Michele Corradi

1Cet article se propose de reconstruire le contexte original du principe de l’homme mesure formulé par Protagoras. Il s’agit d’un but difficile à atteindre puisque les œuvres de Protagoras ont été perdues et que la tradition relative à son principe dérive essentiellement des pages de Platon 2. Je voudrais premièrement étudier le témoignage de Platon, pour m’arrêter, ensuite, précisément sur le principe même de l’homme mesure. En développant une analyse des attestations importantes du mot μέτρον dans la production littéraire qui précède Protagoras, je chercherai à vérifier la liaison, probablement déjà saisie par Platon, entre le principe de Protagoras et la réflexion des poètes archaïques. La dernière phase de cette analyse sera centrée sur le contexte où je me propose d’insérer le principe de l’homme mesure. J’essayerai donc d’interpréter le principe de Protagoras comme l’affirmation du savoir de l’homme par le renoncement au savoir inspiré par la Muse.

2pratiques savantespratique intellectuellesophistique typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesPartons donc de Platon. LeThéétète offre un traitement très approfondi du principe de l’homme mesure. Dans leThéétète, Platon développe une recherche sur la définition de la science. Mais une grande partie du dialogue est consacrée à l’analyse et à la réfutation du principe attribué à Protagoras (151e8-183c7) : πάντων χϱημάτων μέτϱον ἐστὶν ἄνθϱωπος, « l’homme est mesure de toutes les choses ». En fait, Socrate identifie la première définition de la science proposée par Théétète (la science est la perception) avec le principe de l’homme mesure (151d7-152a5 = 80 B 1 DK)3. Contre la position de Protagoras plusieurs arguments sont développés (160e6-165e4), mais Socrate lui-même en saisit le caractère sophistique : les arguments se seraient arrêtés à un niveau purement verbal4. Socrate imagine alors le secours (βοήθεια) que Protagoras aurait pu offrir à son principe : il s’agit d’un exposé approfondi des doctrines de Protagoras, la célèbre apologie (166a2-168c2 = 80 A 21a DK). Selon Platon, il n’est possible d’effectuer une réfutation réelle du principe de l’homme mesure qu’après cette apologie.

3Dans la reconstruction de Socrate, en vertu du principe de Protagoras, toutes les apparences ont une vérité. Mais cette vérité n’empêche pas l’existence de l’homme savant, c’est-à-dire capable de produire dans les âmes un changement des apparences vers le bien (166d4-7) :

ϰαὶ σοϕίαν ϰαὶ σοϕὸν ἄνδϱα πολλοῦ δέω τὸ μὴ ϕάναι εἶναι, ἀλλ᾿ αὐτὸν τοῦτον ϰαὶ λέγω σοϕόν, ὃς ἄν τινι ἡμῶν, ᾧ ϕαίνεται ϰαὶ ἔστι ϰαϰά, μεταβάλλων ποιήσῃ ἀγαθὰ ϕαίνεσθαί τε ϰαὶ εἶναι.
Et savoir, ou homme savant, il s’en faut de beaucoup que je nie qu’il y en ait. Au contraire, voici celui que j’appelle savant : celui qui, pour l’un quelconque d’entre nous, auquel apparaissent, c’est-à-dire pour lequel sont, des choses mauvaises, en fait, par le changement qu’il opère, apparaître et être de bonnes5.

4Le médecin, par l’utilisation de remèdes, mène les malades à un changement d’état (ἕξις) des sensations négatives aux sensations positives. Un pareil changement d’ἕξις est opéré par le sophiste à travers les discours (167a3-6). L’agriculteur mène les plantes à avoir des sensations bienfaisantes et saines au lieu de sensations pernicieuses (ἀντὶ πονηϱῶν αἰσθήσεων... χϱηστὰς ϰαὶ ὑγιεινὰς αἰσθήσεις), tout comme le bon rhéteur mène la cité à prendre les décisions les plus utiles (167b7-c4). De même, par l’éducation, le sophiste – donc Protagoras – obtient chez ses élèves un changement vers le mieux, vers l’utile (167c7-d2). Cela est tout à fait conforme à l’amélioration quotidienne que, dans leProtagoras, Protagoras promet au jeune Hippocrate comme résultat concret de son œuvre éducative (318a6-8) :

ὦ νεανίσϰε, ἔσται τοίνυν σοι, ἐὰν ἐμοὶ συνῇς, ᾗ ἂν ἡμέϱᾳ ἐμοὶ συγγένῃ, ἀπιέναι οἴϰαδε βελτίονι γεγονότι, ϰαὶ ἐν τῇ ὑστεραίᾳ ταὐτὰ ταῦτα · ϰαὶ ἑϰάστης ἡμέϱας ἀεὶ ἐπὶ τὸ βέλτιον ἐπιδιδόναι.
Jeune homme, ce que tu retireras de mes leçons, dès le premier jour que tu auras passé avec moi, c’est de retourner chez toi meilleur que tu n’étais, et de même pour le jour suivant ; et chaque jour, sans exception, de progresser vers le mieux6.

5Dans l’apologie duThéétète, Platon nous offre donc un exposé concernant le principe de l’homme mesure tout à fait cohérent avec ce que Protagoras considérait comme le but de sa profession de sophiste, du moins pour ce qui ressort des pages de Platon : l’éducation. Mais la perspective saisie par Platon dans l’apologie de Protagoras est-elle compatible avec les résultats d’une analyse approfondie du principe même ? Venons donc aux mots par lesquels Protagoras énonçait le principe de l’homme mesure, mots que Platon assigne clairement à l’Aletheia dans leThéétète (161c3-d1 = 80 B1 DK) et dans leCratyle (385e4-386d1 = 80 A 13 DK), mais qui, selon leContre les mathématiciens de Sextus Empiricus, appartiennent auxKataballontes (VII 60 = 80 B1 DK)7 :

πάντων χϱημάτων μέτϱον ἐστὶν ἄνθϱωπος, τῶν μὲν ὄντων ὡς ἔστιν, τῶν δὲ οὐκ ὄντων ὡς οὐϰ ἔστιν.
L’homme est mesure de toutes les choses, pour celles qui sont, il est mesure qu’elles sont, pour celles qui ne sont pas, il est mesure qu’elles ne sont pas.

6typologie des savoirsobjets d’étudeindividuIl n’y a pas lieu d’approfondir ici les problèmes complexes qu’entraîne l’exégèse de chaque mot et sur lesquels la critique a répandu des flots d’encre8. Il est peut-être possible de les résoudre si, dans le sillage de Guido Calogero, on considère la proposition comme l’expression d’une logique archaïque : il n’est pas vraiment pertinent, pour la logique archaïque, de séparer nettement les significations diverses qui souvent coexistent encore indistinctement dans le même mot9. En fait, il est difficile d’établir la signification exacte de ὡς, qui semble osciller entre une signification qualitative, « comment », et une valeur déclarative-existentielle, « que ». Le problème est étroitement lié à celui du verbe εἶναι, car la réflexion philosophique plus ancienne ne connaît pas une séparation claire entre ses trois valeurs, existentielle, copulative et véridique. Donc, l’homme de Protagoras est probablement la mesure de l’être des choses qui sont (τῶν ὄντων) aussi bien du point de vue de leur existence que de leurs propriétés10. En ce qui concerne ἄνθρωπος, pour Protagoras une distinction entre les significations d’homme en général et homme en tant qu’individu n’avait pas d’importance11. Quant à χρήματα, c’est l’interprétation la plus commune par « choses » qui rend le mieux l’extension du principe de l’homme mesure grâce à son sens très général12.

