Cezary Galewicz

I remember birds
from an atlas of species
that I never knew

C. A. Geron, « Shadows ».

1pratiques savantespratique intellectuellemémorisation construction des savoirspolitique des savoirscolonialisme espaces savantslieuécoleLes premiers inspecteurs britanniques dépêchés dans les écoles indiennes, il y a deux siècles, étaient souvent perplexes lorsqu’ils devaient rendre compte du fonctionnement de la mémoire dans cette colonie de l’Empire, comme le rappelle Cohn :

pratiques savantespratique artistiquepoésie pratiques savantespratique intellectuellemémorisation[…] ce qui stupéfiait le plus les Britanniques au spectacle des prodiges de mémorisation réalisés par les Indiens, c’était que ceux-ci leur donnaient l’impression de ne pas connaître la signification de ce qu’ils avaient intériorisé avec une telle efficacité. Dans le district de Bellary, en 1823, A. D. Campbell trouvait que l’on accordait dans les écoles beaucoup d’attention à l’exacte prononciation des syllabes du langage « poétique », mais fort peu au sens ou à la construction des mots1.

2Les officiers de l’administration britannique étaient alors peu nombreux à voir dans les pratiques indiennes, comme le faisait W. Ellis, une forme différente de connaissance.

pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementCe qu’Ellis faisait observer, c’était que le mode de connaissance et le mode de pensée des Indiens étaient radicalement différents de ce que les Britanniques tenaient pour la forme naturelle ou normale […]. Leurs raisonnements se fondaient, selon Ellis, « sur les habitudes issues de leur éducation », laquelle reposait elle-même sur la mémorisation d’un « savoir concentré, et non diffus »2.

3De tels témoignages sur les procédés mnémotechniques indiens ont engendré un cliché, qui a fait obstacle à l’étude des conceptions et à l’observation des pratiques. Bien des auteurs l’ont rattaché au débat sur les rôles respectifs de l’oralité et de l’écriture dans le développement culturel. C’est ce cliché que l’on nomme « tradition orale védique » ou « mémorisation védique ».

4pratiques savantespratique intellectuellemémorisation pratiques savantespratique discursiverécitationÀ l’égard de la récitation des Veda, les jugements indiens traditionnels n’étaient pourtant pas sans équivoque. Si l’on faisait l’éloge d’une mémoire efficace, des auteurs respectés tournaient en dérision la simple mémorisation : Kālidāsa a employé un qualificatif devenu célèbre, vedaja a, « abruti par la psalmodie védique », tandis que Yāska, Patañjali et Sāyaṇa rapportent un proverbe peu flatteur pour le récitant qui ne comprend rien3. La mémorisation des Veda n’en demeure pas moins un phénomène sans équivalent. En Inde, elle constituait un modèle exceptionnel pour d’autres systèmes de savoir4.

5pratiques savantespratique discursiveoralitéOn admet en général que les Veda ont une origine orale et ont continué à être transmis oralement – même si l’expression n’a pas ici le sens que lui donnent Milman Parry, A. B. Lord ou J. Goody 5 – durant deux millénaires environ avant que n’apparaissent, vers l’an 1000 de notre ère, les premiers manuscrits des textes védiques6. Même à partir de cette période, leur transmission, bien que rationnelle et systématique, a dû demeurer principalement orale au sein des communautés de brahmanes (quoique cela n’ait pas été le cas toujours et partout au même degré). Nous avons les traces de recommandations allant en ce sens bien après la mise en circulation des manuscrits. D’après Sāyaṇa (milieu du xiv e siècle), il n’est pas possible d’obtenir une mémorisation védique adéquate en « lisant l’écrit7 ». On n’en conclura pas pour autant que la mémorisation védique passe uniquement par la création d’un automatisme : elle se fonde sur un effort délibéré8. Cet effort suppose un système rationnel d’instruction, d’entraînement, de perfectionnement, d’entretien et de contrôle, minutieusement mis en œuvre pour assurer aux textes védiques une forme immuable. La sanction religieuse que reçoit ce système transforme certains de ses éléments en véritables rituels.

6pratiques savantespratique rituelle pratiques savantespratique rituellesacrificeDans l’un de ses pénétrants articles sur l’institution ancienne du sacrifice védique telle qu’elle a récemment été ressuscitée au Kérala, Charles Malamoud fait la remarque suivante :

Il est exécuté par toute une équipe d’officiants spécialisés dans la récitation parlée ou chantée et dans la partie gestuelle. Chacun des récitants et des chantres doit avoir appris par cœur des milliers de versets, dont le sens lui échappe dans une large mesure : d’abord parce que ce sens est par lui-même obscur et aussi parce que ces textes, quand ils sont employés dans le culte solennel, sont disloqués, déformés par des reprises, des variations de diction tout à fait réglées, mais très nombreuses9.

7pratiques savantespratique rituelleexercice spirituel pratiques savantespratique intellectuelleremémoration pratiques savantespratique intellectuellemémorisation construction des savoirstraditionCette évocation frappante montre de quelle manière la mémorisation atteint, si l’on peut dire, son objectif final : les quatre branches de la tradition védique sont en effet censées se rejoindre et trouver leur accomplissement commun et leur justification ultime dans la parfaite orchestration du rite sacrificiel. Pour ce faire, toute la machinerie de la mémoire collective doit au préalable remplir son office et assurer aux participants la jouissance du répertoire textuel dont ils ont besoin. Dans la manière dont a été entretenu l’héritage culturel du Veda, à l’échelle de l’Inde entière, on a pu distinguer deux types principaux de pratiques textuelles. Le premier ensemble de pratiques s’attache à la mémorisation, à l’entraînement et à la maîtrise intellectuelle de corpus « scripturaires » par le moyen de la « récitation personnelle » ( svādhyā ya ) 10. Le second a pour centre l’exécution rituelle (prayoga)de tel ou tel passage mémorisé, lors des sacrifices védiques. En réalité, les textes susceptibles d’être employés dans le rituel védique ne forment qu’une partie du corpus qui doit être mémorisé (on le voit tout particulièrement dans la tradition du Ṛgveda). Pourquoi apprendre et entretenir ce répertoire, alors que l’accentuation védique est si ardue et n’est d’ailleurs pas respectée quand le texte connaît un usage rituel11 ? On cherchera une réponse à cette question dans la signification même de l’apprentissage du Veda. Les auteurs classiques s’y référaient au moyen du verbe adhī, qui veut dire notamment « se remémorer, perfectionner par l’étude en pratiquant la récitation cérémonielle ». Le pouvoir que l’on prêtait à ce type de mémorisation était immense, au point que certains auteurs considéraient comme suffisant de savoir réciter par cœur un passage du texte sans même accomplir l’acte sacrificiel dont il traite12. Aussi était-ce un impératif culturel que d’apprendre le Veda de sa famille13. Les textes normatifs traditionnels enjoignaient aux brahmanes de ne pas négliger les études védiques, qui étaient l’un de leurs devoirs. Cependant, au fil des siècles et des changements de la société, les membres des communautés revendiquant l’appartenance à cette caste étaient de moins en moins nombreux à consacrer du temps et des efforts à la mémorisation des Veda, et moins nombreux encore à rechercher une maîtrise complète de cet héritage textuel14.

