Emmanuel Benazera

1construction des savoirsépistémologiedonnées massives acteurs de savoiracteur non humain acteurs de savoirqualités personnellesintelligence matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueInternetEn mai 1999, la montée en puissance de l’Internet grand public contribue indirectement à la diffusion sans précédent d’un projet pourtant mené depuis les années 1960 : la recherche des intelligences extraterrestres, plus connue sous son acronyme anglophone, la SETI (« Search for Extraterrestrial Intelligences »). Jouant sur l’engouement grandissant pour les utilisations partagées de l’ordinateur personnel, un petit logiciel, « SETI@Home » (SETI-à-la-maison), invite tous ceux qui le téléchargent à mettre le temps et la puissance inutilisés du processeur de leur ordinateur au service d’une ambitieuse recherche automatisée. Il s’agit en effet d’analyser la masse de données reçues par le télescope Arecibo, basé à Porto Rico, afin d’y repérer des signaux éventuels de communications extraterrestres. Dix ans plus tard, l’absence de résultats, officiellement constatée par l’université de Berkeley et le SETI Institute en Californie, est venue confirmer la désespérante possibilité que nous soyons seuls dans notre galaxie, et peut-être même dans l’Univers tout entier.

Traces, signaux et dispositifs

2typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la matièrephysiquephysique théoriqueLa détection des civilisations extraterrestres (CET) s’appuie sur l’universalité des lois physiques, qui prédisent que le comportement colonisateur ou le degré d’avancement technologique d’une CET produisent naturellement des signaux et des rayonnements à travers l’espace. Ces signaux doivent donc pouvoir être détectés par captation, avec un retard proportionnel à la distance qui sépare leur point d’émission de leur lieu de réception.

Antennes et dispositifs

3matérialité des savoirsinstrumentinstrument d'enregistrement pratiques savantespratique discursivecommunicationC’est sur cette hypothèse que la SETI a débuté dans les années 1960 et qu’elle s’est naturellement consacrée à la détection de messages transmis à travers l’espace. L’émergence de ce type de recherche dans l’après-guerre est à corréler avec la maturité atteinte par les technologies de télécommunication de l’époque1. La détection s’effectue en mode d’écoute, aussi dit « de réception », à opposer au mode d’émission. Cependant les mêmes antennes paraboliques peuvent être utilisées pour l’un et l’autre mode. En réception, le pouvoir d’amplification du signal par l’antenne est une fonction du carré de sa surface, exprimée en longueur d’onde. C’est pourquoi la taille des antennes utilisées en radioastronomie peut atteindre jusqu’à plusieurs centaines de mètres2. La tendance actuelle est à l’élaboration de radiotélescopes géants non plus d’une seule pièce, mais sous la forme de plusieurs centaines d’antennes paraboliques reliées les unes aux autres. Ces ensembles sont communément appelés radio-interféromètres. Ainsi le « Very Large Array » (VLA) installé au Nouveau-Mexique consiste-t-il en 27 antennes mobiles de 25 m de diamètre chacune. Le SETI Institute fut doté, grâce à des fonds privés, du « Allen Telescope Array » (ATA) dont les 42 premières antennes ont été mises en service en octobre 2007. La mobilité des antennes permet de créer plusieurs formations afin de varier la taille et la forme de l’antenne globale de ce radio-interféromètre. Aujourd’hui, l’écoute est réalisée en parallèle par plusieurs groupes d’antennes sur des longueurs d’onde différentes. L’écoute en parallèle accroît bien sûr la vitesse et le spectre des recherches, et permet de capturer des signaux en provenance de différentes régions de l’Univers.

Scénarios pour la détection

4Trois scénarios de captation de messages extraterrestres sont envisagés. Ou bien le signal capté nous est destiné, ou bien il ne nous est pas directement destiné mais il s’agit d’un signal de communication, ou bien encore le signal est un résidu des activités de la CET.

5pratiques savantespratique corporelleperceptionouïe pratiques savantespratique corporelleperceptionLes deux premiers scénarios, ou scénarios communicatifs, reposent sur l’hypothèse d’une rationalité des CET cherchant à communiquer. Il faut en effet comprendre que la transmission des signaux éventuels est compliquée par les mécanismes interstellaires naturels de l’Univers. Des myriades de phénomènes actifs provoquent un bruit galactique constant et perceptible auquel il faut ajouter les perturbations dues à l’atmosphère terrestre3. Il reste une fenêtre de bruit minimal, mais bien évidemment non nul, dans la plage des longueurs d’onde de 3 à 60 cm. Il est donc tentant d’imaginer que des CET, procédant à un raisonnement similaire au nôtre, choisiraient d’émettre dans cette bande de fréquences. D’autres choix, plus hypothétiques, sont souvent défendus, comme d’écouter et d’émettre dans la bande 18-21 cm, correspondant au spectre de l’hydrogène et de l’oxygène combinés (et donc de l’eau). Dans les faits, l’approche la plus réaliste reste une analyse systématique en réception de la bande 3-60 cm. Pourtant, la plage optimale d’émission ne coïncide pas avec la plage 3-60 cm, car des longueurs d’onde plus courtes permettent une meilleure propagation du signal dans l’espace.

6typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la vie et de l'environnementexobiologie typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la Terre et de l'UniversastrophysiqueLe troisième scénario, ou scénario non communicatif, correspond à la détection d’activités non communicatives, mais que l’on peut néanmoins différencier du fonctionnement dit « naturel » des mécanismes de l’Univers. Or les mécanismes interstellaires se situent dans des bandes de fréquences larges (plusieurs kilohertz). Des signaux aussi étroits que 1 Hz ne peuvent avoir comme origine que des mécanismes extrêmement complexes. La possible détection de tels signaux pose le problème de leur caractérisation, c’est-à-dire celle de la « fiche signalétique » de la vie. Celle-ci peut par exemple s’exprimer sous la forme de la signature spectrale de la photosynthèse.

7On utilise en général une caractérisation anthropologique, notamment celle définie par l’astrophysicien Nikolai Kardashev en 1964. Il propose une classification des civilisations en trois catégories à partir de leur consommation d’énergie ou, de façon à peu près équivalente4, de l’énergie à leur disposition, exprimée en puissance, c’est-à-dire énergie par unité de temps. Une civilisation de type I, telle que la nôtre, pourrait disposer de la puissance d’une planète (celle de la Terre équivalant approximativement à 1,74 × 1017 Watt). Une civilisation de type II pourrait disposer de toute l’énergie d’une seule étoile, telle que notre soleil, ce qui représente à peu près 1014 fois ce dont disposerait une civilisation de type I. La civilisation de type III, quant à elle, serait capable de capturer l’énergie d’une galaxie entière.

8En suivant la classification de Kardashev, il est possible d’échanger des signaux avec une civilisation de type I à l’aide d’une antenne de 100 m de diamètre. Ces signaux seraient détectables jusqu’à une distance de mille années-lumière. Un message émis par une CET de type II nous serait audible avec une antenne de 10 m de diamètre à une distance de cent millions d’années-lumière, donc cent mille fois plus loin que les civilisations de type I. Une civilisation de type III quant à elle serait détectable dix mille fois plus facilement que les civilisations de type II les plus éloignées5. Étant donné l’absence de résultats, on convient que des civilisations de type II ou III sont absentes de notre galaxie, si du moins on fait l’hypothèse que ces CET émettent dans des longueurs d’onde de l’ordre du centimètre.

Les expériences et l’absence de résultats

9typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la Terre et de l'UniversastronomieLa première expérience de SETI moderne a été réalisée par l’astronome Frank Drake en 1960. Son projet OZMA utilisa une antenne parabolique de 26 m de diamètre afin de sonder les étoiles Tau Ceti et Epsilon Eridani, respectivement à 12 et 10,5 années-lumière du système solaire. C’est en 1971 que la NASA finança le premier programme SETI d’envergure : le télescope envisagé dans ce projet devait comprendre 1 500 antennes, mais il ne fut jamais construit. Devant la difficulté d’accéder aux radiotélescopes existants, et probablement aussi de faire comprendre l’importance de son projet, l’université de Berkeley en Californie lança le programme « SERENDIP », consistant à analyser les données obtenues par d’autres astronomes dans leurs activités d’observations régulières. Ce programme, qui connut plusieurs réactualisations, se poursuit encore aujourd’hui. Il n’en reste pas moins que le coût de la SETI, en particulier pour la mise en place de réseaux de radiotélescopes de grande taille, constitue depuis le début l’un de ses handicaps majeurs. En 1992, la NASA proposa de financer, à hauteur de 0,1 % de son budget, une carte d’observation en haute résolution des émissions de 800 étoiles proches. Mais en 1993, le Sénat américain vota un amendement qui élimina définitivement tout financement direct par la NASA. À partir de 1993, c’est le SETI Institute, fondé en 1984 et à but non lucratif, qui reprit à son compte le projet de recherche. L’institut lança le projet « Phoenix » en 1995, en utilisant le radiotélescope Parkes en Australie, puis celui d’Arecibo, à Porto Rico. En mars 2004, après avoir concentré l’écoute sur 800 étoiles dans un rayon de 200 années-lumière, l’institut SETI rendit un rapport concluant à l’absence d’évidence d’un quelconque signal extraterrestre.

Réception, modes de l’intelligence

10La détection par écoute ne constitue que l’un des pôles de la recherche des CET ; un autre pôle est l’émission directe de messages terrestres à l’intention de CET supposées à l’écoute. Il s’agit alors de l’élaboration d’un scénario de communication explicite, aussi appelé SETI « actif ». Les signaux mis au point et envoyés contiennent un message, contrairement aux signaux involontaires directement issus de l’activité humaine sur Terre et sur son orbite. Depuis quelques décennies, cette activité de communication volontaire est détectable depuis l’espace.

Dispositifs sémantiques pour le message émis

11typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagesyntaxe typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagesémantiqueSur le plan pratique, l’émission doit surmonter nombre de difficultés techniques, mais aussi sémantiques. En effet, à l’inverse des messages humains dans une langue naturelle donnée, la communication avec les CET ne peut présupposer de principe de construction et de norme de réception qui aillent de soi. Toute présupposition sémiotique ou référentielle dans ce contexte risque d’être invalidée, faute d’être suffisamment universelle pour sortir du cadre de la communication humaine, voire d’une langue et d’une culture humaines particulières. De ce fait, les règles, le vocabulaire comme la syntaxe d’un langage commun doivent être inventés, prédéfinis et explicités. Le message doit être autosuffisant et rendre intelligible son principe de construction : le texte doit être son propre contexte. Si l’on suppose que les lois de l’Univers physique sont identiques en tout point de celui-ci, alors les phénomènes universels de la physique pourraient constituer un référent, voire un langage partagé. Cette solution présuppose chez les CET destinataires de la communication un certain niveau de connaissance de ces phénomènes et de leur quantification. On considère cette hypothèse comme allant de soi, car notre propre civilisation ne pourrait communiquer qu’avec une CET au moins aussi avancée qu’elle. D’autres codes de communication peuvent être contenus dans l’artefact utilisé pour la transmission, c’est-à-dire la sonde spatiale ou le support matériel du message. Par exemple, la longueur d’onde de transmission d’un message peut être utilisée comme unité de longueur, tout comme la taille d’un élément de la sonde. Cette solution nécessite moins de connaissances préalables partagées, mais limite en pratique les informations qui peuvent être communiquées.