7Dans tous les cas, il est difficile de donner une traduction de la phrase de Protagoras qui tienne compte d’une telle complexité sans qu’elle soit trop vague. Selon Protagoras, l’homme est la mesure de toutes les choses : à propos des choses qui sont, c’est-à-dire qui se manifestent à lui, il dit, il juge, il pense qu’elles sont, existent, sont vraies ; à propos de celles qui ne sont pas, c’est-à-dire qui ne se manifestent pas à lui, il dit, il juge, il pense qu’elles ne sont pas, n’existent pas, ne sont pas vraies. Il tient pour vrai ce qui lui apparaît et les opinions qu’il se forme sur cette base.

8Il convient d’appréhender la phrase de Protagoras non pas au moyen de catégories modernes, difficiles à appliquer à un penseur ancien, telles que le subjectivisme, le relativisme ou le phénoménisme13, mais plutôt sur la base du contexte dans lequel elle s’est développée, en essayant de comprendre à quel type de réflexion elle se rattache.

9On peut trouver un point de départ dans le mot-clé de la phrase : μέτϱον. Dans la phrase de Protagoras le mot est, à partir desEsquisses Pyrrhoniennes de Sextus Empiricus (I 216 = 80 A 14 DK), communément interprété comme « critère » (ϰϱιτήϱιον). Le terme κριτήριον prend un sens technique dans la philosophie hellénistique14, mais, en ce qui concerne l’interprétation du principe de Protagoras, il a deux parallèles dans leThéétète. Socrate se proclame juge (ϰϱιτής) de ce qui se manifeste à lui (160c8-9) :

ἐγὼ ϰϱιτὴς ϰατὰ τὸν Πϱωταγόϱαν τῶν τε ὄντων ἐμοὶ ὡς ἔστι, ϰαὶ τῶν μὴ ὄντων ὡς οὐϰ ἔστιν.
je suis juge, comme le dit Protagoras, des choses qui sont pour moi, au sens où elles sont, et des choses qui ne sont pas, au sens où elles ne sont pas15.

10Ensuite, sur la base du principe de l’homme mesure, il affirme que dans l’homme lui-même se trouve un critère (ϰϱιτήϱιον) pour distinguer toutes les choses (178b3-7) :

« πάντων μέτϱον ἄνθϱωπός ἐστιν », ὡς ϕατέ, ὦ Πϱωταγόϱα, λευϰῶν βαϱέων ϰούϕων, οὐδενὸς ὅτου οὐ τῶν τοιούτων · ἔχων γὰϱ αὐτῶν τὸ ϰϱιτήϱιον ἐν αὑτῷ, οἷα πάσχει τοιαῦτα οἰόμενος, ἀληθῆ τε οἴεται αὑτῷ ϰαὶ ὄντα.
l’homme est la mesure de tout, à ce que vous dites, Protagoras, du blanc, du lourd, du léger ; aucune, parmi les choses de ce genre, dont il ne soit pas mesure. Car, puisqu’il a en lui-même de quoi les juger, quand il les croit telles qu’il les éprouve, il croit ce qui est vrai pour lui et réel16.

11La valeur de μέτρον comme « critère » serait donc attestée pour la première fois dans la phrase de Protagoras. En conséquence, certains critiques ont cherché des interprétations nouvelles du mot, et donc de la phrase, en désaccord avec les interprétations anciennes et modernes. En particulier, sur la base de recherches linguistiques approfondies, Mario Untersteiner et Thomas Buchheim ont proposé respectivement « maître » et « Vollmass ». Mais ces hypothèses présupposent probablement de la part de la tradition ancienne une mésinterprétation trop profonde de la phrase de Protagoras 17. En effet, il est possible d’accepter ici pour μέτϱον une signification proche de celle de « critère » (ϰϱιτήϱιον) ou mieux, d’après Platon, « juge » (ϰϱιτής) sans lui donner une valeur technique.

12Mais pour mieux comprendre le contexte dans lequel s’est développé ce principe, il peut être utile de considérer l’emploi du mot μέτϱον dans la production littéraire précédant Protagoras.

13On en trouve en particulier un emploi très intéressant dans l’élégieAux Muses de Solon. Dans la célèbre énumération des vaines activités de l’homme, que la Moira domine inexorablement, le poète est décrit comme celui qui maîtrise l’art de la poésie, recevant des dons de la part des Muses (1, 51-52 Gentili-Prato) :

ἄλλος Ὀλυμπιάδων Μουσέων πάϱα δῶϱα διδαχθείς, ἱμεϱτῆς σοϕίης μέτρον ἐπιστάμενος.
Celui-là, instruit des dons des Muses olympiennes, sait en quoi consiste la sagesse aimable18.

14pratiques savantespratique artistiquepoésieIl n’est pas facile ici de saisir la valeur exacte de μέτρον. On pourrait l’interpréter comme « plénitude », sur la base de l’ἥβης μέτϱον, la « plénitude de la jeunesse », qui apparaît pour la première fois dans le livre XI de l’Iliade (225)19 : dans ce cas, le poète connaîtrait la plénitude de l’art poétique, l’art poétique tout court. Autrement, le mot peut faire allusion plutôt à la connaissance de la « mesure », des « bonnes façons » de disposer la matière poétique20. Déjà dans lesTravaux d’Hésiode (646-649), on propose comme sujet de la narration les normes de la navigation (μέτϱα θαλάσσης)21. En outre, le mot μέτρον joue certainement un rôle dans la réflexion de Pindare sur la poésie, où, à côté du temps opportun (ϰαιϱός), il devient un critère indiquant la durée appropriée de l’éloge dans l’épinicie pour éviter la jalousie et la satiété22. En tout cas, μέτρον est sans doute employé chez Solon dans une réflexion concernant la fonction du poète.

15Le rapport entre l’ἱμεϱτῆς σοϕίης μέτϱον de Solon et le μέτρον ἄνθϱωπος de Protagoras peut devenir plus évident si l’on considère ces vers de Théognis (873-876) :

οἶνε, τὰ μέν σ᾿ αἰνῶ, τὰ δὲ μέμϕομαι · οὐδέ σε πάμπαν
οὔτε ποτ᾿ ἐχθαίϱειν οὔτε ϕιλεῖν δύναμαι.
ἐσθλὸν ϰαὶ ϰαϰόν ἐσσι. τίς ἄν σέ τε μωμήσαιτο,
τίς δ᾿ ἂν ἐπαινήσηι μέτρον ἔχων σοϕίης ;
O vin, reçois de moi louange et blâme : je ne puis sans réserve te haïr ou t’aimer ; il y a en toi du bon et du mauvais. Et qui pourrait te condamner, qui pourrait faire ton éloge, en ayant la mesure de sagesse23 ?

