Stella Georgoudi

Résumé

Réflexions et interrogations sur les textes qu’on appelle communément « lois sacrées », et qui posent une série de problèmes : problème de définition (que signifie, pour les Grecs, l’expressionhieros nomos ?) ; problème de contenu (de quoi parlent les « lois sacrées » ?) ; problème de temps (quand décide-t-on de publier, de rendre « visible » un règlement religieux ?) ; problème d’utilisateur (à qui s’adressent les « lois sacrées » et dans quel but ?). Et encore, ce type de textes, donnent-ils naissance finalement à des « normes » cultuelles durables ?

1inscription des savoirsécriture acteurs de savoiracteur non humainêtre surnatureldivinité pratiques savantespratique intellectuellemise en série construction des savoirsvalidationenquêteAvant toute chose, formulons un avertissement : ce texte n’est que l’ébauche d’une longue enquête en cours qui cherche à mieux définir la forme, le contenu, les traits particuliers de ce que les modernes ont pris l’habitude d’appelerlois sacrées. Mais, plus généralement encore et au-delà de ces textes ainsi nommés, une telle recherche doit prendre aussi en compte une série de documents qui, sans qu’ils soient catalogués parmi les « lois sacrées », ne se réfèrent pas moins, d’une manière ou d’une autre, au champ religieux et à ses multiples aspects. En procédant ainsi, on pourra sans doute se former une idée plus globale, mais aussi plus précise, des façons dont les hommes perçoivent, définissent et réglementent leurs relations avec le monde divin. Pour le moment, disons simplement que cette ébauche, de par sa nature, sans analyses détaillées et références bibliographiques discutées, risque de paraître aux yeux de certains plutôt « banale », rebattue, voire rébarbative. Sa seule ambition est de fixer un cadre général, de poser quelques problèmes, de suggérer quelques pistes dans le chemin ardu des écritures1.

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3pratiques savantespratique rituellesacrifice pratiques savantespratique rituelle construction des savoirstraditionreligionOn n’a probablement pas besoin de rappeler une fois encore comment l’étude de la religion grecque nécessite, dans l’exploration des pratiques et des comportements cultuels, une prise en compte de toute sorte de sources disponibles : non seulement les données littéraires — qui sont souvent privilégiées par les modernes —, mais aussi les inscriptions, les résultats des fouilles, les images ou les monnaies. Certes, cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas se concentrer sur une œuvre littéraire, sur un auteur, bref sur l’étude des textes. Mais on se gardera de généraliser à partir de ce genre de sources en échafaudant des théories globalisantes qui seraient appliquables à toutes les cités grecques. On peut très bien, par exemple, explorer la façon dont Euripideconçoit, dans son œuvre, Dionysos et son culte. Mais on ne saurait interpréter les multiples facettes des cultes dionysiaques, dans les cités grecques, en prenant comme modèleprivilégié le Dionysos desBacchantes d’Euripide. De même, il est parfaitement légitime d’étudier la façon dont un auteur comme Porphyre présente et décrit le rituel (singulier, s’il en est) desBouphonia à Athènes (De l’abstinence, II, 29-30). Mais on ne pourrait généraliser et expliquer le système sacrificiel grec à partir du récit de ce penseur qui, s’appuyant sur des sources pythagoriciennes et sur Théophraste, s’élève contre les sacrifices d’animaux et la consommation de viande2.

4typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesdroithistoire du droitDans cette approche pluridimentionnelle des faits cultuels, l’étude de ce qu’on appelle communément « lois sacrées » devient de plus en plus indispensable. Certes, on pourra voir là un truisme, on pourra objecter que cela va de soi, mais, dans la réalité, on n’a pas l’impression que tout le monde soit conscient de la nécessité de prendre en considération la richesse épigraphique dans l’exploration des cultes grecs. Il est vrai qu’on reste souvent perplexe devant l’hétérogénéité de ce corpus qui comprend des documents de caractère très varié : des lois, des décrets, des statuts, des testaments, des actes de fondation, des traités, des contrats de location, des dédicaces, des oracles etc. Tout aussi variées sont les instances normatives, celles qui promulguent ces textes. Car on a affaire à des cités ou à des fédérations, à des subdivisions civiques ou à des magistrats, à des sanctuaires ou à des associations cultuelles etc. Quant à la datation, on peut aller du début du VI e siècle jusqu’à l’époque impériale romaine.

5acteurs de savoiracteur non humainêtre surnatureldivinité acteurs de savoirprofessionscribe pratiques savantespratique rituelleOr ces documents, émanant d’autorités si diverses, ont en commun le fait de concerner, dans leur totalité ou en partie, les affaires religieuses, tout ce qui porte sur les puissances divines ou héroïques, tout ce qui touche les sanctuaires et autres espaces de culte, l’administration des biens sacrés, les fêtes et leur organisation, les sacrifices et leurs multiples modalités, les rites purificatoires et les divers interdits, non seulement les prêtrises et leurs obligations ou droits, mais aussi l’intervention active dans le domaine religieux d’autres agents cultuels, distincts des prêtres et des prêtresses. Bref, nous avons affaire à une vaste réglementation de ce que les Grecs qualifiaient de « choses divines » (ta theia pragmata), pour les distinguer des « choses humaines » (t a anthrôpina pragmata), distinction que les Athéniens pouvaient formuler par l’expressionta hiera kai ta hosia, comme le suggère le décret au sujet des Platéens3. Car, bien que la religion irrigue, comme on sait, toutes les ramifications de la vie civique, on n’a pas affaire à une confusion entre ce qui revient aux dieux et ce qui concerne les hommes. Cependant, les dieux et les hommes constituent deux sphères qui appartiennent au domainepublic, ce qui est clairement exprimé, par exemple, dans le fameux contrat établi entre une petite cité crétoise et le scribe Spensithios, vers 550 av. notre ère. Nommé à vie, traité comme un magistrat, Spensithios est engagé par la cité, et pour la cité, en tant que scribe etmnamôn, « dans les affaires publiques (ta damosia), tant celles des dieux que celles des hommes (ta thiêia kai tanthrôpina) »4. Or nous savons que ces deux sphères du domaine public faisaient l’objet de discussion et de délibération dans l’Assemblée du Peuple, dont la première partie était justement consacrée aux « affaires des dieux »5.