Message pictural embarqué sur la sonde
              Pioneer 10.
Figure 1. Message pictural embarqué sur la sonde Pioneer 10.

Expériences : les messages des sondes Pioneer et Voyager

12inscription des savoirsvisualisationimage inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l'informationPioneer 10 et 11 furent lancées respectivement le 3 mars 1972 et le 6 avril 1973. À leur bord, un dispositif inédit : un message à destination d’intelligences extraterrestres susceptibles d’intercepter l’une des deux sondes. Pioneer 10 a embarqué une plaque en aluminium et en or de 29 cm sur 15 cm comportant un message pictural.

13typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la matièrephysique acteurs de savoiracteur non humainparticuleatomeEn haut à gauche se trouve représenté le « spin » de l’électron dans un atome d’hydrogène, l’atome le plus abondant dans l’Univers. La transition de l’atome d’hydrogène d’un état de l’électron dit « spin » haut à « spin » bas, et inversement, définit une longueur d’onde de 21 cm aussi bien qu’une fréquence de 1 420 MHz. Ces deux constantes physiques permettent de définir deux unités, de longueur et de temps respectivement, servant de bases numériques aux informations contenues dans les autres pictogrammes de la plaque.

14acteurs de savoirsexe et genremasculin acteurs de savoirsexe et genrefémininSur la moitié droite de celle-ci sont gravées les images d’un homme et d’une femme, nus. La femme est légèrement plus petite que l’homme, reflétant les moyennes constatées. La taille de la femme est indiquée en binaire et selon l’unité de longueur définie ci-dessus : 8 × 21 cm = 168 cm. Cette partie de la plaque comprend un élément particulièrement significatif : la silhouette de la sonde Pioneer à l’arrière-plan des deux formes humaines. En effet, la sonde elle-même peut être utilisée comme unité de mesure. Elle est donc représentée à l’échelle des deux figures humaines.

15Sur la moitié gauche, un diagramme radial présente quinze lignes partant d’un même centre. La plus longue ligne horizontale représente la distance de notre soleil au centre de notre galaxie. Les quatorze autres lignes comportent chacune un nombre en forme binaire, qui désigne la période d’un pulsar. La longueur de la ligne exprime la distance du pulsar par rapport au Soleil. Une marque unique vers la fin de chaque ligne indique la coordonnée Z perpendiculaire au plan de la Galaxie. Pour une intelligence à l’autre bout de la Galaxie, le fait de pouvoir reconnaître ne serait-ce qu’un sous-ensemble des quatorze pulsars représentés permettrait par triangulation de déterminer les coordonnées de la Terre, et donc l’origine de la plaque. Il faut enfin noter que la période des pulsars diminue et que, si le taux de ralentissement demeure constant, la même intelligence pourra déterminer la date à laquelle la plaque a été gravée, par rapport à son propre référentiel. La position dans le temps et l’espace de notre espèce ainsi établie, le dernier élément inscrit sur la plaque est un diagramme schématique du système solaire. Le pictogramme indique la trajectoire de la sonde au large de Mars et de Jupiter6, à l’aide d’une représentation miniature de celle-ci. Les nombres binaires attachés aux planètes indiquent la distance de chacune par rapport au Soleil. Certains pictogrammes de la plaque Pioneer furent particulièrement critiqués, comme le choix d’une flèche pour indiquer la trajectoire de la sonde dans le diagramme du système solaire, ainsi que d’autres erreurs déterminées par la suite7 : la fréquence erronée de l’un des pulsars, les anneaux de Saturne (les seuls connus à l’époque, alors que ceux d’Uranus et de Neptune étaient encore inconnus).

16Malgré l’ingéniosité de la composition du message et sa nature autosuffisante, car il contient les clefs de son déchiffrement, il faut d’abord noter que, étant donné la petite taille de chacune des sondes, leurs trajectoires respectives et l’étendue de l’espace interstellaire, la probabilité d’une interception par une CET est dans les faits quasi nulle. Ensuite, les informations inscrites sur la plaque des sondes Pioneer présupposent l’existence d’une caste de scientifiques au sein de la civilisation réceptrice. Il faut savoir cependant que le message s’est révélé proprement indéchiffrable par les chercheurs terrestres eux-mêmes ! Quoi qu’il en soit, l’hypothèse de l’existence de scientifiques est probable, vu qu’il est physiquement impossible de capturer ces sondes autre part qu’en espace profond. En effet, si les sondes devaient toucher une planète ou une étoile, elles seraient détruites avant d’en atteindre le sol (elles ne sont ni équipées pour entrer dans l’atmosphère d’une planète, ni pourvues d’un système d’atterrissage en l’absence d’atmosphère), et il ne se trouve en plus aucun corps détectable sur leur chemin pour les prochains millénaires. En conséquence, le message et les sondes qui les transportent présupposent un niveau très élevé de maîtrise technologique et de navigation en espace profond de la part des intercepteurs éventuels. On retrouve ici l’une des hypothèses les plus couramment postulées de la SETI, à savoir que nous ne cherchons à communiquer, soit en émission, soit en réception de message, qu’avec des CET au moins autant, sinon plus avancées que notre propre civilisation terrestre. On notera enfin le postulat implicite selon lequel les éventuels récepteurs du message disposent d’organes de perception visuelle et de capacités cognitives guère éloignés des nôtres, leur permettant de comprendre un dispositif graphique bidimensionnel, mêlant sur un même plan différents registres de figuration, dont l’articulation, l’échelle et l’orientation sont présupposées aller de soi.