8Immigrants venus du Nord qui aspirent traditionnellement au statut de brahmanes, les Nambudiri du Kérala rivalisent avec les autres groupes de brahmanes de la région depuis plus d’un millénaire, non sans un certain succès. Ils ont élaboré diverses traditions et coutumes distinctives : leurs habitations, leurs principes de succession, leurs vêtements, leur code de l’honneur, leurs règles concernant la pollution rituelle, leurs pratiques matrimoniales, sans parler de leur langue et de leur religion, ont toujours fait se sentir radicalement différents. Il faut y ajouter la tradition védique, qui est au cœur même de la brahmanité, et les capacités de mémorisation qu’il importe de donner à voir en dehors du groupe. D’autres communautés kéralaises de brahmanes, comme les Tamouls Aiyyars ou les brahmanes tulu, ont aussi conservé à cet égard des usages tout à fait particuliers. Certaines de ces traditions ont récemment connu une renaissance, en partie parce que les étrangers s’y intéressaient, mais aussi pour des raisons de politique intérieure, parce qu’elles paraissent être un atout dans le renouvellement des modèles sociaux du Kérala moderne.

9inscription des savoirslivrecollection éditoriale construction des savoirstraditiontransmissionLes Nambudiri offrent un exemple doublement exceptionnel du point de vue de la mémorisation des Veda. En effet, s’ils aiment à se présenter comme les gardiens historiques de la transmission orale de l’héritage védique, ils ont toujours fait partie de la classe la plus alphabétisée de la société, et l’on trouve encore dans leurs demeures rurales, aux dimensions parfois impressionnantes, des collections de manuscrits15. Je concentrerai ici mon propos sur la « communauté de pratique » des ṛgvedin nambudiri, dont le fondement est la transmission du Ṛgveda, ou « Veda des hymnes »16.

10acteurs de savoirsexe et genremasculin espaces savantslieumonastère espaces savantslieuécoleDes deux écoles rivales où l’on formait à la récitation védique ( haśālā, ou « maison de récitation ») dans le centre du Kérala, il n’en existe plus qu’une seule17. Elle est située à Trichur, près d’un monumental réservoir d’eau, dans l’enceinte d’un triple monastère (maṭha)auquel elle doit son nom de Vaṭakku Maṭham (« Monastère du nord ») ou de Brahmasvam Maṭham (« Monastère de l’association des brahmanes »). L’école héberge aujourd’hui entre trente et quarante garçons18.

11espaces savantslieuécole acteurs de savoirstatutprêtreIl faut garder à l’esprit que l’école de récitation védique de Trichur n’a jamais été un lieu de formation pour les prêtres, bien que quelques-uns de ses élèves aient pu à divers moments accepter une charge religieuse. Comme dans de nombreux autres groupes de brahmanes, cette profession semble avoir toujours été méprisée par les ṛgvedin nambudiri, et ils regardent de haut ceux d’entre eux qui s’engagent dans la carrière de prêtres attachés à un temple19. Au Kérala, ce sont en effet des écoles spéciales, les « sièges du savoir tantrique » (tantra vidyāpīṭha), qui préparent à la prêtrise. L’objectif de la formation dispensée à l’école védique est fondamentalement différent : on s’y concentre sur la récitation virtuose du Ṛgveda.

Une forme ritualisée

12pratiques savantespratique rituellerite de passage construction des savoirséducationinitiationCe n’est pas seulement l’objet de la mémorisation, le Veda, mais aussi les procédures de mémorisation, de révision et d’entretien périodique qui ont été transmis dans des formes ritualisées et avec toutes les apparences de la sacralité. Pour accéder au Veda, un jeune garçon nambudiri doit, comme les autres brahmanes, recevoir une initiation solennelle et « revêtir le cordon sacré ». Plus tard, pour aborder les études védiques proprement dites, il se prêtera au rite initiatique du vedārambhana, ou « commencement du Veda » ; celui-ci doit avoir lieu au domicile privé, où est également dispensé un premier enseignement de base, qui correspond à l’accomplissement du mutal mura, « devoir du commencement ». De nos jours, le rite du vedārambhāna est le plus souvent organisé à l’école védique. L’éducation elle-même exige plusieurs années d’un travail acharné. Ses procédures et ses étapes sont à la fois intégrées au calendrier liturgique hindouiste et scandées par des coutumes qui font probablement partie de l’apprentissage depuis la fin de l’époque védique.

13acteurs de savoirstatutmaître construction des savoirslangage et savoirsstylesimplicité acteurs de savoirstatutélève pratiques savantespratique rituellecérémonieUn jour de bon augure – la nouvelle lune d’un mois lunaire ou bien le Dixième Jour de la Victoire (Vijayadaśamī), qui conclut les Neuf Nuits de Śiva (Navarātra) et que l’on consacre à la déesse du savoir Sarasvatī –, une cérémonie d’admission assez simple est accomplie après les rites du matin, assortie d’un don symbolique (dakṣiṇa) au maître. Le garçon peut ensuite rejoindre un groupe de débutants et commencer ses cours de gvedaca gata. L’école partage certains espaces « sacrés » avec le complexe religieux dont elle est voisine. Elle possède cependant son propre sanctuaire de Kriṣṇa Venugopalan. Une partie des cours et d’importantes cérémonies ont lieu auprès de l’image du dieu. Les élèves sont ses pensionnaires, mais ils n’ont rien à payer, car toutes les dépenses sont à la charge de la communauté ; le gouvernement verse aux enseignants un traitement modeste. Chaque jour d’étude commence par une série de rituels comprenant un bain, la purification du corps, l’éloge de l’aurore (sandhyavandana) et la salutation au soleil, (sūryanamaskāra). Ce dernier rituel est d’ailleurs l’occasion de réviser des textes védiques déjà mémorisés. Toutes les activités quotidiennes ont pour finalité d’inculquer un sens de l’ordre et de la hiérarchie durant l’éducation védique. Le visiteur est souvent frappé par la sobriété des habits des maîtres et des élèves, la simplicité des locaux de l’école et son impeccable propreté – tous éléments qui reflètent les prescriptions classiques concernant l’étude du Veda et la période de la vie d’un brahmane que l’on nomme brahmacarya. Il se dégage du lieu de la récitation védique et des récitants eux-mêmes un profond sentiment de pureté, qui fait de l’école un endroit idéal et paisible, situé hors du monde, sans que l’on y voie de portes ni de gardes.

L’espace : la topographie de la mémoire

14pratiques savantespratique corporelleposition du corpsposition assise espaces savantslieu construction des savoirséducationapprentissage acteurs de savoirstatutmaîtreL’organisation de l’espace intérieur de l’école paraît être au service de l’effort de mémorisation : certaines sections de texte et les modes de récitation qui leur conviennent sont en effet assignés à des lieux spécifiques, où l’on ne cesse de les répéter. Les tout premiers cours se déroulent habituellement dans un pavillon proche du sanctuaire de Venugopalan. Les apprentis y sont littéralement entre les mains du maître, qui leur apprend les mouvements de tête correspondant aux différents accents de hauteur. Les cours qui viennent ensuite réclament un changement de procédure et un nouvel arrangement de l’espace. Cette fois, le maître enseigne depuis une estrade et les élèves sont assis par terre. La façon même dont les jeunes gens sont assis joue un rôle significatif, tant dans la mémorisation que dans la remémoration. Comme l’indiquent les récitants, cela vaut non seulement pour la formation, mais aussi pour les compétitions publiques et l’accomplissement des rituels. Les exercices de révision ont lieu dans la salle principale, tandis que divers endroits du monastère et des sanctuaires environnants sont réservés à des types de récitation spécifiques.