6matérialité des savoirsmatériaupierreC’est donc pour régler les affaires divines, « comme il convient aux dieux » (kata to prepon… tois theois)6, qu’on décide d’écrire, ou plus précisément de faire graver sur la pierre ces « lois sacrées », qu’on publie, affiche, expose, dans les sanctuaires ou dans d’autres espaces publics, à la vue de tous. Or, lorsqu’on cite les « lois sacrées » en mettant souvent l’expression entre guillements, on ajoute d’habitude que cette dénomination est purement conventionnelle. Mais on se contente de cette généralité sans chercher à aller plus loin. Mêmes les éditeurs des trois principaux corpus, intitulésLois sacrées, à savoir Ioannes de Prott et Ludovicus Ziehen, Franciszek Sokolowski et, plus récemment, Eran Lupu, n’ont pas accompagné leurs ouvrages — par ailleurs fort indispendables — d’une réflexion substancielle sur la catégorie des « lois sacrées » qu’ils ont, en fait, créée. Comme l’a noté très justement Robert Parker qui est, à ma connaissance, le premier à entamer cette analyse : « through force of inertia we often continue to behave as if the texts assembled in Sokolowski are sacred laws, and sacred laws are the texts assembled in Sokolowski »7. Je dirais que maintenant on y ajoute tout simplement les 27 nouveaux documents traités comme des « lois sacrées » par Lupu.

7Cependant je n’ai pas l’intention de fournir ici une définition rigoureuse de ce que seraient les « lois sacrées » grecques. Pour la simple raison que, sous ce titre précis et univoque, les modernes ont opéré des groupements artificiels, composés de textes qui, tous, ne sauraient être qualifiés de « lois » ou de « sacrées ». Pour ma part, je ne vois pas pourquoi il faudrait chercher à définir, encore une fois guidé « par la force d’inertie », une construction moderne, qui nous pose plus de problèmes qu’elle n’en résout, d’autant plus que tous, ou presque, répètent chaque fois que ce titre est inadéquat, pour ajouter tout de suite qu’on l’utilise quand même par habitude8. E. Lupu semble encore plus résigné : « “Sacred law” may bemisleading, and should not be taken at face value in all cases ; nevertheless, it has,for better or for worse, prevailed. Coining a new term — should any be coined at all — ispointless »9. On continue donc à parler de « lois sacrées », tout en sachant que chacun entend ce titre de diverses façons. Pour M. Guarducci (ibid.), par exemple, on devraitstricto sensu considérer comme des « lois sacrées » celles qui réglementent la vie des sanctuaires, et surtout celles dictées par l’oracle. Certains hellénistes encore expliquent pourquoi ils éliminent de ce « corpus » des inscriptions, que d’autres acceptent et souvent on ne comprend pas sur quels critères on réfute ou l’on adopte une soi-disant « loi sacrée ». Bref on peut se demander s’il ne serait pas plus judicieux — au moins pour le moment — de partir du contenu et de parler tout simplement derèglements religieux, en prenant en comptetous les textes qui, d’une façon ou d’une autre, règlent les affaires concernant les cultes divins et héroïques, ainsi que les documents qu’on appelle « lois funéraires »10.

8pratiques savantespratique intellectuelleconstitution de corpusEn adoptant ce titre global, on pourrait éviter divers écueils et faux dilemmes. Dans son corpus des « lois sacrées », Lupu par exemple accepte seulement les textes qui s’occupent exclusivement de questions cultuelles, ainsi que de fêtes ou de sacrifices accomplis dans le cadre des cultes « ordinaires ». Du coup, il exclut tout règlement relatif à des actions cultuelles ponctuelles ou « extraordinaires ». Remarquons, par ailleurs, que le titrerèglement religieux n’est pas absent des corpus des « lois sacrées », mais on ne comprend pas toujours dans quel sens il est utilisé. De même, dans les trois volumes desLois sacrées de Sokolowski, toutes les inscriptions ou presque sont rangées sous le titre derèglement cultuel ourèglement relatif au culte, ourèglement surrelatif à… etc., sans aucune autre explication. Autre exemple : le premier tome duCorpus des inscriptions de Delphes, édité par Georges Rougemont (Paris, 1977). Il est intituléLois sacrées et règlements religieux mais, dans la « Présentation », il est surtout question derèglements religieux. L’auteur remarque d’ailleurs que « les lois sacrées constituent une catégorie mal définie » (p. 1).

9inscription des savoirsécritureIl y a une autre raison qui rend inadéquate le nom moderne de « lois sacrées ». C’est que les Grecs eux-mêmes possèdent et citent des hieroi nomoi, donc des « lois sacrées », auxquelles ils renvoient parfois à l’intérieur même de certains règlements religieux ou autres. Préciser la nature de ce qu’on désigne en grec comme deshieroi nomoi, comprendre à quoi correspond cette dénomination pour les Grecs, est une tâche bien difficile, mais indispensable et inévitable pour toute recherche concernant les réglements religieux. D’ailleurs, il est significatif à ce propos que cette question ne soit abordée ni par Sokolowski, ni par Lupu qui esquive ce problème dans une note (op.cit., p. 4, n. 8). En attendant que l’enquête en cours puisse apporter quelques réponses, j’aimerais donner deux exemples significatifs de cette expression employée par les Grecs, deux exemples qui montrent aussi l’importance de l’écrit dans ce type de règlements : Je prends le premier exemple dans une inscription de Cos, relative à la pureté rituelle11. Il y est dit qu’on propose ce règlement pour que les purifications, les lustrations et les sacrifices soient accomplis « conformement aux lois sacrées et ancestrales (kata tous hie]rous kai patrious nomous) » (A1. 5-6) ; or, les responsables élus, en l’occurrence deux personnes qualifiées d’épistates, reçoivent — sans doute des gardiens des lois, les nomophulakoi (le terme est restitué) — « ce qui est écrit dans les lois sacrées (ta gegrammena en tois hierois nomois) » à propos de ces actes cultuels. Et l’on précise par la suite (Al. 12-14), que si certains, au sujet des affaires sacrées, agissent contrairement à « ce qui est écrit (para ta gegrammena) », ou s’ils n’executent pas (leurs tâches) conformement à « ce qui a été écrit (kathôs gegraptai) », qu’ils éprouvent des scrupules religieux, des remords, pour avoir commis une impiété à l’encontre de la divinité12. Or ce sont justement cesgegrammena que les épistates feront transcrire sur deux stèles qu’on va ériger, l’une dans le sanctuaire de Déméter, l’autre dans celui d’Asclépios, divinité majeure de Cos.