17matérialité des savoirsinstrumentinstrument d'enregistrementenregistreurL’expérience est renouvelée quatre ans plus tard. Les sondes Voyager 1 et 2 furent respectivement lancées les 5 septembre 1977 et 20 août 1977. À leur bord, un message bien plus complexe et ambitieux que celui que transportaient les sondes Pioneer. Le « Golden Record » ou « enregistrement en or » embarqué sur les sondes Voyager est un disque de phonographe.

18inscription des savoirscodage de l’informationcodeCe disque de 30 cm en cuivre recouvert d’or contient 115 images ainsi que des sons provenant de toute notre planète : il en offre le portrait visuel et sonore. Le disque est protégé par une pochette en aluminium, avec une cartouche de lecture contenant une aiguille. Car tel est bien le cœur du problème : les explications pour procéder à la lecture du disque doivent être données dans un langage symbolique et universel. Ainsi les images sont-elles encodées de façon analogique, et les 90 minutes d’enregistrements sonores sont encodées à la vitesse de 16,66 tours par minute. La plaque contenant les instructions est gravée de huit pictogrammes dont la transition de l’hydrogène et la carte des pulsars déjà présents sur les plaques Pioneer. Ainsi, les mesures de temps et de longueur sont de nouveau exprimées en binaire avec des unités sous-jacentes de temps et de mesure. Les autres pictogrammes représentent notamment la manière de positionner la cellule de lecture, le signal présent sur le disque et la première image supposée apparaître, à savoir un cercle.

« Golden Record » embarqué sur les sondes
              Voyager.
Figure 2. « Golden Record » embarqué sur les sondes Voyager.

19Les sondes Pioneer 10 et 11 sont présumées mortes ; elles furent contactées pour la dernière fois respectivement en janvier 2003 et en septembre 1995. En revanche, les deux sondes Voyager 1 et 2 sont toujours en contact intermittent avec la Terre, et leur capacité électrique devrait durer jusqu’aux environs de 2020. Voyager 1 est donc aujourd’hui l’artefact humain le plus éloigné de la Terre et en passe de n’être rattrapé par aucune autre sonde.

20Enfin, le 16 novembre 1974 un message à destination de CET fut lancé depuis le radio-télescope d’Arecibo et dirigé vers l’amas globulaire d’Hercules (M13), comprenant plus de huit cent mille étoiles, l’un des plus vieux connus, son âge étant estimé entre 12 et 14 milliards d’années. Cette transmission de 1 679 bits reste le signal de source humaine le plus puissant jamais envoyé vers l’espace.

21Une antenne de taille similaire, située quelque part dans notre galaxie, devrait en théorie pouvoir détecter ce signal, qui n’atteindra sa destination que dans 25 000 ans. Le nombre de 1 679 bits n’est là encore pas choisi au hasard : produit de deux nombres premiers, il est une façon d’indiquer aux récepteurs éventuels du message que l’information consiste en un tableau de 73 lignes, à 23 caractères par ligne. Une faille de ce dispositif est que l’une des deux orientations possibles du message (23 lignes à 73 caractères) est erronée, produisant un quadrilatère de bits inintelligibles, contrairement au message correctement orienté et décrypté. Afin de compenser ce problème, les pictogrammes formés par les bits du message sont construits de façon à rester reconnaissables quelle que soit son orientation. Le message dit d’Arecibo comprend sept sections.

Message lancé depuis le radiotélescope
              d’Arecibo vers l’amas globulaire d’Hercules le 16 novembre
              1974.
Figure 3. Message lancé depuis le radiotélescope d’Arecibo vers l’amas globulaire d’Hercules le 16 novembre 1974.

22inscription des savoirsécriturechiffreD’abord les nombres de 1 à 10 en format binaire sur 3 lignes et 23 colonnes, devant les numéros atomiques des composants de l’ADN, à savoir l’hydrogène, le carbone, le nitrogène, l’oxygène et le phosphore (1, 6, 7, 8, 15). Ensuite sont décrits les nucléotides de l’ADN, en combinant les atomes encodés dans les lignes précédentes. Puis vient une image de la double hélice de l’ADN, avec en son cœur le nombre total de nucléotides (surestimé à l’époque) écrit en binaire. La section suivante figure un humain avec à sa gauche sa taille moyenne en binaire, et à sa droite le chiffre de la population mondiale à l’époque. Il faut remarquer que la notation de la taille humaine moyenne utilise comme référentiel la longueur d’onde de la transmission du message, à savoir 126 mm. Ainsi 14 (le nombre encodé) multiplié par la longueur d’onde donne-t-il environ 1,76 m. L’avant-dernière section décrit le système solaire, montrant le Soleil en agrégat de bits, et les planètes successives, le bit représentant la Terre étant décalé afin d’attirer l’attention sur sa spécificité. Enfin, la dernière section schématise le radiotélescope, en indiquant son diamètre, toujours dans le référentiel de la longueur d’onde de transmission du message. Ce message fut conçu par Frank Drake avec notamment la collaboration de Carl Sagan.