Pratiques quotidiennes

15Aujourd’hui, l’école accueille des élèves âgés de sept à quinze ans, beaucoup plus jeunes donc que ceux du début du xx e siècle, qui y entraient en général à dix-sept ans20. Parmi les rares témoignages précis sur la vie de l’institution, les souvenirs d’un ancien élève méritent d’être cités assez longuement :

acteurs de savoircommunautéfamille acteurs de savoirsexe et genremasculin acteurs de savoirstatutélèveÀ l’époque [1908-1913], il pouvait y avoir jusqu’à 200 élèves au Brahmasvam Maṭham […]. Il fournissait gratuitement une formation à la récitation védique de haut niveau [celle du Ṛgveda], ainsi que le gîte et le couvert, à des garçons issus de familles nambudiri associées […]. D’autres Nambudiri accueillis en visiteurs y étaient également logés et nourris gratuitement, et l’école avait une grande réputation non seulement à Cochin, mais à travers tout le Kérala 21.

16Les activités quotidiennes ressemblaient beaucoup, semble-t-il, à la routine que l’on y observe actuellement :

Tous les jours, à quatre heures ou quatre heures et demie, nous nous levions et prenions un bain, et après les rituels de l’aurore, nous commencions à pratiquer les sūryanamaskāra, tout en psalmodiant des passages des Veda. Pour certains, les sūryanamaskāra duraient le temps de la récitation d’un ōttū, pour d’autres le temps de deux, de trois, voire de quatre ōttū[…]. En fonction de sa longueur, la récitation d’un ōttū prenait de 120 à 200 sūryanamaskāra. […] Tout de suite après les sūryanamaskāra, nous nous asseyions pour réciter et nous psalmodiions par groupes de huit ou dix élèves, parfois plus. Nous continuions à réciter jusqu’au déjeuner, puis […] jusqu’à l’adoration du soir, au coucher du soleil, et après cela jusqu’au dîner. […] La formation dispensée concernait la récitation védique de haut niveau et prenait la suite de la récitation de base, que chacun était supposé avoir apprise chez lui. Au Maṭham, les élèves abordaient la récitation d’exercices formels d’analyse des textes, qui consistaient à les diviser en mots (que l’on nomme pada) et à réarranger les mots de diverses manières (que l’on nomme ja ā et ratha). Le but de tout élève était de réussir lors de l’examen annuel qui se tenait à Kaṭavallūr, et durant lequel les élèves du Tirunāvāya Brahmasvam Maṭham (la rivale traditionnelle de l’école de Trichur) prenaient également part à la compétition22.

Le Ṛgveda : un livre, trois corps, huit apparences

17pratiques savantespratique intellectuelleconstitution de corpus pratiques savantespratique artistiquepoésieLa mémorisation porte fondamentalement sur le corpus du Ṛgveda. Plutôt que comme une chaîne de caractères graphiques, il est envisagé comme un ensemble sonore de syllabes possédant une structure hiérarchique et métrique. Le poème existe sous diverses formes, ou modes de récitation ( ha ). Les trois modes primaires sont collectivement nommés « fondamentaux » (prakṛti). Les huit autres, qui sont bien plus difficiles, en sont des formes modifiées connues sous le nom de vik ti (« transformés »). Les trois modes de base, et selon toute probabilité l’un des vik ti, sont connus depuis la fin de l’époque védique. Leurs noms reflètent leurs principes : sa hitā, récitation « continue » ou « liée » ; pada, récitation « mot à mot » (avec un effet de staccato) ; krama, récitation « pas à pas »23.

18Dans la fameuse strophe gāyatrī du Ṛgveda (3, 62, 10) – dont le sens est « de ce divin Savitar, méditons le suprême éclat » –, on peut représenter les trois modes par les schémas suivants :

19Dans ce schéma, les lettres a, b, c, d, e et f représentent les éléments de la récitation « continue » (c’est-à-dire à peu près la forme sous laquelle le texte est imprimé dans nos éditions courantes) et la barre ( | ) indique que l’on ne réalise pas l’assimilation phonétique normale entre éléments adjacents24. Ainsi, la séquence a b peut être prononcée très différemment de a | b. Les traits horizontaux et verticaux placés en dessous ou au-dessus d’une syllabe symbolisent deux des trois accents principaux (cette notation est habituelle dans la plupart des manuscrits, mais les récitants ne l’ont jamais sous les yeux25). Le troisième mode (krama) est un « mélange » des deux précédents, comme le montrent les changements d’accentuation.

20pratiques savantespratique rituellepsalmodieDes huit modes « transformés » ( vik ti ) que les traités médiévaux énumèrent pour la récitation du Ṛgveda26, les Nambudiri n’en pratiquent que deux, encore qu’ils leur donnent une forme que l’on ne retrouve pas chez les autres brahmanes. Ce sont les récitations du « chignon » ( ja ā ) et du « char » (ratha). Elles sont l’une et l’autre psalmodiées par deux récitants se faisant face27. La première se fonde sur un double krama d’une difficulté accrue, car la même unité verbale (ci-dessus b, c ou d) est simultanément récitée avec des terminaisons et une accentuation différentes par les deux exécutants. La seconde « a pour principe le retour réitéré au premier mot d’un vers28 », chaque retour s’accompagnant cependant d’une progression d’un ou deux mots. La récitation progressive ne demande pas les mêmes terminaisons que la récitation régressive (de la fin vers le début) dont est chargé l’un des exécutants. L’ensemble exige une organisation mathématique et un sens musical de la coopération.

21Si l’on nomme A et B les deux exécutants, ces modes correspondent aux schémas suivants :

22construction des savoirsépistémologiemodèle acteurs de savoirmodes d’interactionconformismeLa pratique de la mémorisation du Veda s’est révélée assez difficile à décrire avec précision. Plusieurs études importantes29 se sont concentrées sur deux aspects complémentaires : le processus effectif et les prescriptions des textes et des manuels classiques30. Si on interroge les maîtres, les élèves et les récitants expérimentés, on s’aperçoit qu’ils ont tendance à mettre en avant un modèle idéal, alors que l’observation des pratiques permet de constater des écarts. Lorsque l’on visite l’école de Trichur, on est également confronté à certains problèmes bien connus des ethnographes. L’observateur savant a toutes les peines du monde à limiter son interférence avec l’objet de son étude, surtout quand il demande sans cesse aux experts d’exercer leur spécialité. Le poids du modèle traditionnel et les préjugés des maîtres et des élèves face à l’observateur étranger leur font mettre en scène l’exécution pour que le visiteur voie exactement ce qu’il est venu voir… En multipliant les expériences et en répertoriant les éléments du processus effectif de mémorisation, on parvient pourtant à rassembler un matériau susceptible d’être comparé avec les manuels traditionnels.