10matérialité des savoirssupportsupport d’inscriptiontabletteDans toute une série de « lois sacrées », on trouve les expressions ta gegrammena oukatha (per) gegraptai, qui renvoient à ce qui est ou a été écrit dans ces règlements religieux ou encore la phrase kathoti progegraptai qu’on peut traduire : « selon ce qui a été écrit auparavant »13, ce qui pose la question dutemps dans ce type de documents, comme on le verra. Parfois, au lieu de l’expression ta gegrammena, on trouve la phraseta dedogmena, « ce qui est ou a été décidé », et ce sont ces décisions qui seront, en l’occurrence, gravées sur ce qu’on appellela copie du décret (tou psêphismatos to antigraphon)14. Ainsi, le décret, lepsêphisma, est le texte écrit et décidé, un texte écrit sans doute sur un support perissable, comme une tablette de bois, un leukôma, un tableau peint en blanc. Ce texte sera confié aux autorités pour qu’elles vieillent à l’application de ces décisions, tandis qu’une copie du décret, unantigraphon, sera gravé sur une stèle de pierre qu’on va ériger dans le sanctuaire du dieu, à la vue de tous.

11Le second exemple est tiré d’un décret des Acarnaniens concernant l’accord conclu entre la Confédération des Acarnaniens et la ville d’Anactorion au sujet du culte d’Apollon 15. On y lit (l. 68sq.) : « à propos des jeux et de la fête (panagurin)16 et de tout ce qui concerne en général lesAktiades [la formeAktia désigne plutôt les jeux panhelléniques institués par Auguste], les Acarnaniens doivent utiliser les lois sacrées (chrêsthai… tois hierois nomois) qu’a fixées la cité des Anaktoriens, comme elles ont été corrigées par les deux parties ». Or, les textes qui seront enregistrées (katakechôrismena) sur les stèles, selon ces lois sacrées revisées, « serontkuria [feront autorité, auront force de loi] et aucune loi, ni aucun décret ne pourra abroger [litt. délier, luesthai] en quoi que ce soit ce qui a été transcrit » ; et l’on prévoit des amendes et des châtiments au cas où on essaierait de proposer un décret ou une loi, pour rompre ce qui a été convenu : s’il s’agit d’une cité, elle doit payer cinq cents mines ; mais s’il s’agit d’un simple particulier, « qu’il soit mis à mort après jugement au tribunal, et que la loi et le décret soient frappés de nullité (atelês) ». Cependant, tout cela n’empêche pas des révisions ultérieures : « mais qu’il soit possible de corriger (diorthoin) les lois sacrées, lorsqu’il y aura une révision de la législation (nomothesia), à condition qu’aucun terme ne soit en contradiction avec ce qui a été inscrit sur la stèle ».

12Ce texte est important entre autres pour ce qui concerne les relations entre les cités et la confédération. Jusque-là, c’était la cité d’Anactorion qui organisait le culte d’Apollon Aktios (l. 15 :tou Apollônos tou Aktiou), nommé ainsi d’après la bourgade Action, où se trouvait son sanctuaire, un lieu voisin d’Anactorion. Mais à cause des guerres, la cité d’Anactorion n’a plus les capacités financières pour assurer le culte d’Apollon. La Confédération propose donc de se charger des cérémonies religieuses en l’honneur du dieu. Pour qu’on puisse rendre tous les honneurs dus à Apollon de la manière la plus éclatante, la Confédération propose en outre de faire du sanctuaire une « propriété commune » (l. 14 :koinou genomenou tou hierou), à condition que les jeux et les fêtes soient accomplis « selon la tradition, selon les coutumes ancestrales » (l. 26 :kata ta patria), et qu’on n’empiète pas sur les propriétés de la cité d’Anactorion dans le sanctuaire (l. 36-40). Dans le cas de cette inscription, comme dans d’autres cas aussi, on ne peut pas préciser le contenu de ces patria mais on peut, sans doute, supposer que cespatria, ces « coutumes ancestrales » étaient, en l’occurrence, explicitées dans les hieroi nomoi, dont parle le décret.

13pratiques savantespratique discursiveoralité construction des savoirstraditionS’il en est ainsi, cela signifie que les patria ne sont pas toujours des « coutumes ancestrales » transmises seulementoralement, comme le pense la majorité des hellénistes. Certes, l’aspect oral despatria est manifeste dans plusieurs cas où apparaît ce terme. Cependant, on a quelques indices, provenant de sources littéraires ou épigraphiques, qui associent lespatria avec l’écriture. À titre d’exemple littéraire, on pourrait citer Athénée (IX, 410 a-b), où il est question des patria écrits des Eupatrides à Athènes dans lesquels on trouverait des instructions pour la purification des suppliants. Comme exemple épigraphique, on pourrait renvoyer à la Convention entre Delphes et Skiathos, de la première moitié duIV e siècle, où il est dit à la fin du texte (l. 32-37) : « Il a plu aux Delphiens que cespatria soient acquis aux Skianthiens, par quatre cents voix et plus »17. Par cette convention donc, les gens de Skiathos ont acquis certains droits, certains privilèges, à Delphes, comme par exemple, l’exemption de taxes, ou lapromanteia, le droit de consulter le premier l’oracle (l. 5-8). Or cesdroits écrits et exposés sur la pierre sont qualifiés depatria, car ils vont fonctionner sans doute, pour les années à venir, comme des droits traditionnels, comme des usages ancestraux.

