Marc Jahjah

1espaces savantslieuuniversité inscription des savoirslivrepage pratiques savantespratique intellectuelledocumentationRepérer, surligner, écrire, découper, extraire, coller… les pratiques savantes sont marquées par des micro-activités inscrites dans des écologies documentaires, sociales, matérielles, indexées sur des régimes du savoir. On doit sans doute au xii e siècle non pas l’invention1, mais l’intensification de ce modèle, grâce aux modifications de la page et à la naissance des premières universités, comme l’a montré Ivan Illich dans un livre magistral qui servira de guide tout au long de cet article2. Les modalités d’accès au savoir se métamorphosent alors, passant d’un rapport charnel au corps de la page à une conception utilitaire, instrumentale, propre à la « raison scolastique », « qui veut tout connaître, tout comprendre, tout expliquer, tout dire »3. Tout au long du xiii e siècle, les textes deviennent progressivement des mines dans lesquelles puiser pour satisfaire les exigences d’un travail, d’un parcours intellectuel, grâce à la naissance ou au perfectionnement de technologies intellectuelles (rubrication, index, etc.).

2typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagerhétorique matérialité des savoirsinstrumentlogiciel pratiques savantespratique lettréeannotationNous avons largement hérité de cette conception appareillée du savoir, à travers des transmissions et des médiations complexes ; il ne m’appartient pas ici de les retracer. J’aimerais cependant donner une place à un constat : la pérennité et l’hégémonie de cette conception, non seulement dans mes pratiques, mais dans toutes celles de mes collègues universitaires4, de plus en plus indexées sur un management néolibéral de la recherche, qui nous impose un rapport productif au savoir. Or, la plupart des outils qui nous sont aujourd’hui proposés appareillent cette vision hégémonique. Depuis les années 1990, des dizaines de logiciels d’annotation ont ainsi été conçues sur le même modèle de l’extraction, du découpage, de l’exploitation de la circulation. Parmi ces modèles figurent les dispositifs dits « sociaux » (Amazon Kindle, Kobo, etc.), qui ont inscrit la lecture et les lecteurs dans un régime industriel : leurs écrits, surlignements, annotations, sont encouragés, encadrés, exploités d’un point de vue marketing et éditorial5. Certes, ils diffèrent de tous les artefacts produits par les milieux universitaires, mais les relations entre ces deux mondes sociaux sont loin d’être étanches ; la rhétorique des uns semble parfois alimenter celle des autres6. Il n’y a donc pas lieu de les opposer caricaturalement.

3construction des savoirspolitique des savoirscapitalismeDans cet article, j’aimerais travailler une intuition ou une hypothèse de travail, formulée ailleurs7 : à leur manière, les technologies inventées par la scolastique participent à « l’âge des systèmes » décrit par Illich, du capitalisme moderne et du néomanagement du savoir. Il n’y a, pour s’en convaincre, qu’à penser au système d’indexation de Google, aux formes visuelles qu’il impose aujourd’hui à des milliards de pages et au rôle de foreur alors dévolu à l’usager.

4Restons cependant prudents : il y a peut-être des résonances 8 historiques et synchroniques, mais pas de liens de cause à effet, difficiles à prouver, à moins de mener une enquête archéologique hors de ma portée. J’aimerais, de manière plus modeste, mais ambitieuse, montrer combien cette résonance est présente, dans de microgestes, de microsignes, dans les dispositifs informatiques que nous mobilisons au quotidien. J’aimerais aller jusqu’à me demander s’il n’existe pas une résonance entre les pratiques d’extraction scolastique et les politiques extractivistes que dénoncent aujourd’hui des mouvements d’Amérique latine9. Encore une fois, je n’y vois pas de relation causale : je souhaite néanmoins montrer que les pratiques scolastiques s’inscrivent aussi dans une modalité hégémonique d’accès au monde.

5matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueWebPour poser cette critique, je travaillerai à partir d’un logiciel d’annotation (LiquidText) que la rhétorique habituelle du web a qualifié de « révolutionnaire » lors de son lancement en 2015. Comme tous ses concurrents conçus depuis les années 1990, il permet certes d’annoter un texte, de le surligner, d’intégrer des commentaires, mais, bien plus, de le découper, d’en déplacer les unités fragmentées dans un espace dédié, où il peut être de nouveau recomposé, recontextualisé, réélaboré, tout en étant techniquement et sémantiquement lié au texte d’origine. En cela, il s’inscrit manifestement dans une « révolution scribale » (sic) qui, dès le xii siècle, a fait du texte un silo, une mine dans laquelle puiser pour extraire des informations (Illich, 1991).

6Ce logiciel me semble particulièrement indiqué pour travailler mon hypothèse et identifier les liens, plus étroits qu’on ne le croit, entre les technologies scolastiques, les politiques extractivistes, la capitalisation des savoirs et leur industrialisation technique. Pour le montrer, je présenterai d’abord la thèse historique d’Ivan Illich, dont on trouve des résonances jusque dans des artefacts contemporains. Je mènerai ensuite une analyse dite « sémiotechnique » de LiquidText, en mettant notamment au jour ses mythologies, nichées dans de petits gestes, de petites formes et de petits signes. Enfin, je proposerai quelques éléments de restitution de mon expérience du dispositif, seule à même de montrer comment le pouvoir circule, s’ajuste, passe en nous, en s’insérant dans nos rythmes temporels, matériels, sociaux, avant de formuler des propositions qui nous permettront de diversifier nos topologies mentales. Dans ce cadre, j’évoquerai la notion de « monde imaginal » forgé par Henry Corbin, spécialiste de philosophie islamique, qui désigne une zone entre le sensible et l’intellectuel, dans laquelle peut être expérimentée une nouvelle manière de sentir, percevoir, vivre, expérimenter le savoir.

Le « texte livresque » : une technologie scolastique et un système technique

7inscription des savoirslivreimpriméLa thèse d’Illich s’inscrit dans un ensemble de travaux historiques, qui ont cherché à préciser les apports réels de l’invention de Gutenberg. Selon lui, la véritable « révolution » du monde du livre n’a pas eu lieu au xv e siècle, mais beaucoup plus tôt, dans le passage de la lecture monastique à la lecture scolastique, avec une invention inédite : le « texte livresque ».

8pratiques savantespratique lettréelecturePour travailler cette notion, Illich s’appuie sur l’art de lire d’Hugues de Saint-Victor (1096-1141), une figure intellectuelle du Moyen Âge central, en adoptant une démarche anthropologique, matérielle et phénoménologique. À la charnière des mondes monastique et scolastique, l’œuvre d’Hugues de Saint-Victor commentée par Ivan Illich, permettrait d’identifier une transformation importante dans notre rapport au savoir. L’avènement de la lecture scolastique, encouragée par le développement de technologies éditoriales (index, table des matières, etc.) au milieu du xii e siècle, aurait en effet entraîné la perte d’un contact charnel, viscéral, avec le corps de la page. À l’inverse, Hugues de Saint-Victor la percevait bien différemment :

[R]egarder un livre était comparable à l’expérience que l’on peut revivre, de bon matin, dans les églises gothiques qui ont conservé leurs vitraux originaux. Quand le soleil se lève, il fait vibrer les couleurs de ces vitraux qui, avant l’aube, ne semblaient qu’un obscur remplissage des arcs de pierre10.

9construction des savoirstraditionreligionCette perception était informée par une conception religieuse de la matérialité, à laquelle le livre participait : dès l’incipit, il s’agissait de s’arracher des ténèbres en se mettant au contact d’une source lumineuse puis de cheminer dans le dédale des enluminures qui s’embrasaient au contact de la bougie. Plus cette source était jugée lumineuse (les Écritures), plus elle était susceptible de maximiser la rédemption de l’individu. Le but était d’aider le lecteur à trouver sa place dans l’ordre de la création dont le livre n’était finalement qu’une réplique.

10inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l’informationarbre pratiques savantespratique intellectuellemémorisationLa recherche de cette place était tributaire de la mémorisation11 : comme les technologies de repérage n’existaient pas encore, le lecteur devait identifier puis incorporer les lieux du texte, avant de les synthétiser dans des architectures mentales (une arche, un coffre) qui lui permettraient de s’unifier12. En plus d’être une activité intellectuelle, la lecture était d’abord une aventure spirituelle, qui pouvait s’individualiser une fois maîtrisées certaines techniques.

11inscription des savoirslivreindexCe modèle s’affaissa progressivement, à mesure que la page monastique fit place à la page dite scolastique. Grâce aux index, à la classification alphabétique, aux espaces entre les mots, entre autres13, le texte fut peu à peu perçu comme un silo, une mine, comme un espace à survoler, sans avoir à en incorporer lentement les articulations secrètes, énigmatiques :

inscription des savoirsécriturelettreAlors que le haut Moyen Âge ne connaissait que de modestes subdivisions du texte, reposant moins sur des signes spécifiques que sur des ornements (rehaussement des lettres initiales par la couleur, changements d’écriture, décorations diverses), on passe à un véritable système de techniques auxiliaires de la lecture et de la consultation du livre, destinées à identifier rapidement le passage que l’on recherche : rubrication, découpage en paragraphes, titres de chapitre, séparation du texte et du commentaire, sommaires, tables des concordances des termes, index et tables analytiques alphabétiques14.

12inscription des savoirslivrepageSelon Illich, le texte se déracine alors de la page : il devient un objet autonome et abstrait qu’il nomme le « texte livresque ». Circule ainsi dans l’espace social un fantôme matériel qui va durablement organiser nos topologies mentales, d’autant que l’imprimerie en consacrera l’existence en le reproduisant à une large échelle. Par conséquent, il ne faut pas penser l’âge scolastique uniquement comme une époque ou un milieu déterminés : c’est surtout une modalité d’accès aux savoirs, qui s’est développée, a fini par se généraliser au point d’être hégémonique.

13pratiques savantespratique lettréelectureCe passage signe en effet l’affaiblissement d’une lecture lente, méditative et longue des sources. Si les « communautés textuelles », selon l’expression célèbre de Brian Stock, existent toujours et continuent bien évidemment de se développer avec la scolastique15, elles remplissent un nouveau cahier des charges : favoriser l’acquisition de concepts et d’un corpus théologique. Ainsi la lecture se professionnalise, alors qu’elle était jusque-là thérapeutique, du moins au Moyen Âge central. En témoigne le passage d’une métaphore (« les lumières de la foi ») à une autre (« les lumières de la raison ») au xiii e siècle 16. Cette nouvelle lecture se systématise également, selon Illich : la coordination des outils à disposition des lecteurs, les pratiques des étudiants, la formalisation et l’intensification des cours favorisent la germination de « l’âge des systèmes », un âge productiviste, dont le penseur situe la ratification finale autour de 1950, avec le développement des écrans, de l’informatique et de la cybernétique17. Avec ces dernières, nous devenons à la fois usager et partie d’un système dans des espaces visuels où le corps, l’œil et les interactions sont configurés par des icônes. Ainsi, ce constat amène Illich à attirer notre attention sur la nécessité d’étudier l’éthique des outils, c’est-à-dire les forces techniques par lesquelles notre vision, nos sens sont médiatisés, transformés.

14acteurs de savoirprofessionscribe typologie des savoirsdisciplinesdivisions historiques des savoirshumanismeLe constat d’Illich est sans doute exagéré, même s’il se livre à une archéologie souvent minutieuse de l’anthropologie des techniques, des sens et des institutions. En effet, si l’on reste fixé sur l’histoire des pratiques textuelles, savantes, matérielles, il est difficile de généraliser sa thèse. Du xiii e siècle au xx e siècle, ces pratiques demeurent hétérogènes, complexes. Certes, dès le xiii siècle, les étudiants utilisent des compilations, des florilèges, des index et des concordances qui instrumentalisent bien le savoir18. Mais « à côté des techniques universitaires qui ont eu une influence fondamentale sur la pratique de la lecture, il faut cependant signaler qu’il existait d’autres accès aux textes pratiqués par des intellectuels cultivés, par des bibliophiles qui avaient gardé l’amour des livres19 ». De la même manière, l’humanisme naissant est marqué par une intimité retrouvée avec les textes20, dont on trouve des traces jusque chez les scribes islandais21. À l’inverse, si les humanistes du xvi e siècle plaident bien en faveur d’un accès renouvelé, personnel, singulier aux textes classiques, enfin délestés de la matrice exégétique supposément envahissante du texte médiéval, ils multiplient plus tard les traités techniques, pour aider les lecteurs à capitaliser leur lecture22. Ainsi, au xvii e siècle, alors que se perfectionnent les technologies de repérage, l’annotation ne sert plus qu’à indexer l’information. Mais à la même époque, dans d’autres milieux, la devotia moderna incite les lecteurs à développer une lecture personnelle sans nécessairement passer par ces techniques23. Pareillement, si les xvii e et le xviii e siècles sont marqués par la multiplication des livres de lieux communs24, on y observe également une liberté dans les marges25. Les siècles suivants sont travaillés par la même dialectique : à l’instrumentalisation des savoirs, liée à des technologies de repérage, à des stratégies institutionnelles et des pratiques plus ou moins codifiées, répondent la méditation des textes, leur rumination, leur intensité. Il suffit de changer de milieux, de formes livresques (album jeunesse, bande dessinée, etc.), pour également changer de constat sur les médiations avec lesquelles nous accédons aux textes.

15matérialité des savoirssupportsupport d’inscriptionficheOn peut même se demander si celui d’Illich n’est pas caractéristique d’une méfiance assez classique, pour ne pas dire stéréotypée, sur l’émiettement des savoirs. Dans son Histoire de la fiche érudite, Jean-François Bert montre ainsi que cette petite architecture a servi de points de crispations entre les savants : les uns considérant qu’elle favorisait l’accumulation vertigineuse, vaine, l’encyclopédisme, au détriment de la critique et de la rhétorique ; les autres estimant qu’elle traduisait au contraire un rapport renouvelé à l’œuvre et au savoir, en expansion constante, plus limité par le règne de la rhétorique, marqué par la célébration de l’extraction, de « la transformation de matières premières, un lieu de production industrielle, un atelier, une usine, une raffinerie », comme l’écrit Christian Jacob dans sa belle préface au livre de Bert. De manière saisissante, on retrouve ici, quelques siècles plus tard, la conception que se faisaient les scolastiques du texte, pensé comme un silo.

16Le constat d’Illich mérite cependant d’être entendu. En effet, ce n’est pas tant l’existence de ces techniques qui l’inquiétait que leur hégémonie, articulée au « texte livresque ». Car les modèles extensifs ou intensifs du savoir ne sont que les deux faces de cette même pièce : que l’on se prononce en faveur de l’expansion ou qu’on la condamne, c’est toujours à partir du « texte livresque ». Bien évidemment, d’autres pratiques se sont affirmées depuis le xii e siècle, qui ne reposent pas que sur la collecte, l’extraction, l’exploitation des textes – et quand bien même, cette exploitation aboutit parfois à d’heureux exercices. Mais on peut se montrer plus inquiet par la rencontre entre les techniques scolastiques et l’informatique. Non qu’il faille la condamner ; encore une fois, c’est la présence hégémonique de cette rencontre qui interroge.