16Théognis d’un côté loue le vin, de l’autre il le blâme, il ne peut pas décider s’il le hait ou s’il l’aime vraiment, car le vin est bon et mauvais (ἐσθλὸν ϰαὶ ϰαϰόν) : le choix entre le blâme et l’éloge n’est possible qu’à celui qui possède la mesure de sagesse (μέτϱον σοϕίης). Ainsi, le μέτρον σοφίης qui est pour Solon le savoir du poète est pour Théognis ce qui est à même de résoudre la tension entre ἐσθλόν et ϰαϰόν, qui, selon Théognis, détermine la structure même de la société humaine24. En considérant le changement de contexte, les deux distiques ne peuvent que rappeler une illustration du principe de Protagoras : dans leThéétète (159c11-160a4), on considère que le même vin peut apparaître à la même personne doux ou amer selon qu’elle est saine ou malade, et que, dans les deux cas, la sensation sera vraie25. Cette illustration est présentée par Platon dans une terminologie postérieure à Protagoras, mais peut-être propre à ses disciples plus raffinés (κομψότεροι)26. Elle explique néanmoins clairement l’idée de l’homme mesure, c’est-à-dire de l’homme considéré comme μέτρον de sensations contradictoires, qu’il accueille et juge comme vraies lorsqu’elles se manifestent. Cette illustration pouvait donc bien figurer dans l’Aletheia.

17construction des savoirstradition Protagoras semble donc employer μέτρον dans le sillage de la tradition littéraire. Et, dans la tradition littéraire, ce mot avait une importance particulière pour la réflexion sur la nature de la connaissance. Dans le livre XII de l’Iliade (417-426), Homère, en décrivant un moment d’impasse dans la bataille entre Lyciens et Grecs, évoque l’image de deux hommes qui se disputent (δηριάασθον) à propos de la limite de leurs propriétés avec des instruments de mesure en main (μέτϱ᾿ ἐν χεϱσὶν ἔχοντες). Les μέτρα sont ici des objets concrets mais liés aux tensions opposées de la guerre. Ils sont peut-être la clé pour résoudre les tensions elles-mêmes27. Théognis et Solon transposent μέτϱον dans une perspective abstraite, intellectuelle, probablement en développant la pensée d’Hésiode qui, dans lesTravaux (694), suggère de garder la juste mesure (μέτϱα ϕυλάσσεσθαι)28. Solon (20 Gentili-Prato) pense qu’il est très difficile de comprendre (νοῆσαι) la mesure invisible de sagesse (γνωμοσύνης... ἀϕανές... μέτϱον) qui, seule, tient les limites des toutes choses (πάντων πείϱατα… ἔχει), c’està-dire d’avoir un critère noétique qui structure, maîtrise les phénomènes particuliers et universels29. En tout cas, selon Théognis, seuls les honnêtes gens, les ἀγαθοί, peuvent avoir la mesure de toutes choses (πάντων μέτϱον ἴσασιν ἔχειν) (614), mais il est difficile (χαλεπόν) de la connaître, (γνῶναι... μέτϱον) (694). Inévitablement, le terme entre dans la langue philosophique : par exemple, pour Héraclite (22 B 30 DK), les μέτϱα deviennent la structure dans laquelle s’articule la loi universelle du feu éternel (πῦϱ ἀείζωον), une loi qui est peut-être une harmonie invisible d’éléments antithétiques (22 B 51 DK, 22 B 54 DK) que le commun des mortels ne peut pas comprendre (22 B 1 DK, 22 B 17 DK)30. Mais c’est encore un poète, Pindare, qui pose μέτρον comme la mesure de la pensée : par exemple dans l’Isthmique VI (71-73) l’excellence de Lampon consiste dans sa capacité de poursuivre (διώκων) et atteindre (ϰατέχων), par la pensée, la mesure (μέτϱα)31. Et, dans leCombat d’Homère et d’Hésiode (151-159), donc dans un contexte de « critique littéraire », Homère développe en répondant à Hésiode des réflexions sur le μέτρον, le plus beau (ϰάλλιστον) et le plus odieux (ἔχθιστον), qu’on peut bien mettre en rapport avec Protagoras 32. Enfin, Anaxarque (72 B 1 DK) peut définir la connaissance de la mesure du temps opportun (ϰαιϱοῦ μέτϱα) comme la limite de la sagesse (σοϕίης… ὅϱος), en l’opposant au chant du poète qui, bien qu’inspiré, s’offre à tout le monde33.

18Donc on peut bien saisir un lien entre le μέτϱον de Protagoras et le μέτϱον que la tradition littéraire connaît comme un mot-clé de sa réflexion sur la fonction du poète et sur le problème de la connaissance.

19pratiques savantespratique intellectuellesophistiqueUn rapport entre Protagoras et les poètes est bien attesté, en particulier par Platon. Dans leProtagoras (316c5-317b6), Protagoras revendique la légitimité de sa profession de sophiste : elle est une profession noble et ancienne, mais ceux qui l’exerçaient la dissimulaient sous des masques divers pour éviter l’hostilité qu’elle suscitait. Selon Protagoras, les poètes Homère, Hésiode et Simonide pratiquèrent les premiers l’art de la sophistique (σοϕιστικὴ τέχνη) sous le masque de la poésie, tandis que d’autres sophistes se cachèrent derrière d’autres τέχναι, comme l’art des initiations (τελεταί), l’art des prophéties (χϱησμῳδίαι), la gymnastique (γυμναστιϰή) et la musique (μουσιϰή). Protagoras affirme qu’il exerce ouvertement la même activité que les poètes, c’est-à-dire l’éducation des hommes (παιδεύειν ἀνθρώπους)34. Et, dans le dialogue, il obtient du moins un des effets de la poésie les plus connus dans la réflexion ancienne, le charme (ϰηληθμός)35. Comme Orphée, Protagoras est capable de charmer par sa voix (ϰηλῶν τῇ ϕωνῇ) et ceux qui l’écoutent, charmés (ϰεϰηλημένοι), le suivent partout (315a5-b2). Quand Protagoras termine son grand discours, Socrate lui-même ne peut que se déclarer ϰεϰηλημένος (328d4-6).

20L’importance que Protagoras attribue à la poésie émerge dans la suite du dialogue, lorsque la discussion sur la nature de la vertu se développe. En fait, quand c’est le tour de Protagoras de conduire l’entretien, il propose l’analyse d’un poème de Simonide 36, car il considère l’étude et l’interprétation des textes poétiques comme la chose la plus importante dans l’éducation d’un homme (338e6-339a1 = 80 A 25 DK) :

ἡγοῦμαι... ἐγὼ ἀνδϱὶ παιδείας μέγιστον μέϱος εἶναι πεϱὶ ἐπῶν δεινὸν εἶναι.
À mon avis… la partie la plus importante de l’éducation consiste à être compétent en poésie37.