14En revenant sur la question des hieroi nomoi, on pourrait ajouter que d’autres documents épigraphiques, non inclus par les modernes dans le corpus des « lois sacrées », parlent dehieroi nomoi. Ainsi le texte de l’arbitrage de Magnésie entre deux cités crétoises, Itanos et Hierapytna 18. Aux lignes 81-82, il est question de hieroi nomoi, de « malédictions » (arai), de peines (epitimia). Et l’on pourrait sans doute apprendre beaucoup d’une inscription de Tégée, si on l’avait en entier. Car nous n’avons que la première ligne où l’on peut lire : « Loi sacrée pour tous les jours »19. Il s’agirait peut-être d’un calendrier de cultes, placé sous l’autorité d’unhieros nomos. On dirait donc que la notion de « loi sacrée » n’était pas inconnue des Grecs. Mais les modernes utilisent l’expression de façon extensive en y englobant tout ce qui porte sur le domaine religieux, les cultes et leur organisation.

15Cependant on pourrait dire aussi que les Grecs eux-mêmes avaient une idée assez floue et imprécise de ce qu’était unhieros nomos, comme le suggère d’ailleurs Robert Parker (art. cit.). Sans doute. Mais il serait interéssant, dans une enquête plus poussée, de s’interroger sur les raisons qui incitent une cité à qualifier de « sacrées » certaines de ses propres lois. On a cependant l’impression que, dans certains cas, unhieros nomos est conçu par les Grecs comme une loiinspirée, d’une certaine façon, par la divinité. C’est peut-être le sens que donnait Margherita Guarducci à un tel texte, lorsqu’elle disait que les « lois sacrées » sont surtout celles dictées par l’oracle. Quoi qu’il en soit, du point de vue de la publicité, leshieroi nomoi sont traités comme les autres lois de la cité : on les fait graver sur des stèles qu’on érige dans un endroit public, pour qu’elles soient visibles à tous, et on prend soin d’en déposer une copie, unantigraphon, dans les archives publiques, comme on le voit, par exemple, dans une inscription de Gytheion, importante pour notre propos20.

16construction des savoirslangage et savoirslanguegrecCela dit, il faut noter de nouveau que les hellénistes, bien qu’ils acceptent presque tous le titre de « lois sacrées », ne sont pas toujours d’accord sur la composition d’un tel corpus, ce qui ajoute à la confusion et plaide plutôt pour l’abandon de cette expression fabriquée de toutes pièces. Par exemple, le décret des Acarnaniens cité plus haut est considéré par les uns comme une « loi sacrée » (par exemple Sokolowski ou Lupu) mais par d’autres (par exemple Pouilloux) comme une inscription portant sur l’histoire des cités dans leurs rapports avec les confédérations. Un autre long décret, d’Athènes cette fois, qui porte sur l’Amphiareion d’Oropos21, n’a pas été inclu par Sokolowski dans son corpus des « lois sacrées », choix justifié par Lupu 22. Cependant cette inscription donne des informations très importantes relatives à l’usage de l’argent sacré, aux différentes réparations à faire dans le sanctuaire d’Amphiaraos ou aux recompenses dues auneôkoros. Il faudrait donc mener toute une réflexion pour désigner plus précisément ce que nous entendons par « loi sacrée ». D’autant plus que nous avons une série de textes, comme lesinventaires des temples qui, sans être jamais considérés comme des « lois sacrées », sont indispensables dans l’étude des cultes. Pour se faire une idée de la statue cultuelle d’Athéna Polias, dans l’Érechtheion, sur l’Acropole athénienne (statue perdue pour nous), on ne saurait, par exemple, faire l’économie de ces longs inventaires du sanctuaire d’Athéna, c’est-à-dire de ces inscriptions fondamentales qui donnent des informations sur la robe de la statue ou les bijoux qui paraient l’image cultuelle de la déesse.

17pratiques savantespratique lettréecorrectionIci s’impose une autre remarque : le règlement des Acarnaniens montre aussi la possibilité de « corriger », de réviser, sous certaines conditions, les hieroi nomoi qui contiennent sans doute lespatria. Ainsi, je dirais que leshieroi nomoi, qui font assurément partie des « écrits publics », desdêmosia grammata, peuvent, le cas échéant, « bouger », malgré le fait qu’un orateur comme Eschine ou un philosophe comme Platon mettent parfois l’accent sur la nécessité de laisser les écritures immuables. En effet, dans leContre Ctésiphon (III), 75, Eschine considéra la conservation des écrits publics (tôn dêmosiôn grammatôn) comme une « bonne chose » (kalon) : car ils restent « immuables » (akinêton) et ne suivent pas dans leurs volte-face les transfuges de la politique. Platon, quant à lui, dira (Lois, X, 890 e-891 a) que les prescriptions de la loi, une fois confiées à l’écriture, peuvent éternellement être soumises à un contrôle (elegchon), et restent toujours calmes ; elles ne bougent pas (pantôs êremei). Enfin, le fameux règlement des Mystères d’Andania, en Messénie, témoigne du même souci : ce règlement ne se nomme lui-même ni loi ni décret maisdiagramma, mot qui peut ici signifier littéralement : « chose décrite par l’écriture ». Par ce terme ou par l’expressionta gegrammena qui qualifie aussi ce règlement, on veut sans doute mettre l’accent sur l’autorité du texteécrit. Or, à la fin de cette longue inscription qui règlemente les Mystères d’Andania, Mystères qui sont, pour Pausanias, presque aussi vénérables que ceux d’Éleusis, il est dit que les responsables « ne doivent rien faire bouger » (mê metakinountes) des prescriptions contenues dans lediagramma, rien qui puisse entraîner la ruine des Mystères ; dans le cas contraire, que leur proposition écrite (to graphen) soit sans effet. En revanche, que lediagramma soit validé pour toujours (kurion estô eis panta ton chronon)23.

