Marin Dacos and Pierre Mounier

1matérialité des savoirssupportsupport d'inscriptioncarnetCe que les industriels nomment la « traçabilité » des références dépend du sérieux d’Héloïse, assise devant la tranchée et que le groupe a chargée de tenir, avec tout le soin possible, le carnet de mission. Pour chaque sondage elle doit inscrire les coordonnées du lieu, le numéro du trou, le temps, les profondeurs auxquelles on prélève les échantillons et recueillir, sous la dictée de ses deux collègues, toutes les données qualitatives qu’ils obtiennent de chaque motte de terre avant de les glisser dans des sacs.

2inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l'informationschéma inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l'informationcarte typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessociologiethéorie de l'acteur-réseau typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessociologiesociologie des sciencesLorsque Bruno Latour veut montrer, dans ses Petites leçons de sociologie des sciences 1, comment les faits scientifiques sont fabriqués, il suit une équipe de chercheurs de l’ORSTOM au cœur de la forêt brésilienne, partis étudier les sols afin de mieux comprendre les mécanismes par lesquels la forêt se transforme en savane. Ouvrant la boîte noire de la production de connaissances, Latour souligne le rôle essentiel qu’y jouent les carnets de notes, cartes annotées et autres grilles de mesure bricolées sur le terrain, qui construisent une première représentation du réel observé. Car ces premiers documents, ces inscriptions résultant d’observations, vont ensuite voyager par le jeu de traductions et de transformations contrôlées le long de réseaux scientifiques, qui, passant des instruments aux laboratoires, des centres de calcul aux publications, vont en garantir la validité. Dans cet essai, le sociologue montre par l’exemple ce qu’il avait mis en évidence dans La Vie de laboratoire 2, écrit avec Steve Woolgar : le travail du chercheur, la discussion scientifique se développent toujours sur la base d’une masse très diverse de documents écrits dont seule une faible partie fait l’objet d’une publication formelle. Autour des articles publiés dans telle ou telle revue à comité de lecture, en amont des livres, des posters et des communications de colloques, on trouve donc tout un ensemble de documents (relevés de mesures, notes, corpus de données quantitatives, photographies, cahiers de protocole, carnets de terrain) qui jouent un rôle au moins aussi important dans l’établissement du raisonnement scientifique que la publication finale.

3matérialité des savoirsinstrumentinstrument de communicationblog matérialité des savoirssupportsupport d'inscriptioncahier espaces savantslieulaboratoire inscription des savoirsgenre éditorialarticle matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueInternetOr, du fait que les revues scientifiques sont aujourd’hui majoritairement diffusées sur Internet, on pourrait penser qu’il puisse en être de même pour l’ensemble des documents qui servent à la rédaction de l’article. Souvent saisi sur support numérique, le journal de bord du chercheur (carnet de notes, cahier de terrain, cahier de protocole) peut, d’un point de vue technique, faire assez facilement l’objet d’une diffusion en ligne. Il s’apparente en effet à un type de publication très particulier, pratiqué par un nombre croissant de personnes tout à fait en dehors des milieux scientifiques. Il s’agit de journaux de bord en ligne, autrement dit de web-logs, ou encore blogs3. L’explosion du phénomène des blogs sur Internet, constitués de courtes notes classées par ordre chronologique et donnant la possibilité à leurs auteurs d’échanger très facilement avec leurs lecteurs par le biais de commentaires, n’a pas échappé à l’attention d’une partie de la communauté scientifique qui y a vu le moyen, en s’appropriant ce mode de communication, d’ouvrir la boîte noire du laboratoire. Résultant de la conjonction entre des pratiques d’écriture propres à la tradition scientifique et un mode de publication né sur le Web4, les blogs scientifiques se développent depuis plusieurs années dans toutes les disciplines. Cette conjonction ne peut pourtant pas être interprétée comme une simple fusion. Une observation attentive des blogs scientifiques permet en effet de voir que l’on est loin du simple portage en ligne du cahier de laboratoire. La mise en public des notes du chercheur en entraîne immédiatement la transformation et débouche sur la production de nouveaux types de documents et sur un nouveau mode de communication scientifique.

4inscription des savoirsécritureS’orientant sur les bases de la fameuse « rose des vents de la recherche scientifique » proposée par Larédo et Callon, Antoine Blanchard a mis en évidence5 la souplesse du blog scientifique dans tous les domaines de la recherche : production de connaissances certifiées, formation, innovation, production de biens collectifs et vulgarisation. Loin d’être la simple mise en ligne du cahier de protocole, le blog scientifique doit plutôt être défini comme un outil de communication multi-usage que peuvent utiliser les chercheurs dans les différentes dimensions de leur travail. Aussi le blog constitue-t-il un bon moyen pour avoir une vision plus complète de la diversité des pratiques d’écriture scientifique qui sont loin de se réduire au genre balisé de l’article de recherche publié dans une revue à comité de lecture.

Le carnet, produit des acteurs et de leurs stratégies

5espaces savantslieulaboratoire typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessociologiesociologie des sciencesLes sociologues des sciences qui s’évertuent à ouvrir le laboratoire et à traquer les passions du travailleur ordinaire de la science derrière le ton neutre de l’article scientifique découvrent dans le blog de sciences à bien des égards un autre lieu d’observation de cette réalité.

