Paola von Wyss-Giacosa

Résumé

L’une des questions centrales du discours sur les religions, au XVIIe siècle, porte sur les origines et le développement de l’« idolâtrie ». Ce discours prenait appui sur les objets exotiques que les voyageurs et missionnaires européens ramenaient. Pour les savants de l’époque, ces objets représentaient de véritables preuves, à l’appui d’une analyse comparative de l’idolâtrie. L’article porte sur les modes d’interprétation et de classification d’une marionnette du théâtre d’ombres indonésien de la célèbre Gottorf Kunstkammer qui reflètent les méthodes, théories et apories du discours sur l’idolâtrie au XVIIe siècle, mais en marquent aussi les évolutions. Au même titre que d’autres objets ethnographiques collectionnés à l’époque, la manière dont cette marionnette indonésienne fut perçue et présentée influença durablement son interprétation ; inversement, la présence de tels objets dans les collections européennes eut un impact sur la perception de l’« idolâtrie ».

1espaces savantslieubureau acteurs de savoirstatutsavantEn 1651, Adam Olearius, un savant réputé au service du Duc Frédéric III de Gottorp, se rendit à Enkhuizen, en Hollande, alors une ville portuaire importante en raison du commerce avec l’Orient mené sous les auspices de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Olearius avait fait le voyage dans le but d’acquérir un ensemble d’objets ayant appartenu au savant et médecin hollandais Bernardus Paludanus 1. Olearius avait déjà enrichi la collection de Gottorp d’un nombre important d’objets « exotiques », qu’il avait lui-même ramenés de ses ambassades en Russie et en Perse, dans les années 1630 2. Mais l’acquisition de cette collection riche et prestigieuse devait sceller la réputation, du moins en Europe du Nord, de la Gottorf Kunstkammer et du cabinet de curiosités aménagé dans le château ducal dès 1653 3.

2acteurs de savoiracteur non humainobjet artificiel matérialité des savoirssupportsupport de communicationcollection scientifique acteurs de savoirprofessionbibliothécaire Olearius était un homme de lettres et un grand voyageur ; un scientifique aussi, passionné par les mathématiques autant que par la géographie, la cartographie ou l’histoire. Nommé bibliothécaire du Duc, et gardien de sa collection, il installa celle-ci dans deux des plus grandes pièces du château. Il en rédigea aussi le catalogue, qui fut publié en 1666 4. La structure de ce volume, conçu comme un prodrome, un travail préliminaire, comme Olearius l’explique en introduction, divisé en trente-six chapitres accompagnés du même nombre de gravures, devait refléter l’organisation de la collection elle-même, et reprenait les catégories taxinomiques servant à classer tant les objets naturels que les objets manufacturés conservés à Gottorp. La plus grande partie de la collection était constituée de naturalia. Ces divers spécimens de végétaux, d’animaux et de minéraux permettaient d’observer la richesse de la Création, dont la collection devenait ainsi une sorte de représentation en miniature5. Une autre catégorie d’objets présentés par Oléarius dans ce volume, l’un des tous premiers catalogues de collection rédigés en allemand, concerne ce que l’on peut appeler les ethnographica 6. Étaient donc exposés à Gottorp des objets touchant aux deux principaux domaines d’investigation susceptibles d’intéresser le public cultivé7. Dès les premières pages du livre, Oléarius souligne l’utilité des cabinets de curiosités, musées et autres Kunstkammern, qui regroupent en un seul lieu ces objets qu’il serait autrement impossible de voir, à moins d’entreprendre de longs et périlleux voyages. Il faut donc tenir en haute estime ceux qui sont parvenus à constituer de telles collections, contribuant au progrès de la recherche et de la science ; mais aussi, ceux qui, comme le Duc Fréderic III, prennent soin de rendre leurs collections accessibles à un large public. Selon l’auteur, le catalogue inclut des objets qui sont effectivement exposés au sein de la collection ducale, et que les visiteurs peuvent donc librement venir voir8.

3inscription des savoirsgenre éditorialcatalogueLe catalogue s’ouvre, dans les deux premiers chapitres et gravures correspondantes, avec les vêtements et les armes de certains peuples lointains, comme les Chinois, les Mexicains, les Perses, les Tartares ou les Russes. Le troisième chapitre est consacré aux vêtements des Groenlandais. Oléarius explique au lecteur qu’il eut lui-même l’occasion d’observer leur accoutrement après que quatre prisonniers groenlandais eurent été envoyés à Gottorp par le roi du Danemark 9. La gravure qui accompagne ce chapitre représente d’ailleurs des Groenlandais mais aussi un calendrier runique, une luge, des skis et un kayak. Le quatrième et dernier chapitre du catalogue, consacré aux objets ethnographiques, présente une série d’artéfacts décrits comme « de fausses idoles » (lauter Abgötter) (fig. 1). Sur la gravure qui l’accompagne, on peut voir, de gauche à droite : une statue thaïlandaise du Bouddha, décrite comme une « Pagode indienne » ; deux figurines égyptiennes que l’on reconnaît être respectivement des statuettes d’Ouchebti et Osiris, cette dernière étant représentée de face et de dos ; enfin, une « idole des peuples nordiques (Nordländer) de Davis Street », peut-être une simple poupée, mais peut-être aussi une statuette chamanique représentant un esprit auxiliaire inuit10. Cette gravure inclut aussi un objet en deux dimensions, placé à l’arrière-plan, comme s’il était accroché à un mur imaginaire, entre la statue du Bouddha et la figurine d’Ouchebti : il s’agit d’une icône russe de Saint Nicolas. L’illustration respecte les proportions de ces objets les uns par rapport aux autres11.

4espaces savantslieubibliothèqueIl ne faudrait pas voir dans cette gravure un assemblage fortuit d’artéfacts hétéroclites. Cette soigneuse orchestration visuelle s’apparente à un commentaire en image sur l’idolâtrie par le savant luthérien, qui établit ainsi un lien entre ces diverses « idoles », entre l’Égypte, l’Asie, les Amériques, mais aussi le monde russe, bien que l’icône soit placée plus haut que les autres artéfacts (Olearius critique explicitement l’iconodulie de l’Église orthodoxe dans un autre ouvrage12). Ces objets se trouvent pris ensemble dans une même condamnation de l’idolâtrie et dans un même discours sur la diffusion de celle-ci aux quatre coins du monde. Le catalogue d’Olearius est aussi truffé de références aux ouvrages consultés par le savant, lequel, en tant que bibliothécaire du Duc, avait aussi la responsabilité d’enrichir et d’organiser la bibliothèque ducale. Ses analyses, portant sur les objets conservés au sein de la collection, témoignent d’une approche résolument comparatiste, en dialogue avec les idées que l’on trouve dans la littérature de voyage et dans la littérature savante de son temps.

5typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoirehistoire des religions construction des savoirstraditionreligionL’un des auteurs les plus cités par Olearius est le célèbre polymathe jésuite Athanasius Kircher. Dans un ouvrage richement et abondamment illustré, et qui devint d’ailleurs une référence incontournable, Oedipus Aegyptiacus (Rome, 1652-1654), Kircher affirmait que l’idolâtrie, comme le paganisme en général, trouvait sa source en Égypte. C’est en Égypte qu’était apparue l’idolâtrie, et c’est de là qu’elle s’était diffusée à travers l’espace et le temps13. Les objets issus des missions jésuites et conservés à Rome avaient largement influencé et inspiré Kircher. Ces objets, ou plutôt leur représentation dans l’ouvrage de Kircher, devinrent en eux-mêmes des références importantes pour les savants de l’époque, attachés à comprendre, comme lui, l’histoire de l’idolâtrie. Ces savants étaient donc inspirés à la fois par la théorie égyptienne de Kircher et par son mode d’argumentation, par le recours à l’objet et à l’image, comme le montrent un certain nombre de publications consacrées à la question de l’idolâtrie au XVIIème siècle, qui mettent également en scène divers objets ethnographiques dans le but d’en illustrer les rapports. Mais l’influence de Kircher est aussi perceptible, précisément, dans les manières dont ces objets vont être classés et représentés au sein des collections qui se constituent à l’époque, notamment à Gottorp 14.

6C’est ce dont témoigne la gravure IV du catalogue d’Olearius, et le soigneux arrangement d’objets anciens et exotiques que cette gravure donne à voir. Un indice clair de l’influence sur Olearius de l’argumentation visuelle de Kircher nous est fourni, plus particulièrement, par la légende qui accompagne la statue du Bouddha thaïlandais conservée au Palais ducal, décrite comme une « Pagode indienne ». L’« Inde », c’est évidemment, dans ce contexte, tant l’Amérique (les Indes occidentales) que l’Asie (les Indes orientales), mais la notion de « pagode », elle, désigne de manière plus spécifique, au moins depuis le XVIe siècle, les temples et dieux « païens » décrits par les voyageurs revenant d’Asie 15. Comme je l’ai montré ailleurs, l’interprétation que propose Olearius de cette petite statue thaïlandaise dérive du chapitre consacré par Kircher à l’idolâtrie « moderne » dans le premier volume de l’Oedipus. Plus spécifiquement, Olearius pensait que l’un des objets illustrés dans le Syntagma V de Kircher, portant la légende « Pagodes Indorum Numen », était suffisamment ressemblant au Bouddha de Gottorp pour qu’il puisse identifier les deux, et donc donner le même intitulé à la statuette qu’il avait entre ses mains16.

7pratiques savantespratique intellectuelleclassementDe manière plus générale, la mise en scène du savoir qu’illustre la gravure IV d’Olearius constitue elle-même un discours sur les religions d’Orient et d’Occident ; un discours prenant appui sur la culture matérielle et exprimé à travers la représentation visuelle de ces objets. En sélectionnant ces objets, il ne s’agissait pas seulement d’offrir au lecteur un échantillon composé de diverses « idoles » ; il s’agissait aussi d’amener le lecteur à regarder et percevoir ces objets d’une manière particulière. À ce titre, cette gravure constitue elle-même une source pour comprendre comment se construit, à l’époque moderne, ce discours sur l’idolâtrie. Etant donné les modes de classification, généralement erronés, des auteurs de l’époque, il est souvent difficile, en l’absence d’illustrations, d’identifier les objets précis dont ils parlent et qui circulent dans diverses collections – ces objets qui servent à appuyer leurs savantes reconstructions des origines et du développement de l’idolâtrie. C’est notamment le cas de la collection de Gottorp. Celle-ci contenait sans doute de nombreux autres artefacts susceptibles d’être interprétés et classés comme des « idoles », en plus des quelques pièces recensées dans le catalogue d’Olearius. Dans certains cas, il est cependant possible de suivre la réflexion qui devait amener le savant à interpréter et classer un objet (ou un groupe d’objets) à l’aune de cette catégorie.

8C’est ce que je souhaite montrer en considérant plus particulièrement un objet spécifique, une marionnette indonésienne conservée au sein de la Gottorf Kunstkammer. Dans ce qui suit, il s’agira de comprendre comment et pourquoi cette marionnette fut interprétée comme un « Vitzli-Putzli des Indes occidentales », et présentée comme telle, à Gottorp d’abord, puis à Copenhague, au sein du Cabinet royal de curiosités17. Il me semble que la classification erronée proposée par divers auteurs modernes de cette figurine javanaise, qui devient une « idole » propre à la Mésoamérique, illustre les débats, méthodes et théories – comme aussi les écueils et les apories – du discours de cette époque sur l’idolâtrie.

III

9construction des savoirsépistémologiecroyance construction des savoirstraditionreligionLa question des origines de l’idolâtrie, de son développement à travers le temps et de sa diffusion à travers l’espace, est un point central du discours moderne sur l’histoire des religions18. Les travaux consacrés à cette question pouvaient s’appuyer sur des sources et documents très divers. Les objets en particulier, antiques ou exotiques, apparaissent comme autant de témoins matériels susceptibles d’être exploités. Les artefacts que marchands et missionnaires ramenaient d’Asie ou d’Amérique servaient à illustrer le fait que l’idolâtrie, si elle avait disparu de l’Ancien monde, restait bien vivante ailleurs. À travers ces artefacts, l’« idolâtrie en pratique » en vint à jouer un rôle central dans les recherches ayant pour objectif de comparer les différentes croyances erronées, passées et présentes, attestées de par le monde. Les idées reçues des voyageurs et savants européens opéraient cependant comme un filtre entre eux et les objets qu’ils voyaient, interprétés comme d’authentiques « idoles » et, à ce titre, comme de véritables « preuves », bien plus tangibles que les exemples tirés de la littérature, pour appuyer ou évaluer leurs théories sur les origines et la diffusion de l’idolâtrie.

10Le catalogue d’Olearius suggère que les pièces du château de Gottorp dédiées à la collection ne visaient pas simplement à présenter aux yeux du public des objets rares et précieux ; cet espace était conçu par le savant (et sans doute aussi par son patron) comme un lieu servant à transmettre certaines idées et conceptions épistémiques plus larges, en déployant une véritable stratégie visuelle servant à matérialiser une forme de comparatisme transculturel, à travers la mise-en-scène des objets. Comme nous l’avons vu, le quatrième chapitre du catalogue et la gravure qui l’accompagne suggèrent l’existence d’un groupe d’objets spécifiques, désignés comme des « idoles » et sans doute présentés ensemble au sein de la Kunstkammer. Une autre gravure, le frontispice de la seconde édition du catalogue (publiée de manière posthume en 1674), semble confirmer un tel ensemble, et la dimension performative que leur mise en relation devait avoir aux yeux des contemporains. Cette gravure représente une perspective en enfilade des pièces du château et offre une citation visuelle des objets réunis sur la gravure IV du catalogue, à savoir le groupe des figures « idolâtres ». Ce faisant, cette gravure souligne encore l’importance de cette catégorie particulière d’objets dans le catalogue comme dans la Gottorf Kunstkammer elle-même (fig. 2).

