Marc J. Ratcliff

Fonctionnement cognitif, innovation et matérialité

1matérialité des savoirssupportsupport d’inscriptioncahier construction des savoirstraditioninvention acteurs de savoiracteur non humainobjet artificiel pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementCet article1 se propose d’évaluer la pertinence d’un modèle du fonctionnement cognitif du savant développé dans de précédents travaux, en cherchant à voir s’il est approprié pour comprendre les questions de la matérialité et des pratiques de science ordinaire2. À cette fin, on l’appliquera à une étude de cas relative à l’invention d’un instrument scientifique au milieu du xviii e siècle. Contrairement aux théories contemporaines de l’agent conçu comme simple transformateur du monde, ce modèle s’est inspiré de l’approche piagétienne selon laquelle une activité de transformation du monde est toujours doublée d’une activité de transformation du sujet3, grâce aux mécanismes d’accommodation et d’assimilation4. Aussi l’agentivité du sujet ne reflète-t-elle qu’une dimension dont la complémentaire est sa réceptivité, donnant lieu à un sujet bifacial. Sur cette base, le modèle cognitif bifacial que nous convoquons ici a permis de reconstruire l’histoire d’une découverte à partir d’un cahier de laboratoire et des correspondances et imprimés qui y sont rattachés5. Il pose que la nouveauté scientifique ne peut apparaître sans qu’il y ait, de la part du sujet, une alternance des modes de contrôle de l’action, distribuée en deux fonctions complémentaires : 1. le contrôle descendant (pôle assimilateur) généralise des pratiques et significations déjà existantes à des objets nouveaux ; 2. le contrôle ascendant - pôle accommodateur et posture d’écoute – peut aboutir à la création de nouvelles pratiques, significations et représentations scientifiques de l’objet. L’articulation de ces deux modes du contrôle de l’action donne lieu à une double construction, de l’objet et du sujet – ce qui est à considérer comme le résultat global de l’enquête, contrairement à l’isolement du seul fait scientifique naturalisé qui n’exprime que le volet focal de la réalité construite.

2pratiques savantespratique intellectuelle pratiques savantespratique discursive pratiques savantespratique corporelleCe modèle n’a toutefois pas été confronté directement à la question de la matérialité et des pratiques savantes ordinaires. Les anthropologues des sciences ont montré que le travail du savant est constitué de nombreuses pratiques ordinaires, corporelles et matérielles, tels que des gestes, des postures, des modes d’écriture, de rapports au texte et aux objets. Cette manière d’envisager le travail savant ouvre-t-elle un espace radicalement différent du périmètre de pertinence de ce modèle ou, au contraire, matérialités et ordinarités du travail savant participent du parcours de recherche envisagé au point de vue d’un sujet bifacial ? Pour trancher la question, nous allons interroger les relations entre cognition et matérialité, entre processus d’innovation et pratiques ordinaires, ouvrant nombre de questions : quel est le statut de la matérialité ? Quelle influence la matérialité prend-elle dans le processus d’innovation ? Quel est le rôle des pratiques ordinaires ? La matérialité est-elle une étape dans un processus ? Quel est son rapport avec l’organisation ?

3construction des savoirsépistémologiedécouvertePour aborder ces questions, nous allons étudier le statut de la matérialité des objets dans un parcours expérimental heuristique, c’est-à-dire qui a abouti à une découverte6. Ici, la nouveauté porte autant sur l’objet scientifique étudié – la reproduction d’un organisme quasi invisible, finalité énoncée dans une publication – que sur le moyen inventé pour l’investigation. Et justement, une des formes que prend l’alternance du contrôle de l’action dans un parcours de recherche est l’inversion des fins et des moyens7, décrite par Piaget à plusieurs reprises8 puis développée par ses collaborateurs9. Ce qui est conçu comme moyen utile pour résoudre un problème devient transitoirement une fin en soi car, à l’usage, le moyen s’est révélé inopérant et il faut bifurquer pour le transformer en moyen adéquat. C’est là une circonstance souvent présente face à un problème, qui « explique la recherche des moyens : il s’agit, en effet, de surmonter l’obstacle intervenu »10. À ce propos, les historiens des sciences ont relevé que, lors de l’enquête, il arrive que l’instrument « devient lui-même un objet d’investigation »11. Si c’est bien le cas, on doit pouvoir en repérer les traces sous la forme d’un basculement fin-moyen pour évaluer le rôle qu’y prend le renversement du contrôle de l’action.

4Le cas choisi est celui d’une découverte faite en 1744 par le savant genevois Abraham Trembley (1710-1784), concernant le mode de reproduction d’organismes quasi invisibles. Au double point de vue des matérialités et de l’alternance fin-moyen, nous étudierons cette découverte de physiologie animale et l’innovation instrumentale sur laquelle elle repose – son célèbre porte-loupe (fig. 1). On explorera les contextes et processus qui mènent à l’invention de ce dispositif afin de saisir le modus operandi du basculement fin-moyen dans ses dimensions fonctionnelles, matérielles et cognitives. Des égo-documents tels que lettres, brouillon d’articles et cahiers de laboratoire, analysés en relations avec les imprimés vont permettre de reconstruire la manière dont Trembley aborde la question de l’innovation instrumentale, son rapport aux matérialités et aux pratiques ordinaires.

Figure 1 - Le porte-loupe de Trembley
Figure 1. Figure 1 - Le porte-loupe de Trembley12

Du visible à l’invisible

5construction des savoirsvalidationexpérimentation matérialité des savoirsinstrumentinstrument d’observationmicroscopeNé à Genève en 1710, Trembley étudie la philosophie et la théologie, puis émigre en Hollande en 1732 où il devient tuteur des deux fils du comte William Bentinck 13. Au début des années quarante, il expérimente sur un petit organisme tubulaire – l’hydre d’eau douce – dont il découvre la propriété de régénération. Ces années de recherche aboutissent à la publication d’un best-seller de l’époque (Trembley, 1744), ses Mémoires sur le polype (fig. 2). Dans ses recherches, Trembley dit se servir de plusieurs instruments, allant des loupes jusqu’aux coûteux microscopes de son employeur, le comte William de Bentinck 14. C’est là une pratique ordinaire que d’utiliser plusieurs loupes et microscopes de types différents15 pour mener une enquête sur les organismes microscopiques. C’est même une marque de l’enquête des expérimentalistes naturalistes, la quantité de microscopes employés – jusqu’à dix pour certains savants – sert à contrôler l’image, en compensant les défauts d’image de chaque dispositif optique dans un univers instrumental marqué par l’absence de standardisation16.

Figure 2 - Abraham Trembley,  (1744).
Figure 2. Figure 2 - Abraham Trembley, Mémoires pour servir à l’histoire d’un genre de polype d’eau douce à bras en forme de corne (1744).