LiquidText : un avatar contemporain et rationalisant du texte livresque

17inscription des savoirsgenre éditorialmanuel inscription des savoirslivretexte matérialité des savoirssupportinfrastructure numériqueWebIl est aujourd’hui rare d’accéder à une information sans passer par un moteur de recherche et plus particulièrement Google. Or, toute son économie repose sur des techniques nées au xiii e siècle, dont les avatars contemporains sont la scientométrie et la sociométrie : le dispositif de Google consiste à indexer des textes et à les organiser selon des règles algorithmiques26, qui changent régulièrement au point d’obliger un certain nombre d’acteurs (journalistes, blogueurs, etc.) à s’adapter d’un point de vue stratégique, graphique, éditorial, langagier27. Google a inventé un nouveau « texte livresque », c’est-à-dire une forme fantomatique qui régit nos productions médiatiques, jusqu’aux techniques scolastiques elles-mêmes. Ainsi, en 2013, le dispositif Inkling sur iPad, qui propose des manuels scolaires dits « interactifs », annonça que l’ensemble de leurs unités documentaires (chapitres, paragraphes, sons, vidéos, etc.) avaient été indexées par Google et qu’elles étaient consultables séparément, monnayant quelques euros. Journalisme, éducation, université, littérature, politique : il y a peu de lieux, de genres, de discours et de milieux qui ne soient pas investis par des « architextes28 », ces systèmes d’écriture qui écrivent en amont notre écriture, la régissent, la capturent. Sans tomber, encore une fois, dans un déterminisme sociotechnique, d’autant qu’il existe des alternatives et des usages artistiques29, il nous faut prendre au sérieux les métamorphoses du « texte livresque ».

18construction des savoirséducationcycle éducatifenseignement supérieurdoctoratDans ma thèse de doctorat30, j’ai pu montrer comment cette technologie avait été saisie par les industries du web contemporain : en permettant aux lecteurs de surligner des textes collaborativement, de les éditer, de partager leurs productions médiatiques, des acteurs comme Amazon, Kobo ou Readmill ont su tirer parti des opportunités du « texte livresque », d’un point de vue marketing et économique. L’Université n’est pas en reste : depuis des dizaines d’années, elle multiplie les projets qui font rarement du texte autre chose qu’un « silo », qu’une « mine » à exploiter, qu’une « fouille » à mener. Nous ne sommes pas sortis du texte livresque : nous ne faisons qu’assister à ses métamorphoses, qui sont parfois spectaculaires. C’est dans cette filiation que j’aimerais situer le logiciel LiquidText, récemment lancé sur la tablette iPad.

19pratiques savantespratique lettréeannotationEn effet, il a rapidement été présenté comme « révolutionnaire » par ses concepteurs, dans une rhétorique propre au web. C’est qu’il ne permet pas seulement de surligner, d’annoter, voire de constituer des index et des tables de matières de ses annotations. Contrairement à tous les logiciels d’annotation conçus depuis les années 1990, il permet aussi d’extraire des éléments textuels, de les déplacer dans un espace dédié pour les recombiner, les « remembrer » dans un nouveau lieu de mémoire, qui pourra être réactivé en fonction des besoins, sans perdre cependant de vue le lien intrinsèque avec le texte où ces fragments ont été prélevés31.

20Je propose maintenant d’analyser ce dispositif en mobilisant l’approche communicationnelle et la sémiotique des écrans32, qui me permettront d’identifier ce à quoi participe LiquidText et ce à quoi nous participons potentiellement lorsque nous le mobilisons, en tenant compte de ses discours, de ses signes, de ses gestes, de ses acteurs. Dans ce cadre, j’analyserai non seulement le logiciel en tant que tel, mais, bien plus, ses vidéos de présentation, son site web, sa documentation pour comprendre comment le « texte livresque » est travaillé.

21Cet outil d’écriture, lancé en 2015, est emblématique des relations étroites entre l’université et « l’esprit entrepreneurial » : au lieu de les opposer, il vaut ainsi mieux montrer comment ils s’ajustent pour comprendre comment « ils élaborent dans la durée les normes, croyances, confiances et postures33 ». Le concepteur de LiquidText, Craig Tashman, a rédigé une thèse sur le sujet et publié plusieurs articles, avant de fonder son entreprise, d’être rejoint par des investisseurs et des spécialistes du marketing. LiquidText a les caractéristiques des écologies institutionnelles34, de ces lieux de brassage où se rencontrent des mondes sociaux différents, qui finissent par tisser un vocabulaire, des pratiques, des dispositifs à partir d’un même objet (ici l’annotation), dont ils s’emparent, qu’ils transforment, actualisent alors.

22matérialité des savoirsmatériaupapier pratiques savantespratique intellectuelleanalogie pratiques savantespratique intellectuelleimaginationLa métaphore de l’eau, annoncée dans le nom même du logiciel, structure l’ensemble des discours, des gestes, des conceptions de LiquidText. Elle constitue ce que Bachelard appelle une « auréole imaginaire », c’est-à-dire une image qui en suscite d’autres, se met au contact de tout un ordre temporel, gestuel, cognitif, matériel, qu’elle vivifie. Elle fonctionne également, dans le cadre des mythologies du web, comme un « discours d’escorte » qui accompagne l’usage d’un dispositif technique, en célèbre les vertus, fabrique « un argumentaire mobilisateur»35 prêt à l’emploi. La liquidité, les images de l’eau sont manifestement puissantes : depuis les années 1990, elles servent en effet à qualifier notre expérience sur le web (nous « surfons »). Elle a permis à ses promoteurs d’en vendre la facilité, en conciliant nouveauté, gestes et opérations intellectuelles pour en masquer les logiques techniques, discursives, sociales, idéologiques. De la même manière, la métaphore de l’eau sert à qualifier l’expérience des usagers de LiquidText : ils évolueraient ainsi dans un espace où tout serait fluide, par opposition au « papier », une matière généralement brandie par les acteurs du web, qui serait le marqueur d’une culture supposément fixe, lente, bureaucratique depuis les années 1960 36. LiquidText s’inscrit explicitement dans cette trajectoire rhétorique dès l’entrée (Fig. 1).

Figure 1 - Page d’accueil du site de
            LiquidText. Source : , consulté le 12 décembre 2021
Figure 1. Figure 1 - Page d’accueil du site de LiquidText. Source : https://www.liquidtext.net/, consulté le 12 décembre 2021

23Il s’agit bien d’aller au-delà d’une matière métonymique, qui concentrerait toutes les tares, à partir d’un rapport de force mis en scène par LiquidText dans un comparatif de supériorité (Better than paper), auquel son outil apporterait une solution. Sur l’ensemble de son site de présentation, on voit ainsi disséminés des indices de problèmes (perte de temps, lourdeur du papier, etc.), dans une scénarisation verticale qui va de leur expression à leur résolution progressive, à mesure que les fonctionnalités du logiciel sont exposées. Chaque fois, ce sont les propriétés prêtées à l’eau qui organisent l’argumentation linguistique et visuelle : d’un cadre à l’autre, d’un espace à l’autre, les fragments textuels peuvent ainsi être déplacés, liés entre eux. À la manière de gouttes d’eau, ils sont susceptibles de prendre toutes les formes possibles. Le processus semble transparent, ne souffrir d’aucune difficulté, n’avoir pour limites que celles de l’imagination. C’est sans doute pourquoi plusieurs vidéos d’usagers sont proposées sur le site web de LiquidText, du monde juridique aux étudiants : l’outil d’écriture s’adapte manifestement à toutes les pratiques, à tous les travailleurs du savoir. Ces vidéos peuvent également être lues comme des projets de communication, c’est-à-dire comme des opérateurs d’un emploi idéal, qui consiste à capitaliser l’information, à partir d’opérations de repérage, de sélection, d’extraction, de remodelage, de mémorisation, de réécriture.