23construction des savoirséducationcycle éducatifL’objectif idéal de l’éducation dispensée par l’école semble être la maîtrise du Ṛgveda tout entier dans ses versions sa hitā, pada et krama, voire dans les deux modes « transformés »31. Cet apprentissage peut exiger jusqu’à six années d’étude, divisées en deux grands niveaux : le niveau élémentaire et le niveau supérieur32.

Le niveau élémentaire : sa hitā

24construction des savoirséducationapprentissage pratiques savantespratique intellectuelleremémorationLe niveau élémentaire ne comprend que le premier des trois modes fondamentaux, la récitation « continue » ( sa hitā ) 33. Pour retenir la totalité de la gvedasa hitā, soit environ 10 580 strophes, et être capables d’une remémoration extrêmement précise, les élèves ont besoin de quatre années environ, le seul apprentissage occupant plusieurs heures par jour. Les segments du texte sont introduits l’un après l’autre, dans un ordre systématique. S’inscrivent ainsi graduellement dans leur mémoire les quarts de strophe, les demi-strophes, les strophes, les groupes de strophes, les « leçons » et les « livres », tous accompagnés de signes marquant la division du texte. Comme c’est le cas ailleurs en Inde, les Nambudiri utilisent deux découpages différents du Ṛgveda :

  • un découpage en 10 « cycles » ( ma ṇḍ ala ) faits de « répétitions » (anuvāka), d’« hymnes » (sūkta), de strophes (ṛc, mantra) et de « quarts » (pāda)  ;
  • un découpage en 8 « (ensembles de) huit » ( a ṣṭ aka ) faits de 64 « leçons » (adhyāya), de « groupes » de strophes (varga ), de strophes ( c ), d’hémistiches (arharca/anta) et de « quarts » (pāda).

25Le premier découpage est généralement considéré par les spécialistes comme plus ancien et plus « significatif », alors que le second est regardé comme plus tardif et plus « mécanique ». C’est le second système qui est au cœur de la mémorisation des Nambudiri et lui fournit ses unités fondamentales ; les unités sémantiques que sont les hymnes paraissent cependant gouverner certains aspects du processus.

26Un lecteur habitué à la configuration visuelle du texte aura peut-être de la peine à concevoir comment un récitant est capable de s’orienter dans un texte plus long que l’Iliade et l’Odyssée réunies. Il n’est pas facile non plus d’imaginer comment il conserve le souvenir des passages déjà exécutés ou retrouve un passage en particulier au moment où il en a besoin. Il existe en fait un certain nombre de marqueurs de début et de fin de section que le récitant s’est appropriés oralement et visuellement. Le tableau ci-après en donne un aperçu.

De la bouche du maître

27pratiques savantespratique lettréeimitationAu niveau élémentaire, un groupe de jeunes gens passe la matinée à répéter après le maître et selon un ordre prédéfini une série de dix hymnes. L’attention des élèves porte toujours sur dix sūkta, le progrès quotidien étant marqué par l’introduction d’un nouvel hymne et l’abandon de l’hymne le plus ancien34. La série est mémorisée en dix jours par étapes, tout d’abord quart par quart (par pāda) pendant les cinq premiers jours, puis hémistiche par hémistiche (par anta) pendant les cinq jours suivants. À chaque étape, il s’agit de répéter trois fois les mots du maître. Au total, celui-ci prononce 30 fois chaque hymne.

Renforcer la mémoire

28Les élèves commencent ensuite à consolider leurs acquis par des récitations plus longues ; le maître ne leur indique plus les unités à exécuter que par leurs premiers mots. L’unité de répétition est à présent un « groupe » de strophes. Sous la conduite du maître, les élèves répètent 10 fois chaque groupe en associant la fin de chaque unité au marqueur de la « touffe (de cheveu) » ( ku uma ) qui annonce la suivante (voir le tableau ci-dessous).

Unité textuelle dans la sa hitā Désignation Marqueur verbal de début Marqueur corporel de début Marqueur verbal de fin Marqueur corporel de fin
pāda quart     modulation  
anta hémistiche (demi-strophe)     répétition de iti 35 (pragraha) doigt suivant de la main droite
c/mantra strophe     répétition de iti (pragraha)  
sūkta, t ca, etc. un « hymne » ou ensemble de strophes ayant un trait commun (sage, divinité, mètre) nom d’un sage, d’une divinité et/ou d’un mètre toucher trois points du corps : tête, poitrine et abdomen    
varga groupe de strophes om mains en brahmañjali 36 quart de la strophe suivante(kuṭuma) doigt suivant de la main gauche
adhyāya « leçon »   sūryanamaskāra    
anuvāka/ōttū « répétition »   sūryanamaskāra    
a ṣṭ aka, premier varga « (ensembles de) huit »   mains en brahmañjali sur le genou droit    
ōtikka instruction virāma tāvat     mains en brahmañjali

29Durant ce processus, l’apprenti enregistre également les coordonnées des unités au sein des structures plus étendues (adhyāya) et conserve le souvenir du nombre de groupes (varga)et du nombre d’hémistiches (anta)déjà exécutés, en comptant sur ses doigts. Il semble donc que chaque unité se voie assigner un emplacement dans la mémoire, et que cette « adresse » permette par la suite de la retrouver. En redoublant ce procédé, par l’usage de classements parallèles, on accroît la sécurité du système. Ainsi, les adresses des hymnes et des groupes de strophes recoupent la triple indexation que fournissent les marqueurs liés aux sages, aux divinités et aux mètres. Les élèves engrangent progressivement les unités successives dans leur mémoire en découpant le même hymne selon des unités d’ampleurs différentes. Lorsqu’une prononciation erronée se glisse dans la récitation, le maître les arrête et leur fait répéter l’unité concernée37.

30Chaque hymne est par conséquent répété 16 fois par jour (3 + 3 + 10). Durant les dix jours successifs où un sūkta fait l’objet d’exercices, il peut donc être répété au total 160 fois38. À cela s’ajoutent les exercices d’entretien qui accompagnent le rite de la salutation au soleil, puisque l’on y répète une section assez longue d’une « leçon » qui change périodiquement (en moyenne, cela concerne 20 hymnes par jour). De la sorte, chacun des mots de la Ṛgvedasamhitā se trouve répété près de 200 fois au cours du processus élémentaire de mémorisation39 – et ce nombre ne tient pas compte des répétitions auxquelles se livrent pour eux-mêmes les élèves.

Le niveau supérieur

Pada et krama

31pratiques savantespratique discursiverécitationSeul un nombre restreint d’élèves poursuit au niveau suivant l’apprentissage de la récitation védique40. On y introduit la « récitation mot à mot » ( padapā ha ), qui n’est possible qu’après une appropriation approfondie du Ṛgveda sous sa forme « continue ». Il s’agit de maîtriser le même matériau, mais en ne respectant pas l’assimilation phonétique qui lie normalement toute séquence de deux mots et en réalisant certaines opérations grammaticales (en résolvant les composés, par exemple). Par comparaison avec le flux du mode sa hitā, cette récitation sonne comme une exécution en staccato. Non seulement le texte est « fractionné » en ses unités verbales « originelles », mais certains accents de hauteur portent sur des syllabes différentes. Cette étape se caractérise en outre par des mouvements des mains, les mudra(voir ci-dessous). L’unité de répétition devient la strophe et l’unité de révision peut aller jusqu’à la « leçon » (adhyāya) 41. Tel est le cas dans le troisième mode fondamental, le krama. Plus complexe d’un degré, il modifie encore le matériau en combinant les principes des modes « continu » et « mot à mot » pour obtenir un algorithme de récitation « pas à pas ». La sollicitation de la mémoire est accrue et l’effort d’attention requis est plus intense, car il s’agit de passer d’un mode à l’autre.