6espaces savantslieuacadémie construction des savoirspolitique des savoirsrégime politiquearistocratiePour comprendre l’origine du porte-loupe, il faut explorer la période qui précède, de la fin 1743 – époque où l’ouvrage est mis sous presse – à l’hiver 1744. Déjà, nulle part, il n’en est fait mention avant octobre 1744, c’est-à-dire après la publication des Mémoires. Trembley a arrêté les recherches sur l’hydre d’eau douce une année auparavant, vers novembre 1743, ceci pour deux raisons. D’une part, sous l’Ancien Régime, les recherches sont menées uniquement du printemps à l’automne, lors des saisons chaudes. Le cabinet de Trembley se trouve dans le château de Sorgvliet, le domaine de Bentinck qui est mis en activité au printemps, comme c’est le cas pour nombre d’aristocrates qui passent l’hiver en ville et la belle saison dans leur propriété17. Au milieu de l’automne, Bentinck revient à La Haye avec ses gens, et le calendrier des recherches est certainement agendé en fonction de cela. D’autre part, en décembre 1743, l’ouvrage de Trembley est mis sous les presses de Verbeek à Leide, mais il est retardé par la gravure des cuivres18 achevée à la fin de mars 1744 19. D’après les correspondances, le livre paraît au début du mois de mai 1744 et, le mois d’après, Trembley envoie les exemplaires reliés à ses protecteurs – l’académicien de Paris Antoine Ferchault de Réaumur et Martin Folkes, président de la Royal Society –, à sa famille, ses collègues et amis. Mais une fois ce chapitre refermé, le démon de la recherche reprend vite le dessus. Il donnera lieu à un saut d’échelle, du visible jusqu’à l’invisible.

7L’entrée dans le monde invisible ne se fait pas avant 1744, et même si de petites idylles polypaires sont parfois permises ailleurs20, le travail heuristique du suivi expérimental des hydres lui prend le peu de temps libre que lui laisse son activité de précepteur des enfants du comte. Ainsi, en novembre 1743, il écrit à Folkes qu’il n’a jamais vu de polypes – c’est le nom générique donné en 1740 par Réaumur à l’hydre – si petits qu’ils nécessitent le microscope pour les observer21. Un mois plus tard, Réaumur lui décrit de petits polypes « à bouquet » dans une lettre22. En janvier 1744, Trembley répond qu’il avait déjà vu cette espèce, beaucoup plus petite que les principales espèces décrites dans son livre, mais qu’il s’était refusé de les observer avant d’en avoir terminé avec les polypes à bras en forme de corne23. De fait, il y a d’importantes différences. Le polype-type, à bras en ombelle – celui dont l’image est restée attachée au nom de Trembley (fig. 3) – mesure en moyenne un centimètre de long lorsqu’il est étendu et peut donc être facilement vu sans microscope, dont l’usage permet d’en distinguer certains détails.

Figure 3 - Le polype à bras
Figure 3. Figure 3 - Le polype à bras
Figure 4 - Le polype à bouquet – dessins de
            Trembley
Figure 4. Figure 4 - Le polype à bouquet – dessins de Trembley24

8En revanche, la nouvelle espèce, au sommet en forme de clochette et qui donne des bouquets lorsqu’elle se multiplie (fig. 4), est presque invisible. C’est un véritable animalcule microscopique, dont la longueur, écrit Trembley, est d’1/240e de pouce25, environ 0,1 mm.

9inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l’informationéchelleLe contexte est donc celui d’un changement massif d’échelle, car le nouvel organisme-cible est environ cent fois plus petit que les polypes précédemment observés qui faisaient l’objet des Mémoires. On peut alors imaginer les obstacles et les résistances impliqués par ce saut d’échelle et la nécessité de nouveaux outils permettant aussi bien de percevoir que de concevoir la nouvelle espèce. Ceci a des conséquences sur le plan de la matérialité de ces objets. Les nouveaux polypes à bouquet ne font-ils pas preuve, du moins au début de l’enquête, d’une moindre matérialité que d’autres objets naturels mieux connus – ceci, d’autant plus qu’ils peuvent devenir transparents ? Ici, la matérialité doit être pensée non pas comme une propriété naturelle de la matière, mais bien comme une construction qui dépend à la fois des propriétés de la matière et des catégories d’objet disponibles qui structurent les capacités perceptives et cognitives de l’observateur. Selon sa place dans le parcours de recherche, la matérialité de l’objet d’investigation est variable, faible tant qu’on n’a pas les moyens de la produire et pleine lorsque ces moyens ont été découverts. C’est ce qu’écrit Trembley à son frère, dans une lettre destinée à Charles Bonnet, indiquant qu’il a « trouvé le moien d’observer ces animaux pandens qu’ils se separent & de distinguer les differe etats parlesquels ils passent pendant cette separation »26.

Obstacles et contraintes dans l’invention du porte-loupe

10Comment les choses se mettent-elles en place ? Dès l’année 1743, bien qu’il ait peu observé les polypes à bouquet, Trembley a déjà déterminé certains problèmes qu’il se propose de résoudre et dont il a différé l’étude. En particulier, il a vu de ces polypes avec une ou plusieurs clochettes et identifié des bouquets. Mais il ignore les relations entre ces différentes observations27. La croyance qu’il y a une possible multiplication et qu’elle peut être capturée par l’œil, implique qu’un processus de transformation matérielle est à l’œuvre. Aussi la matérialité du polype à bouquet est-elle le résultat d’une attribution. Il faut au préalable doter ces organismes, presque transparents, d’une certaine matérialité, démarche apodictique sans laquelle rien ne peut se faire. Mais c’est également l’indice que, d’après notre modèle cognitif, le savant devrait aussi se transformer. On peut ainsi faire émerger dans les sources les conditions par lesquelles va s’opérer le basculement fin-moyen, à partir d’une interrogation initiale que Trembley synthétise en août 1744 : « Souvent, il se formait un bouquet à l’endroit où d’abord il n’y avait qu’un polype. J’ai tâché de voir comment ce bouquait se formait.[…] J’ai eu divers soupçons, que j’ai tâché de vérifier par divers expédiens »28. Trembley semble se battre contre l’indéfini, le vague, le manque d’orientation, une sorte d’obscurité conceptuelle remarquée dans l’historiographie29. Certainement floue à l’origine, l’interrogation scientifique porte toutefois sur un objet déjà doté par le savant de diverses propriétés, dont la matérialité. Elle va contribuer à orienter l’enquête, mais vers une finalité nouvelle, la création d’un instrument dont, au final, le statut sera intermédiaire. Car pour y répondre, il va falloir laisser l’indéfini de côté et basculer vers d’autres questions qui vont se substituer transitoirement à l’interrogation initiale.

11acteurs de savoiracteur non humainanimalC’est ce qui se passe en été 1744, une fois l’ouvrage publié, relié et expédié, lorsque Trembley, qui se retrouve en pleine saison d’expérimentation, s’est lancé dans la nouvelle enquête. Après avoir semé ses questions çà et là, il ouvre un parcours de recherche finalisé pour comprendre le mode de reproduction de ces organismes situés aux frontières de l’invisible. Il est lui-même intime de ce monde des polypes visibles qu’il a construit30, monde devenu ordinaire et qui va exercer des résistances considérables montrant qu’il repose sur un univers schématique mental et matériel spécifique et déjà doté d’une forte inertie. Il avoue d’ailleurs qu’« il ne [lui] a pas été si facile de voir comment ils multipliaient »31. De fait, au début de l’enquête, il a tenté d’apporter directement une réponse à son interrogation princeps en fonction de ce monde du visible bien connu et organisé autour de ses pratiques ordinaires. Les loupes, les microscopes simples et doubles, ceux de Bentinck, son propre microscope de poche fabriqué par John Cuff qu’il a reçu de Folkes en mai 1743 disposent bien des grossissements adéquats, entre 10 et 200 fois, ainsi que de la lumière nécessaire. Mais il voit bien que ces instruments ont un périmètre d’action limité car « lorsqu’on ne se propose que d’observer pendant quelques moments la figure et les mouvements des petits Insectes aquatiques on peut comme on le fait ordinairement, se contenter de les exposer au Microscope dans quelques gouttes d’eau »32.