Limites temporelles et techniques de l’émission

23inscription des savoirscodage de l'information pratiques savantespratique discursivecommunicationLa communication active aussi bien en réception qu’en émission de message semble ainsi avoir rapidement atteint ses limites. Limites temporelles d’abord, car les signaux envoyés naviguent sur des distances à l’échelle de notre galaxie, rendant toute réponse directe impossible avant plusieurs dizaines de milliers d’années. Limites expressives ensuite, car la nécessité pour chaque message d’expliciter les modalités de son décodage impose la construction des bases d’un langage commun et limite le contenu de chaque essai de communication à quelques informations générales. Limites expérimentales, enfin, car l’absence de détection positive fragilise l’entreprise elle-même, de sorte que d’autres voies, moins coûteuses, ou plus probantes, sont explorées. De plus, les techniques mêmes mises en œuvre, aussi bien pour la détection que pour l’émission des messages, reposent, nous l’avons dit, sur l’hypothèse que les CET avec lesquelles nous cherchons à communiquer disposent de moyens au moins aussi avancés que les nôtres. Dans le cas contraire, les CET sont par essence indétectables. Autrement dit, il faut que les CET acceptent d’être visibles pour que nous puissions les voir. Pour ces différentes raisons, la dernière décennie a connu le développement et le succès de la détection d’exoplanètes susceptibles d’abriter la vie.

Intelligence et rationalité de la recherche d’intelligence

24acteurs de savoirqualités personnellesintelligencePassé l’engouement fébrile des premières campagnes de prospection, et devant l’absence sans ambiguïté de preuves de l’existence d’intelligences extraterrestres proches (venues nous visiter sur Terre) ou plus lointaines, force fut non pas d’abandonner cette recherche, mais de l’orienter logiquement, si ce n’est scientifiquement. Il s’agissait désormais de s’appuyer sur des hypothèses quantitatives ou des paradoxes à même de préciser les orientations futures de la SETI. Il fallait à la fois arracher la SETI au domaine de la pure spéculation, voire de l’irrationnel (phénomènes OVNI8, anthropocentrisme religieux, etc.), mais aussi mieux marquer sa place parmi les sciences dont elle participe : physique, cosmologie, biologie. Par leur incertitude et leur relative imprécision, au regard des sciences « dures », les raisonnements et les classifications mis en œuvre (civilisations de Kardashev par exemple) apparaissent comme des procédures non rigoureuses, si ce n’est erronées, s’opposant à tout ce qui fait de la physique la plus avancée des sciences. Car tel est bien le trait distinctif de la SETI, une articulation difficile et parfois douloureuse entre techniques avancées de simulation numérique, de détection, d’observation ou de communication, et des raisonnements et des enchaînements d’hypothèses non quantifiés, voire non quantifiables. Néanmoins, parmi les grands principes qui ont déterminé l’orientation de la SETI, certains monopolisent l’attention à juste titre, par leur pouvoir discriminant sur les différentes hypothèses et leur éclairage sur l’absence de résultats. Parmi ceux-ci dominent le paradoxe de Fermi-Hart et le principe anthropique.

Paradoxe de Fermi-Hart

25pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementparadoxeL’absence d’intelligences extraterrestres sur la Terre ou dans l’espace que nous pouvons observer a d’importantes implications pour la recherche d’autres formes d’intelligences dans le reste de l’Univers. On dit que c’est en 1950, au cours d’un repas, que l’astronome Enrico Fermi aurait formulé devant ses collègues la question suivante : « S’il existe des intelligences extraterrestres, alors où sont-elles ? », sous-entendant en fait que celles-ci devraient déjà être entrées en contact avec nous9. Cette question fut par la suite reprise par Michael Hart 10, qui lui donna le nom de « paradoxe de Fermi-Hart », faisant état de l’apparente contradiction entre la probabilité élevée de l’existence de civilisations extraterrestres et l’absence totale de preuves. On pourrait formuler ce paradoxe de la manière suivante : si nous ne sommes pas les seuls observateurs de l’Univers et si notre position et notre existence ne sont caractérisées par aucun élément exceptionnel11, comme le primat anthropocentrique, alors étant donné la courte durée de notre évolution par rapport à l’âge estimé de l’Univers, une race extraterrestre légèrement plus avancée que la nôtre aurait pu, à partir d’un autre point de notre galaxie et en quelques centaines de milliers, voire quelques millions d’années, visiter l’ensemble des planètes de la Galaxie, dont la Terre. L’absence de traces objectives de cette visite dans le système solaire et au-delà tendrait à montrer que nous sommes seuls et donc particuliers, ce qui nous fait revenir à la position téléologique d’un anthropocentrisme fort, paradoxal, vu l’hypothèse de départ.

26Depuis quelques années, ce paradoxe est corroboré par de nouveaux résultats. En premier lieu, la formation des planètes paraît reposer sur la présence d’éléments lourds autour des étoiles en formation. Les petites planètes de la taille et du type de la Terre semblent ne pouvoir se former que lors d’une adéquation relativement précise entre la présence d’éléments lourds et celle d’autres planètes, géantes celles-ci. L’étude et la simulation de la formation des planètes de type terrestre permettent d’estimer la distribution de leur présence et de leur âge dans l’Univers : les trois quarts de ces planètes sont environ 2 milliards d’années plus vieilles que la Terre12. Si la vie se développe aussi rapidement sur ces planètes que sur la nôtre, les races extraterrestres auraient largement eu le temps d’atteindre la Terre.