18Il faut enfin observer un autre aspect de ce qu’on appelle, au sens large, « lois sacrées ». En effet, dans ces textes qui règlementent les « affaires des dieux », il est parfois question non pas de ce que les Grecs qualifient, plus précisément, dehieroi nomoi, comme on l’a vu, mais tout simplement denomos, de nomoi ou denomima. Or la mention de ces mots renforce la presence de l’écriture dans ce type de documents. Car on se refère souvent àce qui est écrit dans lenomos, les nomoi ou lesnomima 24. Par exemple, les agents cultuels qui s’occupent d’un sanctuaire (qu’ils soient prêtres, prêtresses ou autres) doivent agir conformement à la loi ou les lois établies par la cité, des lois qui peuvent aussi être « anciennes » (archaioi nomoi). Il faut encore qu’ils respectent lesnomima et, dans ce cas,nomimon peut, bien entendu, se référer à ce qui est fixé par la coutume en général, une coutume non écrite mais il peut aussi signifier ce qui est prescrit, codifié, fixé par écrit dans certaines nomoi.

19Dans une « loi sacrée » relative au culte d’Amphiaraos à Oropos 25, par exemple, il est dit (l. 6-8) que le prêtre du dieu doit obliger le néocore à s’occuper du sanctuaire et de ceux qui arrivent auhieron, « conformement à la loi » (kata ton nomon) ; plus loin (l. 39), en se référant à ceux qui pratiquent l’incubation dans le sanctuaire, on précise que le fidèle doit « obéir aux lois » (peithomenon tois nomois). Dans un autre règlement relatif au Thesmophorion du Pirée 26, il est dit (l. 13-17) que « si quelqu’un enfreint l’une quelconque de ces prescriptions [mentionnées auparavant], que le dèmarque lui inflige une amende et porte l’affaire devant le tribunal en faisant usage des lois qui sont établies à ce sujet » (tois nomois hoi keintai peri toutôn) ; ou encore, si quelqu’un coupe du bois des arbres sacrés, que soient en vigueur, puissantes, les « anciennes lois » (tous archaious nomous), établies à ce sujet (l. 18-21). Dans un autre exemple significatif, on retrouve les patria et le nomos. Il s’agit d’un règlement de la cité rhodienne d’Ialysos, relatif au culte d’Alectrôna 27, selon lequel des décisions sont prises par les magistrats et les Ialysiens, « afin que le sanctuaire et letemenos d’Alectrôna soient exempts de souillure conformement aux coutumes ancestrales (kata ta patria) » (l. 1-5). On précise ensuite (l. 8-13) qu’on doit transcrire sur la stèle le présent décret, ainsi que ce qu’il n’est pashosion, d’après les lois (ek tôn nomôn)28, d’apporter ou de faire entrer dans le temenos. De surcroît, pour que tout le monde soit prévenu, on transcrit également, sur la stèle, les châtiments (epitimia, cf. ci-dessus) réservés à qui agit contre la loi (para ton nomon).

20acteurs de savoirstatutprêtreAilleurs, comme à Milet, le collège des stratèges de la cité établit une loi (nomon tithentai) pour fixer les termes de la vente de la prêtrise d’Asclépios et celles de tous les dieux honorés également dans letemenos, dans l’Asclépieion29. À Céos, un règlement funéraire commence ainsi : « Celles-ci sont les lois (nomoi) concernant les morts »30, ce qui rappelle une phrase analogue qu’on lit sur le fameux cippe de la phratrie des Labyades à Delphes (première moitié duIV e siècle av. notre ère) : « Celle-ci est la loi (tethmos) relative au mobilier funéraire (per tôn entophêiôn, litt. « les choses qu’on met dans la tombe ») »31. Quoi qu’il en soit, ces quelques exemples dunomos posent justement la question de la nature de ces lois dans ce type de règlements. S’agit-il, dans certains cas, de vraies « lois sacrées », considérées par les Grecs commehieroi ? La question posée devrait concerner non seulement le caractère de ces nomoi mais aussi le sens et le contenu d’autres formules qui expriment certains interdits et qui sont souvent associées aux nomoi (comme ou themis,ouch hosiê, ou phora etc.).

21pratiques savantespratique intellectuelleconstitution de corpusCertes, on ne pourrait pas énumérer, dans le cadre de ce travail, tous les problèmes qu’affronte le lecteur de ce « corpus ». J’en signale seulement certains qui me paraissent de première importance. Tout d’abord, le problème concernant la grande variété que présentent les « lois sacrées » d’une communauté à une autre. Par exemple, les modalités sacrificielles, les charges qui incombent aux différents agents cultuels, les modes d’administration des sanctuaires, les tâches des fidèles, les règles de purification qu’on doit observer en entrant dans un sanctuaire ou après une période ou une action qualifiée d’impure, etc., ne sont pas les mêmes partout et ne valent pas pour toute puissance divine. Chaque cité est libre d’inscrire sur la pierre,si etquand elle le juge indispensable, un règlement de cette nature mais en fixant ses propres choix, ses propres interdictions, ses propres prescriptions qui n’ont pas valeur de loi pour la cité voisine.