32Désormais, les trois formes fondamentales de présentation du Ṛgveda s’engrènent les unes avec les autres dans la mémoire de l’apprenti. Il peut maintenant s’exercer à susciter l’étonnement des auditeurs42 au moyen des fameux modes de récitation « transformés ». Il faut pour les pratiquer deux récitants, qui se font face sur une natte et sont entourés de connaisseurs. Peut-être même le jeune spécialiste briguera-t-il une distinction lors du célèbre festival annuel de l’Anyōnyam, dans le temple de Kaṭavallūr, ou prendra-t-il part au Murajapam, le grand festival royal de récitation védique organisé tous les six ans43.

Les modes « transformés » : ja ā et ratha

33pratiques savantespratique lettréelecturePeu d’élèves finissent par maîtriser en profondeur l’art sophistiqué de la récitation védique. Au niveau le plus élevé, l’unité d’entraînement et de récitation est la strophe, au sein de laquelle un certain algorithme régit la progression et la réitération imposées à deux exécutants, qui récitent le poème sous des formes modifiées, décalées ou contradictoires. Par définition, les modes « transformés » sont des versions modifiées des trois modes fondamentaux. Ils se situent en ce sens à un niveau différent : grâce à des règles combinatoires intériorisées, il s’agit d’appliquer au texte divers « protocoles de lecture ». Les deux modes « transformés » que pratiquent les Nambudiri ne s’apprennent pas séparément, mais sont enseignés parallèlement au mode « pas à pas » (krama). Comme toujours, l’instruction et l’entraînement ne s’appuient sur aucun document écrit. La capacité de réciter selon ces modes ardus est très respectée parmi les Nambudiri. Il faut ajouter que leur enseignement est incomplet dans les écoles de récitation, ce que reflète d’ailleurs la rareté avec laquelle ils sont exécutés hors du contexte scolaire, c’est-à-dire dans les concours réservés aux adultes et dans les rituels44.

34Le programme de l’école ne contient aucun enseignement concernant le sens des textes mémorisés. Si les maîtres et certains élèves des classes supérieures peuvent avoir quelque connaissance du lexique et des expressions védiques, l’éducation des ṛgvedin nambudiri et la vie de leur communauté ne font aucune place à la signification du pilier de leur identité culturelle. Que penser de gens qui acceptent mille peines pour charger leur mémoire de textes gigantesques qu’il revient à d’autres de comprendre ? À cette inquiétante question, F. Staal répondait ainsi :

Les récitants […] ne sont pas de savants spécialistes du Veda. Ils se consacrent à la préservation de leur héritage sacré pour les générations futures. Sans eux, les spécialistes du Veda n’auraient rien à étudier en spécialistes. Si les récitants eux-mêmes avaient été des savants préoccupés du sens, les sons originels des poèmes auraient pu être perdus depuis longtemps45.

35D’autres questions demeurent néanmoins : est-il possible de reconstruire une conception cohérente de la mémoire humaine qui serait mise en œuvre dans la mémorisation védique ? À quelle fonction mentale ou corporelle associait-on la mémorisation ? Quel objet lui prêtait-on au juste ?

Mémoire corporelle

36pratiques savantespratique corporelleposition du corpsSeul un observateur attentif remarque de quelle façon le corps de l’élève se trouve engagé dans l’apprentissage. Tout d’abord, le corps de chaque récitant doit être rituellement purifié et marqué. Toute pollution exigera un nouveau bain et de nouveaux rites ; le contact avec des personnes étrangères à l’espace de mémorisation et de récitation est particulièrement susceptible d’apporter une pollution46. Des règles complexes gouvernent les moments qui conviennent à la récitation et ceux qui ne conviennent pas (saison, jour du calendrier lunaire, heure du jour, activités en cours aux alentours). Il en est de même en ce qui concerne le lieu, l’organisation de l’espace ou le placement et la position du corps. L’ensemble de ces facteurs facilite la mémorisation en différenciant le « corps récitant » du corps qui accomplit d’autres activités. On peut en dire autant des correspondances qui s’établissent entre le corps du récitant et les activités propres au processus d’apprentissage. Ce système d’enseignement a donné une grande importance à la perception corporelle des sons, des accents de hauteur et des marqueurs textuels. Dans la pratique des ṛgvedin nambudiri, tout se passe comme si le maître imprimait au corps du débutant l’articulation correcte du texte, comme une trace mnésique, en manœuvrant la tête de son élève vers le bas, vers le haut ou sur les côtés, au gré des accents du texte.

L’apprentissage.
Figure 1. L’apprentissage.

37pratiques savantespratique corporelleposition du corps pratiques savantespratique corporelleméditationCes mouvements de la tête doivent ensuite disparaître lorsque la mémorisation progresse. Certains élèves ont du mal à s’en passer et l’on peut en voir les traces à des étapes ultérieures de la formation, ce qui montre la puissance de la mémoire corporelle. La façon dont ils apprennent à compter sur leurs doigts est un autre aspect de cette dimension physique. En se tenant les jambes croisées, les récitants peuvent faire reposer leurs bras sur leurs genoux ; les mains sont ainsi dégagées et prêtes à soutenir au moment voulu l’ordonnancement du texte mémorisé. Les mains tiennent le compte de deux ensembles différents d’unités textuelles. Le nombre de groupes (varga) que compte la main gauche va presque jusqu’à cinquante. On imagine la tension que cela suscite chez l’élève, contraint de se souvenir à chaque instant combien de fois il a déjà fait le tour de ses cinq doigts ! Simultanément, la main droite doit compter les hémistiches (anta). Ainsi, le curseur de la mémoire suit pas à pas le texte en se repérant au moyen d’un double système de coordonnées. Nous avons affaire, en quelque sorte, à des contrôles multiples, dont l’efficacité est renforcée par un balisage de la mémoire collective qui agit comme un antivirus : ce sont les concours, les récitations rituelles de la totalité du Ṛgveda selon la procédure du « parcours intégral » du texte ( pārāya a ), etc. Un moment important de la consolidation corporelle de la mémoire est le rite de la salutation au soleil. La répétition régulière de cette gymnastique religieuse permet de réviser de longs passages mémorisés tout en associant certaines unités de texte à des exercices physiques particuliers. Voilà qui peut rappeler les pratiques monastiques de l’Europe médiévale et le recours à la « rumination », c’est-à-dire à la méditation de passages bibliques durant des activités quotidiennes comme l’entretien du jardin47. À un niveau supérieur, les élèves apprennent d’autres gestes qui fonctionnent comme des marqueurs : par exemple, signaler du claquement de deux doigts (miṭi) l’imminence d’un parigraha, c’est-à-dire d’un composé qui doit être analysé dans les modes padaou krama. Bizarrement, le même son est utilisé pour signaler une erreur commise par le récitant lors d’un concours48. Le contrôle de la respiration joue lui aussi un rôle important : certaines unités de récitation demandent à être prononcées d’un souffle, tandis que d’autres exigent que l’on inspire et que l’on expire en des points précis.

