Geoffrey E.R. Lloyd

1typologie des savoirsdisciplinessciences appliquéesmédecine acteurs de savoircorpssantéLa santé et le bien-être sont des notions aussi peu simples que la maladie et le malaise. Quant à ceux-ci, nous pouvons distinguer, en premier lieu, entre une sensation subjective (le malaise : « illness » en anglais : je ne me sens pas bien) et la définition objective d’une condition bio-médicale (« disease »). C’est une distinction analytique fort utile lorsqu’une telle détermination bio-médicale est possible. De nos jours, évidemment, il est souvent possible de donner un diagnostic assuré pour beaucoup de maladies qui auraient laissé les médecins d’antan tout-à-fait perplexes ou ignorants — par exemple quand ils étaient confrontés à ce que nous appellerions la tuberculose ou le paludisme, ou même aux oreillons. Les causes de la plupart des maladies sévères, dites « aiguës », que rencontraient les médecins grecs ou chinois — comme aussi babyloniens, égyptiens ou indiens — échappaient à leurs compétences diagnostiques et à leurs théories pathologiques. Ils s’efforçaient donc de classifier les affections selon leurs substances pathogènes supposées. C’est-à-dire que les Grecs parlaient, par exemple, des humeurs (quoique la théorie des quatre humeurs ne fût pas standardisée avant Galien, au deuxième siècle de notre ère), tandis que pour les Chinois il s’agissait souvent deqi hétéropathique ou dévié,xie qi. Ou encore les maladies aiguës étaient classifiées selon leurs périodicités observées, comme quartes, tierces, semi-tierces, une classification qu’on pouvait rendre exhaustive en y ajoutant une catégorie résiduelle, pour accommoder les fièvres « irrégulières ».

2pratiques savantespratique discursivedescriptionNombre d’historiens courageux se sont hasardés à suggérer des diagnostics rétrospectifs pour les maladies anciennes d’individus, ou même pour des épidémies générales. Bien entendu, nous possédons des informations intéressantes et assez détaillées sur des cas individuels, non seulement, pour la Grèce, dans les fameux livres desÉpidémies, mais aussi pour la Chine, en commençant par la biographie du médecin Chunyu Yi, qui vécut au deuxième siècle avant notre ère (sa biographie se trouve dans la première grande histoire universelle chinoise, leShiji, compilée par Sima Tan et son fils Sima Qian au début du siècle suivant). Du côté grec, Mirko Grmek a identifié certaines maladies anciennes avec quelques succès, mais, au cours de son magnum opus,Les Maladies à l’aube de la civilisation occidentale (1983), il a souvent eu raison de souligner que le manque de précision des descriptions originales excluait un diagnostic rétrospectif certain. Dans ces conditions, la seule chose à faire est d’identifier des maladiespossibles, avec lesquelles au moins quelques-uns des symptômes s’accordaient, bien que presque toujours il y en eût d’autres qui n’y correspondaient pas.

3Mais si les descriptions anciennes de maladies ne s’accordent pas bien avec le diagnostic moderne, la situation en ce qui concerne l’antonyme de la maladie, c’est-à-dire la santé, est encore plus complexe et problématique. Toutefois, si nous faisons bien attention, une étude des représentations de la santé pourra éclairer non seulement les théories et les pratiques médicales, mais aussi les valeurs et les idéaux que ces sociétés anciennes reconnaissaient. Il s’agit des valeurs non seulement des médecins eux-mêmes, mais aussi des membres des sociétés auxquelles ils appartenaient — des plus fameux philosophes jusqu’aux gens ordinaires —, dont les opinions sont décrites dans nos sources, avec, bien entendu, plus ou moins d’exactitude. Ainsi dans cette conférence je voudrais exploiter, au maximum, la possibilité d’un tel élargissement du champ d’investigation de la médecine ancienne.

4acteurs de savoircorpssantéTout d’abord je dois expliquer les limites de mon enquête et identifier mes sources. Étant donné que nous nous intéressons aux notions de santé et de bien-être au sens le plus large, il ne faut pas nous limiter aux textes médicaux classiques, mais plutôt considérer d’autres types de littérature qui, eux aussi, peuvent nous apprendre comment ces termes furent conçus. En Grèce aussi bien qu’en Chine des rapports importants existaient entre ce que nous pouvons appeler des experts professionnels de la santé d’une part, et les non-spécialistes d’autre part. Dans les deux civilisations les soi-disants experts n’étaient pas tous absolument du même type (dans un moment je dirai un mot sur le pluralisme de la médecine en Grèce et en Chine), mais dans le cours de leur pratique, dans leur rapport avec les malades, ils avaient tous acquis une connaissance considérable. Mais nous pouvons consulter aussi d’autres écrivains — historiens, poètes, cosmologistes, philosophes — qui peuvent éclairer les présupposés généraux qui opéraient dans ces deux sociétés.