Le bric-à-brac du chercheur

6typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la Terre et de l'Universclimatologie typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la matièrephysique typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la Terre et de l'Universastronomie matérialité des savoirsinstrumentinstrument de communicationblogCe qui frappe, en effet, c’est la grande diversité des informations que les chercheurs publient sur leur blog. Sorte de bric-à-brac du chercheur, le blog témoigne, en véritable journal de bord qu’il est, de l’actualité d’une activité professionnelle qui est loin de se cantonner à la paillasse. Les blogs de chercheurs sont d’ailleurs bien moins fournis en comptes rendus d’expériences qu’en informations de toute nature sur l’ensemble des activités qui entourent la conduite de la recherche expérimentale : lectures d’articles, communications en séminaire ou colloque, politique de la recherche, conjonction avec une actualité scientifique plus large, rencontres, polémiques et discussions diverses. C’est le cas, en particulier, des blogs les plus populaires et les plus lus. Repérés par le moteur de recherche Wikio, les blogs de sciences qui arrivent en tête de classement traitent le plus souvent d’environnement ou d’astronomie. Cosmic Variance est l’un des plus connus6. Animé par un groupe de sept physiciens, il contient des billets sur des sujets aussi divers que le lancement d’une sonde d’exploration de l’Univers, la découverte de nouvelles étoiles, un compte rendu d’une série de conférences sur les ondes gravitationnelles ou la vulgarisation scientifique. Real Climate, de son côté, est un blog animé par quatre climatologues américains et norvégiens. Là encore, c’est essentiellement l’actualité du domaine, les publications, les rapports, les polémiques autour du changement climatique qui font l’essentiel des billets publiés sur le site. A Quantum Diaries Survivor 7 est le blog de Tommaso Dorigo, un physicien travaillant au CERN. Il y publie des billets commentant des articles déposés sur l’archive ouverte ArXiv, mais aussi ses présentations en séminaire, des prises de position sur différents événements touchant sa communauté. Le phénomène peut être analysé quasiment dans les mêmes termes en sciences humaines et sociales. Archives de la recherche en histoire visuelle 8, par exemple, est un blog animé par André Gunthert, historien de la photographie à l’EHESS. Sur son carnet de notes en ligne, on trouve aussi bien des annonces de parutions et de colloques que des commentaires sur l’actualité politique, des propositions théoriques ou des réflexions sur les politiques scientifiques.

7typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la vie et de l'environnementtaxonomie et systématique matérialité des savoirsinstrumentinstrument de communicationblogLa diversité thématique qui caractérise la plupart des blogs de sciences, ce désordre documentaire qui déconcerte le lecteur habitué aux formes plus réglées des publications scientifiques traditionnelles, est propre au journal de bord, organisé sur le principe de la seule succession temporelle. Mais contrairement au journal de bord sur le papier, le blog bénéficie de la souplesse des moyens de publication électronique et en particulier des avantages du lien hypertexte. Tous les blogs sont donc équipés d’un système de description de leurs contenus par catégories ou mots clés qui permettent d’accéder à un classement des billets par thème, indépendamment de leur ordre d’entrée chronologique. Ainsi chaque billet est-il le plus souvent décrit par un ou plusieurs tags qui permettent de le rapprocher d’autres billets portant sur le même sujet. Les revues scientifiques utilisent depuis longtemps ce système descriptif. Les usages du même outil documentaire sont pourtant très différents dans les deux cas. Dans le cas des revues et, par extension, des archives ouvertes, les systèmes taxonomiques qui permettent d’attribuer un sujet à un article sont relativement normalisés au moins au sein d’une communauté scientifique particulière. Ces systèmes reflètent d’ailleurs la structuration d’une discipline ou d’un domaine de recherche. Les mots clés tels qu’on les trouve dans les blogs sont très différents : ajoutés à la volée par l’auteur au moment de la rédaction du billet, ils ne répondent le plus souvent à aucun souci de normalisation ou de cohérence mais reflètent simplement la diversité quelque peu chaotique qui caractérise la vie quotidienne. Pas de souci de rationalisation ici, mais plutôt la catégorisation thématique de chaque événement de telle sorte qu’il soit possible de le retrouver par la suite. C’est en ce sens que le blog de chercheur s’apparente au carnet de notes : il permet d’accumuler informations, remarques, pensées fugitives au moment où elles arrivent, avec la possibilité de les retrouver par la suite grâce aux mots clés qui auront été apposés librement au niveau de chaque entrée9.

8Voici la liste de mots clés telle qu’elle se présente sur le blog A Quantum Diaries Survivor, que l’on peut comparer à la liste des catégories que la revue de référence en physique des particules – Physical Review– utilise pour classer les articles qu’elle publie :

Nuage de tags sur le blog .
Figure 1. Nuage de tags sur le blog A Quantum Diaries Survivor.
Liste de sujets couverts par Physical
              Review A.
Figure 2. Liste de sujets couverts par Physical Review A.

9inscription des savoirslivreédition inscription des savoirsgenre éditorialrevue matérialité des savoirsinstrumentinstrument de communicationblog pratiques savantespratique intellectuellecatégorisationDans un cas, un fourre-tout sans structure, constitué de références positionnées à des niveaux de généralités très différents, mélangées à des éléments radicalement étrangers à la recherche scientifique. Ce type de catégorisation correspond à ce que l’informaticien Thomas Vander Wal a qualifié de « folksonomie10 », c’est-à-dire une catégorisation des contenus libre et sans contrôle. Dans l’autre cas, nous avons à faire à une vraie taxonomie ordonnée, couvrant de manière systématique tout le champ des recherches en sciences physiques. Cette opposition entre le bazar du blog de chercheur et la « cathédrale » de la revue scientifique met bien en évidence le caractère libérateur, pour le chercheur, du carnet de recherche par rapport aux publications canoniques11. Alors que ces dernières imposent des règles d’énonciation, des normes éditoriales, des délais fixes de publication, mais aussi des cadres de validation scientifiques stricts, le blog permet au chercheur de s’affranchir, dans les limites de cet espace, de l’ensemble de ces contraintes.

10Ce qui s’exprime en fait à travers les différents billets que le chercheur publie, c’est son parcours intellectuel. En histoire comme en sociologie, en physique des particules comme en biologie génétique, l’activité scientifique du chercheur n’est pas orientée par sa seule logique propre, mais aussi, plus ou moins intensément, par une actualité, que ce soit les événements qui touchent à sa discipline et à son milieu académique bien sûr, ou les préoccupations qui traversent la société dans laquelle il s’inscrit. C’est cela que révèle d’abord le blog de sciences en ouvrant les laboratoires aux non-spécialistes.