Préparation.
Figure 2. Préparation.

38pratiques savantespratique manuellegeste construction des savoirséducationapprentissageMais la technique corporelle de loin la plus spectaculaire, parmi celles qui soutiennent la mémorisation et la remémoration, ce sont les mouvements des mains que l’on nomme mudra. Ce système très élaboré apparaît au niveau supérieur de l’apprentissage. Les mudravédiques – le mot vient du sanskrit mudrā, « empreinte », « image », « échantillon » – codifient la valeur phonétique des syllabes, leur hauteur et leur longueur49. On les exécute de la main droite seulement, et ils permettent de signifier efficacement le flux d’informations que comporte une récitation védique, au point de pouvoir être décodés par les élèves observant le maître, par le partenaire du récitant, par ses rivaux ou par un public. Dans le cas des mudraṛgvediques, chaque strophe peut être représentée en silence par des gestes et il arrive que l’on révise tout un cours sous cette forme. Les mudra ne sont pas censés être utilisés dans la récitation de base ( sa hitā ). Ils sont introduits avec la récitation « mot à mot » (padapāṭha). Rien ne montre mieux la force irrésistible du procédé que le fait que, sans le vouloir, des virtuoses plus âgés laissent parfois leurs mains esquisser ces gestes alors qu’ils récitent ou écoutent des passages où ils n’ont aucune raison de figurer. Au niveau élémentaire de la récitation « continue », il existe un ensemble de gestes des mains plus simple, dont les maîtres se servent pour faciliter la visualisation spatiale des accents védiques.

Apprendre par participation : une communauté de pratique

Les .
Figure 3. Les mudra.

39pratiques savantespratique manuellesavoir-faire acteurs de savoircommunautécercle acteurs de savoircommunautéIl y aurait bien des choses à dire sur la façon dont les récitants s’approprient le Veda en participant à une communauté de pratique. La communauté en question n’est pas seulement celle des condisciples, elle comprend aussi les anciens élèves de l’école, les récitants virtuoses, les maîtres, les experts fameux et d’autres individus qui jouent un rôle actif dans la conservation de l’héritage culturel. Tous possèdent un savoir partagé qu’il s’agit de transmettre et de mettre en œuvre. Les cours, les exercices, les révisions, les exécutions en public et les concours, les occasions régulières ou exceptionnelles de montrer son savoir-faire, les services rendus à la communauté lors de récitations collectives dans les temples, chez des particuliers ou dans certaines institutions : ce ne sont là que quelques-uns des lieux et des moments où le savoir est en effet partagé et où l’on peut apprendre « par participation ». On y voit pratiquer des maîtres célèbres et l’on peut identifier leur style ; on peut y mettre à l’épreuve les capacités de sa mémoire et s’y faire un nom. Il n’est pas rare, de fait, que l’école de Trichur soit vide parce que ses élèves sont allés participer à des fêtes proposant des récitations védiques, des concours, des psalmodies rituelles ou des sacrifices védiques. Ce n’est d’ailleurs qu’en prenant part à ce genre d’événements que l’on découvre certaines modalités de présentation des textes. Il existe ainsi une façon particulière de psalmodier que l’on nomme ko ṭṭ u. Bien que le mot signifie « coup de tambour », ce nom ne désigne pas un accompagnement de percussions, mais le bourdonnement rythmé que produit ce type de récitation. On la réalise en effet en se pinçant le nez avec deux doigts de la main droite : il en résulte une mélopée inintelligible pour qui n’est pas instruit. Et pourtant, les participants doivent non seulement reconnaître le passage entonné, mais le resituer dans sa strophe et le poursuivre lorsque le premier récitant s’arrête. En outre, cette psalmodie est liée à un moment bien particulier : elle est pratiquée immédiatement avant un repas pris en commun et ne l’est jamais dans un autre contexte. La fête et les récitations rituelles forment un tout. La récitation « bourdonnante », qui peut s’intégrer aux fêtes de Trisandha, de Vāram, ou de l’Anyōnyam, est considérée comme un rituel de « purification de la nourriture ». Sa progression est marquée strophe par strophe, selon le mode krama. Chaque strophe doit être dite d’un seul souffle et souvent la voix de l’exécutant prend des accents dramatiques lorsque l’air vient à manquer. La participation au ko ṭṭ u est un défi pour une autre raison encore : celui qui commence désigne son successeur en le pointant du doigt. Cette récitation fait partie du concours de l’Anyōnyam, mais ce sont deux équipes rivales qui s’y affrontent. Après quelques strophes assurées par l’une, la « main » passe soudain à l’autre et toute l’équipe doit être vigilante afin de ne pas manquer la transition ni se tromper de passage.

La mémoire et l’oubli

40construction des savoirstraditionoubliLe système dont nous avons esquissé la description ne repose pas seulement sur la mémorisation d’éléments innombrables, mais aussi sur la capacité d’effacer de sa mémoire, au fur et à mesure, certains éléments inutiles. Tel est le cas des mouvements de tête, qui sont d’une si grande aide dans les tout premiers temps de l’apprentissage. Inculqués aux débutants de la manière la plus physique, ils doivent être oubliés et supprimés dès que la mémoire s’habitue aux accents et en conserve la séquence. Ils sont abandonnés, dit-on, au moment qui convient à chaque personne. Les entretiens montrent que ce moment peut être très précoce, et qu’il arrive parfois sitôt le premier groupe de dix hymnes maîtrisé50.

41pratiques savantespratique rituellesacrificeC’est également un véritable défi que de demander à l’élève d’oublier la forme sous laquelle il a mémorisé le Ṛgveda au niveau élémentaire, au prix de tant d’efforts et sur une si longue période : ce n’est plus la seule forme du poème dans la suite du cursus, puisqu’il commence à mémoriser les deux ou trois autres formes fondamentales du texte, c’est-à-dire les modes « mot à mot » (pada)et « pas à pas » (krama). Dès lors, sa représentation mentale du corpus doit être recomposée et inclure le samhitāpā ha, le padapā ha, etc. Assez vite, il lui faudra même brider sa mémoire du texte pour introduire une forme supplémentaire, celle qui correspond aux mantras ṛgvediques des rituels sacrificiels. Ce dernier type de récitation, particulièrement exigeant, n’est d’ailleurs pas enseigné dans les écoles, mais fait l’objet d’une formation indépendante, que dispensent les chefs de certaines familles nambudiri (Vaidikan), personnellement responsables de préparer et de surveiller l’accomplissement des sacrifices védiques. Dans ce cadre, les exécutants du Ṛgveda sur l’aire sacrificielle puisent dans la Ṛgvedasamhitā qu’ils ont mémorisée, mais ils utilisent des strophes spécifiquement choisies et ordonnées, et doivent abandonner les accents de hauteur (svara) que l’on tient par ailleurs pour l’essence même du Veda. En l’occurrence, à de rares exceptions, les mantras védiques sont conventionnellement récités avec monotonie (ekasvara).

Notes
1.

Cohn, 1996, p. 51.

2.

Ibid., p. 51-52.

3.

VBhBhS, p. 44.

4.

Cf. Fuller, 2001.

5.

Voir Bronkhorst, 2002, p. 798, et Falk, 1990.