27Malgré sa formulation relativement imprécise, le paradoxe de Fermi-Hart doit être pris au sérieux. Il n’exclut pas la présence d’intelligences dans l’Univers, mais il en réduit la probabilité comme le nombre des scénarios envisageables. Par exemple, on peut imaginer que l’Univers fourmille de civilisations, mais que toutes feraient preuve à notre égard de clémence et/ou de manque d’intérêt, s’interdisant de venir nous perturber – c’est le principe dit du « Zoo ». À cette hypothèse, l’application du paradoxe de Fermi-Hart répond que l’absence d’intelligences extraterrestres est simplement plus probable que l’application du principe du « Zoo » par toutes les civilisations de l’Univers, un principe, soit dit en passant, que notre espèce n’appliquerait probablement pas elle-même.

28Le paradoxe de Fermi-Hart a provoqué bien des réponses théoriques. Si la plupart sont tout à fait recevables, bien que peu probables, d’autres engendrent des paradoxes supplémentaires. Ainsi, si le voyage interstellaire se trouvait être plus difficile que nous ne l’estimons aujourd’hui, ce qui empêcherait les CET de venir jusqu’à nous, comment se fait-il que nous ne puissions pas les entendre ? C’est le paradoxe dit du « Grand Silence13 ». Pourtant, l’éventualité d’une exploration spatiale et galactique à grande échelle reste d’actualité, renforcée par certains éléments théoriques : d’abord l’absence de véritables contraintes physiques, mais aussi les implications du concept de machines auto-réplicantes, théorisé par John von Neumann et qui permet de concevoir l’accroissement exponentiel du nombre des mondes visités ou conquis, grâce à l’utilisation de sondes capables de s’auto-répliquer. Là encore, c’est l’absence de CET qui semble bien s’imposer.

29Prises dans leur ensemble, les solutions apportées au paradoxe de Fermi-Hart ont tenté de quantifier des problèmes connexes, comme l’estimation du nombre de civilisations extraterrestres dans notre galaxie ou la probabilité de l’émergence de la vie sur une planète aux caractéristiques proches de celles de la Terre. Elles ont aussi formulé des réponses d’ordre physique, cosmologique ou anthropologique, comme la discussion sur les limites de l’Univers observable14, les spéculations sur le comportement des CET, ou sur notre propre origine et notre fin insaisissable.

30L’une des plus fameuses tentatives de quantification est l’équation formulée par Frank Drake en 1960. Elle réduit le calcul du nombre de civilisations susceptibles de communiquer dans notre galaxie à un produit de sept termes : le nombre moyen d’étoiles en formation dans notre galaxie ; la fraction de ces étoiles autour desquelles des planètes sont en orbite ; pour une étoile, le nombre moyen de planètes capables de supporter la vie ; la fraction de ces planètes capables de développer la vie ; la fraction de celles-ci capables de développer une vie intelligente ; la fraction de ces civilisations capables de développer une activité détectable depuis l’espace ; la durée de la période pendant laquelle une telle civilisation émet des signaux détectables.

31Cette quantification reste néanmoins spéculative voire simpliste. D’abord parce que aucune approximation réaliste sinon précise des termes de l’équation n’est connue. Ensuite parce que l’effet du produit entre les termes de l’équation ne permet pas de privilégier un sous-ensemble de paramètres. L’équation de Drake demeure cependant une tentative utile pour orienter les efforts de la recherche, en mettant l’accent sur des paramètres essentiels de la possible présence de CET dans notre galaxie. Initialement muni d’un ensemble de valeurs pour chacun des paramètres, Drake suggéra qu’il fallait s’attendre qu’un grand nombre de civilisations soient en mesure d’entrer en communication au sein de notre galaxie. C’est l’infirmation empirique de ce résultat qui fit que l’estimation sérieuse des paramètres de l’équation de Drake a cherché à s’imposer comme une recherche quantitative capable d’expliquer le paradoxe de Fermi-Hart.

32Mais certains termes sont plus faciles à estimer que d’autres, et tous n’ont pas le même effet discriminant. Ainsi, le nombre d’étoiles en formation est couramment estimé à sept par an et ne peut pas changer de façon drastique. À l’inverse, le nombre moyen de planètes susceptibles de voir se développer la vie peut varier. La raison en est qu’il s’agit d’une extrapolation à partir de résultats très parcellaires, sujets à caution. Cependant la recherche de planètes extrasolaires, encore appelées exoplanètes, constitue sans aucun doute le champ d’investigation le plus fructueux des dix dernières années. Grâce à plusieurs méthodes de détection, fondées sur un minutieux travail d’observation et de déduction, plusieurs équipes de chercheurs se dévouent aujourd’hui à l’inventaire de nombreux corps de masses variables ayant en commun d’être en orbite autour d’une ou plusieurs étoiles. L’estimation de certains des paramètres de ces corps, tels que leur masse, l’inclinaison de leur orbite, ou leur composition, est rarement possible simultanément. Aussi la connaissance de ces corps reste parcellaire. Aujourd’hui, on compte 332 exoplanètes déclarées telles, et l’on a pu estimer la masse de 77 d’entre elles.

33Ces résultats sont difficilement généralisables pour être utilisés dans l’équation de Drake. De plus, si l’on voit actuellement augmenter le nombre d’étoiles ayant des planètes en orbite, la fraction d’entre elles capables de voir se développer une vie intelligente reste infinitésimale. En effet, non seulement il n’existe pas de scénario de transition établi, et reproductible, de l’inanité vers le vivant, mais l’apparition de la vie, puis de la vie intelligente, est de façon dominante estimée comme une probabilité extrêmement faible. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’une majorité de biologistes semblent neutres, voire hostiles à l’hypothèse de l’existence de CET. Tous les scientifiques sont donc loin de partager le même intérêt pour la SETI.