11acteurs de savoirstatutsavantÀ l’opposé de l’image populaire du savant Cosinus perpétuellement « dans la lune » et indifférent au monde qui l’entoure, les blogs de chercheurs témoignent finalement d’une pratique scientifique ouverte, en lien avec les débats scientifiques, intellectuels, politiques de leur époque.

Stratégies d’ego-référencement

12acteurs de savoirstatutamateur construction des savoirspolitique des savoirsévaluation de la recherche construction des savoirstraditionvulgarisation pratiques savantespratique lettréeédition savanteDe ce point de vue, le développement des blogs de sciences a tendance à redéfinir considérablement les relations entre science et société. Le phénomène le plus évident est celui de la désintermédiation. Le modèle de communication n’est plus exclusivement celui de la traduction des savoirs savants à destination d’un public de profanes par ce « troisième homme » qu’est le journaliste scientifique. Avec le blog, le chercheur s’adresse directement à un public qui n’est d’ailleurs plus segmenté : la souplesse du blog, son caractère varié lui permettent d’agréger différents lectorats sur un même lieu de publication, son site. Les différents billets, portant sur des sujets divers, rédigés dans une grande variété de registres stylistiques, s’adressent à des publics hétérogènes ou, mieux, ne préjugent ni de la qualité ni des compétences de ceux qui peuvent les lire. L’opposition avec les formes les plus traditionnelles de publication est marquée : la ségrégation forte entre revues de recherche d’un côté – où écrivent des chercheurs et que lisent les chercheurs –, revues de transfert de connaissances de l’autre – où écrivent des enseignants et que lisent des étudiants et des professionnels –, magazines de vulgarisation enfin – où écrivent des journalistes et que lit le grand public –, n’a pas vraiment cours dans l’univers des blogs. Ceux-ci opèrent donc un brouillage éditorial important puisqu’ils s’adressent à tous les lectorats en même temps, mais aussi parce qu’ils effacent les frontières des rôles professionnels. En effet, à regarder de plus près le profil des auteurs de blogs de sciences, on y trouve aussi bien des chercheurs que des journalistes scientifiques, des amateurs de science, des enseignants, des responsables de politique scientifique. Beaucoup ont des profils hybrides, à l’image de Phil Plait, animateur du blog Bad Astronomyqui s’y présente comme « un astronome, conférencier et auteur. Après avoir travaillé durant dix ans sur le télescope spatial Hubble, puis avoir enseigné l’astronomie pendant six autres années, il s’est mis à son compte comme écrivain. Il a écrit deux livres, des dizaines d’articles de magazine, et 12 zillions de billets de blogs. C’est un sceptique qui combat les mésusages de la science autant qu’il chante les louanges de la vraie science12 ». Un parcours que l’on pourrait qualifier d’atypique mais qui est assez bien représenté sur les blogs de sciences.

13acteurs de savoircommunauté construction des savoirsvalidationlégitimationCe type de présentation est en tout cas significatif des enjeux de réputation qui se jouent autour des blogs de sciences. Là encore, ce mode de communication bouscule les modèles classiques qui décrivent une situation idéale où la légitimité d’un chercheur ou d’une recherche viendrait dans un premier temps exclusivement de la reconnaissance de ses pairs, puis serait confirmée par une forme de popularité qui lui serait accordée par la société sur la base de cette excellence académique. Plusieurs études d’histoire et de sociologie des sciences ont mis en lumière la dimension entrepreneuriale de la recherche scientifique13 et prouvé que les talents de communication déployés par de grandes figures scientifiques auprès des pouvoirs publics, d’industriels ou d’autres mécènes ont joué un rôle essentiel dans leur capacité à mobiliser les moyens nécessaires à la conduite de leurs recherches. Ainsi, le succès de la carrière d’un chercheur, mais aussi des théories qu’il porte, dépend en bonne partie de sa capacité à convaincre et à communiquer en dehors de la sphère académique, à répondre à une forme de demande sociale ; cela lui donnera aussi des atouts, à plusieurs niveaux, pour améliorer la reconnaissance que la communauté académique lui accorde. Le processus doit donc plutôt être décrit comme un jeu de conversions réciproques entre plusieurs formes de crédit parmi lesquelles le crédit académique joue un rôle important, mais pas exclusif cependant. Et le blog, à la fois par sa souplesse et sa capacité à agréger tous les types de lectorat, et par les propriétés de média social14 qui lui sont propres, semble à cet égard être un outil assez efficace. Outil de construction de réputation au sein d’un ou de plusieurs réseaux, le blog remplit aussi sa fonction lorsqu’il est utilisé dans la sphère scientifique. Car, du fait de sa structure énonciative, il permet au chercheur de s’affirmer comme individualité singulière et parfois subjective, ce que n’autorisent pas les normes classiques de publication scientifique. Il permet dès lors à un chercheur ou à un groupe de chercheurs de marquer un territoire d’expertise aussi bien auprès de ses/leurs pairs que dans l’espace public. Dans sa conférence sur « Ce que le blog apporte à la science », Antoine Blanchard évoque plusieurs exemples de blogueurs dont les billets ont été remarqués à l’intérieur de leur discipline et qui ont pu être par la suite sollicités pour de véritables publications15.