21L’interprétation des textes poétiques jouait très probablement un rôle fondamental dans les écrits de Protagoras. Selon lesRéfutations sophistiques (173b17-22 = 80 A 28 DK) et laPoétique (1456b15-18 = 80 A 29 DK) d’Aristote, Protagoras croyait voir deux fautes de grammaire dans l’incipit de l’Iliade 38 ; en outre, d’après un certain Ammonios (POxy. II 221, XII 20-25 = 80 A 30 DK), il avait analysé la structure de la lutte entre Achille et le Xanthe par rapport à la théomachie. On peut déduire duCratyle de Platon (391b11-c9 = 80 A 24 DK) que ces réflexions se trouvaient dans l’œuvre la plus importante de Protagoras, l’Aletheia 39. Un lien entre Protagoras et les poètes est saisi encore dans leThéétète (152d2-e9), où Socrate examine le principe de l’homme mesure en rapport avec la vision mobiliste de la réalité d’Homère et d’Épicharme 40. La considération de Protagoras pour la poésie était aussi mise en évidence par la tradition anecdotique. En effet, on peut lire ceci dans leGnomologium Vaticanum (468 Sternbach = 80 A 25 DK) :

Πϱωταγόϱας ἐποποιοῦ τινος αὐτὸν βλασϕημοῦντος ἐπὶ τῷ μὴ ἀποδέχεσθαι τὰ ποιήματα αὐτοῦ “ὦ τᾶν, ἔϕη, ϰρεῖττόν μοί ἐστι ϰαϰῶς ἀϰούειν ὑπὸ σοῦ ἢ τῶν σῶν ποιημάτων ἀϰούειν”.
Protagoras répondit à un poète qui l’injuriait parce qu’il n’approuvait pas ses vers : « Mon cher, j’aime mieux t’entendre m’injurier qu’entendre tes poèmes »41.

22acteurs de savoiracteur non humainêtre surnatureldivinité pratiques savantespratique artistiquechantEn prenant en considération ce lien, on peut revenir à Solon et, notamment, à son image des poètes connaisseurs d’un ἱμεϱτῆς σοϕίης μέτρον reçu comme don des Muses. Cette image a été pour les poètes, jusqu’à la fin de l’époque archaïque, un instrument fécond pour réfléchir sur leur fonction et sur la nature de leur chant. Exactement sur la base de cette image, en reconstruisant l’histoire de son développement, on essayera de remonter enfin au contexte original du principe de l’homme mesure.

23Dans l’incipit de l’Iliade, l’aède cherche et obtient son chant de la divinité, une θεά anonyme, qui est dépositaire de la mémoire des faits, donc de la tradition, et qui en donne au poète la connaissance nécessaire pour les chanter. La divinité elle-même garantit la vérité du chant et la figure du poète reste tout à fait dans l’anonymat. Une telle conception commence à se briser en partie dans l’Odyssée, déjà dans sonincipit où, à côté de la Muse, un μοί marque la présence d’une individualité poétique42. En outre, le héros de l’Odyssée se montre habile à faire le récit des événements de sa vie, même sans être aède, dans la mesure où il obtient les mêmes effets qu’un aède auprès de son auditoire, la cour d’Alcinoos à Skhériè (XI 363-369, XIII 1-2). De plus, Ulysse suscite le même charme lorsqu’il raconte à Pénélope des ψεύδεα πολλά... ἐτύμοισιν ὁμοῖα, « nombreux mensonges semblables aux réalités » (XIX 203). Les capacités acquises grâce à la protection divine sont aussi accordées à quelqu’un qui ne jouit pas de cette protection particulière. Le contenu peut être vrai ou faux : l’auditoire n’a pas de critère pour le déterminer43. Ce problème se retrouve chez Hésiode, qui en propose la solution dans le prologue de laThéogonie, comme l’a montré Graziano Arrighetti 44. Hésiode offre son nom et l’expérience autobiographique de sa rencontre avec les Muses comme garantie de la véracité de son chant porteur d’un message didactique. Les Muses choisissent de dire à Hésiode la vérité et non pas ψεύδεα πολλά... ἐτύμοισιν ὁμοῖα (27). Ainsi, à partir d’Hésiode, le problème de la vérité du chant est perçu conventionnellement selon le rapport instauré entre une divinité dépositaire de la vérité et un homme qui en devient l’intermédiaire vis-à-vis des autres grâce à sa dignité particulière. C’est à cette conception générale que se rattache la réflexion des poètes successifs, qui modifient ce rapport en fonction de leur vision du chant : Stésichore et Ibycos mettent en lumière les espaces de liberté des poètes45, Pindare souligne sa dignité particulière, son savoir lui permettant d’être prophète des Muses46, Solon insère le don de vérité des Muses dans une perspective politique47, Théognis le conçoit comme le fondement de sa vision de la société humaine48. À l’apogée et en conclusion de cette réflexion des poètes sur la vérité et la poésie, on trouve le voyage de Parménide, un voyage qu’il entreprend vers la vérité, fruit de son désir personnel (θυμός), d’une recherche longue et fatigante49. À la fin de ce voyage, la déesse révèle à Parménide la vérité stable de l’être, saisie par l’intellect au-delà des perceptions sensorielles multiples et instables et au-delà des opinions contradictoires des mortels. En reconnaissance d’un effort personnel de recherche, la déesse lui donne un critère solide de vérité, universellement valable, dans les lois de la pensée, de la logique ; un critère peut-être aussi capable de lire les contradictions du monde de l’opinion, de la δόξα. La garantie de ce critère est certainement le chemin de recherche de Parménide, qui lui confère sa dignité. Néanmoins, pour assurer l’universalité de ce critère, il recourt encore une fois à la déesse en suivant la tradition littéraire50. Mais il n’y a aucune contradiction entre la révélation de la déesse et la pensée rationnelle : la déesse elle-même exhorte le poète à utiliser la raison, le λόγος pour saisir le caractère trompeur de la δόξα (28 B 7 DK)51.

24Dans le développement de cette réflexion sur la production littéraire, sur la vérité, sur la παιδεία, après Parménide, on peut enfin placer Protagoras. Lecteur attentif de la tradition littéraire, Protagoras connaît bien le long chemin de cette réflexion. Le poète de la tradition littéraire possédait un μέτϱον σοϕίης, grâce à un don de la divinité, laquelle lui reconnaissait une dignité particulière. Selon Protagoras, l’homme est πάντων χϱημάτων μέτϱον. Mais à chaque δόξα peut être opposée une autre δόξα. Il n’y a d’autres critères de vérité que l’homme lui-même. La valeur du voyage de Parménide et de son effort intellectuel n’est pas niée, mais, pour Protagoras, elle n’est pas une garantie suffisante pour donner aux lois de la pensée un rôle absolu52. Dans l’horizon de Protagoras, il n’existe pas une déesse qui puisse en garantir l’universalité. En effet, selon laPréparation évangélique d’Eusèbe (XIV 3, 7) et Diogène Laërce (IX 51), sonSur les dieux commençait ainsi (80 B 4 DK) :

πεϱὶ μὲν θεῶν οὐϰ ἔχω εἰδέναι, οὔθ᾿ ὡς εἰσὶν οὔθ᾿ ὡς οὐϰ εἰσὶν οὔθ᾿ ὁποῖοί τινες ἰδέαν · πολλὰ γὰϱ τὰ ϰωλύοντα εἰδέναι ἥ τ᾿ ἀδηλότης ϰαὶ βϱαχὺς ὢν ὁ βίος τοῦ ἀνθϱώπου.
Touchant les dieux, je ne suis pas en mesure de savoir ni s’ils existent, ni s’ils n’existent pas, pas plus que ce qu’ils sont quant à leur aspect. Trop de choses nous empêchent de le savoir : l’obscurité de la question et la brièveté de la vie humaine53.

25La vie de l’homme est donc trop brève et le divin trop obscur pour permettre la rencontre d’un homme avec une vérité tout à fait absolue et universelle, comme celle de Parménide avec la déesse ou celle d’Hésiode avec les Muses54.