5Ainsi du côté grec, outre les traités hippocratiques des cinquième et quatrième siècles avant notre ère et les œuvres d’autres praticiens jusqu’à la basse antiquité, nous pouvons consulter les observations des historiens tels qu’Hérodote et Thucydide (Hérodote parle assez souvent, comme vous le savez, de la folie et d’autres maladies, et Thucydide nous a laissé sa fameuse description de la peste à Athènes). N’oublions pas que nous trouvons des théories de la médecine non seulement chez les médecins, mais aussi chez les philosophes. Les intérêts que Platon montrait dans ce domaine sont particulièrement frappants, nous allons le voir.

6pratiques savantespratique lettréecompilationArrêtons-nous un peu plus longuement sur les matériaux chinois, car ils sont sans doute moins bien connus. Les principales sources médicales anciennes se divisent en trois catégories majeures. Nous avons d’abord les textes médicaux récemment découverts, surtout dans les tombes de Mawangdui et de Zhangjiashan (cf. Harper 1998). Ces tombes furent fermées vers le milieu du deuxième siècle avant notre ère, ce qui nous fournit un terminus ante quem pour les textes qu’elles contiennent. Deuxièmement, nous avons la biographie du médecin Chunyu Yi, que j’ai signalée tout à l’heure. Notre troisième source est composée des écrits qui forment le grand classique médical, leHuangdi neijing, dont les deux premières recensions, leLingshu et leSuwen, nous présentent des textes compilés au début de notre ère. Mais, en Chine comme en Grèce, nous trouvons d’autres sources non-spécialisées, qui éclairent, elles aussi, les idées courantes ayant rapport à la santé et à la maladie. Il s’agit surtout des deux grandes compilations cosmologiques, leLüshi chunqiu, assemblé sous la direction de Lü Buwei avant 236 avant notre ère, et leHuainanzi, assemblé par Liu An, le roi de Huainan, environ cent ans plus tard.

7construction des savoirséducationapprentissageEt les Grecs et les Chinois étaient conscients d’un problème fondamental qui peut nous servir de point de départ. Souvent un individu dit qu’il va bien, mais en réalité il est malade. Les apparences sont souvent trompeuses, et la question alors se pose : comment savoir si une personne est vraiment en bonne santé ? Qui peut décider si elle est malade ou non, et si oui, de quelle maladie elle souffre ? En Chine, par exemple, un des cas médicaux décrits par Chunyu Yi concerne une jeune esclave dont le maître soutient qu’elle va tout-à-fait bien (il vient de l’acheter à un prix élevé). Mais Chunyu Yi n’est pas d’accord — et l’on découvre qu’il a bien raison. D’où la morale : seuls les médecins bien formés sont capables de répondre à ces questions. Cependant, il importe aussi d’apprécier un point sur lequel plusieurs anthropologues médicaux ont insisté : à savoir qu’il existe des sociétés où l’on ne trouve aucun groupe de médecins spécialistes, où ce sont les souffrants eux-mêmes qui décident qu’ils sont malades. Gilbert Lewis (1975) a décrit une telle situation parmi les Gnau en Nouvelle Guinée. Là les individus qui ne se sentent pas bien se déshabillent, se couvrent le corps de cendres et se couchent au fond de leur cabane. Bien entendu, leur famille et leurs amis sont inquiets et tâchent de les aider. Mais il n’existe pas de professionnels qui s’occupent de la santé, pas de médecins déclarés qui se chargent de soigner le malade. Ce sont les malades eux-mêmes qui décident comment ils se sentent. Quand ils se sentent mieux, ils se lavent, s’habillent et rejoignent la société.

8construction des savoirsvalidationautoritéNous trouvons ainsi une première indication sur l’importance de la notion d’autorité en ce qui concerne la médecine en Grèce et en Chine. L’une et l’autre société comprenaient des médecins — voire plusieurs types de guérisseurs, nous allons le voir. Pourtant il ne faut pas surestimer le degré de leur professionnalisation. Ni en Chine ni en Grèce anciennes les médecins n’acquéraient des qualifications officiellement reconnues, c’est-à-dire des licences médicales qui les autoriseraient à pratiquer la médecine. Un médecin n’affichait pas à sa porte une plaque de bronze annonçant des qualifications officielles telles que « Le Docteur XY ». Tout au plus pouvait-il déclarer qu’il avait été l’apprenti d’un autre médecin, qu’il avait lu les livres sur ce sujet et avait lui-même beaucoup appris en pratiquant la médecine. Mais les réputations étaient fragiles et dépendaient autant des perceptions du public, ou même de l’imagination des gens, que de résultats concrets et objectifs. Si un médecin pouvait annoncer quelques succès remarquables, une telle publicité était très avantageuse pour lui. Des personnages mythiques tels que Bian Que en Chine ou Asclépios en Grèce étaient réputés avoir même ressuscité des morts — mais de telles histoires étaient bien entendu purement mythiques. Néanmoins, des personnages historiques tels que Chunyu Yi et Galien profitaient beaucoup du fait qu’ils comptaient parmi leurs clients ou des princes ou des empereurs, quoique ceci comportât aussi des désavantages : s’ils n’arrivaient pas à guérir leurs augustes malades, des conséquences néfastes pouvaient s’ensuivre. Dans saPrognosis Galien nous décrit, en grand détail et avec complaisance, comment il a bien soigné l’empereur Marc Aurèle, tout en faisant observer que ses succès parmi ses clients romains prestigieux donnaient lieu à beaucoup de jalousie parmi ses collègues.