12Ainsi, c’est bien, déclarée par Trembley, cette ordinarité des pratiques qui va faire obstacle, ne permettant justement pas de les observer, comme il l’explique dans une lettre à Réaumur : « Si l’on tiroit de l’eau ces petits objets, pour les exposer au microscope, comme on le fait ordinairement, on risqueroit de les perdre, ou pour le moins de les déranger »33. Il est impossible de demeurer sur la seule interrogation d’origine dotée des moyens ordinaires car les polypes résistent, ne coopèrent pas. Quelque chose doit donc être modifié pour s’adapter à cette résistance. Voire, c’est jusqu’à l’identification même de ce problème qui suppose chez Trembley un premier basculement vers une forme du contrôle de l’action ascendant. Il s’agit d’écouter ce que dit le polype, d’entendre sa résistance, son « refus » de se laisser surprendre dans cette situation, afin de déplacer le questionnement vers la nouvelle zone de pertinence. Dans la mesure où il est impossible de répondre directement à l’interrogation scientifique au moyen des pratiques ordinaires, il faut réorienter l’enquête pour définir la nouvelle question non prévue. Trembley se met alors en devoir d’affronter ce problème afin de trouver un moyen adapté à l’observation de ces organismes dans la situation dont ils ont besoin pour se laisser voir.

13Peu de choses filtrent avant la fin de 1744, même si, depuis août il dit avoir trouvé un « expédient ». Il écrit alors à Réaumur pour lui déclarer la découverte en mettant la solution en image. Sur celle-ci les animalcules se sont divisés spontanément en deux à partir de la clochette qui se déforme à cette occasion (fig. 5).

Figure 5 - Croquis des polypes en
            division
Figure 5. Figure 5 - Croquis des polypes en division

14inscription des savoirsgenre éditorialarticleAprès avoir travaillé deux mois à consolider la découverte, il envoie début novembre un mémoire à Folkes. Le texte est en bonne partie recopié sur les lettres à Réaumur 34 dont la correspondance lui sert de laboratoire de la communication. Folkes le traduit et en fait lecture à l’assemblée de la Royal Society du 22 novembre 35. Mais, si l’article explique en détail36 la multiplication du polype par une division interne, il s’étend peu sur le dispositif employé :

matérialité des savoirsinstrumentinstrument d’observationmicroscopePour cet effet, je fais en sorte qu’ils soient fort près des parois du Verre, afin que le foïer de la lentille puisse y atteindre. Je fixe ensuite, sur le côté du verre, un bras articulé que j’ai installé à cet effet, au bout duquel je peux visser facilement les différentes lentilles de mon microscope, et les maintenir fixées à la bonne distance ; par quoi je peux, avec une grande facilité, voir l’Animalcule aussi longtemps que j’en ai besoin37.

15inscription des savoirsvisualisationimagegravureC’est là la seule mention du dispositif optique de l’article de 1744 – paru en anglais –, qui ne contient aucune gravure de l’instrument. Trembley mentionne quand même un des obstacles, relatif à l’environnement naturel des polypes, provenant de la lettre à Réaumur :

Si l’on tiroit de l’eau ces petits objets, pour les exposer au Microscope, comme on le fait ordinairement, on risqueroit de les perdre, ou pour le moins de les déranger. J’observe donc ces Polypes avec les lentilles d’un Microscope, sans les tirer des poudriers38 dans lesquels je les tiens39.

16Dans les deux cas, tant dans la lettre privée à Réaumur que dans le mémoire envoyé à Folkes en novembre 1744, Trembley est manifestement remonté vers les finalités ouvertes par l’interrogation scientifique pour laquelle il dispose, à présent, d’une réponse précise, développée dans l’article. Mais qu’est donc devenu le travail sur le moyen inventé ? Les deux versions, publique et privée, de son compte-rendu d’expérience coïncident pour montrer que cette orientation de l’enquête (vers le moyen) semble être redescendue au niveau d’une pratique ordinaire – bien que nouvelle –, au point qu’il n’est plus nécessaire d’en faire mention. Elle est devenue tacite par défaut, presque oubliée, récessive et quasi occultée par la virtuosité des résultats scientifiques. Transformé pour Trembley en chose connue, le dispositif matériel employé va dorénavant de soi, ce qui explique qu’il ne soit mentionné qu’en passant, à travers quelques détails clairsemés sur le microscope employé : « J’ai observé avec des lentilles assez fortes d’un bon microscope. Je fais pour cela en sorte que le polype soit tout près des parois du poudrier »40. L’ensemble de ce processus de normalisation atteste du caractère oublié d’éléments du parcours de recherche qui tend à normaliser, voire occulter les investigations sur les moyens qui y prennent place41. Mais si ces éléments vont de soi pour Trembley, ce n’est pas le cas pour son audience, comme on va le voir.

Un conflit d’interprétations

17L’organisation rhétorique de l’article de 1744 et les premières indications fournies à Réaumur sur l’instrument vont se révéler insuffisantes pour faire comprendre la manière d’observer du Genevois – c’est-à-dire donner pleinement à autrui les moyens de reproduire l’observation. La démarche met en jeu de nombreuses connaissances tacites qui vont être rendues explicites grâce à la correspondance, pour déboucher ensuite sur deux versions nettement améliorées de la publication. Une sorte de malentendu va forcer Trembley à devenir plus explicite et peut-être plus conscient de la nature du nouvel instrument qu’il a récemment inventé. Dans une réponse de novembre 1744, Réaumur avait fait l’éloge du dispositif – le pot de verre côtoyé d’un porte-loupe – en indiquant que « l’expédient de fixer une loupe d’un court foyer sur les parois du poudrier [...] fournit une grande facilité pour retrouver un très petit objet »42. Pour Réaumur, le porte-loupe, placé devant une paroi de verre, a donc pour fonction de rechercher des corps, ce à quoi Trembley objecte : « Ce n’est pas pour retrouver facilement un objet dans un verre que je me sers de l’expédient du porte-loupe. [...] C’est pour pouvoir observer avec les lentilles d’un microscope »43. L’incompréhension est manifeste. Réaumur n’a compris ni l’intention ni l’invention de son ami – ce qui est dû tant au saut d’échelle effectué par Trembley qu’à sa conception nouvelle de la relation entre milieu et organisme. Du coup, ce dernier réalise qu’il lui faut décrire le nouvel instrument dans ses fonctionnalités précises. Il va alors décrypter les éléments de sa descente vers l’ordinaire par laquelle il avait négligé de donner une véritable explication de l’instrument. Il y ajoute un croquis du dispositif (fig. 6), la seule figure d’un « microscope » existante de la main de Trembley et la toute première image de son « porte-loupe » – exactement illustré sans dispositif optique.