26Ce n’est pas un hasard si Protagoras construit sur le principe de l’homme mesure l’incipit de l’Aletheia, comme l’atteste Sextus Empiricus qui, dans leContre les mathématiciens (VII 60 = 80 B1 DK), introduit la citation de ce principe par ἐναϱχόμενος, « au début »55. C’est précisément dans l’incipit des œuvres littéraires que Gian Biagio Conte a reconnu, avec raison, le passage où l’auteur s’inscrit dans la tradition littéraire antérieure et propose des éléments innovants56 ; il le fait par un subtil jeu d’allusions, par l’« arte allusiva » que Giorgio Pasquali avait déjà relevée dans la façon dont Homère, au livre IX de l’Iliade (529-599), se rapporte à la tradition inhérente à l’histoire de Méléagre 57. Il suffit aussi de penser à l’exorde de l’Odyssée, où on peut saisir des fines allusions et des renvois intertextuels à l’incipit de l’Iliade 58. Une « memoria incipitaria » agit aussi au début de l’Aletheia. Son destinataire compétent en poésie (πεϱὶ ἐπῶν δεινός) s’attendait inévitablement à connaître à partir de l’incipit la position de Protagoras par rapport à la tradition et le fondement de vérité de son œuvre. La tradition littéraire avait conçu conventionnellement ce fondement dans le rapport poète-divinité. Au début de l’Aletheia, Protagoras se mesure donc avec toute cette tradition littéraire et, comme un poète, met tout de suite en lumière son nouveau critère de spéculation grâce à la substitution forte de θεά par ἄνθϱωπος, de la déesse par l’homme59. Et tout cela se trouve précisément dans une œuvre où, comme l’on a déjà dit, Protagoras critiquait l’incipit de l’Iliade qui, avec son ἐπίταξις, son injonction naïve à la déesse, s’oppose clairement à sa propre position.

27Mais renoncer à la θεά ne signifie pas renoncer à une vérité au moins relative ou à un effort de recherche. Protagoras propose comme nouveau critère de vérité l’homme lui-même. Certes, cet homme n’est pas l’ἀνήϱ, le héros épique comme, par exemple, l’Ulysse chanté dans l’incipit de l’Odyssée. Il s’agit plutôt de l’ἄνθϱωπος, la créature malheureuse qui, dans le mythe duProtagoras de Platon (320c8-322d5 = 80 C 1 DK), ne peut survivre à ses carences naturelles que grâce à la politique et aux autres techniques données par Prométhée et Zeus 60, l’ἄνθϱωπος que les poètes et les philosophes conçoivent souvent comme opposé au dieu61. Certes, selon le principe de l’homme mesure, toutes les δόξαι sont équivalentes sur le plan de la vérité. Mais un changement des δόξαι vers le mieux, vers l’utile, est envisagé comme possible. Et, en continuité avec la réflexion des poètes, Protagoras souligne l’importance de la figure du savant, le σοϕός, qui est pour lui le sophiste. C’est lui qui peut conduire la cité vers les décisions les plus utiles et former aussi des citoyens meilleurs, grâce à sa culture, à sa préparation et à son habileté dialectique62. On peut noter la proximité avec la position, certes aristocratique, de Pindare. Pindare, le prophète des Muses, σοϕὸς ὁ πολλὰ εἰδὼς ϕυᾷ, « homme qui tient de la nature son grand savoir » (Ol. II 86), propose son enseignement à des destinataires déjà doués naturellement de σοϕία et donc prêts à recevoir sa παιδεία 63. Dans une perspective laïque, Protagoras agit ainsi sur des hommes ayant, selon le principe de l’homme mesure, des opinions vraies, mais il est capable de changer leurs opinions vers l’utile.

28pratiques savantespratique artistiquepoésie construction des savoirséducation construction des savoirsépistémologievéritéLa faveur divine accordait au poète la faculté de discerner la vérité en lui conférant le rôle d’éducateur en vertu de sa dignité particulière. Selon Protagoras, cette dignité même accorde ce rôle au sophiste, un rôle d’éducateur que le poète joue par ses vers et le sophiste par ses discours en prose64. Par ailleurs, la continuité entre prose et poésie est clairement affirmée par Gorgias, le grand contemporain et collègue de Protagoras, et cette conception est partagée pleinement par Platon 65.

29Mais Platon interprétera bien différemment le renoncement de Protagoras à la Muse. En témoin de la débâcle de l’Athènes qui se fondait précisément sur l’éducation des sophistes66, il voit en effet dans ce renoncement la négation d’une vérité absolue. À son avis, Protagoras a contribué, par l’introduction d’éléments relativistes, à miner les principes de l’éducation traditionnelle. À partir de Platon, ces éléments seront détachés du contexte que nous avons cherché à mettre en évidence à propos de la tradition archaïque de l’incipit. C’est pour cette raison qu’Aristote et les philosophes de l’époque hellénistique privilégieront ces éléments dans leur critique du principe de l’homme mesure. Mais après avoir considéré le contexte dans lequel le principe s’est développé, il nous apparaît enfin comme une étape significative de la longue réflexion qui se développe, à partir d’Homère, sur la vérité et sur la παιδεία : dans le μέτϱρον de Protagoras on ne peut lire que l’affirmation du caractère humain du savoir.

Notes
1.

J’ai présenté une première version de ce travail à Lausanne le 7 janvier 2004 lors de la table rondePlaton et les poètes, les philosophes et les poètes, les psychanalystes et les poètes…, organisée par le Prof. David Bouvier. Je le remercie pour ses suggestions précieuses ainsi que pour sa gentillesse. Je remercie aussi Olivier Thévenaz qui a lu et commenté cet article tout en contribuant à en améliorer la version française. Ma gratitude va au Prof. Claude Calame pour l’aide fondamentale de ses remarques. Je remercie la Fondation Zerilli-Marimò qui m’a octroyé une bourse. Je remercie, enfin, le Prof. Philippe Mudry qui, avec bienveillance, a encouragé et guidé mes recherches durant mon séjour à Lausanne, à l’Institut d’Archéologie et des Sciences de l’Antiquité.

2.

Cf. F. Adorno, « Protagora nel IV secolo d. C. Da Platone a Didimo Cieco »,in F. Adorno, F. Decleva Caizzi, F. Lasserre, F. Vendruscolo,Protagora, Antifonte, Posidonio, Aristotele, Firenze, 1986, p. 48. Mais, pour la présence d’une tradition parallèle dans le milieu sceptique,cf. F. Decleva Caizzi, « Il frammento 1 D -K. di Protagora »,Acme, 31, 1978, pp. 11-35.

3.

Sur les définitions de la science dans leThéétète,cf. M. Narcy, « Qu’est-ce que la science ? Réponses dans leThéétète »,in M. Narcy (éd.),Platon. L’amour du savoir, Paris, 2001, pp. 49-72. Pour les interprétations de la première partie du dialogue,cf. T. Chappell,Reading Plato’s Theaetetus, Sankt Augustin, 2004, pp. 48-52.

4.