9pratiques savantespratique rituelle acteurs de savoiracteur non humainêtre surnatureldivinitéLe pluralisme des professionnels de santé et la concurrence entre divers individus et groupes constituent des caractéristiques récurrentes de la médecine grecque. (Je vais maintenant m’occuper plus longuement des Grecs, avant de retourner plus tard aux Chinois). Au cours de la période hippocratique une rivalité considérable sévissait entre ceux qui soutenaient que les maladies étaient naturelles, et ceux qui invoquaient les dieux ou lesdaimones comme causes possibles de maladies et aussi comme sources potentielles de remèdes. Au cinquième siècle, comme vous le savez, la médecine divine offrait des traitements dans les sanctuaires d’Asclépios à Épidaure, à Athènes, à Cos et ailleurs ; mais des purificateurs itinérants et des vendeurs d’amulettes et d’incantations circulaient aussi, comme nous en informent non seulement l’auteur du traité hippocratiqueSur la maladie sacrée, mais aussi Platon. Ces purificateurs-là prétendaient savoir quelle divinité était responsable des différentes formes de la maladie sacrée et se vantaient aussi d’être capables d’administrer la purification appropriée. De telles purifications consistaient surtout en charmes ou en incantations, mais aussi en prescriptions diététiques. L’auteur hippocratique rejette de telles prétentions, qui sont pour lui des mystifications inventées par des charlatans désireux d’exploiter des gens crédules.

10Théophraste, aussi bien que les sources médicales, nous parle d’autres groupes encore, lesrhizotomoi, collecteurs de racines, lespharmakopolai, vendeurs de drogues, et le groupe important des guérisseuses. Les auteurs hippocratiques ne les appellent jamais « médecins » : ils parlent plutôt demaiai, « sages-femmes », par exemple. Des inscriptions plus tardives nous informent pourtant que certaines guérisseuses étaient très respectées et remportaient de grands succès. Sans doute les femmes préféraient-elles se tourner tout d’abord vers elles quand elles se sentaient malades ; et l’expertise médicale de ces femmes ne se limitait certes pas aux complications associées à l’accouchement, en dépit de la traduction conventionnelle demaiai par sages-femmes.

11acteurs de savoiracteur non humain pratiques savantespratique discursiveconversation espaces savantslieusanctuaireUn malade grec du cinquième siècle avant notre ère avait donc un choix déconcertant de guérisseurs possibles. Les malades qui se présentaient aux temples y passaient la nuit, et à leur réveil le personnel du temple interprétait leurs rêves, ou bien les malades se sentaient et se proclamaient déjà guéris. À Épidaure, à en croire les inscriptions affichées dans le sanctuaire, cent pour cent des malades guérissaient. Comme je l’ai déjà indiqué, d’autres guérisseurs favorisaient les charmes et les incantations, et il ne faut pas sous-estimer les effets psychologiques que celles-ci pouvaient produire. Même les médecins naturalistes comptaient beaucoup sur les effets salutaires d’une simpleconversation avec leurs clients, non seulement pour mieux comprendre ce qu’ils éprouvaient, mais aussi comme une procédure qui elle-même pouvait être rassurante. Parmi les traitements plus concrets on utilisait des drogues, dont certaines, soit végétales soit minérales, étaient très toxiques, j’y reviendrai.

12Un des aspects assez surprenants de la situation était le fait que, même si les traitements différaient énormément les uns des autres, ceux qui les proposaient utilisaient parfois le même vocabulaire que leurs rivaux pour expliquer leur pratique (cf. Lloyd 2003). Les vendeurs de charmes n’étaient pas les seuls à offrir des « purifications ». Nombre de médecins hippocratiques « purifiaient » eux aussi leurs patients, mais par là ils entendaient non pas une purification de type rituel, mais plutôt une « purgation », par exemple un émétique. Tout se passe comme si les malades eux-mêmes supposaient — ou comme si ceux qui les soignaient supposaient qu’ils supposent — qu’il leur fallait quelque sorte dekatharsis, laquelle était néanmoins interprétée de façons très différentes selon le style de médecine qui était pratiqué. Parmi les hippocratiques et même les médecins plus tardifs, comme Galien, les justifications avancées pour les diagnostics et les thérapies différaient énormément. Ainsi dans la théorie selon laquelle la déplétion et la réplétion étaient causes des maladies, la saignée était parfois proposée comme remède contre la réplétion ; mais d’autres se méfiaient de cette explication et même de ce traitement.

