Jean-Marc Chatelain

1typologie des savoirsdisciplinesdivisions historiques des savoirshumanisme typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences des textesphilologie construction des savoirséducationcycle éducatif espaces savantslieubibliothèque typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoirehistoire intellectuelleIl est de tradition de présenter la Renaissance comme une époque caractérisée, du point de vue de l’histoire intellectuelle, par un mouvement de retour aux textes antiques : découverte d’oeuvres oubliées ou disparues, exhumation de nouveaux témoins de celles qu’on connaissait déjà, restitution des textes dans des versions philologiquement plus fiables que celles qu’avaient transmises les copistes du Moyen Âge. Tout ce travail intense n’a pas manqué d’être mis en scène par les humanistes eux-mêmes. Dans le dessein de produire une image héroïque du savoir et de ses officiers, ils ont valorisé cette part de leur activité qui se prêtait le plus aisément aux métaphores de la conquête et de la bataille livrée à l’ennemi : à l’exemple d’un Érasme ou d’un Melanchthon 1, ils se sont présentés comme les artisans d’une autre Reconquista qui, pour être entreprise par la plume contre les adversaires barbares des lettres antiques plutôt que par l’épée contre des armées d’infidèles, n’en devait pas moins être décisive pour le sort de la chrétienté. Le rôle que les humanistes ont joué dans l’avènement d’une nouvelle économie de la tradition textuelle en Occident ne s’est toutefois pas limité à un accroissement et à une amélioration des ressources existantes: il a également consisté à promouvoir de nouveaux modes d’exploitation de celles-ci, en rupture avec les cadres scolastiques de l’interprétation, comme en témoignent l’oeuvre d’un Lorenzo Valla, d’un Érasme, d’un Guillaume Budé, ou, au XVIIe siècle encore, celle des grands maîtres de l’université de Leyde. Ce n’est donc pas seulement la bibliothèque du lettré qui s’est trouvée recomposée par le nouveau canon des études, c’est aussi sa table de travail qui a été modifiée en profondeur : entendons par là les instruments de travail qu’il avait à sa disposition et qui, sur l’établi mental où il construisait le monde de ses interprétations, étaient autant d’outils ordonnés à la production de la pensée philologique et, au-delà, à l’ensemble des réalisations intellectuelles dont cette dernière formait désormais le soubassement (rédaction de commentaires, composition de discours et de lettres, de poésies, etc.).

Philologie humaniste et critique contextuelle

2pratiques savantespratique lettréeinterprétation pratiques savantespratique discursiveimitation pratiques savantespratique intellectuellecritique espaces savantslieuuniversitéIl serait pourtant difficile de décrire avec exactitude le « studiolo-type » du lettré de la Renaissance à la manière dont on pourrait le faire pour un maître de l’Université médiévale, en énumérant quelques titres canoniques comme Accurse pour les juristes ou les Sentences de Pierre Lombard pour les théologiens – tous livres dans lesquels la pensée allait chercher les points d’appui qui lui étaient nécessaires pour affronter les différents objets qu’elle pouvait se proposer et résoudre les difficultés qu’ils présentaient. S’il y a bien désormais une ligne de conduite dans l’interprétation des textes, elle tient à la conviction largement partagée que cette interprétation n’a pas à être guidée de l’extérieur par quelques œuvres magistrales qui définiraient comme un système de coordonnées valable pour toutes les autres : elle doit au contraire être réglée par le texte même qu’il s’agit d’interpréter, comme en témoigne exemplairement la tradition humaniste de l’exégèse biblique, depuis Lorenzo Valla et Érasme jusqu’à Spinoza énonçant en toutes lettres « cette règle que la connaissance de l’Écriture doit se tirer de l’Écriture seule2 ». Les instruments de travail privilégiés de l’humaniste sont par conséquent ceux qui permettent de définir au plus près la singularité d’un texte, en faisant le tri de ce qui lui appartient en propre et de ce qu’il partage avec un état de la langue, des connaissances et des mœurs, commun à son temps. En d’autres termes, ce sont les outils qui permettent de passer un texte au crible de ses différents contextes possibles, linguistique, rhétorique, philosophique, culturel ou, en un mot, historique. C’est en quelque sorte, par là, une vision légale du monde qui s’efface devant une compréhension coutumière : il n’y a pas de prescription, de définition ou d’assertion qui ne doive être pensée d’abord comme une description, dont la valeur ne peut être sérieusement mesurée qu’à condition d’être d’abord rapportée aux circonstances de son énonciation. Tel est le préalable à toute opération humaniste de compréhension – et tel est aussi, par voie de conséquence, le fondement de toute véritable pratique littéraire d’imitation comme de toute opération philologique de conjecture dans l’émendation des textes corrompus3.

3acteurs de savoirqualités personnellesméticulosité pratiques savantespratique rituellerite funéraire pratiques savantespratique lettréecompilation construction des savoirslanguelangue ancienneDe là l’apparition d’enquêtes grammaticales sur les langues anciennes qui excèdent de loin la visée seulement didactique du manuel scolaire, telles les Elegantiæ de Lorenzo Valla ou, un siècle plus tard, le De causis linguæ latinæ de Jules-César Scaliger. De là également la constitution de compilations lexicales qui, à l’instar du premier glossaire juridique humaniste, le De verborum significatione de Maffeo Vegio, replacent les normes de l’agir humain dans la perspective des usages linguistiques dans lesquels elles sont formulées4, ou bien encore, parallèlement à l’intérêt que Politien, Budé et tant d’autres grands lettrés de la Renaissance portaient à la littérature technique de l’Antiquité (Columelle pour l’agriculture, Vitruve pour l’architecture, Celse pour la médecine, Apicius pour la cuisine, etc.), la publication de nombreux traités d’« antiquaires » consacrés à la connaissance des multiples realia de la vie antique : réalités institutionnelles comme celles de la vie militaire ou de l’économie (le De asse de Budé est une étude du système monétaire antique), pratiques cultuelles et religieuses, rites matrimoniaux et funèbres, habitudes vestimentaires, etc. Tous ces ouvrages d’érudition sont les inventaires archéologiques d’un monde antique envisagé dans la diversité de ses objets matériels, culturels et linguistiques. Ils sont à la fois le résultat du détour historique imposé à l’opération interprétative et l’instrument de sa relance. Aussi ont-ils vocation à rejoindre les rayons de la bibliothèque de premier secours de l’humaniste : ils lui permettront, dans sa lecture des auteurs anciens, de peser avec le plus d’exactitude possible la signification de chaque mot en comparant l’emploi qu’en fait tel auteur dans tel passage avec celui que d’autres auteurs en font dans tel autre. Le parallèle textuel devient alors le principal levier du jugement critique5 : muni de l’information qu’il apporte, le lecteur pourra décider si l’occurrence qui l’occupe relève de la désignation référentielle d’un état des choses, d’un emploi métaphorique ou d’une figure allégorique.