11De toute évidence, la manière dont une collection est présentée dans les pages d’un livre ne correspond pas nécessairement à sa mise-en-scène réelle, dans l’espace physique. Des modes de classification différents pouvaient très bien coexister, et ainsi proposer au visiteur différents niveaux d’analyse19. Nous disposons toutefois d’indications supplémentaires sur l’arrangement des deux pièces du château ducal consacrées à la Kunstkammer, et donc sur la mise-en-scène des « idoles » de la collection. Nils Rubenius, fils d’un pasteur suédois et tuteur d’un jeune aristocrate voyageant à travers l’Europe, note ainsi dans son journal, après avoir visité Gottorp :

 Le matin du 8 décembre [1662], je suis allé rencontrer Adam Olearius […] À une heure de l’après-midi, nous avons visité la bibliothèque du Duc et sa Kunstkammer. […] Derrière cette pièce, il s’en trouvait une autre avec des objets rares […]. [Il y avait] une idole des Indes occidentales comme ils en conservent dans leurs domiciles privés. Et beaucoup de faux dieux d’autres païens.20

12Dans la seconde pièce se trouvait donc un groupe d’objets présentés comme des « idoles », qui avait d’ailleurs attiré l’attention des visiteurs. Ceux-ci avaient été particulièrement frappés par un objet particulier, décrit comme « idole des Indes occidentales », qu’il nous est cependant difficile, à ce stade, d’identifier à partir de cette brève allusion21.

13pratiques savantespratique artistiquethéâtre construction des savoirstraditionmythologiePrès de cinquante ans plus tard, un autre témoignage vient corroborer la brève description de Rubenius. En 1710, Johann Pechlin, qui avait succédé à son père en tant que conservateur de la collection ducale, rédigea un inventaire détaillé des objets conservés au sein de la Kunstkammer. La cinquième section de cet inventaire, dédiée aux « Antiquités », recense seize objets. On y trouve les deux figurines égyptiennes illustrées dans la gravure IV du catalogue d’Olearius, quelques lampes et urnes funéraires romaines, et un Priape. À ces antiquitates sacrae s’ajoute une liste d’ethnographica, et notamment le calendrier runique, l’icône russe, et la statue du Bouddha, tous illustrés dans le volume d’Olearius, mais aussi l’« idole américaine Vitzli-Putzli découpée dans du papier [sic!] »22. Quand bien même Pechlin se trompe en affirmant qu’il s’agit là d’un objet en papier (une erreur assez surprenante), la description qu’il en fait ne laisse pas de place au doute quant à cet objet conservé au sein de la collection : il s’agit en fait d’une marionnette du théâtre d’ombres indonésien (le wayang kulit), faite de cuir ciselé et peint, et représentant le Prince Panji, personnage bien connu de la mythologie javanaise (fig. 3). Les récits relatifs aux aventures du prince, parti à la recherche de sa bien-aimée, connurent un grand essor dans le contexte de l’empire Majapahit, et le cycle de Panji devint ainsi un élément central du répertoire wayang à partir du XVème siècle. La marionnette de Panji témoigne de la finesse de l’artisanat de cour qui se développe à Java à cette époque. Qu’il s’agisse de son teint, de son cou allongé, de ses yeux en forme d’amande, de son nez long et droit, un peu pointu, de ses lèvres minces et entrouvertes, de sa silhouette élancée, de ses longues jambes bien serrées, ou encore de ses mains très fines, cette marionnette est caractéristique d’une certaine iconographie qui donne corps à une personnalité noble et sensible. Comme l’exigent ses origines aristocratiques, le Prince Panji porte un dodot, un vêtement de cour, noué de manière particulière (ce qu’on appelle le bokongan raton) de façon à souligner son appartenance à la famille royale. Sous ce vêtement, décoré de motifs typiques des fameux tissus batik, il porte une bande ou une ceinture de tissu rouge dont les franges flottent derrière lui. C’est toutefois sa calotte caractéristique, en forme de casque arrondi, qui nous permet d’identifier le héros javanais23.

14pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementFaire de cette marionnette javanaise une « idole » des Indes occidentales, c’est-à-dire des Amériques, qui plus est une idole censée représenter « Vitzli-Putzli » (forme corrompue du dieu aztèque Huitzilopochtli) était une erreur d’interprétation à plus d’un titre. On pourrait penser que cette erreur révèle l’ignorance d’Olearius ou de ses successeurs ; mais ce serait négliger le fait qu’elle éclaire en vérité la culture savante de l’époque, et notamment les pratiques et discours qui s’articulent à ces objets exotiques. Ce que l’on voit ici, c’est une tentative systématique d’identifier ces artefacts par le biais de comparaisons morphologiques, fondées sur un imaginaire complexe, culturel, textuel et visuel, qui fait de l’idolâtrie un objet de condamnation et de fascination. Saisir les raisonnements, les pratiques comparatives derrière de telles « erreurs » d’interprétation nous permet d’éclairer cet imaginaire sur lequel se construit l’histoire des religions à l’époque moderne – et le rôle joué par les objets dans cette histoire.

IV

15pratiques savantespratique rituelle Huitzilopochtli, dont le culte était célébré au Templo Mayor de Tenochtitlan, était l’un des dieux aztèques les plus importants à l’époque de la conquête du Mexique. C’était le dieu de la guerre, la divinité tutélaire des guerriers. Très peu de temps après la conquête, des codex illustrés dans la tradition aztèque parvinrent en Europe ; avec les récits des conquistadors et autres descriptions de la religion des Mexicains, ces codex contribuèrent à façonner le regard des Européens sur ce dieu et les cultes qui lui étaient consacrés. Le dieu y apparaît généralement représenté de profil. Son visage est bleu, il porte des peintures corporelles, une cape de plumes, un bouclier et des lances. Sa tête est coiffée de plumes ou d’un casque en forme de colibri, son emblème exclusif24. Des gravures reproduisant les images que l’on trouve dans ces codex vont largement circuler en Europe, notamment pour illustrer les éditions et traductions d’un ouvrage comme la Descripcion de las Indias Occidentales d’Antonio de Herrera, publié à Madrid en 1601. Ce dieu à la réputation funeste, avide de sacrifices humains, suscitait de toute évidence un certain intérêt, voire précisément une forme de fascination sur le public européen.