13En effet dans le Corpus Hippocratique toute une série de textes attirent l’attention sur le danger de plusieurs traitements répandus. Ils soulignent par exemple les risques de la saignée pour une femme enceinte. Le traitement qui consistait à réduire au minimum la nourriture du malade est critiqué par quelques auteurs qui disent qu’en suivant ce traitement certains malades sont effectivement morts de faim. J’ai mentionné que certaines drogues étaient toxiques, et certains médecins étaient pleinement conscients du fait qu’une dose exagérée était très dangereuse. Mais qui pouvait définir exactement une dose exagérée ? Vous savez bien que le mot qui désignait une drogue, un médicament,pharmakon, désignait aussi le poison. Nombre de traitements chirurgicaux étaient épouvantables. Quelques-unes des techniques mécaniques adoptées pour les réductions de fractures ressemblaient fort aux instruments de torture que les Grecs utilisaient dans les tribunaux pour arracher à un témoin esclave une déposition. Je pense au fameux banc hippocratique, et à la technique de la succussion, où le malade était attaché, parfois la tête en bas, à une échelle, laquelle était ensuite jetée avec force contre le sol : c’était une méthode employée non seulement pour réduire les dislocations mais même, quelquefois, dans des cas d’accouchement difficile.

14La situation concurrentielle dans laquelle les médecins travaillaient était telle que certains parmi eux ont inventé des traitements spectaculaires exprès pourimpressionner les gens. Les auteurs des traités chirurgicaux critiquent ceux qui favorisaient des interventions chirurgicales spectaculaires. L’auteur desArticulations (ch. 42, Littré IV, 182,15sq.) attaque ceux qui utilisent la technique de la succussion sur une échelle pour réduire la gibbosité. Ces médecins-là sont ceux qui veulent laisser la foule bouche-bée. « La foule, en effet, est saisie d’admiration quand elle voit un homme ou suspendu ou lancé en l’air ». Les gens applaudissent ces performances, « sans plus s’inquiéter de ce qu’a été le résultat, bon ou mauvais, de la manœuvre ». Le traitéDes fractures (ch. 42, Littré III, 414, 1sq.) critique lui aussi les praticiens qui « se font une réputation d’habileté » moyennant leurs traitements ultra-sophistiqués des bras cassés : « dans notre art bien d’autres points sont jugés de la sorte ; le nouveau, dont on ignore encore l’utilité, est loué plus que la méthode habituelle dont l’efficacité est déjà connue, et les choses étranges le sont plus que les choses évidentes de soi ».

15Cependant, à côté des extravagances des exhibitionnistes, on trouve aussi des auteurs dont l’attitude envers le traitement est plus minimaliste et défensive. Beaucoup de médecins comptaient sur lavis curatrix naturae. Ils recommandaient au malade beaucoup de repos et un régime aussi modéré que possible. Plus remarquable encore est le fait que beaucoup d’auteurs hippocratiques reconnaissent franchement leurs propres échecs. Il est bien connu qu’environ soixante pour cent des cas rapportés dans les livres i et iii desÉpidémies se terminent par la mort du malade. On trouve même des médecins qui reconnaissent qu’ils étaient eux-même responsables d’une issue mortelle causée par leurs traitements fautifs1. (Ils ne se sentaient nullement menacés, évidemment, par un procès civil de mauvaise pratique – une obsession parmi beaucoup de médecins de nos jours, aux États-Unis en particulier). L’auteur desArticulations (ch. 47, Littré IV, 210, 9sq.) raconte qu’il a essayé en vain de réduire une gibbosité congénitale en gonflant une outre à vin sous la bosse : « mais cet essai ne m’a pas réussi. Quand l’extension était vigoureuse, l’outre restait affaissée, et l’air ne pouvait y être introduit… Si, au contraire, je ne donnais à l’extension que peu de force, l’outre était sans doute gonflée par l’air, mais le rachis du blessé se cambrait en entier, au lieu de se cambrer là où besoin était ». Il termine son rapport en expliquant pourquoi il a raconté cet échec : il l’a fait précisément pour que les autres puissent s’instruire de ses erreurs à lui.

16Ces récits remarquables des échecs des traitements médicaux et de leurs incertitudes rendent encore plus surprenants les thèmes dont je vais parler maintenant. Alors que certains des médecins eux-mêmes manifestent beaucoup moins d’assurance, quelques-uns des auteurs non-médecins nous donnent l’impression fort paradoxale qu’ils sont, eux, des experts en la matière. Vous vous souvenez que Thucydide se présente comme une autorité sur la peste à Athènes. Nombreux sont les écrivains qui suggèrent qu’ils savent ce qui est vraimenthugies, un terme qui s’applique, comme vous le savez, non seulement à ce qui est « sain » dans un sens strictement médical, mais aussi à tout ce qui est bon ou solide dans d’autres contextes généraux. Les philosophes surtout soutenaient que le bien-être dépendait d’unemens sana in corpore sano. L’harmonie entre le corps et l’esprit est un thème cher à beaucoup d’auteurs, y compris Platon, qui, en outre, développe une théorie sophistiquée des conflits qui peuvent faire rage entre les trois parties de l’âme.