4acteurs de savoirstatutlettré pratiques savantespratique lettréelectureIl faut donc imaginer la lecture humaniste comme un passage au tamis : les enquêtes archéologiques qui se multiplient sont comme les fils qui viennent constituer la trame de cet outil et en perfectionner progressivement la finesse en formant un réseau toujours plus serré. Grâce à elles se reconstitue sinon l’univers des représentations des Anciens, du moins celui de leurs références, sur la base duquel pourra être établi le sens et pourront être évaluées les vertus expressives de leurs discours : il faut planter le décor pour parvenir à distinguer clairement les figures qui l’habitent. Mais pour se donner de tels moyens de lire, le lettré de la Renaissance n’a pas seulement recours à ce que d’autres ont collecté et publié avant lui : lui-même a l’habitude de compiler des recueils de notes prises au fur et à mesure de ses lectures. Ce sont là les « gardoires » dont se moque Montaigne à la fin du xvi e siècle, au chapitre « Du pédantisme » des Essais, à une date où la solidarité première du projet philosophique et du projet philologique de l’humanisme apparaît rompue, ou a du moins perdu son évidence :

construction des savoirstraditionmémoireNous ne travaillons qu’à remplir la memoire, et laissons l’entendement et la conscience vuide. Tout ainsi que les oyseaux vont quelque-fois à la queste du grein, et le portent au bec sans le taster, pour en faire bechée à leurs petits, ainsi nos pedants vont pillotant la science dans les livres, et ne la logent qu’au bout de leurs lévres, pour la dégorger seulement et mettre au vent. C’est merveille combien proprement la sottise se loge sur mon exemple. Est-ce pas faire de mesme, ce que je fay en la plus part de cette composition ? Je m’en vay, escorniflant par cy par là des livres les sentences qui me plaisent, non pour les garder, car je n’ay point de gardoires, mais pour les transporter en cettuy-cy, où, à vray dire, elles ne sont non plus miennes qu’en leur premiere place. Nous ne sommes, ce croy-je, sçavants que de la science presente, non de la passée, aussi peu que de la future. Mais, qui pis est, leurs escholiers et leurs petits ne s’en nourrissent et alimentent non plus ; ains elle passe de main en main, pour cette seule fin d’en faire parade, d’en entretenir autruy, et d’en faire des contes, comme une vaine monnoye, inutile à tout autre usage et emploite qu’à compter et jetter. Apud alios loqui didicerunt, non ipsi secum. Non est loquendum, sed gubernandum 6.

Mots et choses, rhétorique et érudition

5construction des savoirslangage et savoirslanguelatin typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagerhétorique acteurs de savoirqualités personnellescompétenceIl entre certainement une part de posture dans cette déclaration de Montaigne, tant il paraît peu probable que l’immense culture latine dont témoignent à chaque instant les Essais n’ait pas été acquise et contrôlée au moyen de tels « gardoires »7. Ce n’est de toute façon pas leur principe que condamne Montaigne, mais un usage dévoyé par lequel une pratique destinée à l’interprétation en est arrivée à oublier sa véritable visée au point que, sortie de son assiette, elle est devenue proprement insensée. Si elle ne sert qu’à l’ostentation d’un savoir, l’érudition n’est en effet qu’un vain discours, un exercice qui ne conduit que des mots aux mots, alors que sa dignité humaniste est au contraire de restaurer la richesse du lien par lequel un mot fait signe vers l’individualité d’une chose, comme le prouvent cette charte de la pensée humaniste qu’est la philosophie du langage de Lorenzo Valla, entièrement tournée vers l’ordre des choses8, ou bien, dans la fidélité à l’œuvre de Valla, la distinction fondamentale que fait Érasme entre loquentia et eloquentia, entre le brio d’une faconde entretenue à la surface du langage et la force réelle de l’éloquence, nourrie non par un art des effets que peut produire le discours, mais par un savoir de ce que parler veut dire – ce qui est le domaine de compétence de la vraie eruditio 9.

6pratiques savantespratique discursiveimitation pratiques savantespratique lettréeextrait inscription des savoirslivrenote construction des savoirséducationpédagogiePar là s’explique l’attention que les pédagogues humanistes ont très tôt et durablement portée à la constitution de recueils de notes de lecture : non pas des notes comme nous pourrions l’entendre aujourd’hui, faites de réflexions plus ou moins personnelles, mais des notes constituées d’extraits de passages dignes de remarque à un titre ou un autre et prêtes à soutenir ensuite l’établissement de parallèles textuels. La difficulté est de choisir avec pertinence ce qui est digne de remarque. Mais comme il n’existe pas de critère universel pour en décider, que cela dépend aussi de la situation personnelle du lecteur, par exemple de son degré d’avancement dans les études, de l’activité à laquelle il destine sa lecture (l’orateur qui compose un discours ne sera pas sensible aux mêmes détails d’une harangue antique qu’un juriste), ou bien encore d’un état général des connaissances déjà acquises, il est essentiel que chacun accomplisse ce travail pour soi-même, selon ses propres besoins. Cela, surtout, ne sera que plus recommandé dans une pédagogie où, en conformité avec le postulat selon lequel le sens est fonction d’un usage du discours, d’une mise en œuvre déterminée, et non pas seulement d’une loi logique, qu’il relève d’un pragmatisme plutôt que d’une ontologie10, l’accès à la pleine puissance de la parole au-delà de la simple correction grammaticale – en d’autres termes, ce qu’on appelle le style – s’effectue par une pratique assidue de l’imitation. Or celle-ci n’est pas un acte servile réductible à un formalisme esthétique, une abolition de soi dans la généralité d’un modèle, mais au contraire une manière d’essayer, d’éprouver et d’activer en soi-même les possibilités de la langue : donc, comme le souligne par exemple Étienne Tabourot dans le quatrième livre de ses Bigarrures en 1585, un exercice fondamentalement personnel, où il s’agit de « se fortifier le jugement11 ».