16inscription des savoirsvisualisationimage acteurs de savoiracteur non humainêtre surnatureldivinitéEn parallèle, on trouve des images très différentes, censées elles aussi représenter Huitzilopochtli, dans des ouvrages populaires et influents, comme les volumes quatre (1594) et neuf (1602) des Amériques publiées à Francfort par Théodore de Bry, ou encore, à la fin du XVIIème siècle, De Nieuwe en Onbekende Weereld d’Arnoldus Montanus (Amsterdam, 1671). Les représentations du dieu qui accompagnent ces ouvrages n’ont rien en commun avec celles que donnent à voir les sources d’inspiration autochtones. Elles déploient une iconographie dérivée d’un tout autre cadre de référence, propre à la tradition picturale occidentale. On y voit ainsi le dieu aztèque assis, vu de face, à la manière d’un dieu romain, une sorte de Mars agrémenté de touches exotiques, notamment une coiffe de plumes. Ou encore, le dieu est représenté comme un diable ailé, aux jambes épaisses et poilues, avec des sabots de bouc ou des serres en lieu de pieds, une tête monstrueuse et un second visage sur le torse25. Ces images, classiques ou sensationnalistes, du dieu, connurent un vif succès ; plutôt que de se fonder sur l’observation directe ou les descriptions des conquistadors, ces représentations négligeaient délibérément le cadre de référence aztèque, au profit d’une iconographie familière du paganisme antique, lorsqu’elles ne visaient pas simplement à offrir au public le frisson d’une vision proprement démoniaque.

17Huitzilopochtli devient rapidement une figure incontournable des discussions relatives à l’idolâtrie, que celle-ci soit envisagée comme une forme dégénérée de religion ou comme un culte inspiré par le diable. Qu’il s’agisse de récits de voyage, de textes missionnaires ou de traités savants, le dieu aztèque est presque toujours présent, ou représenté, au point qu’il en vient à personnifier l’idée même d’idolâtrie, dont son nom (souvent déformé) serait d’ailleurs un synonyme26.

18Il a été suggéré que la marionnette wayang de Gottorp fut associée à « Vitzli-Putzli » en raison de la fascination qu’exerçait ce dieu sanglant sur le public. Au demeurant, il n’était pas rare, au XVIIème siècle, de confondre des objets issus des Indes occidentales et des Indes orientales27. Des recherches plus récentes ont toutefois noté que le nom « Vitzli-Putzli » pouvait être employé, à cette époque, de manière générique, pour désigner un dieu étranger ou exotique. Un personnage diabolique porte d’ailleurs ce nom dans le théâtre de marionnettes allemand contemporain28. Il me semble encore possible d’éclairer cette intrigante classification, qui fait d’une marionnette du théâtre d’ombres javanais une représentation de « Vitzli-Putzli », en considérant le rôle joué par Olearius et sa conception de la Kunstkammer dans le processus de construction d’une altérité religieuse, et en analysant, à travers cet exemple, la manière dont diverses sources écrites et visuelles ont pu nourrir le discours savant du XVIIème siècle sur l’idolâtrie.

19Il n’est pas impossible que la marionnette wayang kulit conservée dans la Gottorf Kunstkammer ait originellement fait partie de la collection de Paludanus, acquise par Olearius à Enkhuizen, en 1651. L’un des concitoyens et proches amis de Paludanus était en effet Jan van Linschoten, célèbre pour ses voyages en Asie. Paludanus avait aidé Linschoten à rédiger le récit de ses aventures en Orient, et il est évident que de nombreux objets exotiques ramenés par celui-ci trouvèrent une nouvelle vie dans la collection de son ami29. Cependant, Olearius ne disposait pas d’informations spécifiques sur la plupart des objets conservés au sein de cette collection. Comme avec la statue du Bouddha thaïlandais évoquée précédemment, il dût faire ses propres recherches, à partir de son expérience propre ou des livres et récits de voyage qu’il avait à sa disposition. Dans son catalogue, Olearius affirme n’avoir présenté que les artéfacts qu’il était parvenu à identifier avec certitude, ce qui revenait aussi à admettre les limites de ses connaissances. Il avait évidemment lui-même acquis plusieurs objets au cours de ses voyages en Perse et en Russie. Il avait aussi eu l’occasion de montrer certains objets à des personnes susceptibles de l’informer directement, notamment un groupe de captifs inuits. Il est cependant clair que le comparatisme lui apparaissait comme une méthode privilégiée pour identifier les objets ethnographiques dont la nature lui restait inconnue ; un comparatisme reposant essentiellement sur des sources livresques. C’est dans les ouvrages savants, catalogues de collections, récits de voyages et autres qu’il avait réunis, étudiés et même parfois faits éditer que le conservateur de Gottorp, lui-même un voyageur et un auteur expérimenté, puisait ses connaissances.

20Ainsi, l’année 1666 ne coïncida-t-elle pas seulement avec la parution du catalogue de la collection ducale, mais aussi avec la publication, sous les auspices d’Olearius, d’un court texte sur la Barbade rédigé par Heinrich von Uchteritz. Uchteritz était un mercenaire, qui avait été fait prisonnier lors de la bataille de Worcester. En 1652, après quelques mois de détention en Angleterre, il fut envoyé dans les Caraïbes sur ordre de Cromwell, avec d’autres prisonniers de guerre ou adversaires politiques. Libéré un peu moins d’un an plus tard, il se rendit dans la province du Schleswig-Holstein30. Dans son récit, Uchteritz décrit la flore et la faune de la Barbade, ainsi que les coutumes et la religion des habitants de l’île. Il affirme que les chrétiens de la Barbade sont tous des calvinistes, célébrant l’office comme en Angleterre. Il note que les « Maures » (sans doute les esclaves africains) pensent que Dieu est incapable de faire le mal, et vénèrent plutôt le diable, espérant ainsi se protéger de sa cruauté et de sa sournoiserie31. Olearius, qui édite et annote longuement certains passages du texte, commente longuement la brève description d’Uchteritz de ce culte diabolique. Dans ce commentaire, Olearius déplore la persistance de l’idolâtrie en Orient comme dans les Amériques, alors même que « la lumineuse Parole de Dieu s’est diffusée dans le monde, par l’entremise du Rédempteur et des Évangiles ». Il cite plusieurs exemples de coutumes abominables attestées dans le royaume du Siam, dans le sous-continent indien ou aux Amériques, où l’idolâtrie, précise-t-il, est encore particulièrement vive, et où le diable peut être vénéré sous différents noms, Gaucas, Tezcatlipuca, Quetzacleoalt, et Vitzli-Putzli, et sous la forme d’un personnage affreux, terrifiant, comme celui qu’illustre la page de titre de la relation d’Uchteritz 32.

21pratiques savantespratique lettréecompilation inscription des savoirsvisualisationimagegravureCette petite gravure représente la célébration d’un culte, dans un paysage naturel et boisé. Deux hommes s’inclinent devant « Vitzli-Putzli », figure monstrueuse en forme d’oiseau, montrée de profil, assise sur un trône, menaçant les fidèles avec ses griffes (fig. 4). Olearius attire l’attention du lecteur sur cette représentation visuelle de l’idolâtrie, mais il n’en donne pas la source. Il l’avait peut-être commandée lui-même, inspiré par la description d’Uchteritz ou par une illustration représentant un thème analogue, comme on pouvait en trouver dans d’autres ouvrages de l’époque, en particulier les récits de voyage. Dans sa note, Olearius renvoie d’ailleurs à l’Historia del Nuovo Mondo de Girolamo Benzoni et aux Amériques de Théodore de Bry (dont la quatrième partie se basait sur le texte de Benzoni). L’une des nombreuses gravures servant à illustrer les cérémonies religieuses des Indiens d’Amérique dans le tome de De Bry représente une idole qui n’est pas sans évoquer l’image qui ouvre le récit d’Uchteritz (fig. 5)33.