Socrate recourt souvent à l’autocritique dans leThéétète, en employant parfois le masque de Protagoras. Il s’agit peut-être d’un moyen que Platon utilise pour que le lecteur prenne une part plus active à l’entretien philosophique : E. Heitsch,Überlegungen Platons im Theaetet, Stuttgart, 1988, pp. 36-39. Sur le problème fameux et controversé de la βοήθεια chez Platon,cf. T. A. Szlezák, « Was heisst “dem Logos zu Hilfe kommen” ? Zur Struktur und Zielsetzung der platonischen Dialoge »,in L. Rossetti (ed.),Understanding the Phaedrus.Proceedings of the II Symposium Platonicum, Sankt Augustin, 1992, pp. 93-107. F. Trabattoni,Scrivere nell’anima. Verità, dialettica e persuasione in Platone, Firenze, 1994, pp. 10-47, fait le point sur une bibliographie très riche. Ici, la βοήθεια consiste évidemment dans le dialogue lui-même et ne semble pas renvoyer à des doctrines non écrites.

5.

Trad. M. Narcy, Paris,2 1995.

6.

Trad. F. Ildefonse, Paris, 1997.

7.

Il s’agit probablement de la même œuvre, connue sous deux titres. La problématique du titre des œuvres anciennes est tout à fait complexe : il est difficile de déterminer si les titres qu’on connaît pour les époques archaïque et classique remontent aux auteurs ou s’ils ont été créés par la tradition postérieure. On remarque souvent une instabilité pendant presque toute la période qui va de leur création jusqu’aux éditions modernes ;cf. P. Hoffmann, « Titrologie et paratextualité »,in J.-C. Fredouille, M.-O. Goulet-Cazé, P. Hoffmann, P. Petitmengin (éds.),Titres et articulations du texte dans les œuvres antiques. Actes du Colloque International de Chantilly. 13-15 décembre 1994, Turnhout, 1997, pp. 581-589. De toute façon, si derrièreKataballontes on peut lire une métaphore agonistique de l’entretien intellectuel typique du v e siècle,Aletheia correspond à un mot-clé de la réflexion de Protagoras, comme l’a bien montré E. Heitsch, « Ein Buchtitel des Protagoras », Hermes, 97, 1969, pp. 292-296, maintenantin C. J. Classen (ed.),Sophistik, Darmstadt, 1976, pp. 298-305. Selon E. Schmalzriedt,περι θυσεωσ, München, 1970, pp. 64-72,Aletheia est le premier exemple de titre au sens moderne du terme pour une œuvre en prose.

8.

Status quaestionis dans B. Huss, « Der Homo-Mensura-Satz des Protagoras. Ein Forschungsbericht »,Gymnasium, 103, 1996, pp. 229-257, et G. B. Kerferd, H. Flashar, « Die Sophistik »,in H. Flashar (ed.),Grundriss der Geschichte der Philosophie. Die Philosophie der Antike, 2/1, Basel, 1998, pp. 32-38. Sur l’Aletheia de Protagoras,cf. maintenant M.-K. Lee,Epistemology after Protagoras : Responses to Relativism in Plato, Aristotle, and Democritus, Oxford, 2005, pp. 8-29.

9.

G. Calogero, « Protagora »,Enciclopedia Treccani, XXVIII, 1935, pp. 368-370.

10.

Voir J. Mansfeld, « Protagoras on Epistemological Obstacles and Persons »,in G. B. Kerferd (ed.),The Sophists and Their Legacy. Proceedings of the Fourth International Colloquium on Ancient Philosophy, Wiesbaden, 1981, pp. 43-46. Mais C. Kahn,The Verb “Be” in Ancient Greek, Dordrecht, 1973, pp. 366-370, voit ici une « veridical nuance », ce qui permet aussi de résoudre de manière satisfaisante le problème de ὡς.

11.

T. Gomperz,Griechische Denker, I, Leipzig,4 1925, trad. fr. Paris, 1928, pp. 494-505, a cherché à montrer que Protagoras utilise ici ἄνθϱωπος pour désigner l’homme en général. Mais on peut opposer à son hypothèse les témoignages de Platon et d’Aristote, qui rapportent toujours l’homme mesure à l’homme individuel ; voir C. J. Classen, « Protagoras’Aletheia »,in P. Huby, G. Neal (eds.),The Criterion of Truth. Essays Written in Honour of G. Kerferd, Liverpool, 1989, p. 30, n. 20.

12.

De toute façon, il faut rappeler l’hypothèse de K. von Fritz, « Protagoras 1 »,in RE XXIII 1, Stuttgart, 1957, coll. 913-914, qui interprète χρήματα comme « Eigenschaften », et celle de M. Untersteiner,I Sofisti, Milano,2 1967, trad. fr. Paris, 1993, pp. 119-121, qui propose « expériences ». Pour un exposé approfondi sur ce problème, voir maintenant K. F. Hoffmann,Das Recht im Denken der Sophistik, Stuttgart-Leipzig, 1997, pp. 12-41.

13.

Cf. V. Sainati, « Tra Parmenide e Protagora. Le premesse storiche della logica greca »,Filosofia, 16, 1965, pp. 98-99, n. 86. Sur les limites des approches modernes des philosophes présocratiques, voir P. Curd, « The Presocratics as Philosophers »,in A. Laks, C. Louguet (éds.),Qu’est-ce que la philosophie présocratique ?, Villeneuve d’Ascq, 2002, pp. 115-138.

14.

Ni Platon ni Aristote ne considèrent κριτήριον comme un terme technique. On le trouve employé trois fois avec la valeur de « faculty of judgment » : dans le livre X de laRépublique (582a3-5), dans le livre Κ de laMétaphysique (1062b36-1063a3) et ici dans leThéétète (178b3-7). Dans les deux derniers passages, il est utilisé en rapport avec le principe de l’homme mesure. Suite au débat sur ce principe, peut-être par l’intermédiaire de réflexions de l’école atomistique, κριτήριον devient, à partir d’Épicure, un terme courant dans la langue philosophique de l’époque hellénistique ;cf. G. Striker, « Κϱιτήριον τῆς ἀληθείας »,Nachrichten der Akademie der Wissenschaften in Göttingen (philologischhistorische Klasse), 2, 1974, pp. 48-110, trad. angl.in G. Striker,Essays on Hellenistic Epistemology and Ethics, Cambridge-New York, 1996, pp. 22-76. Cependant, Sextus Empiricus ne se trompe pas en soutenant que, pour Protagoras, μέτϱον et κϱιτήϱιον sont des synonymes, « se riportiamo Protagora alla problematica del suo tempo » : Adorno, art. cit., pp. 47-48. Cf. Lee,op. cit., pp. 35-41.

15.

Narcy,trad. cit.

16.

Narcy,trad. cit.

17.

Untersteiner,op. cit., pp. 121-126, et T. Buchheim,Die Sophistik als Avantgarde normalen Lebens, Hamburg, 1986, pp. 48-61. Untersteiner a cherché à répondre aux critiques de R. F. Holland, « On Making Sense of a Philosophical Fragment »,Classical Quarterly, N. S. 6, 1956, pp. 215-220, dans la deuxième édition de sa monographie, maiscf. Decleva, art. cit., pp. 22-23, n. 44. Contre l’hypothèse de Buchheim,cf. Hoffmann,op. cit., pp. 13-14, n. 9, et Kerferd, Flashar, art. cit., p. 34.

18.