22Ensuite, le problème portant sur les raisons, les causes, les conditions qui amènent une cité, un dème, un groupe, une association à décider d’écrire, de rédiger et de publier un règlement religieux. Certes, on comprend parfois facilement les raisons d’un tel acte, lorsqu’il s’agit, par exemple, decalendriers sacrificiels, qui ne constituent pas tellement des textes ritualistes mais qui sont des documents de caractère souvent financier réglant des questions pratiques et budgetaires, relatives à l’organisation des sacrifices, dans le cadre d’une cité ou d’un groupe plus restreint. Très souvent, ces « lois sacrées » sont donc des documents cultuels locaux qui prescrivent, selon les mois et les jours, les animaux que la communauté doit sacrifier aux dieux et aux héros de son panthéon. Dans ce cas, ce qui intéresse particulièrement c’est leprix de chaque victime, c’est la somme d’argent que la collectivité doit dépenser dans une année civile, pour honorer convenablement ses dieux. D’autres raisons sont plus ou moins apparentes : lorsqu’on veut, par exemple, régler les termes de la vente d’une prêtrise ou garantir les parts d’honneurs destinées aux agents cultuels ou réglementer la protection des sanctuaires et de leurs biens ou, encore, lorsqu’on doit instituer des règles cathartiques pour éviter toute souillure dans un espace sacré. Je signale ici des faits et des comportements bien connus des spécialistes.

23Mais souvent les causes de la publication des « lois sacrées » sont moins visibles. On pourrait dire en général que laréorganisation des cultes constitue une raison fréquente pour la promulgation d’un tel texte. Réorganisation rendue souvent nécessaire à la suite d’un synœcisme qui réunit diverses cités, ce qui a des répercussions sur leur vie religieuse. Comme exemples caractéristiques de cette réorganisation, on connait la grande inscription de Cos (LSCG n° 151) ou le calendrier des cultes de Myconos. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un texte qui ne constitue pas une liste complète des cultes mais qui présente surtout lesadditions et leschangements cultuels, comme le montre le début du texte : « Dieux, à la bonne fortune. Sous l’archontat de Kratinos, Polyzèlos, Philophrôn, lorsque les cités (de l’île) se réunirent par synœcisme, il a plu aux citoyens de Myconos d’offrir les sacrifices suivants, en plus de ceux accomplis auparavant (tois proteron) et de rectifier (de restaurer, de redresser,epênorthôthê) ces derniers »32. Une autre raison semblable concerne l’istitution de nouvelles fêtes pour commémorer une reconciliation, comme par exemple, le décret du peuple de Magnésie, concernant l’organisation des cérémonies en l’honneur de Zeus Sôsipolis, après la conclusion de la paix avec Milet en 197/196 (LSAM n° 32). Parfois on veutréactiver une fête tombée dans l’oubli ou célébrée sans l’éclat dû à la divinité honorée. C’est le cas bien connu de la fête des (E)isitêria en l’honneur d’Artémis Leukophruênê, également dans la cité de Magnésie du Méandre. En effet, vers la fin du III e siècle av. notre ère, les Magnètes, désireux d’accroître les honneurs rendus jusqu’alors à leur déesse, votent un premier décret (A) qui instaure la fête des(E)isitêria, afin de célébrer, en la commémorant solennellement chaque année, l’installation du xoanon d’Artémis dans son nouveau temple, leParthenôn. Cependant, plus tard (première moitié duII e siècle av. notre ère), constatant sans doute qu’avec le temps cette fête a perdu sa splendeur, les Magnètes prennent, par un second décret (B), de nouvelles mesures pour que les (E)isitêria soient célébrées dorénavant avec plus de zèle et d’éclat. Cité, citoyens et autres habitants conjuguent donc leurs efforts pour organiser, avec grand faste, ces cérémonies, en faisant des libations et en offrant des sacrifices aussi bien collectivement qu’individuellement33.

24espaces savantslieuarchives construction des savoirslangage et savoirsgenreoracleLa réorganisation financière d’une fête peut constituer une des raisons pour faire transcrire et publier un règlement religieux34, ainsi que la réafirmation par la cité des droits d’un groupe, par exemple d’ungenos, comme celui des Praxiergides à Athènes. Depuis une haute antiquité les membres de cegenos intervenaient aux fêtes des Plyntéries et des Kallyntéries, en l’honneur d’Athéna Polias et portant sur le déshabillage, le nettoyage et le rhabillage de l’ancienne statue de la déesse. Par un décret du Conseil et du Peuple, on décide donc de rendre visible pour tous, sur une stèle qu’on va ériger sur l’Acropole, les prérogatives de ce genos. À la demande des Praxiergides, on va aussi transcrire sur la pierre « ce qui a été décreté auparavant », ainsi qu’un oracle d’Apollon portant sans doute sur des nouveaux droits. On remarque qu’on rend aussi publiques des décisions antérieures, ce qui signifie vraisemblablement que ces premières décisions sont restées dans les archives et qu’on les publie maintenant avec les nouvelles dispositions conformes à l’oracle delphique35.

25On pourrait sûrement ajouter d’autres raisons à celles déjà citées, choisies comme autant d’exemples. Mais je ne saurais clore cette ébauche, sans soulever, très brièvement, deux autres questions qui me paraissent essentielles pour l’étude des règlements religieux des Grecs : la question de l’espace et celle dutemps.