17Aussi, selon les philosophes, ce sont eux, les philosophes, qui savent comment obtenir le vrai bien-être, le vrai bonheur, parce qu’ils sont les médecins de l’âme. À l’époque hellénistique, et les Stoïciens et les Épicuriens maintenaient quel’ataraxia était essentielle au bonheur. Mais, quoique d’accord sur ce point-là, ils s’opposaient violemment quant à la nature d’une telle absence de trouble : dépendait-elle de la vertu ou du plaisir ? Le désaccord qui régnait parmi les médecins quant à la définition de la santé se reflétait donc dans les controverses à propos du « bien » chez les philosophes. Mais rien ne les décourageait : ils continuaient à prétendre que c’était bien eux qui savaient comment produire de l’ordre dans l’âme, et ce que c’était que le vrai bonheur.

18Ces controverses touchaient aussi, bien entendu, à la philosophie politique, où l’image du corps politique, avec toutes ses maladies, se trouve dans les écrits de toute une gamme d’auteurs, même si ceux-ci demeuraient en désaccord sur la nature de ces maladies et sur les moyens d’assurer la santé de l’État. L’un après l’autre les philosophes expliquent comment se débarrasser de ceux qui dérangent le bon ordre de l’État. Platon, surtout, dans lesLois, 735 csq., décrit d’une façon graphique comment il faut purger l’État des non-conformistes : les punir, soit en les exilant, soit en les condamnant à mort. Toutefois la question de savoirqui devait identifier ceux qui bouleversent le bon ordre de l’État demeurait évidemment extrêmement controversée. Comme récemment l’exemple de Margaret Thatcher en Angleterre l’a largement démontré, les politiciens sont toujours naturellement enclins à considérer ceux qui s’opposent à eux comme des éléments pathogènes qui affligent le corps politique.

19Il existe un trait commun à ces recours aux images de la santé et de la maladie : une revendication implicite à l’objectivité. En principe, pensait-on, le bien et le mal dans les domaines moraux et politiques sont aussi déterminables objectivement que le sont la santé et la maladie. Personne ne veut être malade ; tout le monde désire la santé. Si l’on ne jouissait pas d’une bonne santé (et il y avait toujours la possibilité que l’on se crût bien portant tout en ne l’étant pas), un traitement était nécessaire, administré par les spécialistes dans le domaine. Mais en politique ces spécialistes étaient les philosophes politiques ou bien les politiciens eux-mêmes. C’étaient eux les experts : il ne fallait donc pas contester leurs décisions. Mais l’inconvénient qu’un tel argument négligeait, c’est qu’une expertise dans le domaine du bon gouvernement et de la bonne façon d’assurer le bonheur et la vertu n’est pas du tout la même chose qu’une expertise dans le champ de la santé et de la maladie.

20construction des savoirstraditionmythologie espaces savantsterritoireétatSi l’objectivité est un des thèmes récurrents de l’exploitation des images de la santé et de la maladie, il en existe un autre, qui est l’idée associée de l’autorité, la notion qu’il y avait vraiment certaines personnes qui pouvaient parler avec assurance, voire avec certitude, à propos du bien et du mal dans les domaines moraux et politiques, et dont les déclarations n’admettaient pas de contradiction. Même si l’on voulait soulever des objections, il fallait — selon l’analogie médicale — accepter leurs décisions. De même qu’il fallait accepter les traitements désagréables que le médecin prescrivait pour vous guérir, il fallait avaler le remède politique, si désagréable qu’il fût. Selon Platon, les rois-philosophes de saRépublique sauront dispenser les drogues,pharmaka, capables d’assurer le bien-être de l’État idéal. Mais cespharmaka-là se révèlent être des mensonges, par exemple des récits mythiques à propos des diverses races d’hommes, d’or, d’argent et de bronze, récits fabriqués exprès pour persuader les masses populaires d’accepter leur place dans le grand dessein des choses et même pour justifier les idées eugénistes de Platon (République, 414 bsq., 459 c). Dans son État idéal, la reproduction serait rigoureusement contrôlée, mais, selon lui, les gens ne s’y opposeraient pas, pourvu qu’ils soient manipulés de sorte qu’ils croient au mythe des métaux. Ce sont des mensongesnobles, car ils sont destinés à garantir le bien-être de l’État. Mais tout de même, ce sont bien des mensonges.

21pratiques savantespratique intellectuelleanalogieÀ mon avis, l’aspect le plus étonnant de cette exploitation de l’analogie de la médecine est le suivant. Les philosophes adoptent avec enthousiasme l’analogie établie entre eux-mêmes et les experts médicaux : dans le domaine de la politique comme en médecine on peut prétendre à une infaillibilité et dans le diagnostic et dans les traitements. Mais là ils semblent ne prêter aucune attention aux incontestables limitations de la médecine grecque ancienne. Ils oublient ce que beaucoup de médecins eux-mêmes disent à propos de leurs incertitudes et de leur impuissance face à de graves maladies.