Trad. E. Nageotte,Histoire de la poésie lyrique grecque, I, Paris, 1888, p. 163.

19.

La séquence se trouve aussi dans les livres IV (668), XI (317), XVIII (217), XIX (532) de l’Odyssée, dans lesTravaux (132, 438) et dans un fragment duCatalogue des Femmes (205, 2 Merkelbach-West) d’Hésiode, dans l’Hymne à Cérès (166, 221) et encore chez Théognis (1119, 1326) ;cf. W. Beck, « μέτρον »,in LfgrE, III, Göttingen, 1993-2004, coll. 172-173.

20.

C. Mülke,Solons politische Elegien und Iamben (Fr. 1-13 ; 32-37 West), München-Leipzig, 2002, pp. 305-306, propose « der Dichtkunst volles Maß », la plénitude de l’art poétique « in all ihren technischen und inhaltlichen Aspekten ». Ce passage de Solon contient la première attestation sûre de σοφίη au sens de « poésie » : H. Maehler,Die Auffassung des Dichterberufs im frühen Griechentum bis zur Zeit Pindars, Göttingen, 1963, p. 67. Sursophia comme compétence technique, voir de manière générale B. Snell,Die Ausdrücke für den Begriff des Wissens in der vorplatonischen Philosophie, Berlin, 1924, pp. 1-20. Sur le développement pendant les vi e et v e siècles de métaphores qui associent le chant poétique à un savoir-faire technologique ou artisanal,cf. D. Bouvier, « Quand le poète était encore un charpentier… Aux origines du concept de poésie »,in U. Heidmann (éd.),Poétiques comparées des mythes. En hommage à Claude Calame, Lausanne, 2003, pp. 85-105.

21.

Ici, μέτϱα assume la valeur de « rules and formulae known to the expert » : M. L. West,Hesiod, Works and Days, Oxford, 1978, p. 318 ;cf. R. M. Rosen, « Poetry and Sailing in Hesiod’sWorks and Days »,Classical Antiquity, 9, 1990, pp. 99-113.

22.

Voir dans cette perspective l’emploi de μέτϱον dans l’Isthmique I (60-63) et dans l’Olympique XIII (47-48) ;cf. P. Bulman,Phthonos in Pindar, Berkeley-Los Angeles-Oxford, 1992, notamment pp. 33-34, et G. A. Privitera,Pindaro, Le Istmiche,3 Milano, 1998, pp. 153-154. Sur le rôle du poète par rapport à la jalousie humaine chez Pindare, voir G. M. Kirkwood, « Blame and Envy in the Pindaric Epinician »,in D. E. Gerber (ed.),Greek Poetry and Philosophy. Studies in Honour of Leonard Woodbury, Chico, 1984, pp. 169-183, et, maintenant, G. Most, « Epinician Envies »,in D. Konstan, N. K. Rutter (eds.),Envy, Spite and Jealousy. The Rivalrous Emotions in Ancient Greece, Edinburgh, 2003, pp. 123-142.

23.

Trad. P. Carrière, Paris, 1975, modifiée.

24.

Peut-être Théognis aussi attribue-t-il le μέτϱον σοϕίης au poète, car lui-même se définit ailleurs comme σοϕιζόμενος, « expert » (19), et nous dit que la σοϕίη appartient au serveur et messager des Muses (Μουσῶν θεϱάποντα ϰαὶ ἄγγελον) (769-772). L’image du vin, propre ausymposion, assume des significations plus profondes : L. Edmunds, « The Genre of Theognidean Poetry », et V. Cobb-Stevens, « Opposites, Reversals, and Ambiguities. The Unsettled World of Theognis »,in T. J. Figueira, G. Nagy (eds.),Theognis of Megara. Poetry and the Polis, Baltimore/London, 1985, pp. 96-111 et 159-175. Sur les réflexions de Théognis à propos du vin et de ses propriétés contradictoires,cf. maintenant L. Della Bianca, S. Beta, Oinos.Il vino nella letteratura greca, Roma, 2002, pp. 32-34. Sur les caractéristiques dusymposion de Mégare,cf. M. Vetta, « Il Simposio : la monodia e il giambo »,in G. Cambiano, L. Canfora, D. Lanza (eds.),Lo spazio letterario della Grecia antica, I, Roma, 1992, pp. 192-199.

25.

La même image est reprise par Aristote dans laMétaphysique (1010b21-26) pour réfuter le discours de ceux qui nient le principe de non-contradiction ;cf. I. Düring,Aristoteles, Heidelberg, 1966, pp. 608-609, n. 136, et M. Narcy, « Platon revu et corrigé »,in B. Cassin, M. Narcy,La décision du sens. Le livre Gammade la Métaphysiqued’Aristote, Paris, 1989, pp. 64-82.

26.

Les disciples ϰομψότεϱοι se distinguent des matérialistes dits ἄμουσοι, étrangers aux Muses (156a2-3), mais leur identification est très problématique. Comme l’a bien montré G. Giannantoni, « IlTeeteto di Platone e l’interpretazione della filosofia di Protagora »,Atti dell’Accademia di Scienze Morali e Politiche della Società Nazionale di Scienze,Lettere ed Arti di Napoli, 106, 1996, pp. 229-243, il ne s’agit ni d’Aristippe, ni des Cyrénaïques. Mais on se trouve peut-être en présence d’une invention de Platon : c’est lui-même qui, en développant et en combinant des réflexions de Protagoras et d’autres philosophes, crée pour ses buts dialectiques une théorie complexe de la perception et du devenir, sans la partager ;cf. J. M. Day, « The Theory of Perception in Plato’sTheaetetus 152-183 »,Oxford Studies in Ancient Philosophy, 15, 1997, pp. 51-80.

27.

Cf. R. A. Prier, « Some Thoughts on the Archaic Use ofMetron »,The Classical World, 70, 1976, pp. 161-169 ; pour une interprétation différente voir Buchheim,op. cit., p. 49.

28.

Cf. G. Arrighetti,Poesia, poetiche e storia nella riflessione dei Greci. Studi, Pisa, 2006, pp. 90-101.

29.

Cf. Untersteiner,op. cit., pp. 122-123, et B. Gladigow,Sophia und Kosmos, Hildesheim, 1965, pp. 16-20. Mais une explication divergente est dans Mülke,op. cit., p. 304.

30.

Cf. M. Marcovich,Heraclitus, Sankt Augustin,2 2001, pp. 261-273 ; sur le rapport entre la réflexion d’Héraclite et Protagoras,cf. A. E. Schiappa,Protagoras and Logos, Columbia,2 2003, pp. 89-102. Philolaos (42 A 16 DK) présente le feu central comme rassembleur et mesure de la nature (συνοχὴν καὶ μέτϱον ϕύσεως), mais l’expression n’est peut-être pas authentique ;cf. C. A. Huffman,Philolaus of Croton. Pythagorean and Presocratic, Cambridge/New York, 1993, pp. 395-400. Diogène d’Apollonie (64 B 3 DK) affirme que l’ordre des phénomènes naturels ne peut pas être dépourvu d’intelligence (ἄνευ νοήσιος) pour qu’il y ait des mesures de toutes choses (ὥστε πάντων μέτρα ἔχειν) ;cf. A. Laks,Diogène d’Apollonie. La dernière cosmologie présocratique, Lille, 1983, pp. 33-36.