26espaces savantslieu pratiques savantespratique rituellesacrificeLa question de l’espace concerne non seulement les endroits où l’on choisit de placer, d’ériger, d’afficher ces règlements religieux, et les raisons qui dictent un tel choix mais également les différents lieux et espaces indiqués, pour diverses raisons,dans le texte lui-même. De ce point de vue, le calendrier sacrificiel du dème attique d’Erchia est très significatif36 car il précise par écrit les différents lieux de sacrifices, en montrant l’importance que revêt la relation « spatiale » entre la cité d’Athènes et ce dème : parmi les 56 sacrifices prescrits par ce calendrier, 50 doivent être accomplis dans différents lieux du dème qu’on dénomme et parmi lesquels figure l’acropole d’Erchia ; 5 sacrifices auront lieuen astei, c’est-à-dire à Athènes (par exemple, sur l’Acropole ou à l’Éleusinion) ; en outre, un sacrifice sera accompli en dehors d’Athènes et du dème, sur le mont Hymette, en l’honneur de Zeus Epakrios, du Zeus des sommets. Cette distribution spatiale des actes cultuels en dit long sur les rapports entre la ville et son territoire, entre la cité et ses subdivisions civiques. Elle en dit long aussi sur la volonté de mettre ces prescriptions sous les yeux de tous, en les exposant dans des endroits bien en vue pour assurer la visibilité de ces règlements. Comme c’est le cas pour d’autres écritures de la cité, on retrouve ici le souci constant de donner la meilleure publicité à ces règlements. Parfois même on laisse aux responsables la charge de choisir l’endroit le plus adéquat : un règlement relatif aux ex-voto de l’Amphiareion d’Oropos prescrit que les agents chargés de l’administration sacrée, en l’occurrence les hierarchai, « fassent transcrire sur la stèle le décret pris à ce sujet et qu’ils la fassent ériger à l’emplacement qui leur paraîtra le plus beau (en kallistôi) et qu’ils fassent les compte de la dépense occasionnée »37.

27Enfin, letemps. On remarque souvent qu’on se réfère à des écritures antérieures, à un texte précédent, dont on reprend certains termes. Plusieurs expressions et formules renvoient à ce qui a été écrit, décidé, voté auparavant (ta progegrammena,prographê,programma,ta prodedogmena,ta proepsêphismena, outa proteron epsêphismena, etc.). On peut enjoindre aussi aux responsables d’agir selon ce qui a été prédit (kata tas prorrêseis) ou bien selon ce qui existait avant (kata ta proüparchonta) ou encore comme auparavant (kathaper proteron,kathaper kai prin). Il arrive aussi qu’on ajoute à une « loi sacrée » des prescriptions supplémentaires, à des dates ultérieures. Un exemple significatif de ces écritures successives est fourni par un règlement du Pirée, relatif au culte d’Asclépios et des divinités associées, où l’on constate que le texte n’a pas été gravé en une seule fois. Il s’agit d’un bloc de marbre inscrit de quatre côtés. Or, le côté A, l. 1-10 date du début du IV e siècle av. notre ère ; les lignes 11-17 ont été ajoutées plus tard par le prêtre Euthydèmos ; les côtés B, C, et D sont encore plus tardifs38. Cela nous donne sans doute un exemple d’une évolution probable du culte et des pratiques sacrificielles, une évolution ou des changements au fil des années, qu’on pourrait remarquer dans d’autres lieux de culte.

28Certes, ces quelques exemples ne suffisent absolument pas à montrer l’importance du facteurtemps dans cette mise par écrit des règlements religieux. J’ajoute seulement, que ces textes, qui s’occupent destheia pragmata qui organisent et gèrent les multiples relations entre les dieux et les hommes, ces règlements écrits donc on les consacre souvent de façon permanente afin qu’ils restent pour toujours, voués à l’éternité :pros ton hapanta chronon 39.

29Je suis consciente que ce tour d’horizon rapide et à grands traits n’a apporté ni des réponses ni des solutions aux nombreuses interrogations que soulève l’approche de ce qu’on appelle « lois sacrées ». En outre, une série d’aspects et de problèmes abordés ici sont connus et traités de diverses façons par des « instruits », des « connaisseurs », deseidêmones. Je pense cependant que, si l’on se libère de cette appellation conventionnelle et restrictive qui ignore ou laisse de côté une partie significative des « affaires divines », on pourra sans doute, grâce à une documentation plus riche et plus variée, appréhender mieux les moyens mis en œuvre par la collectivité pour circonscrire, organiser, réglementer ses rapports, ses contacts, voire sa vie au quotidien, avec ses dieux et ses héros qui l’entourent pour le meilleur et pour le pire.

Notes
1.

Outre dans le cadre du Séminaire commun sur la Normativité, cette problématique a été surtout exposée, avec plus ou moins de détails, dans le XIe Colloque du CIERGA (Rennes, septembre 2007), ainsi que dans le Séminaire «  Histoire et droit », organisé par Claudia Moatti et Catherine Saliou (Université de Paris-8, 22 févier 2010). Un grand merci à tous ceux qui ont enrichi la réflexion.

2.

Sur ce problème par rapport aux Bouphonies et le traité de Porphyre, cf. StellaGeorgoudi, « L’“occultation de la violence” dans le sacrifice grec : données anciennes, discours modernes », in StellaGeorgoudi, RenéePiettre, FrancisSchmidt (éd.), Lacuisine et l’autel.Les sacrifices en questions dans les sociétés de la Méditerranée ancienne (Bibliothèque de l’École des Hautes Études, 124), Turnhout, 2005, p. 115-147 (p. 134-138 : Porphyre et la question de la culpabilité).

3.

[Démosthène],Contre Nééra, 104, phrase qu’on pourrait traduire, dans ce contexte, par «  les choses sacrées et civiles ».

4.

Cf. Henri van Effenterre, FrançoiseRuzé, NOMINA. Recueil d’inscriptions politiques et juridiques de l’archaïsme grec I, Rome, 1994, n° 22, l. 4-7, p. 102-107 (avec bibliographie précédente).

5.

Sur ces questions, cf. toujours l’étude essentielle de MarcelDetienne, «  L’espace de la publicité : ses opérateurs intellectuels dans la cité », in MarcelDetienne (éd.), Lessavoirs de l’écriture en Grèce ancienne, Lille, 1988, p. 29-81.

6.

Selon le Platon desLois, VIII, 828 c.

7.

RobertParker, « What are Sacred Laws ? », in Edward M.Harris, LeneRubinstein (ed.),The Law and the Courts in Ancient Greece, London, 2004, p. 57-70 (p. 57-58).

8.

Cf. MargheritaGuarducci, Epigrafia greca, vol. IV, Roma, 1978, p. 3 : « Ma ormai l’uso vuole che la denominazione « leggi sacre » comprenda qualsiasi legge relativa al culto ».

9.