14construction des savoirspolitique des savoirsévaluation de la recherche matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueWeb matérialité des savoirsinstrumentmoteur de rechercheDe nombreux autres cas peuvent être cités, parmi lesquels celui de Jean Véronis, spécialiste en informatique linguistique à l’université de Provence, qui a ouvert son carnet, Aixtal, en 2004 16, dans un premier temps à destination de ses étudiants. Progressivement, il a popularisé sa discipline en s’intéressant au moteur de recherche Google, ce qui lui a valu d’attirer l’attention d’un public moins spécialisé. Mais c’est surtout en appliquant des méthodes d’analyse issues de sa discipline aux discours des hommes politiques que Jean Véronis s’est le plus fait connaître. Il a depuis publié plusieurs ouvrages sur le sujet, et les médias font régulièrement appel à lui pour décrypter tel discours d’un homme politique ou tel débat de société. Sa compétence est aussi reconnue dans le secteur industriel où il intervient comme consultant. À travers cet exemple typé, on voit le rôle du blog comme outil d’ego-référencement : plate-forme de communication, il aide aussi le chercheur à faire fructifier son profil académique auprès de multiples instances d’évaluation.

Le blog comme dispositif social

15matérialité des savoirssupportsupport d’inscriptioncarnet typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la matièrechimie construction des savoirséconomie des savoirsdonnées ouvertesCe premier survol de l’univers des blogs de sciences conduit l’observateur sur des pistes inattendues. L’espoir d’un partage ouvert, disponible en ligne, des données brutes de la recherche, des carnets de terrain, des cahiers de laboratoire s’est révélé quelque peu illusoire, ou du moins prématuré. Ce n’est en tout cas pas sous la forme de carnets de recherche en ligne qu’il est susceptible d’être réalisé. En dehors des bases de données établies qui collectent des mesures et une information normalisée, il existe un faible nombre d’expérimentations relevant de ce que l’on qualifie quelquefois de « science à carnet ouvert » (open notebook science). L’initiative Useful Chemistry 17, en particulier, incite les chercheurs chimistes à rendre publics les comptes rendus d’expérience qu’ils réalisent. Or, il faut relever que la technologie et le type de publication Web alors utilisés ne sont pas le blog. Le carnet de recherche en ligne n’est donc pas le portage numérique du cahier de terrain ou de laboratoire, bien qu’il soit, comme lui, organisé par entrées chronologiques. Mais il n’est pas non plus un support de publication au même titre que la revue à comité de lecture, et a fortiori l’ouvrage, qu’il ne remplace pas. Le carnet de recherche en ligne se situe certainement dans l’entre-deux. Il est riche quelque-fois, dans le meilleur des cas, d’hypothèses de travail qui donneront lieu ensuite à des publications. Il rend compte la plupart du temps du travail de veille qu’effectue le chercheur dans son domaine, sur son objet de recherche. Mais surtout, le carnet de recherche en ligne constitue une interface entre l’auteur et son environnement, pris dans sa diversité et sa complexité. Il possède une dimension sociale fondamentale qui régit et définit à la fois son mode de fonctionnement et les fonctions qu’il assume. Or, cette dimension surgit de manière totalement inattendue au cours de l’analyse. Et d’abord, elle semble n’avoir pas été prévue dans les multiples réflexions qui ont pu être menées sur les transformations des écritures scientifiques sous les effets du numérique.

Une nouvelle écriture pour une conversation ancienne

16typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences des texteshistoire du livre matérialité des savoirssupportinfrastructure numériquehypertexte matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueWebLa rencontre entre le Web et les sciences humaines et sociales, par exemple, a été l’occasion d’une profusion d’initiatives et, surtout, de propositions associant une dimension pratique à une dimension théorique. Les textes qui en sont issus ont tenté de jeter les bases du futur de l’écriture scientifique. Cette nouvelle forme d’écriture, entre science et fiction, où les chercheurs mettent en scène leurs propres pratiques, a vu naître des propositions cherchant à tirer le meilleur parti du numérique en s’appuyant sur ses qualités propres. Cela a régulièrement abouti à des propositions complexes. Ainsi, Robert Darnton, historien du livre, a-t-il proposé en 1999 un modèle associant le support papier, avec publication d’un ouvrage court, et le support électronique, décomposé dans une pyramide distinguant cinq niveaux : argumentation détaillée (éléments de démonstration) ; document de travail (éléments de source ou d’interprétation de ces sources) ; considérations théoriques ou historiographiques ; propositions pédagogiques ; échanges et débats avec les lecteurs18. D’autres projets s’appuient sur des constats différents : un « syndrome de surcharge cognitive » pour Valentine Roux, imposant de changer l’écriture savante sous l’égide du paradigme logiciste de Jean-Claude Gardin 19 ; la nécessaire création d’un hypertexte savant, afin de relier les documents entre eux : c’est l’HyperNietzsche de Paolo d’Iorio 20. Ces projets sont encore au stade du prototype et de l’exploration. Ils restent des propositions isolées dans un univers éditorial qui peut paraître, à bien des égards, comme étonnamment stable.

Le commentaire comme modèle de l’évaluation libre par les pairs (open peer review)

17inscription des savoirsgenre éditorialrevue pratiques savantespratique lettréeannotation pratiques savantespratique lettréecommentaireOn constate le même phénomène lorsque les formes de publication traditionnelles cherchent à emprunter aux blogs des caractéristiques qui paraissent s’approcher de procédures canoniques. En particulier, l’ensemble du processus de peer reviewing(sélection par les pairs) des articles dans les revues peut-il devenir un processus plus ouvert, en s’inspirant de la pratique des commentaires publics dans les blogs, c’est-à-dire public, transparent et collectif, alors qu’il est aujourd’hui anonyme et privé, s’appuyant sur une désignation des experts par la direction des revues ? En 2006, la revue Nature a tenté d’ouvrir le processus en publiant en ligne les articles soumis à publication et en demandant aux lecteurs de participer à la procédure de sélection des articles par l’ajout de commentaires publics associés aux textes. De l’aveu des initiateurs de l’expérience, cela ne fut pas un grand succès :

construction des savoirspolitique des savoirsévaluation de la rechercheMalgré l’intérêt suscité par l’expérience, seule une faible proportion d’auteurs ont choisi d’y participer. En revanche, les auteurs ayant joué le jeu ont été plus satisfaits que les éditeurs de la revue. Une petite majorité d’articles a reçu des commentaires, mais ils furent peu nombreux, en dépit de mesures de consultations significatives. La plupart des commentaires n’étaient pas techniquement substantiels. Les retours de l’expérience montrent que les chercheurs sont réticents à la généralisation des commentaires ouverts. Nature et ses éditeurs vont continuer à explorer les usages participatifs du Web. Mais, au moins pour l’instant, nous avons décidé de ne pas mettre en œuvre l’évaluation libre par les pairs (l’open peer review)21.

