988.

8.

Mcclelland, 1980, p. 101-149 ; Boockmann, 1999, p. 184-195 ; Schwinges, 2001.

9.

Ziolkowski, 2002, p. 147-201.

10.

Niebuhr, 1926-1929, II, p. 163, n. 1.

11.

Marx et Engels, 1967-1976, supplément, II, p. 249.

12.

Ranke, 1964-1975, III, p. 618.

13.

Ibid., p. 622.

14.

Ranke, 1949, p. 87.

15.

Berg, 1968, p. 56-58.

16.

Wiedemann, 1891-1893, 16, IV, 1891, p. 172.

17.

Hanslick, 1894, I, p. 256.

18.

Voir, par exemple, Sybel, 1897, p. 300 ; Giesebrecht, 1887, p. 14 ; Steinberg, 1925-1926, I, p. 211.

19.

White, 1905, I, p. 39.

20.

Pandel, 1994, p. 10; Huttner, 2001, p. 54-58; Bauer, 1996, p. 84-99.

21.

Lenz, 1910, p. 248-249.

22.

Ranke, 1949a, p. 89.

23.

Ranke, 1949b, p. 237.

24.

Ranke, 1837-1840, I, I, p. vii et p. ix.

25.

Koppen, 1841, p. 432.

26.

Ranke, 1937-1840, I, I, p. 141 ; I, III, p. 177 ; III, I, p. 96 ; II, I, p. 47 ; III, I, p. 137 ; III, I, p. 91 ; I, I, p. 141 ; I, III, p. 69 ; I, II, p. 81, n. 3 ; I, III, p. 30.

27.

Ibid., I, I, p. V.

28.

Voir Farge, 1989.

29.

Droysen, 1929, I, p. 119. Sur les premiers adversaires de Ranke, voir aussi Bauer, 1996, p. 112-155.

30.

Koppen, 1841, p. 434.

31.

Giesebrecht, 1872, p. 278.

32.

Taillandier, 1854, p. 43.

33.

Pour une liste des étudiants, voir Berg, 1968, p. 222-242.

34.

Heinemann, 1902, p. 111.

35.

Voir Gilbert, 1986.

36.

Burckhardt, 1949-1994, I, p. 193.

37.

Heinemann, 1902, p. 111.

38.

Waitz, 1867, p. 5.

39.

Reuss, 1886, p. 379.

40.

Ranke, 1964-1975, IV, p. 307.

41.

Sybel, 1897, p. 301.

42.

Reuss, 1886, p. 380.

43.

Schmidt, 1886, p. 235.

44.

Ranke, 1949a, p. 432.

45.

Erslev, 1886, sans indication de page.

46.

Giesebrecht, 1887, p. 14-15.

47.

Sybel, 1897, p. 302.

48.

Ibid.

49.

Waitz, 1867, p. 3.

50.

Berg, 1968, p. 53, n. 7.

51.

Sybel, 1897, p. 324-325.

52.

Dove, 1898, p. 161 et 172. Voir aussi Giesebrecht, 1887, p. 6 ; Sybel, 1897, p. 294.

53.

Burckhardt, 1949-1994, I, p. 195.

54.

Delbrück, 1905, I, p. 72.

55.

Giesebrecht, 1872, p. 278.

56.

Cité in Lenz, 1910, p. 249.

57.

Hormis les observations éparses dans les lettres et discours de Ranke, le passage qui suit repose sur diverses descriptions de l’appartement de Ranke, dans la Luisenstraße, où il habita de 1844 jusqu’à sa mort en 1886. Voir Winter, 1886 ; Anonyme, 1886 ; Erslev, 1886 ; Wiedemann, 1891-1893; Frédéricq, 1899, p. 15-16 ; Heinemann, 1902, p. 109-114.

58.

Wiedemann, 1891-1893, 16, IV, 1891, p. 331.

59.

Frédéricq, 1899, p. 16.

60.

Wiedemann, 1891-1893, 17, I, 1892, p. 101.

61.

Heinemann, 1902, p. 113.

62.

Wiedemann, 1891-1893, 17, I, 1892, p. 101.

63.

Erslev, 1886.

64.

Ranke, 1867-1890, LII, p. 587-591.

65.

Ibid., p. 587.

66.

Günter, 1926, et Hübinger, 1963.

67.

Waitz, 1867, p. 7. Voir aussi Waitz, 1885, p. 5, et Frédéricq, 1899, p. 46.

68.

Voir Pandel, 1994.

69.

Giesebrecht, 1887, p. 11.

70.

Frédéricq, 1899, p. 46.

71.

Ibid., p. 42.

Appendix A Bibliographie

Sources
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Autres références
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