22pratiques savantespratique rituelleLes deux textes qu’Olearius publie en 1666 mettent ainsi l’un et l’autre en évidence son intérêt pour la religion, et son souhait de documenter et représenter l’idolâtrie, afin de mieux en souligner les dangers et en condamner les diverses manifestations. De fait, sa digression sur les cultes diaboliques, qui, selon lui, continuaient d’être pratiqués en Asie ou aux Amériques, se terminait sur un avertissement explicite. Il faut remercier Dieu, écrit-il, de ne pas être né dans de tels pays ; et cependant, comme il le souligne, il existe même parmi les chrétiens des hommes et des femmes qui se livrent à l’idolâtrie et pratiquent la sorcellerie, s’exposant au juste châtiment de Dieu34.

V

23Le texte d’Uchteritz n’est pas la seule relation de voyage publiée par Olearius dans le duché de Schleswig. L’érudit de Gottorp édita également, en 1669, des Orientalische Reisebeschreibungen, contenant les relations de Jürgen Andersen et Volquard Iversen. Andersen et Iversen avaient l’un et l’autre passé de nombreuses années en Asie, au service de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, avant de mettre leurs observations et expériences par écrit. Olearius décida de publier ces relations de voyage en raison de la valeur informative qu’elles avaient à ses yeux (le texte d’Andersen était la première relation jamais écrite en allemand sur la Chine et l’Asie centrale ; celui d’Iversen était truffé d’informations sur les Moluques et le Gujarat, et notamment Surate et son grand port maritime). En sa qualité d’éditeur, Olearius eut à cœur de vérifier les informations contenues dans l’un et l’autre récit en les comparant à d’autres documents se rapportant à ces régions. Il y inséra aussi de longs commentaires.

24Andersen et Iversen avaient tous deux séjourné à Batavia, où se donnaient certainement des représentations de théâtre wayang. Il est cependant vraisemblable que les deux Allemands ne s’aventurèrent guère en-dehors des quartiers de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, situés tout au nord de la ville, près du port. De même eurent-ils sans doute assez peu de contacts avec la population locale. Bref, même si Olearius leur avait montré les objets réunis dans la Kunstkammer de Gottorp, ils auraient sans doute été incapables d’identifier une marionnette wayang kulit. Les observations d’Andersen sur les cérémonies religieuses qu’il avait pu observer restent très générales ; mais, sans surprise, Olearius porte néanmoins à celles-ci un intérêt tout particulier. Cet intérêt transpire notamment dans un long commentaire dont il agrémente le chapitre consacré aux rites idolâtres de l’Inde. L’argument y est essentiellement le même que celui formulé en marge du texte d’Uchteritz, établissant un parallèle avec les cultes diaboliques pratiqués aux Amériques. Olearius fit d’ailleurs reproduire, dans le corps du texte d’Andersen, la gravure sur laquelle s’ouvrait le livre d’Uchteritz, représentant le culte de Vitzli-Putzli (fig. 6). Sous cette illustration, Olearius ajoutait une remarque, qui me semble essentielle : il notait qu’un objet similaire, provenant du Mexique et découvert dans une maison privée, était conservé au sein de la Gottorf Kunstkammer.

25Cette note vient ainsi corroborer l’information fournie par l’inventaire de 1710, et par la remarque de Rubenius relative à sa visite de la collection de Gottorp, en 1662. Il me semble en effet qu’Olearius fait ici référence à la marionnette wayang kulit qu’évoquait le visiteur suédois, mentionnant « une idole des Indes occidentales comme ils en conservent dans leurs domiciles privés ». Peut-être Olearius avait-il, à l’époque, déjà lu l’ouvrage que Théodore de Bry avait composé à partir des écrits de Benzoni, et pensé qu’il existait en effet des correspondances entre l’idole américaine décrite par celui-ci (et illustrée dans le volume) et la marionnette en sa possession. En travaillant à l’édition du texte d’Uchteritz, et en préparant l’image qui servirait de frontispice à ce volume, il fut sans doute de plus en plus convaincu par cette hypothèse ; du moins semble-t-il avoir été convaincu du fait que cette marionnette était bien une représentation de « Vitzli-Putzli » au moment de commenter, quelques années plus tard, la relation de voyage d’Andersen dans les Orientalische Beschreibungen.

26construction des savoirstraditionreligionchristianismeprotestantismeIl me semble possible de corroborer davantage cette hypothèse en faisant un pas de côté, et en considérant brièvement une autre collection. Le savant luthérien Johann Ernst Gerhard avait réuni, à Iéna, un petit nombre d’objets provenant des Indes néerlandaises et plus précisément de Batavia, que lui avait offert une de ses connaissances de La Haye, le pasteur Johann Schelhammer 35. Il est vraisemblable que seuls les collègues et étudiants de Gerhard aient eu accès à cette collection, qui était donc relativement confidentielle. L’existence même de celle-ci nous serait probablement inconnue, n’était-ce pour un livre publié en 1667 par Christian Hoffmann, un des jeunes collègues de Gerhard. Ce volume visait à offrir un panorama des différentes religions du monde et proposait de comparer toutes ces fausses croyances à la foi véritable, c’est-à-dire le christianisme luthérien36. Il s’agissait en fait d’un mémoire présenté à l’Université d’Iéna. Hoffmann y avait inséré des gravures qui venaient illustrer en particulier la section du livre consacrée aux cultes diaboliques. Certaines de ces gravures étaient empruntées à l’Oedipus de Kircher, qu’Hoffmann citait abondamment : ainsi la « pagode » indienne évoquée plus tôt. D’autres offraient en vérité des représentations directes et très détaillées d’objets exotiques conservés dans la petite collection de Gerhard. Parmi celles-ci, l’image d’une marionnette wayang kulit, portant la légende : « Idolum Chinensium Josin dictum » (fig. 7). Comme la marionnette de Gottorp, il s’agissait de toute évidence d’un objet de belle facture, représentant une figure aristocratique. Plusieurs détails iconographiques suggèrent qu’il s’agissait, dans ce cas, d’un personnage du Mahabharata. La coiffe, en particulier, permet d’identifier Yudhishthira, l’aîné des cinq frères Pandava, protagonistes de la célèbre épopée indienne. Pour commenter cette image, Hoffmann citait la relation de voyage de Johann Jacob Saar 37. Ce soldat originaire de Nuremberg, qui avait servi près de quinze ans dans les Indes orientales, rapportait avoir assisté à un culte idolâtre pratiqué par les Chinois de Batavia et dédié à une idole dénommée « Josin »38. Il s’agissait d’une figurine en terre cuite, mesurant environ 30cm, dotée d’un visage noir, de grands yeux cernés de rouge, d’un bec de perroquet et de cornes39. C’est sur la base de cette description qu’Hoffmann interpréta la marionnette wayang kulit conservée à Iéna comme un « Josin » chinois, bien que cette marionnette, comme il le remarquait, ait été en cuir en non en terre cuit40.