De la perméabilité des objets éditoriaux

18construction des savoirspolitique des savoirsévaluation de la recherche construction des savoirsvalidationsignatureCette expérience d’ouverture des procédures de sélection des articles a souffert, nous semble-t-il, de plusieurs choix initiaux. Le plus déterminant est que, selon le principe de la validation par les pairs, l’expertise est anonyme. Il est donc possible d’être très critique sans compromettre ses relations avec l’auteur, ce que le commentaire ne permet pas. L’anonymat libère la parole de l’expert, en le protégeant, tout en lui permettant de se prévaloir du titre d’expert sollicité par la revue pour l’évaluation des propositions. Pour l’expert traditionnel, le gain est donc double. Pour le commentateur « 2.0 », c’est la perte qui est double. Non protégé par l’anonymat, il n’a pas intérêt à être trop sévère. Non rémunéré symboliquement par l’effort consistant à développer une argumentation structurée, le commentateur serait bien naïf d’investir une partie de son temps, rare et précieux, à agir sans avoir été sollicité. Les curriculum vitae et rapports d’activités ne permettent pas de mentionner « A laissé des commentaires en ligne sur Nature et sur Science »… Par ailleurs, assimiler le commentaire publié sur un blog à un commentaire publié dans une revue, c’est parier sur une perméabilité des objets éditoriaux. Or, celle-ci est largement anticipée, pour ne pas dire purement abstraite pour l’instant.

19Il est logique qu’un profond changement de paradigme dans les écritures savantes prenne du temps et rencontre des obstacles difficiles à surmonter à brève échéance. En 2010, le bouillonnement des nouveaux usages ne résulte pas de constructions théoriques ou de lieux de publication institutionnels, il découle de l’objet le plus anodin en apparence : le carnet de recherche. Simple, pour ne pas dire rudimentaire, cet objet réduit la complexité technologique du dispositif. Par ailleurs, le risque symbolique est moins fort que dans le cadre d’objets éditoriaux canoniques, comme les livres, revues, encyclopédies, anthologies, etc. Le blog, parce qu’il est faiblement identifié et considéré comme mineur, constitue un angle mort pour l’Académie, c’est-à-dire un lieu de liberté pour le chercheur.

Une nouvelle forme de la disputatio

20matérialité des savoirssupportsupport d’inscriptioncarnet espaces savantslieusalle de séminaire inscription des savoirsgenre éditorialdialogue acteurs de savoirmodes d'interactioncontroverseDe la disputatioà la « république des savants », la science s’est construite autour de la vertu heuristique de l’échange d’idées, par voie écrite et par voie orale. La forme académique du séminaire, où un chercheur présente à ses pairs et à des étudiants le résultat de ses recherches récentes, en est l’aboutissement. Il est le lieu de première expression d’une pensée, cette pensée qui ne sort pas armée et casquée du cerveau du chercheur, mais cherche son chemin à travers les mots, les formulations et les articulations, et se nourrit des confrontations du chercheur avec lui-même, ainsi qu’avec un premier public initié. Par bien des aspects, le carnet de recherche en ligne s’apparente à une forme écrite du séminaire – un séminaire permanent, donc, selon la formule d’André Gunthert 22. Alors que les paroles du séminaire du lundi matin se sont dissipées dès l’heure du déjeuner, alors que les dizaines de participants sont soumis aux contraintes de temps et d’espace de la rencontre formalisée par le rituel du séminaire, le carnet de recherche est une forme de séminaire plus stable et plus disponible. Consultable par des chercheurs,d’une autre ville, d’un autre pays ou d’un autre continent, il est, de plus, conservé dans le temps et disponible pour les générations à venir, les problématiques futures, pour les croisements thématiques ou méthodologiques encore impensables aujourd’hui. Il est également accessible aux lecteurs occasionnels ou profanes. On manque d’études permettant d’identifier les pratiques de lecture secondaire et les apports des carnets à l’enrichissement culturel ou scientifique de l’ensemble de la société. Le carnet de recherche rend compte d’une activité scientifique d’ordinaire bien discrète : « On voit littéralement le travail en train de se faire – ce qui n’est pas une mince façon d’en attester, à un moment où la société nous demande des comptes23. »

Maîtrise de l’exposition

21matérialité des savoirsinstrumentmoteur de recherche pratiques savantespratique lettréecorrection pratiques savantespratique lettréecommentaire construction des savoirséconomie des savoirsdonnées ouvertesL’échec de l’initiative d’open peer reviewde Nature est révélateur d’une expérience associant surexposition et sous-exposition. Surexposition : la contribution du chercheur est très visible et il n’a aucune maîtrise sur celle-ci, puisqu’il en cède le contrôle ad vitam à Nature. Or, céder cette prérogative ne va pas sans risque, surtout si le commentaire constitue un jugement sur le travail d’un collègue, et que les repentirs ne sont pas prévus… Même les archives ouvertes permettent à l’auteur de recouvrir une contribution par une autre. Les systèmes de commentaires ne le permettent pas. Un commentaire critique publié sur le carnet d’un collègue est moins menaçant que dans une revue phare de la discipline. Sous-exposition : en contribuant au site de Nature, le chercheur ne s’octroie pas une partie de la légitimité de la revue ; les commentaires sont publics et ouverts, ils ne signifient aucune sélection ou labellisation. Par ailleurs, ils sont noyés dans la traîne d’articles qui ne seront peut-être jamais publiés par la revue… et pourraient même être effacés, une fois l’expérience passée. Qu’en serait-il dans l’univers des blogs ? Il est notable que les carnets de recherche sont un lieu de prédilection pour des brèves notes de lecture, qui se multiplient, d’auteur en auteur, comme un kaléidoscope de lectures particulières d’un même texte. Il faut considérer le carnet de recherche comme un des lieux constitutifs de l’identité numérique du chercheur. C’est une partie significative de la maison numérique du carnetier. Il y contrôle à loisir son exposition, modère les commentaires, peut ajouter des addendaet des errata, associer à ses billets la liste de l’ensemble de ses publications, des liens et des logos attestant ses affiliations institutionnelles… et mettre à jour l’ensemble. Par exemple, une promotion dans un établissement prestigieux peut être rapidement enregistrée sur un blog, comme sur les autres lieux de maîtrise de l’identité numérique (Facebook, Academia.edu, etc.), et sera donc entérinée avec vélocité par les moteurs de recherche.