24matérialité des savoirsinstrumentinstrument de communicationécranSi ces opérations sont déjà propres à tous les logiciels d’annotation, elles ne bénéficient cependant pas des propriétés supposées de l’eau, d’autant plus visibles qu’elles font l’objet d’un spectacle : les plans audiovisuels des vidéos promotionnelles se focalisent sur la trajectoire des fragments textuels, en suivent les transformations, les coagulations. Le corps des usagers représentés semble moins animer LiquidText qu’ils sont animés par lui, tant ils sont rapidement réduits à quelques parties (doigts, mains) et à une fonction illustrative de la voix explicative37. Par rapport à elles, l’écran est en situation hyperonymique : il inclut tout le corps de l’usager, capté par les formes manipulées. En cela, l’eau et l’écran relèvent d’une « forme spectacle38 » : en eux viennent se mirer les usagers ébahis par les possibilités offertes.

25Mais quelque chose résiste dans la structure même du texte et de l’annotation : le lien sémantique qui les unit et permet de déterminer une hiérarchie entre eux, entre un centre et ses périphéries. Or, à ce niveau, l’espace du logiciel respecte nos habitudes ou nos attentes, alors même que l’histoire des pratiques d’annotation témoigne de relations graphiques complexes, qui ont parfois marginalisé le texte, en plaçant par exemple son commentaire au centre39. Certes, un jeu d’échelle permet d’agrandir le cadre-document de droite, celui des marges et de l’espace de travail, pour lui donner une place visuelle plus importante, jusqu’à minimiser totalement le texte commenté. Mais en cliquant sur un fragment détaché, placé dans cet espace, je retrouve systématiquement le lieu du texte où il a été prélevé. Par conséquent, d’un point de vue technique et sémantique, LiquidText est tributaire d’une vieille technologie antique (les commentaires à lemmes), perfectionnée par la scolastique. C’est déjà l’indice que la « révolution » annoncée est en partie rhétorique, même s’il ne s’agit pas ici de minimiser les apports de ce logiciel ou de considérer que rien n’a changé avec lui. Il nous faut cependant déconstruire ses fantasmagories, c’est-à-dire l’ensemble des productions médiatiques qui donnent « une portée et une valeur imaginaires40 » à cette marchandise informatique, avant de situer les transformations que cette marchandise informatique fait subir au texte livresque.

26De toute évidence, LiquidText est tendu entre deux exigences : faire la démonstration de sa plus-value par rapport à l’offre existante, sans désarçonner trop fortement l’usager, qui doit pouvoir se décider rapidement sur les plateformes d’achat (Apple Store). C’est la raison pour laquelle dans ses vidéos de présentation, sur son site web comme sur l’interface même du logiciel, on trouve une logique intermédiale, malgré une dépréciation de la matière papier41.

27matérialité des savoirsmatériaupapierTout l’univers métonymique du papier y est, avec l’ensemble de sa quincaillerie tangible (le stylet, qui accompagne la version pour les professionnels) ou iconisée : stylo, crayon, gomme, surligneurs fluo, couleurs… l’usager évolue dans un environnement familier, dont il reconnaît immédiatement les formes et les objets, pour peu qu’il appartienne à la culture qui les promeut. Les gestes eux-mêmes (entourer, relier, surligner…) relèvent de l’habitude : ils imitent de manière iconique42 les gestes attendus, inscrits dans notre mémoire graphique.

28typologie des savoirsdisciplinesdivisions historiques des savoirsencyclopédismeDe la même manière, les liens possibles entre les différents fragments découpés, qui appartiennent parfois à des documents différents, relèvent des bases de données auxquelles nous ont habitués les annotateurs virtuoses, les humanistes, les travailleurs du savoir. La culture informatique et numérique a su tirer parti de cette tentation encyclopédique en proposant, avec l’« hypertexte », un moyen de lier un univers en pleine expansion. Dans LiquidText, cet univers est matérialisé par le cadre de droite, qui propose un espace de travail lui-même découpé en une multitude de petits cadres, dont les fragments peuvent être organisés, sans doute dans des unités de sens. Ainsi, l’expansion est elle-même contenue dans un cadre, qui rappelle la fonction de la page, sur laquelle se sont construites nos topologies mentales, nos gestes intellectuels.

29Il faut ainsi davantage penser LiquidText comme un espace livresque, ou un avatar contemporain de cette technologie qui fit du texte une mine, un silo. Tout, dans l’interface, rappelle en effet une logique productiviste : les documents intégrés peuvent être classés en « dossiers » selon une logique arborescente. Le logiciel permet de les convoquer via le « cloud », une technologie si caractéristique des espaces bureautiques professionnels, qui participe d’une négation de la matérialité technique. Deux éléments (l’eau, l’air) sont donc convoqués pour donner l’impression d’une transparence du geste, qui ne connaîtrait aucune limite matérielle, même si nous avons vu que cette matérialité était partout présente. Elle pousse même la logique du « texte livresque » jusqu’à son extrême limite : chaque trace de l’usager se trouve inscrite dans le logiciel, qui lui fait subir un traitement technique et éditorial. Ainsi, un surlignement effectué fait l’objet d’une discrète indication dans la barre de défilement de gauche du texte. Contrairement aux humanistes, qui réalisaient des index et des tables de matières à partir de leurs annotations, ces derniers sont conçus par le logiciel lui-même, qui maximise les potentialités du texte livresque, tout en se référant intégralement à sa logique.

30De la même manière, l’ensemble des fonctionnalités proposées permettent de commenter les fragments découpés dans l’espace de travail, de les réunir, de les éditer, de les désassembler, de modifier la typographie, la couleur ; bref, de les faire changer d’état sémiotique. Ces transformations mettent l’usager dans la position d’un éditeur paradoxal : le texte commenté reste toujours intact. Ce qui est modifié, découpé, prélevé est un double, une image, qui subit toutes les modifications souhaitées et nécessaires. Par conséquent, il ne peut littéralement intervenir qu’à la marge, sans jamais affecter la hiérarchie entre centre et périphérie.

31Au terme de ce parcours, on observe un point fondamental : la tendance du dispositif LiquidText à maximiser les potentialités du « texte livresque » qui ressemble davantage à un « textiel livresque ». En reprenant à mon compte le concept de textiel 43, qui désigne les propriétés du texte à l’écran (configuration actancielle, anticipation d’habitudes de lecture, etc.), articulé au concept d’Illich, je souhaite souligner une tendance de l’informatique : elle ne recycle pas uniquement notre héritage matériel ; elle le reconfigure pour le porter à son plus haut degré de réalisation. Dans cette perspective, toutes les caractéristiques du texte livresque (extraction, capitalisation des savoirs) se trouvent ici facilitées par l’informatique. Plus encore : elles rencontrent la mentalité entrepreneuriale et productiviste qui s’est chargée depuis une trentaine d’années et plus de nous fournir tous les « outils » dont nous aurions besoin pour accomplir nos tâches professionnelles. Cette rencontre entre les technologies scolastiques et la culture informatique, qui pourraient sembler éloignées, est ici particulièrement efficace.