27On notera donc qu’Hoffmann, à la différence d’Olearius, avait identifié l’origine géographique de cette marionnette. Mais il disposait aussi d’informations quant à la provenance de cet objet, contrairement au conservateur de Gottorp. Mis à part cela, l’un et l’autre savant s’accordaient sur la méthode et sur l’essentiel : il s’agissait forcément là d’une « idole », un « diable ». Comme Olearius, Hoffmann réunit ce qu’il put trouver d’informations complémentaires sur cet objet, son nom, sa provenance. Il adopta aussi une démarche comparative, s’appuyant sur des relations de voyage, considérées comme des documents de première main, et donc tout à fait fiables. Enfin, un autre élément me semble important pour comprendre comment ces deux savants cherchèrent à surmonter l’étrangeté fondamentale des objets et de l’iconographie à laquelle ils étaient confrontés. C’est vraisemblablement le bec de perroquet de l’« idole » chinoise décrite par Saar qui convainquit Hoffmann que ce texte pouvait être rapproché de l’artefact conservé dans la collection de Gerhard : pour lui, les traits de la marionnette javanaise évoquaient ceux d’un oiseau. La même analogie semble avoir orienté Olearius en direction de « Vitzli-Putzli », représenté lui aussi sous la forme d’un oiseau.

28Au vu du fait qu’Olearius ne disposait d’aucun renseignement sur le théâtre d’ombres indonésien et l’iconographie sophistiquée de ses marionnettes, que nos attentes influent évidemment sur nos perceptions et que la figure sombre du dieu aztèque Huitzilopochtli dominait le discours contemporain sur l’idolâtrie, il est vraisemblable que les analogies formelles entre les représentations de ce dieu et la marionnette qu’il avait sous les yeux (un personnage de profil, avec un nez proéminent, les coudes pliés, une main levée qui pointe quelque chose du doigt) lui soient apparues comme autant de correspondances factuelles établissant l’identité de l’« idole » conservée à Gottorp (notons aussi que les reliefs du motif batik qui ornent le vêtement du Prince Panji aient pu lui sembler représenter les cuisses poilues de « Vitzli-Putzli »)41. De toute évidence, dès lors que cette « idole » était assimilée à un dieu si tristement célèbre, elle devenait aussi particulièrement intéressante ; il n’est donc pas anodin qu’Olearius ait voulu fonder cette interprétation, et que cette interprétation, une fois validée par un savant si reconnu, fut ensuite acceptée par ses successeurs, et par les voyageurs visitant la Gottorf Kunstkammer. D’où le fait que cette marionnette wayang kulit était encore assimilée à une « idole de Vitzli-Putzli » lorsque Pechlin établit l’inventaire de la collection, en 1710.

VI

29matérialité des savoirssupportsupport de communicationjournal Adam Olearius mourut en 1671 sans avoir publié la suite de ses recherches sur la collection ducale. La Gottorf Kunstkammer et ses objets insolites, toutefois, continuèrent d’attirer les voyageurs érudits. Le médecin et naturaliste danois Oliger Jacobaeus, professeur à l’Université de Copenhague, visita Gottorp en juin 1674, alors qu’il voyageait à travers l’Europe. Dans son journal de voyage, à la date du 2 juin, il remarque avoir vu là un « Fisle Puzzle », autrement dit un « Vitzli-Putzli »42. Des années plus tard, Jacobaeus fut chargé par le roi du Danemark Christian V de réorganiser et enrichir le célèbre cabinet de curiosités de Copenhague, institution rivale de la Gottorf Kunstkammer. Dans l’inventaire de cette collection (dont le manuscrit, de la main de Jacobaeus, porte la date du 11 décembre 1689) on trouve ainsi une « Idole en bois des Indes orientales nommée Fisle Pusle »43. Or il s’agit là d’une marionnette wayang klitik (en bois) originaire de Java. Sans doute cette marionnette rappela-t-elle à Jacobaeus l’objet qu’il avait vu à Gottorp quinze ans plus tôt, d’où le choix de la désigner ainsi. Il notait cependant que cette « idole » venait des « Indes orientales », ce qui semble suggérer, soit qu’il avait oublié la provenance géographique attribuée à l’« idole » de Gottorp par le conservateur de la Gottorf Kunstkammer (information qui ne figure d’ailleurs pas dans son journal), soit qu’il disposait de renseignements plus précis sur l’origine « orientale » de la marionnette conservée à Copenhague. Ou alors cette question était-elle tout à fait secondaire pour lui, puisque le nom du dieu aztèque pouvait être employé pour désigner toutes sortes d’« idoles », quelle qu’en soit la provenance géographique.

30inscription des savoirsgenre éditorialinventaireUn dernier inventaire de la collection ducale de Gottorp fut réalisé sur place en 1743, quelques années seulement avant que tous les objets de la collection ne soient transférés à Copenhague, au sein du cabinet de curiosité royal, en 1751, suite aux victoires danoises dans la Grande guerre du Nord et l’annexion de la province du Schleswig-Holstein par le Royaume du Danemark. Cet inventaire très détaillé indique notamment l’emplacement de chaque objet dans la Kunstkammer. On apprend ainsi que notre marionnette wayang kulit était exposée « sur le côté nord, entre les cabinets noirs et après l’entrée sur la droite ». Celle-ci est décrite comme une « image découpée dans du cuir, probablement une idole, haute de 12 pouces »44. En marge, une note précise : « Elle est dans la salle indienne, à côté de la tour de Pékin, et il s’agit d’un Ficli Puzli des Indes occidentales »45.

VII

31Nous nous sommes concentrés ici sur un objet spécifique, conservé dans l’une des plus prestigieuses collections nord-européennes d’époque moderne. La manière dont cette marionnette wayang kulit fut considérée illustre cependant aussi plus généralement certains aspects liés à la constitution et à la réception d’un « cabinet de curiosités » dans l’Europe du XVIIème siècle, à la fois en tant qu’institution et en tant que pratique culturelle. La reconstruction proposée ici de l’interprétation d’Olearius se fonde sur un faisceau d’indices et reste quelque peu spéculative. Je pense néanmoins qu’elle nous aide à mieux comprendre certaines méthodes de travail des savants et observateurs modernes, la manière dont ils approchaient leur matériel, rassemblaient et exploitaient leur documentation, et communiquaient leurs conclusions. Il me semble surtout que cet exemple souligne l’importance épistémologique de ces objets, mais aussi des illustrations et gravures, pour le discours moderne sur l’idolâtrie. Peu importe, d’ailleurs, que ces objets ou images aient été interprétés correctement ou non : ces objets et images et leurs interprétations constituent tous deux des témoins essentiels pour qui cherche à saisir les cultures savantes de l’Europe moderne, et notamment la façon dont fut perçue, à l’époque, la diversité des religions. À cet égard, les études de cas, comme celle proposée ici, permettent d’approfondir notre compréhension du discours sur l’idolâtrie. De manière générale, le rapport des savants modernes aux objets et images à partir desquels se construit ce discours, nous invite aussi à réfléchir sur les récits d’identité et d’altérité que construisent ou reproduisent nos propres pratiques savantes.