Rhétorique du strike

22acteurs de savoirmodes d’interactionhumour construction des savoirslangage et savoirsstyleDans sa maison numérique, le chercheur est crédité pour l’ensemble de ses contributions, qu’elles soient modestes ou géniales, rares ou nombreuses. La maison est éclairée par le style de l’auteur, qui emploie son talent à délivrer sa pensée avec maestria, maîtrisant allusions et non-dits, multipliant les manifestations d’allégeance intellectuelle et les attaques ciblées, utilisant, si possible, une petite dose d’humour. Car le clin d’œil, qui est déplacé dans l’univers des publications académiques, n’est pas aussi incongru dans l’écriture des carnets. En témoigne l’usage du strike, cette forme typographique barrant les mots, qui permet de dire ce qu’on a failli dire tout en disant qu’on ne l’a jamais dit. C’est la figure de prétérition qui trouve ici une nouvelle jeunesse. Apparaissent également les smileys, ces formes imagées aussi appelées « emoticônes », caractéristiques des communications rapides et informelles, le forum et la messagerie instantanée. Cette forme, inventée en 1982 par Scott Fahlman, un universitaire24 désireux de lever certaines ambiguïtés de ton que la langue écrite ne permet pas toujours, surtout lorsque le style est court et l’écriture rapide, règne aujourd’hui dans les communications des messageries instantanées. Si les smileys sont moins nombreux dans les carnets de recherche, ils ne sont ni absents, ni rares. Il s’agit d’une manifestation, parmi d’autres, du caractère subjectif assumé de l’objet que constitue le carnet de recherche. Cette tendance était déjà en préparation dans le recul du « nous » de majesté au profit du « je » du chercheur, notamment en sciences humaines et sociales, dans les vingt dernières années. Lieu personnel, lieu individuel, le carnet est donc potentiellement le lieu de la conversation scientifique, de pair à pair, d’individu à individu, qu’il convient d’illustrer non seulement pour asseoir la démonstration, mais également comme on décore un appartement, pour donner un ton, une couleur, une chaleur humaine. Fondée sur un mode d’énonciation particulier, une rhétorique de la subjectivité s’y déploie, à l’opposé du style neutre propre aux publications canoniques. Ce que nous pourrions appeler « la rhétorique du strike » donne une couleur particulière aux écrits des carnets de recherche en ligne.

Le smiley expliqué par Wikipedia ().
Figure 3. Le smiley expliqué par Wikipedia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Emoticon.svg).

La conversation silencieuse

23pratiques savantespratique discursiveconversationLa conversation qui a lieu dans le carnet relève, elle aussi, de la rhétorique du strike. Les observateurs ont parfois tendance à mesurer la réussite du modèle du carnet de recherche en comptabilisant le nombre et la longueur des commentaires. Il s’agit d’un indicateur quantitatif trompeur et largement inadapté, car on devrait aussi mesurer les usages de citations, qui sont en général exploitables grâce aux rétroliens, ces backlinks 25 qui font partie du cœur de l’économie d’écriture et de lecture des carnets. Cela ne permettrait de noter qu’une infime minorité de réactions, au sein de l’écosystème homogène des carnets. Dans les publications proprement dites, le blog n’a pas acquis une légitimité suffisante pour obtenir un large droit de cité. Il faut, alors, que l’auteur d’un article multiplie les contorsions pour citer un carnet sans le citer vraiment, puisqu’il ne s’agit pas d’une véritable publication… tout en restant un puissant réservoir d’idées. De plus, il ne faudrait pas négliger la conversation silencieuse qui se noue entre l’auteur et ses lecteurs.

24pratiques savantespratique lettréepublication pratiques savantespratique lettréelecture pratiques savantespratique lettréecommentaireNous sommes bien chez l’auteur, cet individu complexe, auquel on s’adresse directement lors de la rédaction d’un commentaire. Le comportement du lectorat des carnets de recherche, pour ce qui en est connu à l’heure actuelle, semble confirmer cette hypothèse : le carnet de recherche n’est pas un lieu de publication classique. Il semble que le lectorat des carnets soit plus concentré et plus fidèle que celui des revues. C’est du moins ce que laisse penser la comparaison des données de fréquentation des revues les plus consultées de Revues.org, le portail de revues en sciences humaines et sociales, et des carnets les plus fréquentés d’Hypothèses, une plate-forme de carnets de recherche en sciences humaines et sociales. Techniquement et statistiquement, les mesures ont été réalisées dans des conditions strictement identiques. Elles sont donc comparables. On établit, pour chaque site, un « taux de fidélité », qui est le nombre de visites divisé par le nombre de visiteurs. Plus le taux est proche de 1, plus il est rare de voir un visiteur revenir sur un site dans le même mois. Plus le taux s’élève au-dessus de 1, plus le nombre de retours s’élève. Une telle mesure met en évidence des comportements de consultation des revues faiblement fidèles (de 1,2 à 1,5), et des consultations des carnets à la fois plus faibles quantitativement et plus denses qualitativement, le nombre de personnes revenant régulièrement consulter le carnet étant apparemment plus élevé (de 1,9 à 4,4)26.