Figure 6 - Premier dessin du dispositif
            (« porte-loupe ») de Trembley, Décembre 1744
Figure 6. Figure 6 - Premier dessin du dispositif (« porte-loupe ») de Trembley, Décembre 174444

18pratiques savantespratique intellectuelleobservationUne narration du cheminement effectué est indispensable pour se faire comprendre lorsqu’on réalise qu’on parle à partir d’un nouvel univers – ici, celui du monde aux frontières de l’invisible. Aussi dans la lettre de décembre 1744, Trembley explique-t-il l’ensemble du chemin parcouru, les obstacles rencontrés lors de l’observation des animalcules et les procédures employées. Il énumère les micro-découvertes procédurales provenant des résistances et des obstacles à contourner lors de la recherche de solutions relatives aux moyens – ce qui montre qu’elles relèvent de la para-expérimentation, un type d’expérimentation qui ne concerne pas directement les questions scientifiques45. Ainsi, les polypes sont difficiles à observer lorsqu’ils se collent au verre ; ils doivent être très proches du verre, sans pour autant le toucher ; ils ne peuvent être touchés car ils se rétractent aussitôt ; de plus, trouver une hydre prête pour la division n’est pas facile, car le processus dure au moins une heure, et il a « donc cherché un moyen pour faire tenir près de la surface intérieure d’un poudrier, les corps sur lesquels sont fixés les polypes qu’[il] veu[t] observer »46. Le basculement de la fin aux moyens est rendu explicite et le moyen trouvé est un support sur lequel les polypes vont pouvoir s’accrocher tout en restant dans l’eau. La création de ce dispositif répond à deux contraintes, mécanique et environnementale. Il doit rester rigide lorsqu’il se trouve dans l’eau et constituer un milieu approprié pour que les corps microscopiques y séjournent longtemps. La solution matérielle imaginée par Trembley combine deux corps organiques. Il rabat une plume de paon taillée (abc) sur laquelle il a laissé une barbe (bd). Sur celle-ci, il pose une lame de prêle (efg) sur laquelle deux polypes (i) peuvent se diviser sans être dérangés. Tout cela est expliqué en détail par Trembley dans sa lettre à Réaumur, croquis légendé à l’appui. L’effet de ressort créé par la torsion de la plume de paon répond à la contrainte de la fermeté-souplesse, tandis que la prêle, en tant que milieu naturel des polypes, vient répondre à la contrainte environnementale. Le nouvel ensemble constitue l’invention qui n’est autre qu’un plateau aquatique, qui n’a cependant pas été labellisé comme tel par Trembley.

19On le voit, il est impossible de comprendre comment reproduire la découverte sans connaître les fonctionnalités de ce dispositif. La fonction du plateau aquatique est en effet de stabiliser les corps de manière à pouvoir les observer sans qu’ils se déplacent, comme s’ils se sentaient chez eux. De plus, dans le contexte de l’expérimentation sur les petits organismes, voir de manière efficace ne pose pas seulement des problèmes de gestion de l’espace (où les placer ?), mais bien aussi de temporalité (durée de l’observation). Le langage méthodologique du xviii e siècle dispose d’une terminologie à cet effet. Il s’agit de « suivre » l’organisme, se donner les moyens de l’observer longtemps en le mettant dans une situation spatio-temporelle stable et dans son environnement naturel. Mais, là encore ce n’est qu’après coup que Trembley, en 1747, sera explicite à ce propos :

Il convient même de tâcher d’observer ces Insectes, lorsqu’ils sont dans une plus grande quantité d’eau. C’est ce qui devient encore plus necessaire, lorsqu’on veut suivre l’histoire de ces Insectes. Il faut pour cela necessairement observer les mêmes Insectes pendant plusieurs jours de suite ; et il faut qu’ils soient, à peu près, dans les circonstancent [sic] où ils se trouvent dans les eaux, dans lesquelles ils vivent naturellement47.

Basculement fin-moyens et conflit des ordinarités

20En tant que résultat passé dans la publication, l’article des Philosophical Transactions de 1744 fournit les réponses à l’interrogation scientifique initiale. Et, bien que la prise de conscience date de décembre 1744 – en réponse à la lettre de Réaumur –, il faut attendre trois ans pour que soient publiquement montrés le dispositif instrumental et son processus de construction. Ceci plaide en faveur d’une différence entre deux systèmes de questions 48, le premier scientifique et le second instrumental, qui coïncident avec la différence entre fin expérimentale et moyens instrumentaux. Cette différence peut être justifiée aux yeux mêmes de Trembley du fait que les deux apparaissent dans des textes différents. Le premier texte ne comporte que les réponses scientifiques tandis que le second, de trois ans postérieur, fait état des deux types de réponses, scientifiques et instrumentales, exposées dans leur relation de fin à moyen : « Lorsque j’eus tout preparé, je me mis à épier continuellement le moment de la multiplication de quelques Polypes à bouquets, et je trouvai ce moment tant desiré, dans la même matinée que je commencai à me servir de cet expedient »49. La recherche du moyen est issue d’un basculement qui prend place entre juillet et août 1744, et qui aboutit la dernière semaine d’août. Elle n’est rendue publique que par le décryptage de la descente vers l’ordinaire qui vient répondre à l’incompréhension de Réaumur.

21Mais d’où vient le basculement de la fin aux moyens ? Il est une réaction aux obstacles et résistances rencontrés lors de l’enquête et implique, sur un mode de contrôle ascendant, la mise en forme catégorielle de ces réactions dans une solution unique. La prise en compte du milieu y est fondamentale, Trembley étant à l’écoute des influences contextuelles, comportementales et surtout de la relation entre l’organisme et son environnement. Il y a là une pensée proto-écologique, une pensée en système d’adaptation biologique, car dans son enquête, loin de ne cibler que le polype, Trembley cible le système polype-environnement, ceci à travers un double emboîtement : le polype est inclus dans sa « niche » et l’ensemble doit se trouver dans son eau d’origine. Le geste est donc négatif, il va consister à ne pas prendre le polype seul, à ne pas l’isoler de son milieu, et à changer de cible : « J’ai pris le brin de prêle sur lequel il etoit »50, nouveau geste qui passera de l’extraordinaire à l’ordinaire. Si certainement d’autres acteurs ont procédé à un geste similaire, ainsi Ferdinando Marsili en 1725 et Giuseppe Ginanni en 1738, le premier en mettant du corail dans un aquarium d’eau de mer et le second en simulant une plage et ses marées dans une cassette pour y faire vivre des mollusques51, ce n’est qu’avec Trembley que le geste recevra sa pleine mesure. Car il tire sa valeur du fait qu’il prolonge la conception du système animal-milieu, colonne vertébrale de ses innovations. Cette conception « systémique », on la retrouve en effet à la base des envois de polypes aux savants de l’Europe, souvent sceptiques, en vue des démonstrations de la régénération52. Elle est également à la source de la para-expérimentation – forme d’expérimentation visant à maintenir en vie les animaux de laboratoire, donc en dehors de leur habitat naturel – qui, couplée à l’expérimentation, crée le laboratoire d’expérimentalisme naturaliste moderne53.

22Quant aux procédures employées par Trembley, la même conception appelle un accroissement de la durée d’observation des polypes qu’il n’a jusqu’à présent dévisagés qu’à la loupe lors de brefs laps de temps, et sans les suivre. Accroître la durée d’observation dans un milieu naturel – l’eau – suppose la coordination d’un élément mobile (le bras du porte-loupe et le vase) et fixe (le plateau aquatique) sur lequel est disposé le système polype-environnement :

J’avois aussi lieu de soupçonner, en consequence des observations que j’avois faites à la loupe, que ces bouquets de Polypes ne croissoient pas aussi insensiblement que les Plantes ; mais au contraire, que le fait que je cherchois s’executoit dans un espace de tems assés court. Pour parvenir à le trouver, je resolus d’observer de suite quelques Polypes au microscope placés dans des circonstances où il pussent être autant à leur aise, que dans leur sejour ordinaire. C’est ce qui me fit venir l’idée de l’expedient que je viens de decrire54.