7pratiques savantespratique lettréeimitationDe fait, les exposés les plus précis sur la manière d’élaborer de tels recueils de notes interviennent d’abord dans le cadre de l’enseignement rhétorique des principes de l’imitation, qu’il soit de portée générale ou qu’il se limite à une application particulière comme la composition de lettres. L’exemple le plus connu est celui d’Érasme, qui a abordé ce sujet à plusieurs reprises, mais lui a notamment consacré un long développement dans le De duplici copia verborum ac rerum, traité publié pour la première fois en 1512 : un chapitre spécial de la seconde partie est intitulé Ratio colligendi exempla 12, ou « Comment recueillir des exemples ». Non seulement la méthode que l’auteur y expose est celle qu’il a abondamment mise en pratique dans plusieurs de ses œuvres majeures comme les Colloques et surtout les Adages 13, mais sur un plan théorique également, il lui accordait suffisamment d’importance pour commencer par exprimer le regret de ne pas l’avoir employée « dès sa jeunesse ». L’expression désigne sans doute tout le temps de sa formation, depuis l’époque où il fut l’élève des Frères de la Vie commune à Deventer (1478) jusqu’à celle où il fréquenta le Collège Montaigu à Paris (1495). Mais s’il est fort possible que cette notation biographique repose sur un fait réel, on peut aussi la comprendre de manière figurée, comme l’indication que la technique de lecture décrite dans le De duplici copia est consubstantielle au mûrissement de la pensée humaniste, l’auteur n’en ayant saisi l’intérêt et les enjeux qu’à partir du moment où il décida (c’était en 1496) qu’il serait homme de lettres, que ce fût orator ou poeta 14 : la méthode des lectures de la maturité ne serait autre que celle d’une maturité de la lecture.

Le travail du lieu commun

8pratiques savantespratique lettréerecueil de lieux communs pratiques savantespratique lettréeextrait typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagerhétoriqueLa notion rhétorique de « lieu commun » est au cœur du propos d’Érasme. Empruntée à Cicéron et plus encore à Quintilien, elle forme l’assise de la technique qu’il recommande. Rappelons que les « lieux » du discours sont chez les rhéteurs antiques des « moyens de trouver des idées : ils constituent des listes de rubriques prédéfinies vers lesquelles l’orateur se tourne lorsqu’il veut traiter un sujet donné, et qui lui suggèrent des arguments – à charge pour lui d’adapter ces suggestions théoriques à la cause particulière qu’il défend15 ». Dans le droit fil de cette tradition, Érasme déclare que le lecteur, c’est-à-dire « la personne qui s’est fixé pour but de progresser en lisant des auteurs sans aucune exclusive », devra « commencer par se préparer une série de lieux aussi nombreux que possible : il les empruntera pour partie à la liste des vertus et des vices et à leurs subdivisions, pour partie aux aspects de leur condition auxquels les hommes accordent une valeur spéciale et à tous les arguments qui reviennent très souvent dans le discours délibératif16 ». Cette phrase est ambiguë dans la mesure où l’on peut comprendre son dernier membre comme le troisième terme d’une énumération où sont cités d’abord les vertus et les vices, puis tels aspects de la condition humaine, enfin les arguments du discours délibératif. En réalité, le dernier membre est une reprise généralisante des deux termes précédents : les arguments du discours délibératif – c’est-à-dire le discours qui a pour fin de débattre et de décider des conduites que l’on peut tenir dans les différentes circonstances de l’existence – embrassent à la fois le domaine des vertus et des vices et les « aspects de la condition [humaine] » dotés d’une « valeur spéciale ». Cette formule n’est pas en elle-même très claire, mais les exemples qu’Érasme donne ensuite montrent qu’il entend par de tels « aspects » les talents et les dispositions naturelles de l’homme ainsi que toutes ses déterminations arbitraires qui, n’engageant pas sa volonté, ne relèvent pas du vice ou de la vertu : ainsi la longévité, la jeunesse ou la vieillesse, la mémoire et la facilité de parole, la beauté, la laideur ou la difformité, la chance ou la malchance, la condition de naissance, et toutes les marques de la personne que résume la notion classique de caractère17.

9pratiques savantespratique lettréerecueil de lieux communs typologie des savoirsdisciplinesdivisions historiques des savoirshumanisme acteurs de savoirqualités personnellesL’exercice que s’apprête à proposer Érasme est donc rhétorique au sens le plus exact du terme, puisqu’il est placé de manière générale dans l’élément du discours délibératif. Mais ce préambule montre clairement que cette rhétorique-là ne restreint pas son ambition à l’ornement du discours : elle est l’instrument d’une connaissance morale de tout ce qui appartient à la condition d’homme, gradus ad Parnassumet gradus ad humanitatems’accomplissant d’un pas égal. L’idée de connaissance morale est en effet à entendre ici dans un sens très large : la notion de « lieu » telle que l’ont transmise les rhéteurs antiques présente l’avantage de déborder le territoire étroit de la moralité que s’assignait l’exemplummédiéval, c’est-à-dire la conformité aux règles des mœurs, pour l’élargir à la totalité humaine de l’expérience – soit un élargissement du champ du terme médiéval de moralitas à celui du terme antique d’humanitas : l’un couvre seulement le domaine des vertus et des vices que vise le discours parénétique du prédicateur, tandis que l’autre y ajoute toute la diversité des cas que le discours délibératif de l’orateur est susceptible d’évoquer.