L’expérience vécue du « textiel livresque »

32Ce « texte livresque » s’est coulé dans mes pratiques universitaires et dans les logiques qui les régissent aujourd’hui, que je fais fonctionner au quotidien. J’aimerais le montrer rapidement, à partir d’un retour d’expérience – je n’ose pas parler d’autoethnographie, ce serait trop ambitieux. Je me concentrerai plutôt sur quelques éléments de pratiques, qui datent d’août 2019 et d’août 2020. Je veux montrer, en suivant Foucault 44 ou l’ethnométhodologie, que le pouvoir institutionnel passe dans les pratiques ordinaires, auquel elles répondent, auquel elles s’ajustent, qu’elles font fonctionner, qu’elles rendent, un temps, tolérable, qu’elles digèrent, avant qu’il ne se manifeste de nouveau dans sa dureté. C’est dire que le pouvoir n’est pas centralisé, mais qu’il se distribue en nous : il passe par nous à travers l’optimisation de la vie ordinaire, par tout un jeu de relais, d’ajustements, d’adaptations, de réseaux sociotechniques, bureaucratiques, qui nous inscrivent dans une texture dont il est difficile de s’extraire, parce qu’elle informe aussi bien nos gestes que nos comportements, nos habitudes, nos énoncés. C’est pourquoi j’adopterai maintenant un style d’écriture plus personnel, à même de rendre compte de mon expérience, à la fois de LiquidText et de la texture temporelle, spatiale, professionnelle dans laquelle j’ai été pris. On pourra qualifier cette proposition de perspectiviste ou de située : elle consiste à adopter à un point de vue qui permet de déplier un ordre social et institutionnel.

33J’utilise LiquidText régulièrement, mais je l’ai surtout mobilisé deux fois, lors de la correction pendant les vacances d’été des rapports de soutenances de mes étudiant·es de licence. Chaque fois, j’ai eu à lire une quarantaine de rapports d’une cinquantaine de pages, sans la certitude, le jour de la soutenance (fin août), de m’en souvenir. Or, ces soutenances sont parfois accompagnées des tuteurs des étudiant·es en entreprise. J’ai rapidement compris que je pouvais mobiliser LiquidText comme une mémoire distribuée pour me remobiliser dans une situation qui comporte un enjeu social et professionnel et à une période où je dois à la fois gérer la rentrée d’une licence, d’un master, déposer des appels à projets, préparer des cours, aider mes étudiant. e. s à trouver des contrats d’alternance, continuer à écrire des articles. Je dois donc maximiser mon temps en trouvant mon rythme, pour reprendre Leroi-Gourhan 45 : je dois me faire une place habitable dans un champ de forces sociales, matérielles, temporelles, organisationnelles en opposition, alors que les tâches dévolues aux enseignant·es-chercheurs/euses se sont multipliées avec l’autonomie libérale des universités françaises46.

34La capture d’écran ci-dessous synthétise l’usage que j’ai fini par faire de LiquidText, après quelques essais lors de premières soutenances en 2019. Elles m’ont permis de comprendre quel usage optimal je pourrais faire de ces inscriptions, compte tenu de la situation décrite.

Figure 2 – LiquidText en action. Capture
            d’écran personnel d’un usage datant d’août 2020.
Figure 2. Figure 2 – LiquidText en action. Capture d’écran personnel d’un usage datant d’août 2020.

35À droite, l’espace de travail de LiquidText peut être investi de différentes manières. J’ai pour ma part choisi de condenser le rapport de stage en une série de formes énonciatives (le « plan », les « citations », les « notes », etc.) afin de mobiliser rapidement les informations qui me permettraient d’être présent à chaque moment de l’exercice de la soutenance (la question posée au tuteur, la main tendue au co-jury, la remarque à l’étudiant·e, aussi bien sur son oral que sur son stage). Ainsi, durant la soutenance des étudiant·es, je pouvais rapidement relire les quelques informations décrites pour poser une question pertinente à un tuteur (évolution de l’entreprise, difficultés éventuelles pendant le Covid, etc.). Les situations vécues ont fini par se couler elles-mêmes dans le « texte livresque » et par définir les conditions de sa formation, en liste, en extraits, en articulations. C’est tout le génie de cette forme ; elle s’adapte en permanence, en même temps que nous l’expérimentons. Elle se niche dans nos microgestes, elle participe de nos rythmes temporels, sociaux ; elle s’incarne dans la matière vivante de nos calendriers, de nos interactions. Mais elle est ici secondée par LiquidText, parfaitement aligné sur des logiques productivistes, qui est modulable, qui permet la mobilité des formes à l’écran. Textiel et texte livresque forment une équipe efficace, qui s’adapte manifestement à nos rythmes productivistes, parce que ces deux formes textuelles sont nées d’une telle logique.

36acteurs de savoircorpssantéL’âge des systèmes décrit par Illich fournit ainsi des réponses aux situations que nous vivons quotidiennement : il nous permet de nous ajuster, de nous adapter à l’ordre, au pouvoir qui nous travaille continuellement, habite nos corps. Jusqu’au moment où j’ai développé des tendinites, une fatigue lancinante, douloureuse, qui a fini par gagner tous les pans de ma vie, à mesure que je développais des stratégies matérielles pour juguler les tâches, toujours plus nombreuses. Les premières douleurs sont apparues en novembre-décembre 2015 dans les épaules, alors que j’étais post-doctorant à la Sorbonne. Là encore, j’ai essayé de mettre en place des calendriers, de mieux gérer mes courriels, de leur attribuer des dossiers associés à d’autres outils de gestion de tâches, pour faire face. Puis, ces douleurs se sont étendues à l’ensemble du corps, jusqu’à se solidifier dans les muscles. Chaque fois, j’ai tenté de m’adapter à la situation en recourant à des « outils » chargés de me seconder, sans voir qu’eux-mêmes n’étaient qu’une réponse à un problème créé par l’ordre productiviste auquel ils sont liés. C’est dire que le pouvoir institutionnel, que ses tressages et ses relais techniques, s’inscrivent dans la chair même des enseignant·es-chercheurs/euses. M’adapter, m’ajuster à des cadences difficiles à tenir, en articulant administration, pédagogie, recherche scientifique : voilà ce qu’un tel outil – associé à d’autres, bien évidemment –, m’aura en partie permis, sans en faire pour autant le responsable désigné ; il participe plutôt à un rythme, un agencement problématiques, entre des politiques libérales, des situations personnelles, des dispositifs. La question est de savoir non pas si ces « outils » sont toxiques ou pas, ni quel usage heureux pourrait en être fait mais de comprendre si d’autres rencontres sont encore possibles, compte tenu de la manière dont les politiques libérales et managériales investissent nos espaces.

37Comment sortir de cette « sorcellerie capitaliste », comme dirait Isabelle Stengers 47, qui nous piège en nous donnant les moyens de résoudre les problèmes qu’elle pose par ailleurs. On peut sans doute trouver dans l’écologie politique, les philosophies du vivant, les anthropologues de la nature ou les artistes décoloniaux d’Amérique latine48 de premières pistes. En effet, l’extraction des savoirs, telle que je l’ai décrite, ressemble en partie à l’extractivisme prédateur et les ontologies libérales49 qui officient sur l’ensemble de la planète, contre lesquels résistent quelques autochtones50. Or, cet extractivisme recourt à la raison instrumentale, qui est la nôtre, comme l’ont montré les épistémologies du sud51. J’y vois ainsi une « résonance » entre raison instrumentale, texte (iel) livresque et extractivisme des ressources, suffisante pour suivre les réflexions menées par un ensemble de courants écologistes dont les travaux inspirent d’autres manières de faire science, qu’on pense aux coopératives de recherche, à la proclamation de zones autonomes, aux plaidoyers en faveur d’une slow science. Il s’agit de faire coexister d’autres points de vue pour rééquilibrer les modalités d’accès au monde qui, nous l’avons vu, passe en grande partie par le forage des textes et l’exploitation productiviste, même si je ne nie évidemment pas l’existence, çà et là, d’autres pratiques, en marge de nos logiques industrielles.