23L’ordinarité de l’objet défie celle du sujet. Celle du polype (son « séjour ordinaire »), s’il est écouté par le savant, lui fait dépasser ses propres pratiques ordinaires qui se sont montrées insuffisantes pour apporter une réponse au problème qui se dessine. Il y a donc un net conflit des ordinarités, mais qui n’est perceptible que lorsque le savant écoute l’objet, et qui n’est résolu que lorsque le savant accepte de sacrifier ses propres pratiques ordinaires pour les dépasser.

24Tout ceci ne voit cependant pas le jour avant 1747, lorsque Trembley, qui l’a compris depuis fin 1744, trouve l’occasion de publier à nouveau sur la question. C’est à ce moment qu’il donne la première image publique du porte-loupe, dans laquelle on distingue la plume de paon (fig. 1). À partir de fin août 1744, il revoit la division à de nombreuses occasions55, signe que l’utilisation de l’appareil est devenue une routine ordinaire. Par la suite, en 1745 et 1746, il généralise la technique employée pour étudier la reproduction d’autres espèces quasi invisibles, nommées polypes à entonnoir et polypes à bulbes qui se multiplient également par bouquets. La redescente vers les pratiques ordinaires est patente car la technique est devenue normalisée. Dans le même article de 1747, ayant trouvé une nouvelle espèce de polypes (dit à bulbes) dans un fossé, il écrit : « je commençois par tâcher d’avoir un de ces Polypes seul et fixé sur un corps, que je pusse disposer dans un verre, de manière, que le Polype fut à portée d’être observé avec une lentille d’un court foier. Je suivis pour y parvenir ma méthode ordinaire »56.

Comprendre la nouveauté : la réception du microscope de Trembley

25inscription des savoirsvisualisationimage Trembley considère le porte-loupe comme un ensemble fonctionnel qui organise en une seule totalité plusieurs artefacts. Il modifie également la relation traditionnelle entre la forme et la fonction, l’environnement étant changé afin que le microscope apporte une réponse appropriée à une nouvelle contrainte qui consiste à observer longtemps des animalcules dans leur environnement naturel. Les microscopes de l’époque ne permettent pas une telle observation. Bien que le porte-loupe dit de Trembley ait été fabriqué par le constructeur d’instrument de Leyde Jan Van Musschenbroek 57 et que des acteurs des réseaux de Trembley et Réaumur l’utilisent (Bentinck, Jean-Nicolas-Sébastien Allamand, Réaumur, Joseph Adrien Lelarge de Lignac, Mathurin-Jacques Brisson), ce dispositif n’est simple à reproduire avec les mêmes fonctionnalités que si l’on suit exactement les recommandations de Trembley réparties entre le texte et les légendes de la figure. Faute d’une lecture serrée accordée avec l’image, certaines de ses caractéristiques contextuelles vont en perturber la réception :

  1. L’apparente simplicité de l’image. En portant un regard sans lecture des légendes, ce « microscope » n’est que l’assemblage d’un bras mobile avec une loupe et d’un bocal de verre. À la fin des années 1740, les bras articulés sont faciles à trouver et même bon marché à Paris 58.
  2. Une certaine confusion provient du terme polype, nom générique employé par Trembley pour décrire des organismes fort différents. En tant que découverte princeps, la régénération du polype exerce une forte attractivité symbolique sur d’autres espèces, les ramenant à elles. Carl Linné, dans l’édition de 1767 du Systema Naturae y mettra de l’ordre en les traitant comme des genres spécifiques de la classe des vers et de l’ordre des zoophytes. Le polype à bras y devient Hydra viridis (genre 349), tandis que le polype à bouquet est nommé Vorticella anastatica (genre 348)59.
  3. Cette ambiguïté du polype se reporte sur les instruments vendus sous le nom de Trembley. Dans son catalogue d’instruments de 1748, Musschenbroek vend ce microscope comme : « Idem [un microscope] simple, inventé par M. Trembley pour observer les polypes, avec trois lentilles »60.
  4. Le saut d’échelle – de facteur 100 – ne revient pas juste à un passage d’une vision d’objets à l’œil nu à la vision d’un monde invisible qui existerait déjà. Il s’agit, sur les plans ontologique, matériel et cognitif, de construire le chemin qui permet ce passage. L’enjeu du modèle bifacial est de comprendre cette construction dans le cadre d’une double transformation du sujet et de l’objet. Depuis la fin du XVII e siècle, des procédés iconographiques d’agrandissement par zoom ont d’ailleurs été employés pour montrer les organismes invisibles, en leur attribuant une nouvelle réalité61. Similairement, la construction retracée ici suppose une attribution de réalité spatio-temporelle et de matérialité aux corps visualisés. Mais l’analyse du parcours de recherche montre aussi la nécessaire transposition, dans ce monde de l’invisible, de l’architecture cognitive articulant les moyens aux fins, utilisée par chacun au quotidien. Elle est rendue possible grâce au dispositif de Trembley.
  5. Il y a confusion sur ce qui tient lieu d’innovation. Le terme microscope est ambigu, et laisse croire que l’invention est le bras articulé, alors qu’il s’agit du plateau aquatique dont la fonction est de stabiliser les corps à observer dans leur milieu naturel mais qui ne porte pas de nom. Faute d’une lecture serrée, cette fonction du plateau aquatique (la vision lente de corps presque invisibles dans leur environnement), disparaît, avec le cadre ontologique qu’elle implique, au profit de l’observation standard des hydres d’eau douce.

26pratiques savantespratique corporelleperceptionvisionL’ensemble de ces obstacles à la réception aide à comprendre que le dispositif ait pu facilement régresser vers les hydres visibles à l’œil nu auxquelles le nom de Trembley est demeuré lié. Un bon exemple de cette régression vers la précédente découverte, dans ce cas l’hydre de 1 cm, est la façon dont l’amateur de microscopie bavarois Martin Frobenius Ledermüller emploie le porte-loupe. Dans son ouvrage paru en séries de planches commentées, Microscopische Gemüths- und Augen-Ergötzung de 1763, il fait dessiner et graver le porte-loupe enluminé. La plume de paon a disparu, faute d’avoir fait une lecture serrée du texte et des légendes (fig. 7).

Figure 7 - Gravure du microscope de Trembley
            dans l’ouvrage de Ledermüller, où le plateau aquatique est
            absent
Figure 7. Figure 7 - Gravure du microscope de Trembley dans l’ouvrage de Ledermüller, où le plateau aquatique est absent62

27Au lieu des polypes à bouquet, la gravure enluminée donne à voir des hydres d’un centimètre nageant dans le bocal. La fonction du plateau aquatique, la stabilisation spatio-temporelle des polypes à bouquet, n’est pas remplie. De fait, les diverses fonctionnalités remplies par les objets matériels devaient être comprises pour pouvoir répliquer le dispositif. Il fallait par exemple comprendre aussi le système polype-environnement. Une telle illustration vient donc conforter l’interprétation des matérialités en jeu, aussi bien de l’objet finalisé (polypes à bouquet) que du moyen instrumental (plateau aquatique). Etant tous deux absents de ce dispositif, leur matérialité a également disparu et, partant, son statut dépend entièrement de la compréhension du parcours de recherche que s’en fait le savant.

28Reproduire l’expérience signifie donc ici non pas empiriquement refaire la même chose, mais bien reconstruire les moments du parcours de recherche et les fonctions que les dispositifs instrumentaux endossent. Ainsi, il y a double transformation, qui comprend la maîtrise des attributions de significations créées lors du parcours de recherche, ici celui de Trembley. Lequel est explicite à ce propos non seulement sur le rapport du moyen (« expédient ») à la fin, mais aussi sur le rôle de la compréhension : « je crois devoir donner ici la description du principal expédient, que j’ai emploié pour faire mes expériences. Cette description servira à faire comprendre ce que je dirai dans la suite »63. L’élimination de la plume de paon chez Ledermüller a alors fait croire faussement que ce microscope avait servi à l’observation des polypes d’eau douce et, par extension, que ce dispositif avait été utilisé lors des observations rapportées dans ses Mémoires de 1744.