10pratiques savantespratique lettréeannotation inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l'informationclassification inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l'informationlisteÀ lire Érasme, on comprend aussi que la priorité dont il parle est plus mentale ou fonctionnelle que réelle : la grille des rubriques ou « lieux communs » n’est donnée par avance que dans ses grandes lignes, tandis que son extension ne se développe et son détail ne se précise qu’au fur et à mesure des lectures, dans un constant travail d’ajustement du regard du lecteur à l’objet de sa lecture. C’est donc plutôt pour la clarté de l’exposé qu’Érasme distingue deux moments de la prise de notes comme s’ils étaient successifs. Le premier consiste à dresser une liste de rubriques toujours plus abondante. Le lecteur est appelé non seulement à en créer de nouvelles, mais aussi à subdiviser celles qui existent déjà : sous une idée donnée, on séparera les différents types de cas qui se rapportent à elle. Érasme cite l’exemple de la rubrique « Libéralité » : ce qui a trait aux faveurs n’y sera pas rangé pêle-mêle, mais on pourra distinguer ce qui est « faveur spontanément consentie », « faveur raisonnable », « faveur réciproque », etc. Le second moment est celui de l’annotation à proprement parler, c’est-à-dire celui où l’on extrait du texte tel passage pour le ranger sous la rubrique qui lui paraît le mieux adaptée. Il s’agit par conséquent d’une opération d’indexation :

pratiques savantespratique intellectuelleclassementUne fois qu’on aura préparé autant de rubriques qu’il le faut et qu’on les aura rangées dans l’ordre de son choix, puis qu’on aura divisé chacune en ses parties, et qu’on aura encore ajouté aux parties des lieux communs ou maximes, tout ce qu’on trouvera chez les différents auteurs viendra vite à être noté à sa place, surtout s’il s’agit de quelque chose de remarquable18.

11pratiques savantespratique lettréecompilationL’une des difficultés présentées par le texte d’Érasme tient à un emploi ambivalent du terme locus communis. Dans un sens général, il désigne toute sorte de rubrique rhétorique, incluant par exemple la liste des vertus et des vices. Mais dans un sens particulier, qui est d’ailleurs beaucoup plus proche de ce que nous entendons aujourd’hui par « lieu commun » dans la langue usuelle, il désigne également une catégorie spéciale de rubrique, consistant non plus en une entité conceptuelle définie (par exemple l’amitié), mais en une formulation toute faite d’une idée générale (par exemple « L’amitié des princes est dangereuse »). Les lieux communs sont dans cette seconde acception des énoncés gnomiques ou « maximes » (sententiæ) 19, dont le recensement vient affiner la grille d’indexation fournie d’abord par l’énumération des concepts et de leurs parties, à la manière dont l’exposé des sens d’un mot dans l’article d’un dictionnaire de langue peut être complété par un relevé d’expressions idiomatiques dans lesquelles ce mot apparaît. On pourrait d’ailleurs décrire les choses dans les termes de la logique contemporaine, qui montreraient mieux comment est possible le glissement d’un sens à l’autre et aussi combien est universelle l’extension dont est susceptible la méthode rhétorique des lieux communs : celle-ci d’un côté recense des « noms propres » au sens de Frege, c’est-à-dire des désignations d’objets déterminés, de l’autre elle consigne des « pensées », c’est-à-dire des propositions dans lesquelles de tels « noms propres » entrent en composition et qui sont pourvues d’un contenu objectif suffisant pour que, à la différence d’intuitions singulières, elles produisent ou réunissent sur elles un certain consensus. C’est par cette dernière qualité qu’elles sont en effet des lieux « communs ». L’adage érasmien en est une illustration particulière parmi d’autres, comme le sont aussi, sur un mode différent, les types fédérateurs d’une histoire de la culture tels que le topos littéraire au sens de Curtius (par exemple le lieu de délices dans la tradition occidentale) ou le motif emblématique dans l’iconologie de Panofsky (ainsi les thèmes du Vieillard Temps, de l’Amour aveugle, d’Hercule à la croisée des chemins)20.

12À l’ambiguïté sémantique près dans l’emploi du terme de « lieu commun », la dimension technique de la méthode recommandée par Érasme se manifeste dans le recours à un vocabulaire spécialisé pour désigner chacun de ses éléments. L’espace de la rubrique, qui peut éventuellement rester vide dans l’attente d’un contenu, comme l’alvéole d’un rucher21, est à proprement parler le « lieu » (locus ou locus communis). Le nom de la rubrique, qui sera aussi la clef d’indexation dont on se servira pour affecter tel passage de tel auteur à cette rubrique, est l’« intitulé » (titulus) 22. Érasme ne réserve pas de terme spécial pour nommer les passages mêmes qui viendront remplir le « lieu », mais les qualifications habituelles que l’on rencontre chez d’autres auteurs aux xvi e et xvii e siècles sont celles de « remarques » (notabilia, littéralement « les choses qui méritent d’être notées »), de « notes » (notæ)ou d’« extraits » (excerpta). Quant à l’opération d’indexation, Érasme la désigne tantôt par le verbe « annoter » (adnotare), tantôt par le verbe « prélever » (decerpere). La plupart des autres auteurs préfèrent toutefois celui d’« extraire » (excerpere), qui est moins imagé et bénéficie également d’une prestigieuse ascendance littéraire puisque Sénèque déjà l’avait utilisé pour décrire ce qui lui paraissait la bonne manière de lire23.