22Mais il y a encore une constatation ironique à faire : tandis que les philosophes se présentaient souvent, on l’a vu, dans le rôle de médecins de l’âme et du corps politique, il y eut des médecins qui montèrent une contre-attaque. J’ai noté tout-à-l’heure que les plus importants groupes de philosophes hellénistiques soutenaient que la philosophie était essentielle pour le bonheur et le bien-être de l’âme. Eh bien, au deuxième siècle de notre ère, Galien riposta. Dans un petit traité consacré à la proposition que « les facultés de l’âme dépendent du corps », il démontrait que le caractère et l’intelligence d’un individu dépendent d’un bon régime physique. Dès lors, si l’on voulait devenir une personne meilleure, plus vertueuse, plus intelligente, ce qu’il fallait faire c’était s’en remettre à Galien, qui, lui, saurait prescrire un mode de vie propre à satisfaire à ces aspirations.

23acteurs de savoircorpssantéLes quatre constatations les plus importantes que nous pouvons retenir du matériel grec sont les suivantes. D’abord les concepts de santé et de maladie servaient souvent de base à un discours sur le bien et le mal en général. Deuxièmement, les opinions offertes à propos du bien et du mal prétendaient à une objectivité qu’impliquait l’analogie médicale. Troisièmement, une fois acceptée cette analogie, les soi-disants experts dans les domaines de la politique et de la morale pouvaient réclamer une autorité quasi-incontestable pour leurs propositions. Et quatrièmement, on est frappé par le grand contraste qui sépare, d’une part, l’image du médecin que ces notions-là présentent, et, d’autre part, les réalités de la pratique concrète de la médecine en Grèce et les hésitations et les incertitudes que plusieurs médecins eux-mêmes expriment avec une honnêteté extraordinaire.

24Passons maintenant à mon autre civilisation ancienne afin de découvrir comment les choses se passaient chez les Chinois. Ici aussi, dès la période la plus ancienne, c’est-à-dire avant l’unification de la Chine par Qin Shi Huang Di en 221 avant notre ère, nous disposons de témoignages nombreux sur le pluralisme de la médecine chinoise. Plus tard Chunyu Yi mentionne à plusieurs reprises d’autres médecins qui assistaient à ses consultations. Ces derniers sont évidemment ses rivaux : ils critiquent ses diagnostics et, lui, il contredit les leurs. D’autre part, il y avait des médiums (wu) qui dispensaient des traitements et des conseils relatifs à toute une gamme de problèmes, mais qui représentent un groupe distinct de celui des lettrés auxquels Chunyu Yi appartenait. Les textes médicaux trouvés dans les tombes nous indiquent que les traitements tels que l’acupuncture et la moxibustion (la combustion d’armoise contre la peau) se sont développés peu à peu et ont subi plusieurs transformations avant de s’établir fermement dans leur forme classique. Les techniques diagnostiques et prognostiques, elles aussi, ont subi des transformations considérables. Les récits de cas médicaux notés dans la biographie de Chunyu Yi nous fournissent nos premières informations directes concernant l’emploi du pouls dans le prognostic, même si Chunyu Yi ne revendique aucune originalité en ce domaine : il fait simplement remarquer qu’il a appris ceci de ses maîtres et de certains livres qu’il nomme mais qui n’ont pas survécu.

25Ainsi, en Chine comme en Grèce, ce pluralisme se reflète dans des notions divergentes sur la santé et sur la maladie. Une des idées répandues en Chine était que les maladies résultaient de l’assaut de certaines forces invasives. Parfois on imaginait que c’étaient des démons qui causaient les maladies. Mais d’un point de vue plus naturaliste ces forces invasives pouvaient être représentées comme des facteurs physiques, des vents, ou le chaud ou le froid, qui s’efforçaient de surmonter les défenses naturelles du corps. Si l’on parvenait à les arrêter à la surface du corps, la situation n’était pas très grave. Mais s’ils parvenaient jusqu’auxin, le cœur-esprit, c’était beaucoup plus dangereux.

26Mais d’une façon plus générale on imaginait aussi que les maladies résultaient d’un déséquilibre dans les processus naturels du corps. Pour les Chinois anciens, le corps est normalement le siège des interactions harmonieuses du qi (une notion intraduisible qui recouvre et le souffle et l’énergie). Quand les Chinois parlent du qi associé à la fonction du foie, à la fonction du cœur, etc., ils pensent aux processus naturels qui s’accomplissent plutôt qu’aux organes anatomiques dont il s’agit. Mais ces processus-là sont quelquefois rompus par unqi hétéropathique, xie qi.

27Une des images répandues est celle d’une stagnation ou d’un embouteillage dans le corps. Comme en Grèce ancienne, les idées concernant ce qui est sain dans le corps s’entrecroisent avec les notions de ce qui est bon dans l’État, voire dans le cosmos tout entier. Ce ne sont pas exactement de simples analogies entre microcosme et macrocosme. Il s’agit plutôt des manifestations de processus qui se retrouvent identiques partout dans l’univers. Ainsi, en Chine comme en Grèce, la réflexion au sujet de la santé fournit une source de solutions aux problèmes beaucoup plus généraux, y compris dans la politique et la cosmologie.