32Le caractère contingent, ad hoc, des collections modernes est évident. La formation classique et théologique des savants et collectionneurs de l’époque déterminait largement leur perception et interprétation des objets, ainsi que leur manière de les classer. C’est cet arrière-plan qui explique comment un artefact venu de la lointaine île de Java, emblématique de l’artisanat de cour et de l’iconographie complexe et hautement stylisée propres au théâtre wayang, put être perçu comme la représentation d’un dieu dont l’image semblait à elle seule incarner l’idolâtrie dans toute son horreur. À l’intérieur du cadre épistémique des savants du XVIIème siècle, ces objets permettaient d’illustrer de façon tangible ce « culte diabolique » décrit par les marchands, missionnaires et autres voyageurs de l’époque, dans le but de montrer ce qu’était, réellement, l’idolâtrie. Ces objets acquérant ainsi un véritable statut de « preuve » matérielle. On ne saurait surestimer, je pense, le rôle de ces objets dans l’effort visant à élaborer une forme de comparaison transculturelle fondée sur l’idée que l’idolâtrie restait bien vivante et continuait de se propager, de fleurir, tant aux Indes qu’aux Amériques, constituant de ce fait un danger bien réel, une menace pour la foi. Les interprétations erronées des savants modernes n’ont rien d’arbitraire. C’est là que réside tout leur intérêt pour l’histoire des idées à l’époque moderne.

33En guise d’épilogue, il me semble que la manière dont fut, par la suite, interprétée la marionnette wayang kulit dont il a été question ici, vient éclairer ce dernier point, et le lien qui va continuer d’unir ces objets aux débats contemporains sur l’idolâtrie et l’histoire des religions. En 1775, un nouvel inventaire du Cabinet de curiosités royal de Copenhague fut réalisé. Dans ce document, la marionnette est décrite dans les termes suivants : « Image idolâtre en cuir, de forme étrange mais humaine, aux bras mobiles, sans doute un fétiche ou une idole de l’Afrique »46.

34Quinze ans plus tôt, Charles de Brosses avait introduit le terme « fétiche » dans les discussions sur l’idolâtrie. Dans un texte publié clandestinement à Genève, en 1760, Du culte des dieux fétiches ou Parallèle de l’ancienne Religion de l’Égypte avec la Religion actuelle de Nigritie, de Brosses décrivait ainsi les objets matériels associés à ce culte primitif qu’il appelait « fétichisme » et qui constituait, pour lui, la forme la plus archaïque du culte religieux. L’ouvrage suscita de vives polémiques, mais eut également une influence considérable, notamment en raison de son approche comparative et des bases nouvelles à partir desquelles il formulait la question des origines de l’idolâtrie. Le mot « fétiche », en particulier, se vit hisser au rang de catégorie centrale de l’histoire des religions, et reste d’ailleurs courant aujourd’hui encore (à tort ou à raison)47. Bientôt, donc, notre marionnette wayang kulit acquit elle aussi une nouvelle identité, et une nouvelle provenance géographique supposée ; ce qui n’empêchait pas, de toute évidence, de continuer à l’interpréter comme une « idole », un objet intriguant susceptible de valider ou d’interroger les théories, modèles classificatoires et cartographies religieuses des savants de l’époque – ce discours projeté sur un Autre qui demeure, lui, irréductiblement étranger.

35Comme de nombreux autres objets « exotiques » conservés à l’époque moderne au sein de collections privées ou publiques, la manière dont cette marionnette fut perçue, au prisme d’un discours sur l’idolâtrie et l’histoire des religions, influença durablement son interprétation ; mais, inversement, ces objets contribuèrent aussi à donner à ce discours une forme matérielle, tangible, servant ainsi eux-mêmes de prisme à travers lequel penser et interpréter l’histoire des religions.

Figure 1 - Gravure IV. Dans Adam , , Schleswig 1666 ©
                Courtesy Zentralbibliothek Zürich
Figure 1. Figure 1 - Gravure IV. Dans Adam Olearius, Gottorfische Kunst-Kammer, Schleswig 1666 © Courtesy Zentralbibliothek Zürich
Figure 2 - Frontispice. Dans Adam , , Schleswig 1674
                © Courtesy Zentralbibliothek Zürich
Figure 2. Figure 2 - Frontispice. Dans Adam Olearius, Gottorffische Kunst-Kammer, Schleswig 1674 © Courtesy Zentralbibliothek Zürich
Figure 3 - Marionnette wayang kulit représentant le
                Prince Panji. Musée national du Danemark, Inv. No. Ha.1 ©
                Courtesy National Museum Copenhagen
Figure 3. Figure 3 - Marionnette wayang kulit représentant le Prince Panji. Musée national du Danemark, Inv. No. Ha.1 © Courtesy National Museum Copenhagen
Figure 4 - Page de titre. Dans Heinrich , , Schleswig 1666 © Courtesy John Carter
                Brown Library, Providence, RI
Figure 4. Figure 4 - Page de titre. Dans Heinrich Uchteritz, Kurtze Reise-Beschreibung, Schleswig 1666 © Courtesy John Carter Brown Library, Providence, RI
Figure 5 - Cérémonies religieuses et idoles des Indiens
                (détail). Dans Théodore , , Frankfurt am Main
                1594 © Courtesy Zentralbibliothek Zürich
Figure 5. Figure 5 - Cérémonies religieuses et idoles des Indiens (détail). Dans Théodore de Bry, Americae, Pars quarta, Frankfurt am Main 1594 © Courtesy Zentralbibliothek Zürich
Figure 6 - Page 58 (détail). Dans Adam , ,
                Schleswig 1669 © Courtesy Staatliche Bibliothek
                Regensburg
Figure 6. Figure 6 - Page 58 (détail). Dans Adam Olearius, Orientalische Reysebeschreibungen, Schleswig 1669 © Courtesy Staatliche Bibliothek Regensburg
Figure 7 - Gravure d’une marionnette wayang kulit. Dans
                Christian Hoffmann, , Iéna
                1667 © Courtesy Biblioteca Nazionale Centrale di
                Firenze
Figure 7. Figure 7 - Gravure d’une marionnette wayang kulit. Dans Christian Hoffmann, Umbra in luce, Iéna 1667 © Courtesy Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze
Notes
1.

Schepelern, 1981 ; Schepelern, 1985. Cf. aussi Cook, 2007.

2.

Cf. ses relations de voyage : Olearius, 1647, et Olearius , 1656.

3.

Les cabinets de Gotha et de Brandebourg, ainsi que celui de Copenhague, datent de la même époque.

4.

Olearius, 1666. Sur Olearius cf. Baumann, et al. 2017.

5.

Ibid., introduction, s.p., et p. 1. Cf. Findlen, 1994 ; Jorink, 2010.