Notes de lecture et « grammaire historique »

13construction des savoirstradition pratiques savantespratique lettréecommentaire pratiques savantespratique lettréeextraitTrès nombreux sont les témoignages du succès considérable que connut la méthode des lieux communs ou « art d’extraire » (ars excerpendi)en Europe du xv e à la fin du xvii e siècle au moins, c’est-à-dire aussi longtemps que la rhétorique demeura le cadre principal des manières de penser. La preuve en est d’abord fournie sur un plan théorique par la place qu’occupe l’exposé de ses principes dans la littérature pédagogique des traités des études. On en relève une première occurrence dès 1459, dans la longue lettre en forme de programme d’enseignement que l’humaniste Battista Guarino de Vérone adresse alors à son élève Maffeo Gambara. Après avoir indiqué l’ordre dans lequel l’élève doit de préférence aborder les auteurs antiques, il souligne qu’il est important de ne pas s’en remettre seulement à la parole du maître et, pour cela, d’avoir un exercice personnel de la lecture. Parce qu’il limite son propos à un but strictement pédagogique, où il s’agit avant tout de se faire au sens des mots et d’identifier les réalités désignées par les textes, Guarino songe moins à la lecture directe des grands auteurs qu’à celle de leurs commentateurs agréés par la tradition (« qui in auctores commentaria scripserunt et probati sunt 24  ») ou celle des textes antiques qui se recommandent par l’abondance et la diversité de leur information historique (au sens général d’une information sur les choses, par opposition à celle qui porte sur les mots), notamment les grandes miscellanées d’Aulu-Gelle (Nuits attiques) et de Macrobe (Saturnales) et l’Histoire naturelle de Pline, aux côtés desquelles figure aussi La Cité de Dieu de saint Augustin au titre des multiples connaissances des anciens cultes et traditions religieuses que l’on peut y puiser. Mais quels que soient les textes qu’il s’agit de lire, la lecture que prescrit Guarino est une opération d’annotation, conduite sur le mode de l’extrait :

pratiques savantespratique intellectuellemémorisation acteurs de savoirstatutélèveDe manière générale, il importe que les élèves s’efforcent toujours de faire des extraits (excerpere)de ce qu’ils lisent, avec la conviction qu’il n’y a pas de si mauvais livre qu’il ne puisse servir en aucun de ses endroits, comme Pline avait coutume de le répéter. Cette manière d’étudier était si suivie dans l’Antiquité que Pline l’Ancien a légué cent soixante recueils d’extraits au fils de sa sœur, qu’un jour, en Espagne, ce dernier parvint à vendre 400 000 sesterces à Larcius Licinus. Que les élèves veillent surtout à extraire ce qui leur paraîtra digne de mémoire et difficile à trouver ailleurs. Pour former tant à l’abondance qu’à l’aisance de la parole, il sera très utile qu’au cours de leurs lectures, ils notent (adnotabunt)dans les différents livres les phrases qui relèvent du même sujet et qu’ils les regroupent (colligent)dans un même lieu (locum) 25.

14typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagerhétorique construction des savoirslanguelangue savantelatin Guarino réservait cet exercice aux élèves qui n’étaient plus des débutants. Ces derniers devaient en effet maîtriser d’abord les règles morphologiques et syntaxiques de la langue latine avant de prétendre aborder par eux-mêmes, sans risque de contresens, la lecture d’un texte suivi. Il convenait donc de distinguer deux moments d’apprentissage, l’un pour assimiler le formalisme des mots (déclinaisons, conjugaisons, constructions), l’autre pour contrôler la puissance de leur usage, c’est-à-dire connaître aussi bien l’étendue de leur valeur sémantique (vis vocabulorum)que la qualité rhétorique de leur vertu expressive dans le contexte d’une formule donnée (sententia) : car les élèves qui lisent par eux-mêmes sont invités à « noter systématiquement les formules et le sens des mots. Ils doivent relever les formules qui sont pour eux nouvelles et qui disent bien ce qu’elles veulent dire26 ». Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’en désignant comme matière à noter « ce qu’il est difficile de trouver ailleurs » Guarino ait eu surtout en vue l’élargissement de l’enquête sémantique par la recherche de mots ou de significations rares, tandis que « ce qui est digne de mémoire » désignerait plutôt les bonheurs d’expression, sur lesquels les grands commentaires des auteurs, tels ceux de Servius sur Virgile ou de Donat sur Térence, permettaient d’attirer l’attention du jeune lecteur.

15pratiques savantespratique artistiqueperformance orale typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagegrammaire construction des savoirséducationcycle éducatifLoin d’être radicalement séparés, les deux moments du cursus pédagogique sont pensés par Guarino dans l’unité de la notion de grammaire. Incontestablement, la redécouverte de Quintilien au début du xv e siècle a joué là un rôle décisif. Le texte de l’Institution oratoire propose en effet une définition large de cette discipline, qui est présentée comme une science universelle de la langue où s’ajoute à la connaissance des lois statiques de son fonctionnement celle des jeux dynamiques par lesquels elle fait venir les choses dans la lumière des mots : la grammaire consiste « à savoir parler et à expliquer les poètes27 ». L’idée de cette double finalité se retrouve chez Guarino dans la distinction de deux parties, l’une « méthodique », qui est la grammaire de nos « règles de grammaire », l’autre « historique », qui se préoccupe de la relation que la parole entretient avec ses objets : « La grammaire comprend deux parties : la première est dite méthodique et expose les axiomes de tous les éléments du discours, c’est-à-dire la démarche (en grec methodos) qu’ils suivent ; la seconde est dite historique et traite des récits et des choses qui se sont passées28. » C’est par le biais de ce segment « historique » de sa définition que, comme l’écrivait Paul Oskar Kristeller, « dans l’Humanisme, le mot de grammaire en vient en définitive à englober toute la philologie classique, et la langue étant retenue comme clef d’accès à la réalité historique et littéraire de l’Antiquité grecque et romaine, la grammaire devient d’une certaine manière une encyclopédie, ou du moins un instrument pour acquérir un savoir classique auquel on attribuait un caractère et une valeur d’universalité29 ». Or si le manuel est l’outil de la grammaire « méthodique », c’est en revanche le recueil de notes qui sera celui de la grammaire « historique » : c’est par lui qu’on apprend comment l’usage des mots règle l’accès au monde. En d’autres termes, le manuel est le livre de la pureté de la langue, le recueil de lieux communs celui des propriétés du discours.