6.

Des auteurs antérieurs, comme Śabara (iv e siècle de notre ère environ), donnent indirectement à penser qu’il y a eu des tentatives pour mettre le Veda par écrit, tout en recommandant eux-mêmes de ne pas l’apprendre dans des textes écrits.

7.

VBhBhS, p. 108 : likhitapā hena. Dans la suite du texte (p. 113), un « adversaire » imaginaire avance que l’« effet visible » de la mémorisation des syllabes pourrait avoir un équivalent dans le cas de la lecture solitaire du texte des Veda, car cette pratique serait analogue à celle des adeptes de la médecine traditionnelle (Āyurveda).

8.

J’emprunte la distinction entre « memorization through habituation » et « memorization through deliberate effort » à Goody, 2000, p. 14.

9.

Malamoud, 2005, p. 113.

10.

Dans la philosophie la plus ancienne, cet apprentissage personnel était conçu comme un prolongement de la fréquentation de l’école védique et s’accompagnait pour tout brahmane du devoir d’enseigner et de lutter contre l’oubli. Voir Malamoud, 1977.

11.

Cf. Gray, 1959, p. 512.

12.

Sāyaṇa, dans VBhBhS, p. 106.

13.

T. Ā ., II, 10 : svādhyayo ‘dhyetavyaḥ.

14.

Cf. Staal, 1983, I, p. 30. L’auteur cite une opinion « traditionnelle » conservée dans les lois de Manu, selon laquelle « un brahmane qui ne connaît pas les vers du Veda est aussi inutile qu’un eunuque parmi des femmes » (Manusm ti, 2, 1, 58).

15.

Cf. Tarabout, 2007, p. 90 : « Les familles de brahmanes nambudiri ayant un statut élevé étaient les principaux producteurs et les dépositaires des śāstra écrits, alors même que leur frange supérieure faisait vivre l’art de la récitation védique avec un attachement indéfectible à l’oralité. »

16.

On prend donc ici comme unité d’analyse la « communauté de pratique » (au sens de Lave et Wenger, 1991) que forment les ṛgvedin nambudiri. Voir Bowker et Star, 1999, p. 294 ; Star, Bowker et Neumann, 2003, p. 244-251. Les ṛgvedin nambudiri actuels peuvent exercer toutes sortes de professions, depuis celle d’informaticien jusqu’à celle de docteur. Tous ne considèrent pas que la mémorisation védique permette un épanouissement intellectuel : pour certains d’entre eux, elle peut constituer un fardeau, qu’ils acceptent de supporter par sens du devoir. Voir Wood, 1985, p. 32, n. 2.

17.

L’autre école, le fameux Tirunāvāya Maṭham situé près du fleuve Bhāratapuḻa, a cessé d’être active, mais on observe encore des tentatives pour la faire revivre.

18.

. Il y a moins d’un siècle, lorsqu’elle était encore florissante, l’école pouvait se vanter d’héberger jusqu’à deux cents élèves (Wood, 1985, p. 49).

19.

Cf. Fuller, 1979, p. 462, sur les prêtres « brahmanes » du Tamilnadu : « Les prêtres attachés à un temple ont traditionnellement un rang inférieur à celui des autres Brahmanes, avec lesquels ils ne se lient jamais par le mariage […]. À ma connaissance, aucun Brahmane ordinaire ne travaille jamais comme prêtre dans un temple. »

20.

Voir Wood, 1985, p. 49.

21.

Ibid., p. 49-50.

22.

Ibid., p. 50.

23.

Le kprātiśākhya (4) emprunte à Ait. Ā . (3, 1, 3) les termes sa hitāau sens de nirbhuja (« plié »), pada au sens de pratṛṇṇa (« divisé ») et krama au sens d’ubhayāntareṇa (« entre les deux »). Voir Abhyankar et Devasthali, 1978, p. xvii-xxi.

24.

Le principe de cette représentation vient de Staal, 1961.

25.

Ces symboles ne représentent que les « règles » d’accentuation qu’il est possible de traduire graphiquement. Pour une véritable transcription, voir Staal, 1961 et Gray, 1959.

26.

Pour les sources historiques des vik ti védiques, voir Abhyankar et Devasthali, 1978.

27.

Voir Galewicz, 2005, ainsi que Staal, 1961 et Raghavan, 1962.

28.

Staal, 1961, p. 45-48. Cf. Galewicz, 2005, p. 564.

29.

Staal, 1961 et 1983 ; Raghavan, 1962 ; Scharfe, 2002.

30.

D’autres traitements importants fournissent des modèles généraux plutôt qu’ils n’exposent un cas particulier. Cf. Aithal, 1991, p. 12.

31.

En pratique, la plupart des élèves se contentent du niveau élémentaire ou de quelques compétences supérieures. Le programme actuel comprend en outre certaines matières modernes.

32.

Pour calculer le temps d’étude réel, il faudrait prendre en compte les nombreux jours fériés et les jours « sans classe ». On peut estimer qu’une année comprend en tout 120 jours d’étude (Scharfe, 2002, p. 240). Voir cependant l’estimation très différente de Wood, 1985, p. 50, qui parvient à un total de 240 jours.

33.

Les spécialistes parlent le plus souvent de « récitation continue » pour le sa hitāpā ha et de récitation « mot à mot » pour le padapā ha, mais une façon intéressante de rendre ces termes est d’employer les expressions « discours lié (connected speech) » et « mots déliés (disconnected words) ». Cf. Scharfe, 2002, p. 241-248.

34.

Ce modèle doit être ajusté dans le cas d’hymnes exceptionnellement courts (d’une seule strophe !) ou exceptionnellement longs (jusqu’à trente strophes). On considère comme essentiel de présenter le Ṛgveda avec le sūkta pour unité et c’est un grave manquement aux convenances que de procéder autrement (M. J. Nambudiri, communication personnelle).

35.

Cf. Staal, 1961, p. 24.

36.

Le brahmāñjali (aṭṭam piṭikka en malayalam) est décrit de la façon suivante dans Scharfe, 2002, p. 222 : « la main gauche tournée en l’air, la main droite placée par-dessus avec la paume vers le bas et les doigts de chaque main agrippés au dos de l’autre main ». Ce geste marque le plus grand respect envers le maître, qui est tenu pour l’incarnation du brahman, le principe suprême.

37.

La même procédure régit l’exécution virtuose durant les fêtes de Trisandha.

38.

Dans un entretien, un maître a mentionné un total de 120 répétitions.

39.

Il est difficile de savoir si des pratiques semblables existaient dans l’Inde ancienne : voir Scharfe, 2002, p. 244-249.

40.

Quelques-uns des élèves quittant l’école plus précocement peuvent avoir appris la récitation pada.

41.

Cf. les remarques sur le concept latin de lectio dans Saenger, 1997, p. 264 et 299.

42.

. Cf. les remarques de Mary Carruthers : « Une compétence […] fort admirée par les auteurs antiques autant que par les auteurs médiévaux est la capacité de réciter un texte à l’envers aussi bien qu’à l’endroit, ou d’y sauter des passages d’une façon systématique, sans se perdre ni se tromper. Cette capacité marquait la différence entre la faculté d’imiter une chose (de la reproduire de mémoire) et le fait de la connaître réellement, puisque l’on est à même de la présenter de diverses manières. » (Carruthers, 2008, p. 21.)