28typologie des savoirsobjets d’étudecosmosPour illustrer quelques-uns de ces entrecroisements je citerai d’abord un texte médical, ensuite un texte cosmologique. Dans leHuangdi neijing le corps est imaginé comme un système bureaucratique2 . « Le système du cœur est le bureau du roi : d’où la conscience. Le système des poumons est le bureau des ministres : d’où le contrôle et la supervision. Le système du foie est le bureau du général militaire : d’où les plans et les stratégies… », et ainsi de suite pour un total de douze systèmes. Mais après avoir représenté le corps comme une bureaucratie, le texte en tire aussi des leçons pour le gouvernement. « Il ne faut pas que ces douze bureaux perdent leur coordination. Si le roi est éclairé, tous ses sujets bénéficient de la sécurité. S’il nourrit ses forces vitales selon ces règles, sa vie sera longue et se passera sans danger. S’il gouverne de cette façon tout ce qui se trouve sous le ciel,tian xia, le tout sera prospère ».

29Mais dans le cas contraire ? Le texte continue : « Si le roi n’est pas éclairé, les douze bureaux seront menacés : les routes de circulation seront bloquées et les mouvements seront empêchés. Le corps sera gravement endommagé. S’il nourrit ses forces vitales de cette façon, la catastrophe s’ensuivra. S’il gouverne ainsi tout ce qui se trouve sous le ciel, il perdra son propre patrimoine. Prenez garde ! Prenez garde ! »

30La morale implicite est que le corps et l’empire fonctionnent de la même façon. Le bien-être et le bon ordre consistent dans le passage libre, du qi dans le premier cas, de l’information et des conseils dans le second. Dans le second texte que j’ai choisi, nous trouvons des idées analogues. Ce texte fait partie d’un grand traité cosmologique du troisième siècle avant notre ère, leLüshi chunqiu. De même que Platon n’hésite pas à avancer ses propres idées anatomiques et pathologiques, ce texte chinois (non-médical), lui aussi, décrit tout d’abord le corps, dont il applique les leçons ensuite à l’État3.

« Les êtres humains ont 360 articulations, neuf ouvertures corporelles, cinq systèmes de fonctionyin, six systèmes de fonctionyang. Pour la chair, la fermeté est désirable ; dans les vaisseaux de sang, le passage libre est désirable ; dans les tendons et les os, la solidité est désirable ; dans le cœur et la volonté, une harmonie est désirable ; dans le qi essentiel, un mouvement régulier est désirable. Quand tout cela se réalise, la maladie ne trouve nulle part où se loger, et il n’y a rien d’où la pathologie puisse se développer. Quand la maladie persiste et que la pathologie se développe, c’est parce que le qi essentiel est bloqué ».

31L’auteur cite ensuite d’autres cas physiques où la stagnation est dangereuse : quand l’eau est stagnante, par exemple, elle devient fétide. Puis il applique cette idée à l’État : « Les États aussi subissent leurs stagnations. Quand la force vitale du gouvernant ne circule pas librement [c’est-à-dire quand il perd contact avec ces sujets], et que les désirs de son peuple ne lui parviennent plus, l’État tombe en stagnation. Quand la stagnation de l’État dure longtemps, une centaine de pathologies se développent simultanément et les catastrophes foisonnent. La cruauté mutuelle entre ceux qui sont en haut et ceux qui sont en bas résulte de cette situation. La raison pour laquelle les rois-sages appréciaient leurs ministres loyaux est que ceux-ci osaient parler d’une façon ouverte et rompaient ainsi les blocages ».

32Quoique quelques-unes de ces idées nous paraissent moins familières que celles de nos traditions occidentales, nous nous rendons bien compte que, tout comme en Grèce, les représentations de la santé et de la maladie véhiculaient des implications bien au-delà du contexte médical. Une des notions clefs pour les Chinois (notion qui n’est pas si loin d’une idée répandue en Grèce) était l’importance de l’ordre, au point que le même motzhi avait le sens de gouverner dans le domaine politique et de guérir dans la médecine. Son antonyme dans le vocabulaire politique était luan, chaos, que tout le monde voulait éviter à tout prix. Son antonyme dans le vocabulaire médical étaitbing, la maladie, que tous reconnaissaient comme tout aussi indésirable. Le consensus que la maladie est mauvaise renforce l’acceptabilité de l’idée qu’il faut éviter le désordre politique, quoique la question de savoir en quoi consiste le désordre politique fût tout aussi controversée en Chine que les idées équivalentes en Grèce. Mais dans les deux cas, la santé servait de base pour soutenir par analogie que les valeurs politiques, elles aussi, étaient objectives.

33Nous avons déjà noté dans nos textes grecs l’importance de l’image du médecin comme expert, bien que plusieurs auteurs médicaux parlent des limitations de leur art. En Chine aussi, Chunyu Yi admet qu’il n’est pas infaillible. Interrogé directement sur ce point, il dit que de temps en temps il se trompe dans un prognostic de mort4. Mais d’autre part, les Chinois utilisent l’image du bon médecin pour renforcer le rôle du bon conseiller politique. Les deux textes que je viens de citer affirment tous les deux que l’empereur a besoin de bons conseils. Et qui peut les fournir ? Les auteurs de ces textes eux-mêmes en premier lieu. Ils ne disent pas explicitement qu’ils sont des experts, mais il est sous-entendu qu’ils sont des autorités qui peuvent diagnostiquer le désordre, que ce soit dans l’État ou dans le corps.