EranLupu, Greek Sacred Law. A Collection of New Documents, Leiden/Boston, p. 5 (c’est moi qui souligne). Cf., entre autres, EfthymiaStavrianopoulou (ed.), Ritual and Communication,Kernos Suppl. 16, Liège, 2006, p. 131 : ces textes « have misleadingly been calledleges sacrae ».

10.

Stephen D.Lambert utilise le terme religious regulations, mais en excluant une série de documents, par exemple les calendriers sacrificiels (inZeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 154, 2005, p. 125, note 2).

11.

FranciszekSokolowski, Lois sacrées des cités grecques (LSCG), Paris, 1969, n° 154, A et B, première moitié du IIIe siècle av. notre ère.

12.

Le motenthumion (Al. 14) signifie littéralement « ce qui est à cœur », qui constitue « sujet de préoccupation » (Chantraine, DELG, s. v. θυμός)

13.

F.Sokolowski, Lois sacrées des cités grecques, Supplément (LSS), Paris, 1962, n° 72, l. 4-5, Thasos,I er siècle av. notre ère.

14.

LSCG 83, l. 63-69, Koropê, sanctuaire et oracle d’Apollon, vers 100 av. notre ère. Cf.LSCG 84, l. 19-20.

15.

LSS 45 = JeanPouilloux (dir.), Choix d’inscriptions grecques, Paris, 1960, n° 29 (216 av. notre ère). Cf.Lupu, op. cit. (n. 9), p. 90-93.

16.

Litt., la réunion de tous pour une fête solennelle.

17.

GeorgesRougemont, op. cit., n° 13.

18.

Sylloge 3, n° 685 =Inscriptiones Creticae III-iv, n° 9 (112-111 av. notre ère).

19.

IG V, 2, n° 5 : Νόμος ἱεϱὸς ἰν ἄματα πάντα (Tégée,IV e siècle av. notre ère).

20.

SEG 11 (1954), n° 923 (ca. 15 av. notre ère), l. 36-39 : Στησάτωσαν δὲ ϰαὶ στή/λην λιθίνην χαϱάξαντες εἰς αὐτὴν τὸν ἱεϱὸν νόμον ϰαὶ εἰς τὰ δημόσια δὲ γϱαμματοφυλάϰια θέτω/σαν ἀντίγϱαφον τοῦ ἱεϱοῦ νόμου, ἵνα ϰαὶ ἐν δημοσίῳ ϰαὶ ἐν ὑπαίθϱῳ ϰαὶ πᾶσιν ἐν φανεϱῷ ϰείμενος ὁ νό/μος..

21.

Vassilis K.Petrakos, Οἱ Ἐπιγϱαφὲς τοῦ Ὠϱωποῦ, Athènes, 1997, n° 290 (369-368 av. notre ère).

22.

Lupu, op. cit. (n. 9), p. 7 : cette inscription « is not... a clear-cut case of a sacred law but at least a borderline case… and Sokolowski is justified in leaving [ce décret] out of the corpus ».

23.

LSCG 65, l. 185-194. Voir maintenant NadineDeshours, Les Mystères d’Andania. Étude d’épigraphie et d’histoire religieuse, Scripta Antiqua 16, Bordeaux, 2006.

24.

Sur ces termes, ainsi que sur les motsnomizein ounomizomena, voir maintenant les différentes contributions dans PierreBrulé (éd.), La norme en matière religieuse en Grèce ancienne,Kernos suppl. 21, Liège, 2009.

25.

LSCG 69 (IVe siècle av. notre ère). Cf. BrigitteLe Guen-Pollet, La vie religieusedans le monde grec du V e au III e siècle avant notre ère.Choix de documents épigraphiques traduits et commentés, Toulouse, 1991, n° 40.

26.

LSCG 36 (IVe siècle av. notre ère). Cf.Le Guen-Pollet, op. cit., n° 1.

27.

LSCG 136 (vers 300 av. notre ère). Cf.Le Guen-Pollet, op. cit., n° 28.

28.

C’est-à-dire, en l’occurrence, ce qui n’est pas conforme à l’ordre religieux.

29.

F.Sokolowski, Lois sacrées de l’Asie Mineure (LSAM), Paris, 1955, n° 52 A (I e siècle de notre ère).

30.

LSCG n° 97 A et B,V e siècle av. notre ère (Al. 1) : Οἵδε νόμοι πεϱὶ τῶγ ϰαταφθιμ[έ]νω[ν].

31.

LSCG n° 77 C. Voir surtout GeorgesRougemont, op. cit., n° 9 C l. 19-20 (Ηόδ’ὁ τεθμὸς πὲϱ τῶ/ν ἐντοφήιων), ainsi que p. 52, sur le sens dutethmos =thesmos, mot qui « sert à désigner les lois de Dracon et de Solon… et d’autres textes qui ne sont pas des “lois sacrées” ».

32.

LSCG n° 96, l. 1-5 (vers 200 av. notre ère).

33.

LSAM n° 33 A et B.

34.

Cf. le règlement sur l’organisation et le financement des Petites Panathénées, texte comportant une loi et un décret gravés par les Athéniens sur la même stèle : Peter J.Rhodes, RobinOsborne (ed.), Greek Historical Inscriptions 404-323 BC, Oxford, 2003, n° 81 (texte amélioré), c. 335 av. notre ère.

35.

LSCG n° 15 = IG I3 7 (ca. 460-450 av. notre ère). Cf.Le Guen-Pollet, op. cit., n° 5.

36.

LSCG n° 18 (écriture en 5 colonnes), première moitié duIV e siècle av. notre ère.

37.

LSCG n° 70, l. 44-48 (IIIe siècle av. notre ère). Cf.Le Guen-Pollet, op. cit., n° 56.

38.

LSCG n° 21 A, B, C, D. Cf. E.Lupu, op. cit. (n. 9), p. 63-64.

39.

Cf., parmi d’autres,LSS n° 127 (Athènes).