43.

Voir Galewicz, 2005.

44.

Pour des détails, voir Staal, 1961, et Scharfe, 2002. Sur le contexte social, voir Galewicz, 2005.

45.

Staal, 1983, p. 30-31.

46.

Même le contact par l’intermédiaire d’objets doit être évité. Le récitant ne peut transmettre un objet qu’indirectement : il le laisse tomber dans les mains de la personne étrangère au rituel, de telle sorte que son corps purifié et le corps de cette personne ne soient pas en contact.

47.

Cf. Cavallo, 2001, p. 98.

48.

Cf. Galewicz, 2005, p. 568.

49.

Comme Staal l’a noté, contrairement aux mudra d’autres traditions d’Asie du Sud, « les mudra védiques des Nambudiri ne représentent pas des sens, mais des sons ». Pour une description des mudra, voir Staal, 1983, II, p. 359-381. Cf. Gray, 1959, p. 510.

50.

Communication personnelle de M. J. Nambudiri, 2009.

Appendix A Bibliographie

Sources
  1. Aiṭ Ā . : Aitareya Āraṇyaka, éd. et trad. par A. B. Keith, Oxford, 1909.
  2. Rig-veda-samhitā. The Sacred Hymns of the Brāhmans, together with the Commentary of Sāyanāchārya, éd. F. Max Müller, Varanasi, 1983 (2de édition, originellement parue à Londres, 1890).
  3. Ṛgvedasaṃhitā mantrānukramaṇyāsahitaṃ, Varanasi, 2002.
  4. T. Ā . : Taittirīyāraṇyakam śrīsāyaṇācāryaviracitam, Pune, 2000.
  5. VBhBhS : Vedabhā yabhūmikāsa graha , éd. Baladeva Upadhyaya, Varanasi, 1958 (1re éd., 1934).
Références
  1. Abhyankar et Devasthali, 1978 : K. V. Abhyankar et G. V. Devasthali (éd.), Vedavikṛtilakṣaṇasaṃgraha [A Collection of Twelve Tracts on Vedavikṛtis and Allied Topics], Pune.
  2. Aithal, 1991 : K. Parameswara Aithal, Veda-Lakṣaṇa. Vedic Ancillary Literature. A Descriptive Bibliography, Stuttgart.
  3. Bowker et Star, 1999 : G. Bowker et S. L. Star, Sorting Things Out. Classification and Its Consequences, Cambridge (Mass.).
  4. Bronkhorst, 2002 : J. Bronkhorst, « Literacy and Rationality in Ancient India », Asiatische Studien. Études asiatiques, LVI, 4, p. 797-831.
  5. Cardona, 1988 : G. Cardona, Pāṇīni. His Work and Its Traditions, vol. 1, Delhi.
  6. Carruthers, 2008 : M. Carruthers, The Book of Memory. A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge (2de éd. ; originellement paru en 1990).
  7. Cavallo, 2001 : G. Cavallo, « Lire, écrire et mémoriser les Saintes Écritures », in C. Jacob (éd.), Des Alexandries II. Les métamorphoses du lecteur, Paris, p. 87-102.
  8. Cohn, 1996 : B. Cohn, Colonialism and Its Forms of Knowledge, Princeton.
  9. Falk, 1990 : H. Falk, « Goodies for India. Literacy, Orality and Vedic Culture », in Wolfgang Raible (éd.), Erscheinungsformen kultureller Prozesse. Jahrbuch 1988 des Sonderforschungsbereichs « Übergänge und Spannungsfelder zwischen Mündlichkeit und Schriftlichkeit », Tübingen, p. 103-120.
  10. Fuller, 1979 : C. J. Fuller, « Gods, Priests and Purity : On the Relation Between Hinduism and the Caste System », Man, 14, 3, p. 459-476.
  11. Fuller, 2001 : C. J. Fuller, « Orality, Literacy and Memorization : Priestly Education in Contemporary South India », Modern Asia Studies, 35, 1, p. 1-31.
  12. Galewicz, 2003 : C. Galewicz, « A Keen Eye on Details. Reviving Ritual Perfection in Trichur Somayaga 2003 », Bulletin d’études indiennes, 21, 1, p. 239-253.
  13. Galewicz, 2005 : C. Galewicz, « L’Anyōnyam. Un rituel de récitation des textes sacrés au Kérala », Annales. Histoire, sciences sociales, 60, 3, p. 551-571.
  14. Galewicz, 2006 : C. Galewicz, « The fourteen strongholds of knowledge : on scholarly commentaries, authority and power in XIVth century South India », in C. Galewicz (éd.), Texts of Power. The Power of the Text. Readings in Textual Authority Across History and Cultures, Cracovie, p. 141-164.
  15. Galewicz, 2009 : C. Galewicz, The Commentator in the Service of the Empire, Vienne.
  16. Goody, 2000 : J. Goody, The Power of the Written Tradition, Washington.
  17. Gray, 1959 : J. E. B. Gray, « An Analysis of Nambudiri ṛgvedic Recitation and the Nature of the Vedic Accent », Bulletin of the School of Oriental Studies, XXII, p. 499-529.
  18. Lave et Wenger, 1991 : J. Lave et E. Wenger, Situated Learning : Legitimated Peripheral Participation, Cambridge.
  19. Malamoud, 1977 : Ch. Malamoud, Le Svādhyāya. Récitation personnelle du Veda. Taittirīya-āraṇyaka, livre II, Paris.
  20. Malamoud, 2005 : Ch. Malamoud, La Danse des pierres. Études sur la scène sacrificielle dans l’Inde ancienne, Paris.
  21. Mookerji, 1969 : R. K. Mookerji, Ancient Indian Education [1947], Delhi.
  22. Pollock, 2005 : S. Pollock, « The Revelation of Tradition : s´ruti, smrṭi, and the Sanskrit Discourse of Power », in F. Squarcini (éd.), Boundaries, Dynamics and Construction of Traditions in South Asia, Florence, p. 41-61.
  23. Raghavan, 1962 : V. Raghavan, The Present Position of Vedic Recitation and Vedic Śākhās, Kumbhakoram.
  24. Saenger, 1997 : P. Saenger, Space Between Words. The Origins of Silent Reading, Stanford.
  25. Scharfe, 2002 : H. Scharfe, Education in Ancient India, Leyde.
  26. Staal, 1961 : F. Staal, Nambudiri Veda Recitation, La Haye.
  27. Staal, 1983 : F. Staal, Agni. The Vedic Ritual of the Fire Altar, I-II, Berkeley.
  28. Star, Bowker et Neumann, 2003 : S. L. Star, G. C. Bowker, et L. J. Neumann, « Transparency Beyond the Individual Level of Scale : Convergence Between Information Artifacts and Communities of Practice », in A. Peterson et al. (éd.), Digital Library Use. Social Practice in Design and Evaluation, Cambridge (Mass.), p. 241-270.
  29. Tarabout, 2007 : G. Tarabout, « Authoritative Statements in Kerala Temple Astrology », Rivista di studi sudasiatici, II, p. 85-120.
  30. Wood, 1985 : Ananda E. Wood, Knowledge Before Printing and After. The Indian Tradition in Changing Kerala, Delhi.