38J’aimerais faire une proposition, en partant de ma perspective et de mes intérêts, qui croisent ceux des courants précédemment cités. Tous nous enjoignent à reconnaître que nous ne sommes pas seuls pour sortir de nos logiques prédatrices, extractivistes, productivistes. Cette reconnaissance implique ainsi d’admettre d’autres formes de vie, d’autres sensibilités, jusqu’aux êtres végétaux, jusqu’aux morts, jusqu’aux êtres situés dans des zones floues52, jusqu’aux êtres « imaginaux ». Henry Corbin, le grand spécialiste de philosophie islamique, a forgé un concept (le « monde imaginal53 »), pour qualifier une région et un processus, situés entre le monde sensible et le monde intellectuel. Médiane, à l’intersection, elle assure la circulation et la transformation d’un fond archétypal d’images et de savoirs, qui s’expriment dans une subjectivité propre, que nous devons mobiliser pour y avoir accès. C’est une région que nous pouvons expérimenter en pratiquant, par exemple, l’autohypnose, en développant une conversation écologique avec le monde54, en prêtant une attention aux rêves, à de micro-intuitions, des images qui surgissent et émergent dans le flux continu de la vie. Or, ces phrases, ces images surgissent singulièrement, dans une syntaxe renouvelée, passant de la veille au rêve, du rêve à la conversation amicale, de la conversation amicale au rêve et ainsi de suite. J’appelle ces formes des « êtres imaginaux » : ce sont des passe murailles qui fendent les ordres du réel, recyclent les savoirs incorporés et les réinvestissent dans le corps social. Pour illustrer mon propos, qui peut paraître mystique et quelque peu déconnecté de l’article en question, je propose maintenant de commenter quelques exemples de phrases, parmi un corpus d’une centaine que je publie régulièrement sur le réseau social Instagram55 après chaque séance d’autohypnose. Elles m’ont permis, en convoquant d’autres ressources (les groupes de sororité, par exemple), de comprendre ce que je vivais et d’y faire face progressivement en accueillant pleinement ce qu’elles avaient à me dire, ce que j’avais à me dire et qu’il m’était difficile d’entendre.

  1. « Que feras-tu de l’énigme de la vérité ? » Cette phrase, qui a surgi en 2020 lors d’une séance d’autohypnose, est un défi pour un chercheur, que je reçois comme un conseil précieux : la vérité n’est jamais donnée ; elle est ce à quoi nous pouvons seulement aspirer, ce vers quoi nous pouvons tendre, avant de la rejouer.
  2. « Tu n’es pas le diable que tu veux. » Dans des situations universitaires libérales, où l’individu est rendu systématiquement responsable des dysfonctionnements systémiques, j’aime penser cet énoncé comme un petit talisman, que je porte à mon cou et qui me rappelle la manière dont le pouvoir se distribue dans nos corps, au point de faire porter sur nos épaules la charge affective, sociale, corporelle.
  3. « Il faut de l’herbe pour pousser. » On a sans doute ici affaire à une réminiscence d’une lecture de Voltaire qui, à la fin de Candide, nous enjoint à cultiver notre propre jardin, au lieu de spéculer sans fin. Ce qui me frappe le plus ici, c’est la juxtaposition des états : les conditions de ma propre croissance dépendent de celles de l’herbe ; nous sommes pris dans un devenir commun. Pour le néolibéralisme, qui fait de nous des autoentrepreneurs, c’est une provocation et peut-être un poison : notre salut viendra sans doute de notre capacité à envisager des « contre-conduites » (Foucault) à partir d’affiliations impropres, en incluant un ensemble d’êtres relégués à l’arrière-plan.

39pratiques savantespratique intellectuelleimaginationCes quelques exemples, modestes, trop rapides, permettent néanmoins de montrer l’intérêt à penser le savoir à partir de la pratique imaginale, en tenant compte d’autres êtres, en construisant de nouvelles alliances pour nous relier autrement à nos espaces de travail, à nos collègues, à nos rythmes, à nos lectures, sans chercher nécessairement à les capitaliser en forant le texte : il suffit de « laisser être » (Maître Eckhart). Ce n’est évidemment pas cette seule réponse qui jugulera les effets du néolibéralisme et qui ouvrira d’autres voies. Mais elle offre des outils pour se relever, pour devenir ce que Bachelard appelait un « arbre aérien » : bien enraciné, ancré, mais tourné vers d’autres mondes, capable d’envisager des scénarios alternatifs en étant suffisamment fidèles à ces phrases et ces images pour en explorer toute l’épaisseur.

40Cet accès ou cette métamorphose nécessitent de faire un pas de côté : le savoir ne peut plus être seulement pensé comme « l’ensemble des procédures mentales, discursives, techniques et sociales par lesquelles une société, les groupes et les individus qui la composent, donnent sens au monde qui les entoure et se donnent les moyens d’agir sur lui ou d’interagir avec lui56 ». La conception imaginale du savoir invite à donner au monde le statut d’un acteur à part entière, qui agit en nous : en devenant un temps son hôte, nous nous donnons les moyens de répondre à ce qui nous habite et nous violente. En cela, la pratique imaginale des savoirs relève des techniques de l’ordinaire ; des « contre-conduites57 ». Elle s’inscrit dans les épistémologies du sud et dans « la sociologie des absences58 », qui cherche à rendre visible, audible, ce qui est invisibilisé, tu, et qui, lorsque nous l’accueillons, lui faisons place, se révèle une ressource puissamment douce, capable de s’impliquer dans notre existence, d’y prendre sa part, de l’ouvrir à des solutions inaperçues. Au pouvoir institutionnel, qui passe en nous et affaiblit notre puissance d’agir, il s’agit d’opposer et d’affirmer la pratique imaginale du savoir, qui nous traverse continuellement et nous offre les moyens d’aller là où nous sommes.

Notes
1.

Ces pratiques sont en effet connues depuis l’antiquité. Voir, entre autres : Maehler, 1999 ; Jacob, 2001 ; McNamee, 2007 ; Dickey, 2007.

2.

Illich, 1991.

3.

Boureau, 2007, p. 14.

4.

Voir à ce sujet l’état de l’art que j’avais réalisé pour la Bibliothèque nationale de France (BNF) portant sur les pratiques matérielles du savoir (Jahjah, 2017b).

5.

Jahjah, 2014.

6.

C’est par exemple le cas du dispositif Hypothes.is qui emprunte parfois au vocabulaire des start-up. Voir mon étude : Jahjah, 2017a.

7.

Jahjah, 2020.

8.

Cette notion a été proposée par les anthropologues pour penser l’élaboration d’un devenir commun entre sujets, objets, matières, relations qui s’intersectionnent à mesure qu’ils circulent dans l’espace social. Voir Meiu, 2020.

9.

Gómez-Barris, 2017.

10.

Illich, 1991, p. 26-27.

11.

Sur ces questions, le livre classique de Carruthers (1993) fait autorité.

12.

Jean-Louis Chrétien confirme bien cette interprétation : « mettre en forme ses pensées dispersées et mobiles en tout sens, c’est s’ordonner soi-même et se construire, prendre forme et assise » (Chrétien, 2014, p. 196).

13.

Ces inventions ont largement été étudiées (Petrucci, 1995 ; Rouse et Rouse, 1989 ; Weijers, 2010).

14.

Cavallo et Chartier, 2001, p. 28.

15.

Boureau, 2007, p. 53-77.

16.

Vallet et al., 2013.

17.

J’ai articulé ici le texte d’Illich sur Hugues de Saint-Victor à d’autres passages de ses œuvres, où il cite explicitement le xiii e siècle comme frémissement de « l’âge des systèmes ». On retrouve ces échos dans Illich, 2004 et Illich et Cayley, 2007.