Conclusions

Parcours de recherche, contrôle de l’action et ordinarité

29Un instrument inventé durant un parcours de recherche apparaît donc comme une solution pour répondre à un système de questions qui devient spécifique au cours de l’enquête. Mais toutes les questions émergentes durant l’enquête n’ont pas le même statut et ne se trouvent pas au même niveau. Au sein du parcours, les questions concernant la théorie – ici, la description d’un phénomène de reproduction animale – sont de l’ordre d’un objectif à atteindre, d’une finalité à construire, tandis que le dispositif demeure un moyen, hiérarchiquement subordonné à cette finalité. Cette articulation entre moyen et fin s’est retrouvée dans le cas de Trembley. Lors de l’utilisation ordinaire d’un instrument, un problème spécifique surgit sous forme d’obstacle – l’impossibilité d’observer tel organisme – et cette résistance devient le point de départ de nouvelles recherches. Dans son modèle de l’équilibration, Piaget (1975) a rendu compte de problèmes similaires, en analysant les conditions cognitives internes des formes de perturbations. Trois sous-systèmes d’équilibration gèrent autant de lieux de perturbations diverses à l’origine de rééquilibres et donc de nouvelles significations64. Les sources des résistances sont indifféremment sociales (dans le cas d’un point du vue opposé ou d’une incompréhension), objectales, à savoir que les « objets donnent des coups », et internes, le système cognitif opposant sa propre inertie à des nouveautés. Le conflit des ordinarités est une autre manière d’envisager la même dynamique. Face à une résistance, nombre de pratiques ordinaires se révèlent insuffisantes, à l’égal des composantes mentales et organisationnelles disponibles convoquées par le savant pour répondre aux questions scientifiques. C’est son armature schématique ordinaire qui est mise à l’épreuve.

30Le système de questions, qui définit le périmètre de l’interrogation scientifique, se transforme aussi, à partir du terrain connu des questions dont l’objet est l’organisme, où le savant n’apparaît que tacitement (« qu’est-ce que cet organisme ? », « quelles en sont les structures et les fonctions ? », « comment fait-il pour… ? », etc.). À en rester sur ces questions scientifiques qui excluent le savant, non pas en tant que tel, mais en tant qu’agent d’innovation, rien ne se passe, mais à vouloir les opérationnaliser, on commence par appliquer des schèmes connus à des situations relativement nouvelles – c’est ce que fait Trembley en utilisant loupes et microscopes ordinaires. Lorsqu’un obstacle ou une résistance se profile, l’ouverture au basculement devient possible, mais suppose de quitter le monde connu de l’ordinarité.

31Modifiant la direction de son contrôle de l’action, le savant peut alors basculer de la question scientifique à une question instrumentale qui l’inclut dès lors comme agent proactif. Il s’agit de la construction par un agent d’un moyen d’action nouveau pour réaliser sur un objet une opération jusqu’alors impossible. La construction est à la fois matérielle et mentale et met transitoirement en veilleuse l’objectif scientifique. La classe des questions qui se posent alors est nouvelle et relie de manière triadique le savant à l’objet et au moyen instrumental qui permet de le saisir : « Comment (puis-je) créer un moyen pour observer de telle manière telle chose ? » Avec le basculement, le moyen devient transitoirement la nouvelle finalité de la recherche, et inclut le savant à titre de sujet en transformation. À partir de là, deux cas majeurs sont possibles : 1. Soit le nouveau moyen n’est pas trouvé et l’enquête se délite ; 2. soit le moyen est trouvé, et il se produit après coup une remontée vers le questionnement scientifique d’origine – la finalité de l’enquête –, augmenté d’un nouveau moyen. Le premier basculement, nécessaire durant le parcours de recherche, procède d’une transformation du contrôle de l’action passant d’une recherche sur l’objet à une recherche sur les moyens d’attendre l’objet, devenue elle-même une nouvelle finalité. Ce basculement est une propriété du sujet, Janus capable d’une part, d’appliquer ce qu’il sait et, de l’autre, d’écouter les choses lorsqu’il ne sait pas65. Ces questions renvoient aussi à une notion absente dans l’historiographie qui est la transformation du savant lui-même66, notion complémentaire à la transformation de l’objet et du monde. Le processus d’innovation instrumentale, car c’est de cela dont il s’agit, inclut donc une transformation du sujet qui se mesure à l’effet du retour à l’enquête scientifique augmenté d’un nouveau moyen, devenu ordinaire.

Matérialités et parcours de recherche

32On l’a vu, dans un parcours de recherche, il y a plusieurs matérialités ou niveaux de matérialité dont le statut va dépendre de leur place dans l’ensemble du parcours. Il y a la matérialité de l’objet, du polype à bouquet minuscule et presque invisible, matérialité variable à concevoir comme un produit de l’attribution de propriétés cognitives par le savant. Mais il y a aussi une matérialité du moyen technique et si, pour Trembley, l’usage de matériaux déterminés joue un rôle, c’est spécifiquement parce que leur emploi vient répondre à certaines fonctions, mécanique-visuelle et environnementale, du nouveau dispositif. L’usage de ces matériaux est dépendant de l’organisation des fonctions. Le dispositif repose sur une logique systémique organisant les relations mécaniques (ressort de la plume), visuelles (plume pressée contre la paroi pour être vue à un fort grossissement) et environnementales (la branche de prêle est la niche des polypes qui se trouvent dans leur milieu, l’eau). Par conséquent, il apparaît que la matérialité du moyen demeure secondaire par rapport à la logique systémique et discursive du dispositif, qui vient ainsi répondre par une totalité organisée spécifiquement à une question instrumentale. En revanche l’organisation des fonctions (mécanique x environnementale) n’est pas contingente. Preuve en est qu’une autre disposition, ou l’emploi de variation de ces mêmes matériaux mettrait obstacle au fonctionnement du dispositif. Par exemple, une plume de paon non ébarbée ne permettrait pas de fixer la prêle et une grande branche de prêle n’ayant pas de ressort, ne serait pas pressée contre la paroi du verre. Ce ne sont donc pas les matériaux eux-mêmes qui font le dispositif, mais le fait que ces matériaux ainsi organisés apportent une réponse efficace à la question instrumentale apparue au cours de l’enquête. Quant aux corps particuliers employés, ils sont contingents du moment que les fonctions sont remplies et qu’une réponse unique est apportée aux contraintes. De fait, la fonction mécanique de pression sur la paroi pourrait être assumé par un autre matériau souple, par exemple une branche de saule tandis que la fonction environnementale peut être endossée par d’autres corps sur lesquels les polypes viendraient nicher.