34Il en résulte que l’équation de Drake en tant que telle est en pratique inutilisable. D’abord parce que l’estimation des probabilités sur lesquelles elle repose est presque impossible pour certains termes. Ensuite parce que l’effet de produit ne permet pas même d’en borner le résultat, rendant son pouvoir prédictif quasi nul. C’est pourquoi les tentatives de réponse au paradoxe de Fermi tendent plutôt à rechercher des explications structurelles ou physiques.

Principe anthropique

35pratiques savantespratique intellectuelleraisonnement construction des savoirsépistémologieprincipeLe principe anthropique joue lui aussi un rôle important dans la sélection d’hypothèses et dans la réduction des possibles pour expliciter les mécanismes de l’Univers et, par conséquent, pour la SETI. Ce principe est le suivant : si notre existence est bien réelle, les mécanismes qui la rendent possible reposent sur certaines constantes et certains paramètres constitutifs de l’Univers que nous habitons. Ainsi notre présence implique-t-elle l’existence de certaines propriétés, aussi diverses que les taux de carbone nécessaire à la photosynthèse, la densité de matière dans l’Univers, ou encore la durée de vie des galaxies. Le principe anthropique n’est bien évidemment pas réciproque, c’est-à-dire que l’existence de ces propriétés n’implique pas forcément l’existence de la vie, ni notre présence en tant qu’observateurs. De ce fait, on peut dire que ce principe crée les conditions nécessaires mais non suffisantes d’un environnement par ailleurs observable par l’un de ses éléments. Tout comme le paradoxe de Fermi-Hart, le principe anthropique produit une réduction de l’espace des possibles.

36Ses conséquences sont diverses et variées bien que sa formulation produise encore de nombreuses et violentes controverses. Appliqué à la SETI, le principe anthropique permet des raisonnements sélectifs tout à fait intéressants. Ainsi, William H. Press 15 sélectionne trois conditions suffisantes à même de déterminer la grandeur et le rayon de la Terre, ainsi que la taille moyenne de l’espèce humaine. Ces conditions sont les suivantes : 1/ nous sommes composés de molécules complexes ; 2/ nous respirons une atmosphère planétaire élaborée ; 3/ nous sommes aussi larges que possible sans nous briser physiquement. L’application du principe anthropique est ici quantitative. Les bornes des nombres recherchés sont déduites des lois connues de l’Univers. Une application qualitative mais similaire du même principe interdit que nos corps puissent exister en un espace dont les dimensions seraient inférieures à trois. En effet, le fonctionnement connu des corps utilise un mécanisme de conduit, avec une alternance d’ingestion/déjection (ou, de façon équivalente, d’inspiration/expiration) : un tel corps en deux dimensions consisterait en deux parties distinctes. Notre existence en trois dimensions serait donc le résultat d’une sélection pratiquement optimale, les géométries en dimensions supérieures à trois occasionnant des formes bien plus complexes pour des fonctionnalités similaires.

37Le principe anthropique permet donc, à partir du point d’observation qui est le nôtre, aussi bien dans les perceptions que dans les corps mêmes, de spéculer sur la forme de possibles CET. Il reste que le problème fondamental du principe anthropique est qu’il affirme des objets ou paramètres qu’il sélectionne et qui ne peuvent être que ce qu’ils sont. Les hypothèses ainsi sélectionnées n’infirment donc pas d’autres possibilités, mais réaffirment celles corroborées par les faits.

À mi-chemin entre la science et la fiction

38L’utilisation de paradoxes dans la SETI contrevient au principe commun de l’étude scientifique, à savoir l’observation, l’élaboration théorique et la prédiction, cette dernière seule pouvant permettre de valider la théorie. Alors soit la SETI n’est pas une science, soit son champ d’investigation recoupe en pratique les questionnements les plus énigmatiques de nombre d’autres sciences, sa poursuite demandant des outils dès lors moins rigoureux. Ainsi peut-on retrouver dans l’élaboration de messages à destination des CET les problèmes de sémantique qui sont au cœur de la linguistique et de la sémiotique depuis Saussure ; dans la recherche de planètes habitables se font jour les mystères de l’éclosion de la vie ; et la possibilité d’un univers observable à jamais fermé renvoie aux développements de la cosmologie sur la croissance accélérée de l’Univers, l’énergie et la matière noires.

39De multiples facteurs se combinent ici : engouement, espérances, estimations, croyances, prédictions et élucubrations. C’est à ce carrefour que s’explore le monde des possibles, vrais ou faux, que s’élaborent des réponses improbables, mais néanmoins légitimes, ainsi que les hypothèses du futur, celles qui demain se révéleront être, ou ne pas être. À ce croisement des chemins, le paradoxe de Fermi-Hart peut être considéré comme symptomatique, à savoir comme un problème en forme de pont, dont un pilier prendrait appui sur les résultats d’expériences scientifiques sérieuses et appliquées, et l’autre plongerait dans l’expérience de pensée, l’extrapolation ou la prédiction incertaine.