18.

Letrouit, 1999.

19.

Hamesse, 2001, p. 144.

20.

Eden, 2012.

21.

Schott, 2012.

22.

Châtelain, 1999.

23.

Roudaut, 2003.

24.

Rhodes et Sawsay, 2002 ; Allan, 2010.

25.

« Les lecteurs du xviii e siècle ne sont pas tous des Richardson. Leurs annotations marginales se sont libérées des obligations des lieux communs et utilisent les blancs de la composition pour manifester leur réaction face au livre, se l’approprier tant dans son existence matérielle d’objet acheté, offert, reçu, dont les pérégrinations sont rappelées sur la page de titre, que dans son texte lui-même, qui suscite émotions, souvenirs, et désirs. » (Chartier, 2013, p. 11)

26.

Pour plus de détails : Gomez-Mejia, Nicey et Vaezi, 2016.

27.

Fabre, 2016.

28.

« Du banal traitement de texte au logiciel d’écriture multimédia, on ne peut pas produire un texte à l’écran sous outils d’écriture situés en amont. Le texte à l’écran est donc placé en abîme dans une autre structure textuelle, un architexte, qui le régit et lui permet d’exister. Les architextes (de archè, origine et commandement), sont les outils qui permettent l’existence de l’écrit à l’écran et qui, non contents de représenter la structure du texte, en commandent l’exécution et la réalisation. » (Jeanneret et Souchier, 2009, p. 158-159)

29.

Jahjah, 2018 ; Saemmer, 2020.

30.

Jahjah, 2014.

31.

Voir la vidéo de présentation officielle de LiquidText en 2015, « LiquidText - Comprehend More » : https://www.youtube.com/watch?v=sfPEi5BSyHU (consultée le 10 octobre 2020).

32.

Souchier et al., 2019.

33.

Jeanneret (2014, p. 87) définit ainsi l’« ajustement ».

34.

Griesemer et Leigh Star, 1989.

35.

Souchier et al., 2019.

36.

Jahjah, 2018.

37.

Voir note 32.

38.

Pedler et Cheyronnaud, 2018.

39.

Sur toutes ces questions, voir l’étude marginalia de Tura, 2005.

40.

Jeanneret, 2014, p. 12.

41.

Voir la présentation officielle de 2015, « LiquidText - Comprehend More », déjà citée et celle de 2020, « LiquidText: Better than Paper! iPad, Mac and Windows » : https://www.youtube.com/watch?v=VYqa6FfyjkA (consultée le 10 octobre 2020).

42.

La sémiotique contemporaine distingue en effet trois niveaux d’iconisation : iconique, figuratif, figural. Voir Marrone, 2016.

43.

Voir Jacquot et Jahjah, 2020.

44.

Lorenzini, 2015.

45.

Bidet, 2007.

46.

Le carnet de recherche Academia documente parfaitement toute cette histoire en cours : https://academia.hypotheses.org/.

47.

Pignarre et Stengers, 2007.

48.

Par exemple : Gómez-Barris, 2017.

49.

Landivar, 2021. Merci à ma collègue Laurence Allard pour l’indication de cette précieuse ressource.

50.

Cepek et Guerra, 2018.

51.

Santos, 2011.

52.

Je pense ici à toute la philosophie écologique (Desprets, Morizot, Latour, Stengers, etc.) mais également aux Queer Death Studies qui s’intéressent aux êtres oubliés, minorés, méprisés, comme les fœtus, les esprits, les insectes (Radomska, Mehrabi et Lykke, 2020).

53.

Corbin, 2005 (1977).

54.

Roustang (1994) pense l’hypnose comme une pratique écologique, qui nous rend plus sensible à notre environnement et nous permet d’expérimenter des régimes variés d’expérience, des gammes perceptives denses, comme nous y invite le taoïsme (Billeter, 2014). En association l’écologie des relations à la notion de conversation (à partir de la définition de Laugier, 2011), je souhaite insister sur le plaisir que l’on peut ressentir en passant du temps avec ces entités (animaux, visages, images, phrases qui se présentent dans les situations d’autohypnose). Pour autant, je ne recommanderai pas de se livrer à cette activité sans accompagnement.

56.

Jacob, 2014, § 16.

57.

Lorenzini, 2015.

58.

Santos,2011.