Le succès d’une méthode

16espaces savantslieuuniversité espaces savantslieucollège construction des savoirstraditionreligionchristianismeprotestantisme inscription des savoirslivrenoteLa description de la prise de notes fournie par Guarino reste sommaire, mais on y devine que la méthode évoquée n’est pas différente de celle sur laquelle Érasme s’appesantira avec un plus grand détail. Formulée d’abord dans le cadre du préceptorat privé des maîtres humanistes italiens du XVe siècle, elle sera par la suite reprise par toutes les grandes traditions pédagogiques de l’époque moderne30 : celle du « gymnase » protestant au xvi e siècle, comme en témoigne par exemple Jean Sturm dans sa Linguæ resolvandæ ratio de 158131, celle du collège jésuite, dans le cadre duquel sont rédigés des traités tels que le De ratione libros cum profectu legendi du P. Francesco Sacchini (1614) et l’Aurifodina artium et scientiarum omnium du P. Jeremias Drexel (1638)32, ou encore la tradition de l’Université allemande de la fin du xvii e siècle, qu’illustre l’œuvre de Daniel Georg Morhof, auteur d’un traité De excerpendi ratione qui occupait dans son esprit une place essentielle dans le grand plan des études dressé en 1688 par son Polyhistor 33.

17inscription des savoirslivreindex pratiques savantespratique lettréecompilationParallèlement aux énoncés théoriques, les traces de la mise en application des principes de l’ars excerpendichez les lettrés du xv e au xvii e siècle sont très nombreuses et diverses. Au niveau le plus élémentaire, ce sont les notes que renferment beaucoup d’exemplaires d’éditions de textes classiques : soulignements et petits signes marginaux (par exemple une petite main à l’index tendu) qui désignent à l’attention les notabilia, ou bien tituliinscrits en face des passages remarqués. Dès le début du xvi e siècle, certaines éditions présentent même de tels tituliimprimés en manchette : ce qui, d’une certaine manière, est un dévoiement de la méthode humaniste, puisque cela contrevient à l’idée que l’annotation est un exercice personnel de la lecture, mais ce qui facilite en revanche la compilation d’index, dont les premières occurrences ne sont autres que des listes de titulide lieux communs.

18matérialité des savoirssupportsupport d'inscriptionfiche pratiques savantespratique lettréelecture matérialité des savoirssupportsupport d'inscriptioncahierLes cahiers de lieux communs manuscrits témoignent du travail de lecture à un stade plus élaboré. Ceux qui nous sont parvenus se rencontrent sous deux formes. Les uns sont des recueils de notes consignées au fur et à mesure de la lecture34, dont un bon exemple est fourni par les cahiers de notes prises au début du xvi e siècle par le bénédictin d’Ottobeuren Nicolas Ellenbog, un correspondant d’Érasme, alors qu’il lisait les Saturnales de Macrobe (BnF, Manuscrits, Latin 4842) : la partie principale de la page est occupée par des extraits du texte lu, tandis qu’en marge un titulusest inscrit en face de chacun d’eux. D’autres recueils sont entièrement mis en ordre et se présentent comme des répertoires, qui sont souvent organisés alphabétiquement même si cela n’est pas une règle absolue : à la manière de fiches, le lecteur a préparé des feuilles en tête desquelles il a inscrit un titulus, puis il y a copié une série de citations relatives au sujet considéré (ainsi le recueil anonyme du début du xvii e siècle de la BnF, Manuscrits, Latin 10416). Un modèle de ce travail est donné par Tabourot au quatrième livre des Bigarrures, où l’auteur a publié une longue liste alphabétique d’intitulés, afin d’aider les élèves à « faire collections par lieux communs de ce qu’ils liront », tout en invitant chacun à compléter la liste à sa guise et « y adapter toutes sentences et histoires qu’il aura leu de luy mesme35 ».

Nicolas , Notes de lecture sur les  de Macrobe, entre 1511
            et 1514.
Figure 1. Nicolas Ellenbog, Notes de lecture sur les Saturnales de Macrobe, entre 1511 et 1514.

19pratiques savantespratique lettréecommentaireLe niveau d’élaboration le plus élevé est atteint avec le genre humaniste du commentaire, tel que l’illustre par exemple la Cornucopiæ de Niccolò Perotti, ouvrage commencé en 1478 (et demeuré inachevé). Le livre est dans son principe un commentaire suivi des œuvres de Martial : face aux Rudimenta grammatices de 1468 qui constituent la contribution de Perotti à la grammaire « méthodique » au sens de Guarino, la Cornucopiæ représente sa contribution à la grammaire « historique ». Non seulement elle se distingue par un goût très remarquable pour les mots rares, qui a d’ailleurs pu guider le choix même de Martial comme auteur de référence36, mais son principe est de faire de l’étude du texte du poète latin du i er siècle une sorte de levier grâce auquel se découvrent de multiples réalités du monde antique et de la littérature romaine. Pour aller jusqu’au terme de la méthode humaniste de lecture, il ne restait qu’à affecter aux articles de la Cornucopiæ des tituli. C’est chose faite en 1501 avec l’édition publiée à Venise par Alde Manuce 37, non pas au moyen de manchettes marginales, mais grâce au redoublement de l’index alphabétique des mots par des index thématiques de choses, qu’elles soient réalités du monde comme « les événements historiques » (historiæ), « les mœurs » (mores), « les drogues et remèdes » (remedia et medicamenta), ou réalités de la langue et de la littérature, comme « les proverbes » (proverbia) et « les fables » (fabulæ). De nombreux exemples viennent confirmer le témoignage de la Cornucopiæ, en particulier les commentaires qui, à l’instar des Antiquarum lectionum commentarii de Cœlius Rhodiginus (Venise, Alde Manuce, 1516), appartiennent au genre de la « leçon » (lectio), dont le nom même trahit la proximité avec l’exercice de la lecture : il s’agit de compilations de notes où les auteurs « tiennent registres des leçons, des lectures, qui ont arrêté leur attention et les accompagnent de remarques, d’observations, de réflexions38 ». Citons aussi le genre des « polyanthées », de la Polyanthea de Domenico Nani Mirabelli (1503) au Theatrum humanæ vitæ de Theodor Zwinger (1565) et à sa refonte par Laurent Beyerlinck sous le titre de Magnum theatrum vitæ humanæ (1631)39. Si les « leçons » se caractérisaient par le désordre soigneux dans lequel les matières se présentaient, reproduisant dans leur succession aléatoire l’allure libre de la lecture, les « polyanthées » suivent au contraire une organisation thématique par « lieux communs ». Mais la substance reste la même : il s’agit toujours d’excerpta, de notes puisées à la lecture des auteurs antiques ou de leurs commentateurs.