40C’est dans ce lieu hybride que peuvent tirer leur épingle du jeu un certain nombre d’acteurs particuliers : les chercheurs et les auteurs de fictions d’anticipation. Ces deux groupes s’expriment au sein d’une frange scientifiquement « dure » de la science-fiction, capable de concevoir et de présenter des possibles autrement difficiles à mettre en équation, car reposant sur de trop faibles données ou présomptions. Tout devient dès lors possible, dans les normes d’une certaine rigueur scientifique. C’est là une discipline difficile, qui consiste à investir l’inconnu ou le mal connu sans toucher à l’inaliénable : les lois connues de la physique, ses limites et ses contraintes. L’acteur emblématique de ce jeu est le chercheur-auteur, qui s’appuie sur la science pour donner à la fiction des contours de vérité. On assiste alors aussi bien dans la littérature scientifique que dans la fiction à un va-et-vient entre science et fiction, dans lequel les idées des uns sont utilisées par les autres puis reviennent vers leur champ d’origine avec plus ou moins de succès. Parmi les quelques chercheurs-auteurs prolifiques du genre, on peut citer Isaac Asimov, Carl Sagan ou encore Fred Hoyle. Leurs œuvres littéraires jalonnent les développements de la science du siècle, et l’engouement des premiers jours de la SETI y est tout à fait perceptible. Si leurs contributions peuvent parfois comporter un caractère scientifique, elles sont le plus souvent d’ordre social. Quelles implications par exemple aurait la découverte d’une CET sur nos sociétés ? Quel serait alors l’état de la science ? Ainsi la science-fiction, ou plus précisément la fiction scientifique, pourrait-elle redonner un sens à la SETI, en en faisant l’instrument d’un questionnement sur notre propre espèce, sur nos sociétés et sur notre propre fin plus que sur celles d’autres êtres, dont l’existence demeure encore hypothétique.

Notes
1.

Wilson, 2001.

2.

L’antenne principale du radiotélescope d’Arecibo à Porto Rico, le plus large de la planète, mesure 305 m de diamètre.

3.

Pour cette raison l’usage est de positionner les antennes à des altitudes élevées.

4.

En faisant l’hypothèse qu’une civilisation consomme à peu près toute l’énergie dont elle peut disposer.

5.

Wilson, 2001

6.

Pioneer 10 et 11 portent la même plaque : celle-ci figure le chemin suivi par Pioneer 10, bien que les trajectoires des deux sondes aient été et soient encore différentes.

7.

Le puritanisme des instances dirigeantes de la NASA dans le traitement de la nudité du pictogramme féminin apparaît aujourd’hui comme très daté. Il faut noter cependant que la représentation nue est parfaitement arbitraire au regard des CET : celles-ci ne peuvent en tirer une information précise que si elles y reconnaissent certaines parties de leur propre anatomie.

8.

Sur la relation entre OVNI et la SETI, voir Stephenson, 1979 : les éventuelles CET venues nous visiter doivent être doublement avancées, d’abord pour être parvenues jusqu’à nous à travers l’espace profond, puis pour se cacher de nous à tous points de vue (pas de traces magnétiques, témoignages douteux, etc.).

9.

Les circonstances informelles de l’énonciation du paradoxe de Fermi, selon cette anecdote, ne peuvent manquer de surprendre dans un milieu caractérisé par sa rigueur théorique et le haut degré de contrôle de ses publications.

10.

Hart et Zuckerman, 1982.

11.

Le système solaire est banalement localisé au sein d’un bras de la Voie lactée.

12.

Lineweaver, 2001.

13.

Brin, 1983.

14.

Wesson, 1990.

15.

Press, 1980.

Appendix A Bibliographie

  1. Brin, 1983 : Glen D. Brin, « The “Great Silence” : the Controversy Concerning Extraterrestrial Intelligent Life », Quarterly Journal of the Royal Astronomical Society, 24, p. 283-309.
  2. Dyson, 1960 : Freeman J. Dyson, « Search for Artificial Stellar Sources of Infrared Radiation », Science, vol. 131, no 3414, juin, p. 1667-1668.
  3. Gould, 2006 : Stephen J. Gould, La Structure de la théorie de l’évolution, Paris.
  4. Hart et Zuckerman, 1982 : Michael H. Hart et B. Zuckerman, Extraterrestrials – Where are they ?, New York.
  5. Linewearver, Fenner et Gibson, 2004 : Charles H. Linewearver, Yeshe Fenner et Brad K. Gibson, « The Galactic Habitable Zone and the Age Distribution of Complex Life in the Milky Way », Science, vol. 303, no 5654, p. 59-62.
  6. Newman et Sagan, 1981 : William I. Newman et Carl Sagan, « Galactic Civilizations : Population Dynamics and Interstellar Diffusion », Icarus, vol. 46 (3), p. 293-327.
  7. Press, 1980 : William H. Press, « Man’s Size in Terms of Fundamental Constants »,American Journal of Physics, vol. 48, no 8, août, p. 597-598.
  8. Stephenson, 1979 : David G. Stephenson, « Extraterrestrial Intelligence », Quarterly Journal of the Royal Astronomical Society, 20, p. 481-482.
  9. Tipler, 2007 : Frank J. Tipler, The Physics of Christianity, New York.
  10. Ward et Brownlee, 2000 : Peter Ward et Donald Brownlee, Rare Earth : Why Complex Life is Uncommon in the Universe, New York.
  11. Wesson, 1990 : Paul S. Wesson, « Cosmology, Extraterrestrial Intelligence, and a Resolution of the Fermi-Hart Paradox », Quarterly Journal of the Royal Astronomical Society, 31, p. 161-170.
  12. Wilson, 2001 : T. L. Wilson, « The Search for Extraterrestrial Intelligence », Nature, 409, 22 février, p. 1110-1114.