33En conclusion, les relations entre innovation, matérialité et pratiques ordinaires peuvent être comprises dans le cadre du modèle proposé dans Genèse d’une découverte, sous-tendu par les recherches de Piaget. Ce modèle du travail scientifique peut articuler l’ordinarité avec l’extraordinarité, l’innovation avec les pratiques ordinaires. Les matérialités y deviennent une série de moments dans une quête dont la nature ne se révèle qu’à la fin. Lorsqu’il est question de moyens, la matérialité participe d’une forme nouvelle posée comme solution. En revanche, la matérialité de l’objet de recherche est une attribution qui dépend des constructions humaines, elle n’est pas une solution, mais une condition d’existence de l’objet. Les matérialités y perdent de toutes façons leur substantialité et deviennent dépendantes de leur place dans le processus qui les constitue. Ainsi les matérialités et l’ordinarité du travail savant participent-elles du parcours de recherche lorsqu’on l’envisage à partir d’un modèle bifacial du fonctionnement cognitif qui donne sa place à l’alternance des contrôles de l’action et aux co-transformations du sujet et de la réalité.

Notes
1.

Ce travail est soutenu par un subside du Fonds national suisse, n° 100012_159508. Toutes les images sont © Bibliothèque de Genève, que je remercie ici.

2.

Ce modèle est tiré de Ratcliff, 2016.

3.

Piaget (1937, 311) situe l’intelligence comme interaction entre la connaissance du moi et celle des choses, aussi est-ce « en s’orientant simultanément vers les deux pôles de cette interaction qu’elle organise le monde en s’organisant elle-même ».

4.

Piaget, 1936, p. 12-13.

5.

Ratcliff, 2016, p. 21-23.

6.

La notion de parcours aboutissant à une découverte se trouve au croisement des travaux des psychologues piagétiens (Inhelder et Cellerier, 1992) et des historiens des sciences (Holmes, Renn et Rheinberger 2003, Holmes, 2004).

7.

Ratcliff, 2016, p. 20-21. Le terme fin est dans le présent texte, synonyme de but.

8.

Piaget (1936, p. 221) discute par exemple de la « mobilité des schèmes [qui] se reconnaît au fait que les schèmes connus, constituant habituellement des fins en eux-mêmes, servent momentanément de moyens pour une fin nouvelle ». Dans ses œuvres de maturité, il thématise la notion de « réglage actif dans le cas où le sujet est conduit à changer de moyens ou peut hésiter entre plusieurs » (Piaget 1975, p. 27).

9.

Inhelder et de Caprona, 1992, p. 87-89.

10.

Piaget, 1936, p. 199.

11.

Loettgers, 2003, p. 161.

12.
Trembley, 1747a, pl. 7. Cet article est l’original français, avec quelques ajouts, de Trembley 1744-45.
13.

Pour une biographie de Trembley, voir Baker, 1952.

14.

Dans une réponse à Folkes de 1743, il écrit qu’« afin de prévenir l’illusion que font quelques fois les verres, je revois le même objet à différentes reprises et avec différens verres; d’abord avec trois à quatre loupes de force différente, et puis avec la plupart des Lentilles du microscope. » Archives de la Royal Society, Londres, Ms Folkes 250 (abrégé ci-après ARS, MsF), FOL 3, 52.

15.

Au XVIII e siècle, au point de vue optique, on peut classer les microscopes en quatre types : microscope simple (une lentille) ; microscope double ou composé (un objectif et un oculaire) ; microscope solaire (projecteur d’images agrandies) ; et microscope catoptrique (qui inclut un miroir concave dans le dispositif optique).

16.

Ratcliff, 2007.

17.

Ainsi Réaumur, en janvier 1745 écrit qu’il se « réserve forcément ce plaisir [de revoir les observations de Trembley] à la belle saison ». Lettre de Réaumur à Abraham Trembley, 9 janvier 1745, dans Trembley et Guyénot, 1943 (abrégé ci-après TG), p. 223.

18.

Trembley à Martin Folkes, 6 décembre 1743, ARS, MsF 250, FOL 1, 66.

19.

Trembley à Folkes, 31 mars 1744, ARS, MsF 790, f. 95.

20.

Trembley à Folkes, 23 avril 1743 ARS, MsF 250, FOL 3, 65. « J’ai eu besoin de retenue et d’une sorte de tempérance, pour m’abstenir de les étudier tous. Mais l’amour que j’avois pour mes Polypes, et la grande occupation qu’ils m’ont donnés l’a emporté. »

21.

Trembley à Folkes, 1er novembre 1743, ARS, MsF 250 FOL 1, 52v.

22.

Réaumur à Trembley, 17 décembre 1743, TG, p. 180-181.

23.

Trembley à Réaumur, 23 janvier 1744, TG, p. 183.

24.
Trembley, 1747a, pl. 7. Guyénot considérait que l’espèce était Vorticella anastatica ou umbellaria (TG, p. 196). Pour Baker (1952, p. 107), le polype à bouquet est Epistylis anastatica. Le diamètre du bouquet est d’environ 30 microns.
25.

Trembley, 1744-45, p. 172.

26.

Copie d’une lettre de Trembley à son frère le ministre, Bibliothèque de Genève (abrégé BGE), Ms SHAG Jallabert 242, fol 7.

27.

Trembley à Réaumur, 23 janvier 1744, TG, p. 183.

28.

Trembley à Réaumur, 27 août 1744, TG, p. 198.

29.

Gooding (1990, p. 177) a mentionné les « buts peu définis » des chercheurs tandis que, selon Hallyn (2004, p. 228), « la créativité scientifique ne se manifesterait que devant des problèmes mal définis ». Pour Rheinberger (1997, p. 28), les scientifiques mettent en place des systèmes expérimentaux « pour donner des réponses inconnues à des questions que les expérimentateurs eux-mêmes ne sont pas capables de poser clairement ».

30.

Cette intimité des naturalistes et biologistes avec leur objet a été analysée par Fox-Keller, 1983.

31.

Trembley à Réaumur, 27 août 1744, TG, p. 198. L’absence du pronom réfléchi (« ils multipliaient ») provient de la culture calviniste de Trembley (« croissez et multipliez »), comme chez d’autres genevois (Bonnet, Saussure). À la même époque, les auteurs de culture catholique utilisent « se multiplier » (dans les textes de Buffon, de Needham).

32.

BGE, Fonds Trembley 25, enveloppe 16, fol 1v, mes italiques. Il s’agit d’un brouillon d’article de la main de Trembley, sans titre. Une autre main donne la référence du second mémoire publié dans les Philosophical Transactions (Trembley, 1747b).

33.

Trembley à Réaumur, 22 octobre 1744, mes italiques, TG, p. 210. Trembley, 1747a, p. 162.

34.

Ainsi que l’attestent les nombreux recoupements entre les lettres de Trembley et le « Mémoire sur les polypes à bouquet » (Trembley, 1747a), qui est l’original français, légèrement remanié et publié trois ans après, de l’article « On Several newly-discovered Species… » (Trembley, 1744-45).

35.

Trembley, 1744-45, p. 169.

36.

Trembley,1744-45, p. 175-176. Texte en français : Trembley, 1747a, p. 149-150.

37.

Trembley, 1744-45, p. 183. La traduction est tirée de l’original français (Trembley, 1747a, p. 162) pour la première phrase, et ma traduction pour la suite. Ceci, du fait que le texte français qui paraît en 1747 est augmenté et modifié sur ce point par rapport à la publication anglaise de 1744-45.

38.

Le poudrier est un bocal de verre.

39.

Trembley, 1747a, p. 162 ; Version anglaise : Trembley, 1744, p. 183.

40.

Trembley à Réaumur, 27 août 1744, TG, p. 199.

41.

Ratcliff, 2016, p. 241-242.

42.

Réaumur à Trembley, 21 novembre 1744, TG, p. 212.

43.

Trembley à Réaumur, 17 décembre 1744, TG, p. 217-218.