Étienne , , Paris, Jean Richer, 1585,
            folio 16v.
Figure 2. Étienne Tabourot, Les Bigarrures du seigneur des Accords, Paris, Jean Richer, 1585, folio 16v.

20pratiques savantespratique intellectuellemémorisation acteurs de savoirstatutérudit construction des savoirséducationapprentissageRemarquons enfin qu’il n’est pas indifférent qu’une telle matière ait pu être publiée sous le titre de « théâtre de la vie humaine » : par là se percevait encore l’écho d’une idée humaniste de la rhétorique, dont l’objet était coextensif au champ entier de l’expérience des hommes. Ainsi l’instrument du savoir lettré revendiquait-il l’ambition de n’être pas seulement l’instrument d’un savoir littéraire. Échappant à son cadre institutionnellement pédagogique, la méthode exposée d’abord par Guarino au milieu du xv e siècle ne se voulait pas seulement une technique d’apprentissage et d’acquisition de connaissances intellectuelles, mais de manière très générale un principe de formation de l’homme, conformément à l’idée érasmienne de l’érudition : non pas entreprise d’emmagasinage (« remplir la mémoire », disait Montaigne), mais, au plus près du sens étymologique du mot, travail de dégrossissement de soi, où tout l’effort de la mémoire s’accomplit dans la maîtrise d’une prudence40. Dans la conviction des humanistes de la Renaissance, ce dernier objectif n’était pas réalisable par l’exercice purement formel des facultés logiques de l’individu : il ne pouvait être que le gain obtenu au terme d’une fréquentation assidue des auteurs anciens. Car leur savoir et leur sagesse accumulés et actualisés dans le travail d’annotation devaient former le principe et le contenu primordial du sens commun que tout homme digne de ce nom avait pour tâche d’acquérir : ce que, d’un mot, on nommait alors humanitas. C’est en cela que le recueil de lieux communs tel que le concevait la tradition rhétorique était appelé à constituer un instrument fondamental des studia humanitatis.

Notes
1.

Ferguson, 2009, p. 108-115.

2.

Spinoza, Traité théologico-politique, VII, p. 147.

3.

Sur le redressement des corruptions des textes par conjecture, c’est-à-dire par un certain talent divinatoire qui permet d’imaginer la leçon originelle d’un passage à partir du témoignage de sa leçon corrompue, voir D’Amico, 1988, p. 10-11. De nombreuses anecdotes confirment la proximité de l’imitation littéraire et de la conjecture philologique : ainsi Musurus, le grand philologue qui travaillait pour les presses d’Alde Manuce à Venise à la fin du $xv e siècle, composant de lui-même six hexamètres pour combler une lacune dans le texte de la troisième bucolique de Moschos (Reynolds et Wilson, 1984, p. 107), ou bien Marulle, tenté ici et là par la réécriture dans son édition de Lucrèce (Bollack, 2001, p. 69).

4.

Speroni, 1976. Cette méthodologie humaniste est encore plus sensible dans l’œuvre juridique d’Alciat consacrée au droit romain antique, en particulier au Code de Justinien : fondée sur une « restauration du texte par la critique textuelle », son ambition est de « restaurer le sens par une critique des dogmes, en cherchant à dégager la signification de chaque mot et la signification générale du texte au moyen d’une investigation philologique et historique du contexte historique » (Troje, 1975, p. 50).

5.

Cette caractéristique a été soulignée par Jean Lecointe à propos des commentateurs humanistes français de la seconde moitié du xvi e siècle (Denis Lambin, Adrien Turnèbe, Marc-Antoine Muret) : « le parallèle textuel envahit tout » et désigne dès lors l’intertextualité comme « la dimension principale de l’espace littéraire » (Lecointe, 1993, p. 191, n. 155).

6.

Montaigne, Essais, I, XXV, p. 136-137. La citation latine est de Sénèque, Lettres, CVIII, 37 : « Ils ont appris à parler pour un public, pas avec soi-même. Mais la question n’est pas de causer : il faut tenir la barre. »

7.

Sur ce qui lie la culture de Montaigne à la pratique des recueils de notes et sur ce qui différencie le projet des Essais de celui du « ramas » de lieux communs, voir Goyet, 1986-1987 et 2009.

8.

Kessler, 2008, p. 72-83.

9.

Sur la distinction érasmienne de loquentia et eloquentia, voir Camporeale, 2001, p. 253 et 269-270. S’appuyant sur l’étude de John William Aldridge sur l’herméneutique d’Érasme (The Hermeneutic of Erasmus, Winterthur, 1966), Camporeale rappelle que « pour Érasme, eruditio signifie l’analyse des textes au moyen d’une critique philologique, historique et théologique » (p. 253).

10.

Mariani Zini, 2001, p. 285.

11.

Tabourot, p. 46. Le premier chapitre de l’ouvrage, intitulé « Quelques traits utiles pour l’institution des enfans », est presque entièrement consacré à la confection des recueils de notes de lecture.

12.

É rasme, De duplici copia verborum ac rerum commentarii duo, p. 256-269.

13.

Bierlaire, 1995.

14.

Margolin, 1967, p. 175.

15.

Pernod, 2000, p. 290.

16.

Érasme, De duplici copia, p. 258 : « Ergo qui destinavit per omne genus autorum lectione grassari [...] prius sibi quam plurimos comparabit locos. Eos sumet partim a generibus ac partibus vitiorum virtutumque, partim ab his quæ sunt in rebus mortalium præcipua, quæque frequentissime solent in suadendo incidere. »

17.

Sur les liens entre caractère et lieu commun, voir Van Delft, 1993, p. 51-55.

18.

Ibid., p. 260 : « Ergo posteaquam tibi titulos compararis quot erunt satis, eosque in ordinem quem voles digesseris, deinde singulis suas partes subieceris, rursum partibus addideris locos communes sive sententias, iam quicquid usquam obvium erit in ullis autoribus, præcipue si sit insignius, mox loco suo annotabis. »

19.

Sur les diverses acceptions de la notion de lieu commun à la Renaissance, voir Goyet, 1996, p. 58-71.

20.