 

25Visiteurs uniques (mai 2009)

26Visites (mai 2009)

27Taux de fidélité

Politbistro (carnet) 1 000 4 400 4,4
L’édition électronique ouverte (carnet) 5 000 17 000 3,4
Évaluation (carnet) 3 000 7 500 2,5
Quanti (carnet) 2 600 5 500 2,12
Culture et politique arabe (carnet) 10 000 19 000 1,9
Cultures & conflits (revue) 26 000 39 000 1,5
Cybergeo (revue) 40 000 58 000 1,4
Balkanologie (revue) 4 200 5 400 1,3
Clio (revue) 36 000 43 000 1,2
Nuevo mundo (revue) 85 000 98 000 1,2

Conclusion

28pratiques savantespratique lettréelecture matérialité des savoirsinstrumentinstrument de communicationblogLe carnet de recherche produit un décentrement des lieux d’écriture vers des espaces moins codifiés et moins formels que les espaces de publication traditionnels, prenant ainsi le relais de formes plus volatiles et moins individuelles de conversation. Une récente étude menée par l’Association of Research Libraries portait sur les « formes actuelles de communication scientifique », parmi lesquelles, bien entendu, les blogs. À propos de l’un d’entre eux, les auteurs de l’étude remarquent : « Bien que les blogs focalisent l’attention des médias lorsqu’ils véhiculent des commentaires politiques, des ragots sur des célébrités ou des opinions personnelles, cette forme de publication numérique commence à intéresser aussi les scientifiques. D’une certaine manière, le blog peut être vu comme une version plus moderne de la traditionnelle liste de discussion. Par exemple, les chercheurs qui ont créé PEA Soup, un blog traitant de philosophie et d’éthique, ont voulu recréer des conversations de “machine à café” sur leur travail ; des échanges informels d’idées qui font défaut dans les petits laboratoires. L’un des créateurs du blog s’en explique : “Nous avons voulu obtenir l’équivalent électronique de la conversation avec le voisin de bureau, mais avec des gens situés dans tout le pays voire le monde entier”27. » On constate, à travers ces analyses, que ce qui est en jeu est moins l’économie de l’écriture que l’économie de la lecture. Ce qui a été un changement révolutionnaire au cours des dix dernières années, c’est avant tout l’accès. En jetant les bases d’une nouvelle relation avec le lectorat, le carnet de recherche permet de réinventer l’écriture scientifique autour du paradigme de la conversation, renouant ainsi avec une vieille tradition de débat scientifique, tout en se dotant d’une rhétorique adaptée au nouvel espace qui se met en place. On constate, enfin, que le plus ancien dépôt d’archives ouvertes, ArXiv, exploite désormais les rétroliens des blogs scientifiques, en les détectant et en les mettant en évidence28. Un tel rapprochement entre des objets très différents semble montrer que la convergence pourrait passer, non pas par la contamination des formes académiques les plus établies, ce qui pourrait déboucher sur leur fusion, sous la forme de carnets-revues-archives ouvertes, mais plutôt par la consolidation de chaque espace. Dans cette hypothèse, le carnet deviendrait un maillon du dispositif scientifique, valorisé par l’échange de données entre les types d’objets, c’est-à-dire par l’interopérabilité des différents types d’objets et de lieux de science. Ce n’est pas exactement la pyramide de Darnton, mais nous en sommes peut-être tout près.

Notes
1.

Latour, 1993, p. 192.

2.

Latour et Woolgar, 1986, p. 53.

3.

« Un blog est un type de site Web habituellement créé par une personne, publiant à intervalle régulier des billets proposant des commentaires, des comptes rendus d’événements, voire des images et des vidéos. Les billets sont habituellement présentés par ordre chronologique inverse. […] Beaucoup de blogs proposent des commentaires ou des nouvelles sur un sujet particulier, d’autres fonctionnent comme des journaux intimes en ligne. Un blog standard combine du texte, des images et crée des liens vers d’autres blogs, des pages Web et d’autres médias qui traitent du même sujet. La possibilité pour les lecteurs d’interagir avec l’auteur en laissant des commentaires est une dimension importante pour la plupart des blogs. » (Wikipedia, 2009, article « blogs ».)

4.

Dacos et Mounier, 2009.

5.

Blanchard, 2008.

6.

Holz et al., 2009.

7.

Dorigo, 2009.

8.

Gunthert, 2009.

9.

Mortensen et Walker, 2002.

10.

Vander Wal, 2007, et L e D euff, 2006.

11.

L’image de la cathédrale et du bazar a été initialement développée par Eric Steven Raymond dans le cadre de l’analyse du développement de l’open source (Raymond, 2001).

12.

« An astronomer, lecturer, and author. After ten years working on Hubble Space Telescope and six more working on astronomy education, he struck out on his own as a writer. He has written two books, dozens of magazine articles, and 12 bazillion blog articles. He is a skeptic, and fights misuses of science as well as praising the wonder of real science. » (Plait, 2009.)

13.

François Jacq par exemple, dans le cas de la France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (Jacq, 2002).

14.

Nardi et al., 2004.

15.

Blanchard, 2008.

16.

Véronis, 2009.

17.

Useful chemistry, 2009.

18.

Darnton, 1999.

19.

Roux et Blasco, 2004.

20.

Amblard et D’Iorio, 2000.

21.

Greaves et al., 2006. Traduction de Marin Dacos.

22.

Gunthert, 2008.

23.

Ibid.

24.

Fahlman, 2009.

25.

Les rétroliens sont établis dans le sens inverse des hyperliens : ils permettent de signaler sur un blog qu’un autre blog a établi un lien pointant vers lui.

26.