44.
Minute d’une lettre de Trembley à Réaumur, 17 décembre 1744, BGE, Fonds Trembley 4, enveloppe 7, fol 58.
45.

Voir, sur la para-expérimentation, Ratcliff, 2004, p. 555-575.

46.

Trembley à Réaumur, 17 décembre 1744, TG, p. 218.

47.

BGE, Fonds Trembley 25, enveloppe 16, fol 1v, brouillon français de Trembley, 1747b, p. 630.

48.

Le fait qu’il s’agisse bien de systèmes de questions et non de simples interrogations est étayé par une citation de 1747, à propos d’un autre polype, tirée du brouillon de Trembley, 1747b (BGE Fonds Trembley 25, env 16, fol 7v et 8), où il développe six questions de recherche sur ces polypes.

49.

Ibid., fol 3. Trembley, 1747b, p. 634.

50.

Ibid., fol 6v. Trembley, 1747b, p. 646 “I then took out the slip of the horsetail".

51.

Ratcliff, 2012, p. 426-427, 433.

52.

Ratcliff, 2004, p. 564-567.

53.

Ratcliff, 2004, p. 568-572.

54.

Ibid., fol 3. Trembley, 1747b, p. 634, mes italiques.

55.

Trembley à Réaumur, 22 octobre 1744, TG, p. 200.

56.

BGE Fonds Trembley 25, enveloppe 16, fol 6v.

57.

Allamand, 1747, s.p.

58.

Réaumur à Trembley, 8 novembre 1749 et 10 janvier 1750, TG, p. 328-329, 334.

59.

Linné, 1767, t. I, part. 2, p. 1720, 1717-1718.

60.

Cité d’après Ratcliff et Fournier, 2007, p. 92-93.

61.

Ratcliff, 2009, p. 151-154.

62.
Ledermüller, 1762, Tab. LXVII.
63.

BGE Fonds Trembley 25, enveloppe 16, fol 1-1v.

64.

Ces sous-systèmes sont les suivants : 1. relations sujet-objet, 2. relations de schèmes de même niveau et 3. relations schématiques entre la totalité et les parties (Piaget, 1975, p. 14-15). Ces sous-systèmes contrôlent les moyens et les fins, le premier gérant les moyens, le troisième, les fins, tandis que le deuxième coordonne les moyens et les fins (Piaget, 1975, p. 46). La création de nouveautés s’appuie sur une forme de hiérarchisation par laquelle les deux premiers sous-systèmes sont subordonnés au troisième (Piaget, p. 171).

65.

Ratcliff, 2016, p. 20-23.

66.

Ratcliff, 2016, p. 17-19.

Appendix A Références

  1. Allamand, 1747 : [Jean Sébastien Nicolas Allamand], « Avertissement du traducteur », dans John Turberville Needham, Nouvelles découvertes faites avec le microscope, Leide, Luzac, s.p.
  2. Baker, 1952 : John R. Baker, Abraham Trembley of Geneva, Scientist and Philosopher (1710-1784), London, Arnold.
  3. Fox-Keller, 1983 : Evelyn Fox-Keller, A Feeling for the Organisms. The Life and Work of Barbara Mc Clintock, New York, Freeman.
  4. Gooding, 1990 : David Gooding, « Mapping experiment as a learning Process : how the first electromagnetic Motor was invented », Science, Technology, & Human Values, 15, p. 165-201.
  5. Hallyn, 2004 : Fernand Hallyn, Les structures rhétoriques de la science de Kepler à Maxwell, Paris, Seuil.
  6. Holmes, 2004 : Frederic L. Holmes, Investigative pathways : patterns and stages in the careers of experimental scientists, New Haven, Yale University Press.
  7. Holmes, Renn et Rheinberger, 2003 : Frederic L. Holmes, Jürgen Renn et Hans-Jörg Rheinberger (dir.), Reworking the Bench : Research Notes in the History of Science, Dordrecht, Kluwer.
  8. Inhelder et Cellerier, 1992 : Bärbel Inhelder et Guy Cellerier (dir.), Le cheminement des découvertes de l’enfant (recherche sur les microgenèses cognitives), Neuchâtel, Delachaux & Niestlé.
  9. Inhelder et de Caprona, 1992 : Bärbel Inhelder et Denys de Caprona, « Un parcours de recherche », dans Le cheminement des découvertes, op. cit., p. 51-91.
  10. Ledermüller, 1762 : Martin Frobenius Ledermüller, Nachlese seiner microscopischen Gemüths- und Augen-Ergötzung, Nürnberg, De Launoy.
  11. Linné, 1767 : Carl von Linné, Systema naturae, 12e édition, Holmiae (Stockholm), Salvius.
  12. Loettgers, 2003 : Andreas Loettgers, « Exploring Contents and Boundaries of Experimental Practice in Laboratory Notebooks », dans Reworking the Bench, op. cit., p. 159-182.
  13. Piaget, 1936 : Jean Piaget, La naissance de l’intelligence chez l’enfant, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé.
  14. Piaget, 1937 : Jean Piaget, La construction du réel chez l’enfant, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé.
  15. Piaget, 1975 : Jean Piaget, L’équilibration des structures cognitives : problème central du développement, Paris, PUF.
  16. Ratcliff et Fournier, 2007 : Marc J. Ratcliff et Marian Fournier, « Abraham Trembley’s impact on the construction of microscopes », dans Dario Generali et Marc J. Ratcliff (dir.), From Makers to Users : Microscopes, Markets, and Scientific Practices in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Firenze, Olschki, p. 91-112.
  17. Ratcliff, 2004 : Marc J. Ratcliff, « Abraham Trembley’s Strategy of Generosity and The Scope of Celebrity in the Mid-Eighteenth Century », Isis, 95, 4, p. 555-575.
  18. Ratcliff, 2007 : Marc J. Ratcliff, « Testing Microscopes Between Market and Scientific Strategies in the 18th Century », dans From Makers to Users, op. cit., p. 135-154.
  19. Ratcliff, 2009 : Marc J. Ratcliff, The Quest for the Invisible, Microscopy in the Enlightenment, Aldershot, Ashgate.
  20. Ratcliff, 2012 : Marc J. Ratcliff, « The Trembley Effect or the birth of marine zoology », International Journal of Developmental Biology, 56, p. 425-436.
  21. Ratcliff, 2016 : Marc J. Ratcliff, Genèse d’une découverte, la division des infusoires 1765-1766, Paris, Muséum d’Histoire Naturelle.
  22. Rheinberger, 1997 : Hans-Jörg Rheinberger, Toward a History of Epistemic Things : Synthesizing Proteins in the Test Tube, Stanford, Stanford University Press.
  23. Trembley et Guyenot, 1943 : Maurice Trembley et Émile Guyénot (éds), Correspondance inédite entre Réaumur et Abraham Trembley, Genève, Georg.
  24. Trembley, 1744 : Abraham Trembley, Mémoires pour servir à l’histoire d’un genre de polype d’eau douce à bras en forme de corne, Leide, Verbeek.
  25. Trembley, 1744-45 : Abraham Trembley, « On Several newly-discovered Species of Freshwater Polypi »,Philosophical Transactions, 43, 474, p. 169-183.
  26. Trembley, 1747a : Abraham Trembley, « Mémoire sur les polypes à bouquet », dans John Turberville Needham, Nouvelles découvertes, op. cit., p. 143-179.
  27. Trembley, 1747b : Abraham Trembley, « On Several Species of Water Insects of the Polypus Kind », Philosophical Transactions, 44, 484, p. 627-655.