Curtitus, 1956 ;Panofsky, 1967 ; Panofsky, 1999.

21.

En s’inspirant d’un célèbre passage de Sénèque (Lettres, XI, 84, 3-4), Érasme compare le lecteur idéal à une abeille : « Cet homme d’étude, comme une petite abeille industrieuse, s’en ira voleter dans tous les parterres des auteurs et, sans exception, fondra sur leurs moindres fleurs, prélevant de toutes parts un peu de suc qu’il transportera dans son rucher. » (Érasme, De duplici copia, p. 262 : « Itaque studiosus ille velut apicula diligens per omnes autorum hortos volitabit, flosculis omnibus adsultabit, undique succi nonnihil colligens quod in suum deferat alvearium. »)

22.

L’ambiguïté sémantique de l’expression locus communis tient donc au fait qu’elle peut selon les cas désigner un locus au sens strict ou bien un genre particulier de titulus.

23.

Sénèque, Lettres, I, 2, 4 : « cum multa percurreris, unum excerpe, quod illo die concoquas » (« si tu parcours toutes sortes de matières, n’en extrais que ce que tu pourras digérer ce jour-là »).

24.

Guarino De Vérone, De ordine docendi et studendi, p. 294.

25.

Ibid., p. 294-296 : « Sed omnino illud teneant, ut semper ex iis quæ legunt conentur excerpere, sibique persuadeant, quod Plinius dictitare solebat, nullum esse librum tam malum ut non in aliqua parte prosit. Hæc studendi ratio apud veteres observata fuit adeo, ut Plinius maior electorum <commentarios> centum et sexaginta opistographos sororis filio reliquerit, quos aliquando quadringentis millibus nummum Larcio Licino in Hispania vendere potuit. Ea vero potissimum excerpent, quæ et memoratu digna et paucis in locis inveniri videbuntur. Erit hoc etiam ad orationis tum copiam tum promptitudinem valde idoneum, si inter legendum ex variis libris sententias quæ ad eandem materiam pertinent, et in unum quendam locum colligent. »

26.

Ibid., p. 294 : « radicitus, ut aiunt, sententias et vocabulorum vim annotent. Novas ipsi sententias et ad rem accommodatas exquirant ».

27.

Quintilien, Institutiones oratoriæ, I, IV, 2 : « recte loquendi scientiam et poetarum enarrationem ». Sur l’importance de Quintilien dans la conception humaniste de la grammaire, voir Kessler, 2001, p. 22-24.

28.

Guarino De Vérone, p. 268 : « Grammaticæ autem duæ partes sunt, quarum alteram methodicen, quæ breves omnium orationis partium formulas, idest µεθόδους declarat, alteram hystoricen, quæ historias et res gestas pertractat, appellant. » De cette distinction procède aussi celle que fait ironiquement Érasme dans le De recta pronuntiatione entre « parler grammairien », à quoi suffisent les manuels, et « parler latin », qui s’apprend par la fréquentation des auteurs : le vrai grammaticus est celui qui sait faire l’un et l’autre (voir Chomarat, 1981, t. I, p. 262).

29.

Kristeller, 1985, p. 303-304.

30.

Moss, 2002, p. 231-311.

31.

Millet, 2007. L’école de Sturm fait une synthèse entre la compréhension rhétorique des « lieux », puisée aux principes de l’imitation cicéronienne, et une compréhension dialectique dont le principal représentant était Rodolphe Agricola, auteur du De inventione dialectica, ouvrage rédigé en 1479 puis publié en 1515. Les « lieux » dialectiques sont des catégories qui permettent de classer les choses selon leurs propriétés logiques, comme le genre, l’espèce, la matière, la forme, le semblable, l’égal, la supériorité, l’infériorité, etc., ainsi que l’explique par exemple Joachim Ringelberg dans ses Lucubrationes, vel potius absolutissima kuklopaideia, p. 280. Les « lieux communs » de la dialectique sont donc des concepts généraux, qui s’attachent à une idée du sens commun comme faculté cognitive formelle et théorique, alors que la tradition rhétorique du lieu commun renvoie à une idée du sens commun comme ensemble de contenus concrets (définitions et propositions communément acceptées, non pas absolument vraies mais généralement avérées) qui permettent de s’orienter pratiquement dans une communauté de vie. Sur cette distinction, voir Descombes, 2009.

32.

Neumann, 2001.

33.

Zedelmaier, 2000.

34.

En termes techniques, ce type de recueils est désigné par le mot d’adversaria. Voir Chatelain, 1997.

35.

Tabourot, p. 43-45.

36.

Margolin, 1981, p. 131.

37.

Ibid., p. 149.

38.

Céard, 1996, p. 167. Sur le genre des « leçons », voir aussi Blair, 2006.

39.

Beugnot, 1977.

40.

Sur le rapport entre memoria et prudentia, voir Van Delft, 2005, p. 71-90

Appendix A Bibliographie

Sources
  1. Érasme : Érasme, De duplici copia verborum ac rerum commentarii duo, éd. Betty Knott, in Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, 1re section, t. VI, Amsterdam, 1988.
  2. Guarino De Vérone : Battista Guarino De Vérone, De ordine docendi et studendi, in Humanist Educational Treatises, éd. Craig W. Kallendorf, Cambridge (Mass.), 2002.
  3. Montaign e : Michel de Montaign e, Essais, éd. P. Villey, Paris, 1965.
  4. Ringelberg : Joachim Ringelberg, Lucubrationes, vel potius absolutissima kuklopaideia, Bâle, 1538.
  5. Spinoza : Baruch Spinoza, Traité théologico-politique, trad. Ch. Appuhn, Paris, 1965.
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Autres références
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  2. Bierlaire, 1995 : Franz Bierlaire, « L’exemplum chez Érasme : théorie et pratique », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, 107, p. 525-549.
  3. Blair, 2004 : Ann Blair, « Note Taking as an Art of Transmission », Critical Inquiry, 31, p. 85-107.
  4. Blair, 2006 : A. Blair, « The Collective Commentary as Reference Genre », in R. Häfner et M. Völkel (éd.), Der Kommentar in der Frühen Neuzeit, Tübingen, p. 115-131.
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