Appendix A Bibliographie

  1. Allan, 2010 : David Allan, Commonplace books and reading in Georgian England, Cambridge, Cambridge University Press.
  2. Bert, 2017 : Jean-François Bert , Une histoire de la fiche érudite, Lyon, Presses de l’ENSSIB.
  3. Bidet, 2007 : Alexandra Bidet, « Le corps, le rythme et l’esthétique sociale chez André Leroi-Gourhan », Techniques & Culture, 48-49, p. 15-38.
  4. Billeter, 2014 : Jean-François Billeter, Leçons sur Tchouang-Tseu, Paris, Allia.
  5. Boureau, 2007 : Alain Boureau, L’Empire du livre. Pour une histoire du savoir scolastique (1200-1380), t. 12, La Raison scolastique, Paris, Les Belles lettres.
  6. Carruthers, 1993 : Mary Carruthers, The Book of Memory, Cambridge, Cambridge University Press.
  7. Cavallo etChartier, 2001 : Guglielmo Cavallo et Roger Chartier, « Introduction », dans Guglielmo Cavallo et Roger Chartier (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Seuil.
  8. Cepek, 2018 : Michael L. Cepek, Life in Oil: Cofán Survival in the Petroleum Fields of Amazonia, Texas, University of Texas Press.
  9. Chartier, 2013 : Roger Chartier, « Pouvoirs de l’écrit et manières de lire », dans Michel Jeanneret et al., Le lecteur à l’œuvre, Gollion, Infolio.
  10. Chatelain, 1999 : Jean-Marc Chatelain, « Humanisme et culture de la note », Revue de la Bibliothèque nationale de France, 2, Jean-Marc Chatelain (dir.), Le livre annoté, p. 26-37.
  11. Chrétien, 2014 : Jean-Louis Chrétien, L’Espace intérieur, Paris, Éditions de Minuit.
  12. Corbin, 2005 (1977) : Henry Corbin, Corps spirituel et Terre céleste. De l’Iran Mazdéen à l’Iran Shî’ite, 3e éd., Paris, Buchet Chastel.
  13. Dickey, 2007 : Eleanor Dickey, Ancient Greek Scholarship: A Guide to Finding, Reading, and Understanding Scholia, Commentaries, Lexica, and Grammatical Treatises, from their Beginnings to the Byzantine Period, Oxford, Oxford University Press.
  14. Eden, 2012 : Kathy Eden, The Renaissance Rediscovery of Intimacy, Chicago, University of Chicago Press.
  15. Fabre, 2016 : Sylvie Fabre, « Référencement naturel et production des écrits web », Semen. Revue de sémio-linguistique des textes et discours, 41, L’énonciation éditoriale, https://doi.org/10.4000/semen.10583.
  16. Gómez-Barris, 2017 : Macarena Gómez-Barris, The Extractive Zone: Social Ecologies and Decolonial Perspectives, Durham, Duke University Press Books.
  17. Gomez-Mejia, Nicey et Vaezi, 2016 : Gustavo Gomez-Mejia, Jérémy Nicey et Shabnam Vaezi, « Questionner les pouvoirs éditoriaux de Google », Communication & langages, 188, 2, p. 23-43.
  18. Griesemer et Leigh Star, 1989 : James R. Griesemer et Susan Leigh Star, « Institutional Ecology, ‘Translations’ and Boundary Objects: Amateurs and Professionals in Berkeley’s Museum of Vertebrate Zoology, 1907-39 », Social Studies of Science, 19, 3, p. 387-420.
  19. Hamesse, 2001 : Jacqueline Hamesse, « Le modèle scolastique de la lecture », dans Guglielmo Cavallo et Roger Chartier (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Seuil.
  20. Illich, 1991 : Ivan Illich, Du lisible au visible. La naissance du texte, un commentaire du « Didascalicon » de Hugues de Saint-Victor, Paris, Cerf.
  21. Illich, 2004 : Ivan Illich, La perte des sens, Paris, Fayard.
  22. Illich et Cayley, 2007 : Ivan Illich et David Cayley, « L’Âge des systèmes », dans Ivan Illich et David Cayley, La corruption du meilleur engendre le pire, Arles, Actes Sud.
  23. Jacquot, Jahjah, 2020 : Clémence Jacquot et Marc Jahjah, « L’énigme du textiel littéraire », Corela, HS 33, Textuel, textiel. Repenser la textualité numérique, https://doi.org/10.4000/corela.11828.
  24. Jacob, 2001 : Christian Jacob, « La carte des mondes lettrés », dans Lucie Giard et Christian Jacob (dir.), Des Alexandries, t. 1,Du livre au texte, Paris, Éditions de la BnF, p. 11-40.
  25. Jacob, 2014 : Christian Jacob, Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ?, Marseille, OpenEdition Press, en ligne : https://books.openedition.org/oep/652.
  26. Jahjah, 2014 : Marc Jahjah, « Les marginalia de lecture dans les “réseaux sociaux” du livre (2008-2014) : mutations, formes, imaginaires », thèse de doctorat, EHESS.
  27. Jahjah, 2017a : Marc Jahjah, « “Annoter le monde et améliorer l’humanité” : les imaginaires matériels d’un logiciel d’annotation », dans Gérald Kembellec et Évelyne Broudoux (dir.), Écrilecture augmentée dans les communautés scientifiques, Londres, ISTE éditions, p. 71-88.
  28. Jahjah, 2017b : Marc Jahjah, « État de l’art théorique, méthodologique et critique sur les “usages” et les “pratiques” », rapport pour la Bibliothèque nationale de France, en ligne : https://multimedia-ext.bnf.fr/pdf/mettre_en_ligne_patrimoine_etat_art.pdf.
  29. Jahjah, 2018 : Marc Jahjah, « Culture imprimée et culture numérique : au-delà de Gutenberg, les enjeux du “texte livresque” », Revue de la bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg, hors-série Gutenberg (1468-2018), p. 90-99.
  30. Jahjah, 2020 : Marc Jahjah, « Du lisible au visible : la naissance du texte, une méthode critique pour penser l’“éthique perceptive” de la culture numérique ? », Communication & Langages, 204, 2, p. 79-93.
  31. Jeanneret et Souchier, 2009 : Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier, « Architextes », dans Driss Ablali et Dominique Ducard (dir.), Vocabulaire des études sémiotiques et sémiologiques, Paris/Besançon, Honoré Champion/Presses universitaires de Franche-Comté, p. 158-159.
  32. Landivar, 2021 : Diego Landivar, « Animisme, patrimoine, communs. Revendications ontologiques face au libéralisme tardif et à l’anthropocène », In Situ. Au regard des sciences sociales, Patrimoine et commun(s), https://doi.org/10.4000/insituarss.1338.
  33. Laugier, 2011 : Sandra Laugier, « Le commun comme ordinaire et comme conversation », Multitudes, 45, 2, p. 104-112.
  34. Letrouit, 1999 : Jean Letrouit, « La prise de notes de cours sur support imprimé dans les collèges parisiens au xvi e siècle », Revue de la Bibliothèque nationale de France, 2, Jean-Marc Chatelain (dir.), Le livre annoté, p. 47-57.
  35. Lorenzini, 2015 : Daniele Lorenzini, Éthique et politique de soi. Foucault, Hadot, Cavell et les techniques de l’ordinaire, Paris, Vrin.
  36. Maehler, 1999 : Herwig Maehler, « L’évolution matérielle de l’hypomnema jusqu’à la basse époque », dans Marie-Odile Goulet-Cazé (dir.), Le commentaire entre tradition et innovation, Paris, Vrin, p. 101-119.
  37. Marrone, 2016 : Gianfranco Marrone, Principes de la sémiotique du texte, Paris, Mimesis.
  38. McNamee, 2007 : Kathleen McNamee, Annotations in Greek and Latin texts from Egypt, Durham, American Society of Papyrologists.
  39. Meiu, 2020 : Georges Paul Meiu, « Panics over Plastics: A Matter of Belonging in Kenya », American Anthropologist, 122, 2, p. 222-235.
  40. Pedler et Cheyronnaud, 2018 : Emmanuel Pedler et Jacques Cheyronnaud (dir.), La forme spectacle, Paris, Éditions de l’EHESS.
  41. Petrucci, 1995 : Armando Petrucci, Writers and Readers in Medieval Italy: Studies in the History of Written Culture, New Haven, Yale University Press.
  42. Pignarre et Stengers, 2007 : Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste, Paris, La Découverte.
  43. Rhodes et Sawsay, 2002 : Neil Rhodes et Jonathan Sawsay, The Renaissance Computer, Londres, Routledge.
  44. Radomska, Mehrabi et Lykke, 2020 : Marietta Radomska, Tara Mehrabi et Nina Lykke, « Queer Death Studies: Death, Dying and Mourning from a Queerfeminist Perspective », Australian Feminist Studies, 35, 104, p. 81-100.
  45. Roudaut, 2003 : François Roudaut, Le Livre au xvi e  siècle. Éléments de bibliologie matérielle et d’histoire, Paris, Honoré Champion.
  46. Rouse et Rouse, 1989 : Mary A. Rouse et Richard H. Rouse, « La naissance des index », dans Henri-Jean Martin et Roger Chartier (dir.), Histoire de l’édition française, t. 1,Le livre conquérant. Du Moyen Âge au milieu du xvii e  siècle, Paris, Fayard/Cercle de la Librairie, p. 95-108.
  47. Roustang, 1994 : François Roustang, Qu’est-ce que l’hypnose ?, Paris, Éditions de Minuit.
  48. Saemmer, 2020 : Alexandra Saemmer, « De l’architexte au computexte Poétiques du texte numérique, face à l’évolution des dispositifs », Communication & langages, 203, 1, p. 99-114.
  49. Santos, 2011 : Boaventura de Sousa Santos, « Épistémologies du Sud », Études rurales, 187, p. 21-50.
  50. Schott, 2012 : Christine Marie Schott, « Intimate Reading: Marginalia in Medieval Manuscripts », thèse de doctorat, University of Virginia.
  51. Souchier et al., 2019 : Emmanuel Souchier, Étienne Candel, Gustavo Gomez-Mejia et Valéry Jeanne-Perrier, Le numérique comme écriture, Paris, Hermann.
  52. Tura, 2005 : Adolfo Tura, « Essai sur les marginalia en tant que pratique et documents » dans Danielle Jacquart et Charles Burnett (dir.), Scientia in Margine. Études sur les marginalia dans les manuscrits scientifiques du Moyen Âge à la Renaissance, Genève, Droz, p. 261-380.
  53. Vallet et al., 2013 : Éric Vallet, SandraAube et ThierryKouamé, Lumières de la sagesse. Écoles médiévales d’Orient et d’Occident, Paris, Publications de la Sorbonne.
  54. Weijers, 2010 : Olga Weijers, « Les instruments de travail au Moyen Âge, quelques remarques », dans Jean-François Gilmont et Alexandre Vanautgaerden (dir.), Les instruments de travail à la Renaissance, Turnhout, Brepols.