34Lü Buwei, qui est responsable de la compilation qui s’appelle leLüshi chunqiu, était en effet le premier ministre de Qin Shi Huang Di, roi du royaume de Qin, celui qui allait unifier la Chine (mais fut disgracié et obligé de se suicider avant cet événement). De toutes façons, on comprend bien pourquoi il tenait à souligner le rôle du bon conseiller. Recommander une libre circulation de la communication dans le corps politique était une façon discrète de suggérer que le roi de Qin ferait bien de prêter attention aux conseils que lui-même lui offrait.

35Toutefois, que le texte médical, le Huangdi neijing, ait développé un thème semblable est un peu plus surprenant. Les médecins compilateurs de cette œuvre ne jouissaient pas d’un rang politique de grande importance. Leur propre intérêt, néanmoins, leur dictait de souligner eux aussi l’importance des conseils qu’ils offraient, des conseils qui englobaient non seulement la santé mais tout ce qui favorisait le bien-être du tian xia, tout ce qui se trouve sous le ciel. Ils expliquent au roi comment nourrir ses forces vitales, et soulignent l’importance de ce processus pour le bien-être de l’empire. Tout comme Galien prétend que, grâce à son expertise médicale, il est capable de rendre les gens plus vertueux et plus intelligents, de même les auteurs du Huangdi neijing soutiennent que la signification de leur expertise en médecine ne se limite pas au champ médical.

36Il me faut maintenant récapituler les thèmes majeurs de mon argumentation. En deux contextes, en particulier, les notions de santé et de maladie ont joué un rôle-clef dans la pensée et des Grecs et des Chinois. Ils les ont utilisées d’abord pour suggérer l’idée de l’objectivité des valeurs, ensuite pour construire une image de l’autorité des experts. Nous pouvons repérer les éléments de rhétorique communs, mais il faut faire une distinction entre ces deux usages. Nous ne pouvons pas nous passer des notions de justice, d’équité, de moralité même, mais on commet une double erreur si on représente ces notions-là comme tout aussi transparentes que la santé. D’abord, parce que la santé elle-même est beaucoup plus compliquée qu’on ne l’imagine — voilà le problème de la distinction entre santé et bien-être par lequel j’ai commencé mon exposé. Deuxièmement, parce que la justice, étant chargée des valeurs morales (et non pas seulement des valeurs en général), est chose infiniment plus complexe que la santé, et une des conséquences de l’emploi de cette analogie est de minimiser cette différence. Mais encore plus dangereuse est l’idée, bien marquée en Grèce, mais présente aussi en Chine, qu’il y a des autorités qui, en tant qu’experts dans le domaine, peuvent s’arroger le droit d’imposer leurs opinions dans les questions morales et politiques.

37De nos jours encore, dans nos évaluations négatives de ce que nous désapprouvons, nous continuons à utiliser le vocabulaire de la maladie et des malades pour occulter nos préjugés. Pour cette raison, entre autres, il vaut la peine d’examiner comment les anciens ont employé ces analogies. Chemin faisant, il nous faut nous rendre compte que les décisions raisonnables sur la justice, sur l’équité, sur la question de savoir comment éviter l’injustice et l’inégalité, entre individus et groupes et même entre nations, n’ont rien perdu de leur difficulté. Bien au contraire, trouver quoi que ce soit qui puisse passer pour un consensus dans la morale, sans parler de mettre un tel idéal en pratique, devient de plus en plus difficile dans le monde chaotique que nous habitons aujourd’hui5.

Notes
1.

On peut citer, par exemple, les cas rapportés dans les Épidémies V, ch. 27-30, V, 226, 10sq., 226, 17sq., 228, 5sq., 228, 10sq.

2.

Huangdi neijing suwen, 8 1-2, cf. Lloyd and Sivin 2002, p. 221 sqq.

3.

Lüshi chunqiu, 20, 5 : 133, cf. Lloyd and Sivin 2002, p. 223 sqq., Knoblock Riegel 2000, p. 527.

4.

Shiji 105 : 2817.

5.

Je voudrais remercier chaleureusement Janet Lloyd, Jeannie Carlier et François Lissarrague pour la traduction de mon exposé.

Appendix A

Références
  1. Grmek, M. (1983),Les Maladies à l’aube de la civilisation occidentale (Paris).
  2. Harper, D. (1998),Early Chinese Medical Literature : the Mawangdui Medical Manuscripts (London).
  3. Knoblock, J. and Riegel, J. (2000),The Annals of Lü Buwei (Stanford).
  4. Lewis, G. (1975),Knowledge of Illness in a Sepik Society (London).
  5. Littré, E. (1839-61),Œuvres complètes d’Hippocrate, 10 vols (Paris).
  6. Lloyd, G. E. R. (2003),In the Grip of Disease : Studies in the Greek Imagination (Oxford).
  7. Lloyd, G. E. R. and Sivin, N. (2002),The Way and the Word (New Haven).