Un visiteur unique est un individu, plus précisément un poste de travail, qui a fait au moins une demande de consultation d’une page du site Web durant le mois étudié. Si le poste de travail consulte plusieurs fois le site durant cette période, il n’est comptabilisé qu’une seule fois. Les visites mesurent le nombre de visites réalisées par tous les visiteurs durant la période étudiée. Il s’agit en fait d’une session, définie comme une adresse IP unique accédant à une page, et ensuite demandant trois autres pages sans laisser plus d’une heure entre les requêtes. Il faut s’attendre que des biais de mesures soient introduits, lorsqu’un poste est partagé (plusieurs personnes partagent un même poste de travail et donnent le sentiment d’un unique visiteur), lorsqu’un proxy sépare le poste de la ressource (le proxy cache de nombreux accès, qu’ils soient du même poste ou de postes différents), lorsque le lecteur arrive sur une page et constate qu’elle n’est pas intéressante.

27.

« Though blogs may receive more attention in the popular media as vehicles for political commentary, celebrity gossip, or personal musings, this form of digital content is being put to interesting use by scholars, as well. In some ways, blogs may be thought of as an “updated” version of the traditional listserv. For example, the scholars who created PEA Soup, a blog focused on philosophy and ethics, were eager to re-create the “water cooler conversations” about their work – working through new ideas informally – that they otherwise lacked as members of relatively small departments. “We were more interested in the electronic equivalent of walking down the hall to talk to your colleague, but with people all over the country and world,” according to one of its founders. » (Maron, 2006, p. 28.)

28.

ArXiv, 2009.

Appendix A Bibliographie

Sources
  1. ArXiv, 2009 : « Trackbacks », ArXiv, en ligne, URL : http://arxiv.org/help/trackback/ Consulté le 24 juillet 2009.
  2. Dorigo, 2009 : Tommaso Dorigo, A Quantum Diaries Survivor, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iUBKmLfl
  3. Fahlman, 2009 : Scott E. Fahlman, « Smiley Lore :-) », Carnegie Mellon University, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iSxy6BMJ
  4. Gunthert, 2009 : André Gunthert, Actualités de la recherche en histoire visuelle, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iUBip6IC
  5. Holz et al., 2009 : Daniel Holz et al., Cosmic Variance, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iUBJCkFf
  6. Plait, 2009 : Phil Plait, Bad Astronomy, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iUCCeo1p
  7. Useful Chemistry, 2009 : Useful Chemistry, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iV5OhQXh
  8. Véronis, 2009 : Jean Véronis, Aixtal, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iV5EmfLQ
  9. Wikipedia, 2009 : Wikipedia, the free encyclopedia, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iV9uPE6d
Autres références
  1. Amblard et D’Iorio, 2000 : Philippe Amblard et Paolo D’Iorio, HyperNietzsche. Modèle d’un hypertexte savant sur Internet pour la recherche en sciences humaines, Paris.
  2. Blanchard, 2008 : Antoine Blanchard, « Ce que le blog apporte à la recherche », La Science, la cité, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iUAxXVIH
  3. Dacos et Mounier, 2009 : Marin Dacos et Pierre Mounier, « Sciences et société en interaction sur Internet », Communication & langages, vol. 2009, no 159, p. 123-135.
  4. Darnton, 1999 : Robert Darnton, « The New Age of the Book », The New York Review of Books 46, no 5, 18 mars, 1999, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iV7P634j
  5. Greaves et al., 2006 : Sarah Greaves et al., « Nature’s Trial of Open Peer Review »,Nature, décembre 2006. URL : http://www.webcitation.org/5iT1OanU5
  6. Gunthert, 2008 : André Gunthert, « Why blog ? », Actualités de la recherche en histoire visuelle, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iT16xsza
  7. Jacq, 2002 : François Jacq, « Aux sources de la politique de la science : mythe ou réalités ? (1945-1970) », La Revue pour l’histoire du CNRS, no 6, mai 2002, en ligne, URL : http://histoire-cnrs.revues.org/document3611.html (consulté le 24 juillet 2009).
  8. Latour, 1993 : Bruno Latour, Petites leçons de sociologie des sciences, Paris.
  9. Latour et Woolgar, 1986 : Bruno Latour et Steve Woolgar, Laboratory Life : the Construction of Scientific Facts, Princeton ; trad. Michel Biezunski, La Vie de laboratoire, Paris, 1988.
  10. Le Deuff, 2006 : Olivier Le Deuff, « Folksonomies », BBF, no 4, p. 66-70, en ligne. URL : http://bbf.enssib.fr/ (consulté le 23 juillet 2009).
  11. Maron, 2006 : Nancy Maron et Kevin Smith, Current Models of Digital Scholarly Communication. Scholarly Communication, novembre 2006. URL : http://www.arl.org/sc/models/model-pubs/pubstudy/index.shtml (consulté le 24 juillet 2009).
  12. Mortensen et Walker, 2002 : Theresa Mortensen et Jill Walker, « Blogging Thoughts : Personal Publications as Online Research Tool », in Andrew Morrison (dir.), Researching ICTs in Context, Oslo, p. 249-279.
  13. Nardi et al., 2004 : Bonnie A. Nardi et al., « Blogging as social activity, or, would you let 900 million people read your diary ? », in Proceedings of the 2004 ACM Conference on Computer Supported Cooperative Work, 222-231, Chicago (Illinois), ACM, 2004. URL : http://doi.acm.org/10.1145/1031607.1031643 (consulté le 24 juillet 2009).
  14. Raymond, 2001 : Eric S. Raymond, The Cathedral & the Bazaar, Musings on Linux and Open Source by an Accidental Revolutionary, New York.
  15. Roux et Blasco, 2004 : Valentine Roux et Philippe Blasco, « Faciliter la consultation des textes scientifiques », Hermès, no 39, en ligne. URL : http://hdl.handle.net/2042/9477 (consulté le 24 juillet 2009).
  16. Vander Wal, 2007 : Thomas Vander Wal, « Folksonomy Coinage and Definition », Vanderwal.net, en ligne. URL : http://www.webcitation.org/5iUBuNZLW