6.

Pour une réflexion terminologique : Hodgen, 1964. Sur les fonds ethnographiques : Collet, 2007 ; Bleichmar et Mancall, 2011 ; Collet, 2014.

7.

Il déclare vouloir traiter des artificialia (objets et représentations fabriqués par l’homme) et des scientifica (horloges, astrolabes, automates, etc.) dans des volumes ultérieurs, mais il ne pourra réaliser ce projet en raison de sa mort prématurée en 1671.

8.

Olearius, 1666, introduction, s.p.

9.

Pour une description de cette rencontre, cf. Olearius, 1656, vol. 3, chap. 4, p. 163-179. Cf. Hill, 2017.

10.

Dans sa Reysebeschreibung, 1656, Olearius note également le paganisme des Groenlandais et décrit brièvement une figurine du fonds Gottorp, qui faisait originellement partie de la collection de Paludanus, en expliquant que les Groenlandais l’avaient reconnue lorsqu’il la leur avait montrée. Il s’agit sans doute de l’artefact qu’Olearius reproduit dans la gravure IV (« Abgott der Nordländer bey der Strate Davis ») sans mentionner sa provenance.

11.

Cf. Spielmann 1997. La statue du Bouddha mesure 17 cm de haut, et les figurines représentant un Ouchebti et Osiris 11 et 20,3 cm respectivement. On n’a aucune trace de l’ « idole nordique », mais selon Olearius elle mesurait une demi-aune, donc 25 cm environ.

12.

Olearius, 1656. Sur les icones, cf. vol. 3, chap. 26, p. 294-298.

13.

Kircher, 1652, Syntagma V Simia Aegyptia sive De Idololatriae Aegyptiacae ad aliarum Barbararum Gentium idololatriam affinitate, p. 396-424.

14.

Cf. von Wyss-Giacosa, 2012 et von Wyss-Giacosa (à paraître).

15.

Cf. Lemme « Pagode » dans Yule et Burnell, 1903 (1886).

16.

Cf. von Wyss-Giacosa, 2017.

17.

Dam-Mikkelsen et Lundbaek, 1980, p. 140, inv. n° EHa1.

18.

Cf. Mulsow, 2005 ; Sheehan, 2006 ; Rubiés, 2006 ; Bernand et Gruzinski, 1988 ; Barbu 2016b; Stroumsa, 2017; Ginzburg, 2019.

19.

Zytaruk, 2011 ; Bann, 1995 ; MacGregor, 2007.

20.

Les manuscrits de Rubenius se trouvent à la bibliothèque royale de Stockholm. Cf. Spielmann, 1997, p. 16-19.

21.

Cf. Spielmann, 1997, p. 18. Dans une publication commémorative de 1666, un aristocrate issu des Balkans, Alexander Julius Torquatus a Frangipani, mentionne également les idoles présentées à la Kunstkammer : « Barbarorum, diversi & horribiles vultus, habitus, colores, ora, arma, redimicula, atque variae idolorum species. » Spielmann, 1997, p. 15.

22.

« Der Americanische Abgott Vitzli-Putzli in Papier geschnitten. » Cf. Dam-Mikkelsen et Lundbaek, 1980, p. 140 ; Spielmann, 1997, p. 61.

23.

Pour une introduction générale sur le Wayang cf. Scott-Kemball, 1970 ; Van Ness et Prawirohardjo, 1980 ; Angst, 2007.

24.

Huitzilin signifiant « colibri » en Nahuatl, cet oiseau permettait de visualiser la composante phonétique principale du nom de ce dieu.

25.

Cette tradition iconographique remonte au début du XVIème siècle. Cf. le « Deumo » ou « idole of Calicut » dans l’édition allemande de l’Itinerario (1515) de Ludovico de Varthema, illustrée par Jörg Breu l’Ancien.

26.

Sur Vitzli-Putzli cf. Boone, 1989, surtout p. 55-83. Cf. also Anders, 1992.

27.

Wulff, 1973.

28.

Nielsen, 2009, ici p. 28 ; cf. Boone, 1989.

29.

Cf. Schepelern, 1981, et van Gelder, 1998.

30.

Gunkel et Handler, 1970.

31.

Uchteritz, 1666, p. 8 >-9.

32.

Olearius, dans Uchteritz, 1666, p. 20-22.

33.

Il n’est d’ailleurs pas inintéressant que des auteurs plus tardifs aient choisi de regrouper sur la même page la gravure qui orne le frontispice du texte d’Uchteritz avec d’autres illustrations représentant des idoles tirées des livres de Benzoni et de de Bry. Cf. notamment le compilateur allemand Erasmus Francisci dans son Neu-polirter Geschicht-, Kunst- und Sittenspiegel, Nuremberg, 1670, vol. 3, gravure XVIII, p. 986.

34.

Olearius, dans Uchteritz, 1666, p. 22.

35.

Schelhammer avait sans doute acheté ces orientalia. Les employés de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales envoyaient ou ramenaient (légalement ou illégalement) beaucoup d’objets en Hollande, sachant qu’ils se vendaient bien en Europe. Bien qu’il fût évidemment avantageux d’avoir des contacts dans cette compagnie, le commerce de ces objets constituait un marché dynamique. Cf. Noordegraaf et Wijsenbeek-Olthuis, 1992.

36.

Sur Umbra in Luce cf. Ben-Tov (à paraître).

37.

Saar, 1662.

38.

Cf. Hobson-Jobson, Yule et Burnell, 1903 (1886), variante du lemme « Joss » : « idole, corruption du vocable portugais Deos (Dieu), initialement un emprunt du portugais par le pidgin des ports chinois, puis un emprunt de ce pidgin par les Européens, pensant qu’il s’agissait d’un mot chinois ».

39.

Il s’agit sans doute d’une description de Lei Gong, divinité du tonnerre dans la Chine populaire.

40.

Hoffmann, 1667, s.p., chap. 2, § XX.

41.

Ces marionnettes étaient relativement rares dans les collections européennes d’époque moderne. Il semble également que les Européens n’aient, dans l’ensemble, pas eu accès aux performances du théâtre d’ombres javanais et balinais, et que ces marionnettes n’aient pas été exportées ou fait partie des cadeaux qui s’échangeaient entre diplomates, contrairement aux fameux poignards javanais (kris, kriss, ou keris) par exemple.

42.

Cité dans Dam-Mikkelsen et Lundbaek, 1980, p. 140.

43.

Dam-Mikkelsen/ et Lundbaek, 1980, p. 140, Inv. n° EHa2.

44.

Dam-Mikkelsen/ et Lundbaek, 1980, p. 140, Inv. n° EHa2 ; Spielmann, 1997, p. 365.

45.

Wulff, 1973, p. 114.

46.

Dam-Mikkelsen et Lundbaek, 1980, p. 140.

47.

Pietz, 1985, 1987, 1988 ; Murray, 2003 ; Freeman, 2014 ; Barbu 2016 ; de Brosses, et al., 2017.

Appendix A Bibliographie

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