31.

Cf. Prier, art. cit., pp. 161-169, qui le montre avec plusieurs exemples.

32.

Cf. N. O’ Sullivan,Alcidamas, Aristophanes and the Beginnings of Greek Stylistic Theory, Stuttgart, 1992, p. 87.

33.

Cf. M. Gigante, T. Dorandi, « Anassarco e EpicuroSul regno »,in F. Romano (ed.),Democrito e l’atomismo antico. Atti del convegno internazionale. Catania 18-21 aprile 1979, Catania, 1980, pp. 479-497.

34.

Déjà Eschyle dans lesGrenouilles d’Aristophane (1030-1036) cite pour leur « positive erzieherische Wirkung » les poètes Hésiode et Homère aussi bien que Musée et Orphée, que Protagoras classe ici parmi les représentants des arts des initiations et des prophéties ;cf. B. Manuwald,Platon. Protagoras, Göttingen, 1999, pp. 140-146. Pour une analyse attentive de cette section duProtagoras voir A. Brancacci, « Protagora e laTechne Sophistike. Plat.Prot. 316d-317c »,Elenchos, 23, 2002, pp. 11-32.

35.

Voir R. Nünlist,Poetologische Bildersprache in der frühgriechischen Dichtung, Stuttgart-Leipzig, 1998, pp. 131-134. Pour le rapport entre Platon et cette réflexion,cf. P. Murray,Plato on Poetry, Cambridge 1996, pp. 6-24. Sur la présence dans le mythe duProtagoras d’éléments qui renvoient à la production poétique,cf. F. M. Giuliano,Platone e la poesia. Teoria della composizione e prassi della ricezione, Sankt Augustin, 2005, p. 223, n. 13.

36.

Une recherche très approfondie sur les interprétations du poème proposées dans le dialogue est développée par F. M. Giuliano, « Esegesi letteraria in Platone : la discussione sul carme simonideo nelProtagora »,Studi Classici e Orientali, 41, 1991, pp. 105-190, maintenantin F. M. Giuliano,Studi di letteratura greca, Pisa, 2004, pp. 1-86.

37.

Ildefonse,trad. cit.

38.

Probablement, Protagoras concentrait son attention surtout sur l’incipit des œuvres littéraires. Un écho de sa réflexion se trouve peut-être dans l’agon desGrenouilles (1119-1197) ;cf. C. Segal, « Protagoras’Orthoepeia in Aristophanes’“Battle of the Prologues” (Frogs 1119-97) »,Rheinisches Museum für Philologie, 113, 1970, pp. 158-162, et G. Arrighetti,Poeti, eruditi e biografi, Pisa, 1987, pp 14-15, n. 5.

39.

Pour ce problème et, en général, pour la réflexion de Protagoras sur la langue, je renvoie à mon article « Protagora e l’ὀρθοέπεια nelCratilo di Platone »,in G. Arrighetti, M. Tulli (eds.),Esegesi letteraria e riflessione sulla lingua nella cultura greca. Ricerche di Filologia Classica, V, Pisa 2006, pp. 47-63, et à la bibliographie citée dans cette étude.

40.

Selon Platon, Protagoras ne soutenait dans ses écrits cette vision d’une réalité en perpétuel mouvement que d’une façon énigmatique (ᾐνίξατο) (152c8-11). Le caractère énigmatique de ses paroles rapproche Protagoras encore davantage des poètes. En fait, pour Platon, les poètes aussi expriment souvent leur pensée d’une façon énigmatique : dans laRépublique (332b9-c1) le verbe αἰνίττεσθαι se rapporte à Simonide, dans leThéétète (194c5-d7) à Homère, dans leLysis (214d3-7) probablement à Empédocle ;cf. N. J. Richardson, « Homeric Professors in the Age of the Sophists »,Proceedings of the Cambridge Philological Society, N. S., 21, 1975, p. 67, et, maintenant, A. Ford,The Origins of Criticism, Princeton-Oxford, 2002, pp. 209-226. En tout cas, le lien entre Protagoras et les poètes duThéétète fait partie d’un schéma de réfutation plus général employé ici par Platon, qui cherche à attribuer une conception héraclitéenne de la réalité à toute la pensée présocratique excepté Parménide ;cf. G. Cambiano, « Tecniche dossografiche in Platone »,in G. Cambiano (ed.),Storiografia e dossografia nella filosofia antica, Torino, 1986, pp. 61-84.

41.

Trad. J. -P. Dumont, Paris, 1988.

42.

Cf. I. J. F. De Jong,A Narratological Commentary on the Odyssey, Cambridge-New York, 2001, pp. 5-6. Maiscf. déjà les invocations aux Muses des livres II (484 et 761), XI (218), XIV (508), XVI (112) de l’Iliade ; voir à ce propos C. Calame,Le récit en Grèce ancienne, Paris2 2000, pp. 59-63.

43.

Sur la caractérisation d’Ulysse comme aède, voir W. G. Thalmann,Conventions of Form and Thought in Early Greek Epic Poetry, Baltimore-London, 1984, pp. 157-184, et F. Bertolini, « Odisseo aedo, Omero carpentiere :Odissea 17. 384-85 »,Lexis, 2, 1988, pp. 145-164. Sur le développement du problème du mensonge dans la réflexion philosophique postérieure, voir N. Denyer,Language, Thought, and Falsehood in Ancient Greek Philosophy, London-New York, 1990, notamment pp. 24-45, et C. Gill, « Plato on Falsehood-not Fiction »,in C. Gill, T. P. Wiseman (eds.),Lies and Fiction in the Ancient World, Austin-Exeter, 1993, pp. 38-87.

44.

Voir maintenant G. Arrighetti,Esiodo. Opere, Torino, 1998, pp XV-XXI.

45.

Cf. Arrighetti,Poeti …,op. cit., pp. 64-68. Stésichore revendique son rôle paritaire à coté de la Muse dans la création de la poésie : Μοῖσα σύ... πεδ᾿ ἐμεῦ, « Muse, toi… avec moi » (210 Davies). Ibycos, par larecusatio des thèmes épiques, soutient la possibilité d’une poésie différente où l’inspiration des Muses expertes (σεσοφισμέναι) n’est plus indispensable (S151 Davies). Voir maintenant C. Mueller-Goldingen, « Tradition und Innovation. Zu Stesichoros’Umgang mit dem Mythos »,L’Antiquité Classique, 69, 2000, pp. 1-19, à propos du rapport entre Stésichore et la tradition poétique antérieure, et E. Cavallini,Ibico. Nel giardino delle Vergini, Lecce, 1997, pp. 114-117, sur l’Éloge de Polycrate d’Ibycos.

46.

Sur σοϕία chez Pindare,cf. G. F. Gianotti,Per una poetica pindarica, Torino, 1975, pp. 85-109.

47.

L. -M. L’Homme-Wery, « La notion d’harmonie dans la pensée politique de Solon »,Kernos, 9, 1996, pp. 145-154, voit dans l’action politique de Solon le résultat de sa réflexion poétique. Sur le rapport entre l’élégieAux Muses (1 Gentili-Prato) et l’élégieÀ la cité (3 Gentili-Prato), voir B. Manuwald, « Zu Solons Gedankenwelt »,Rheinisches Museum für Philologie, n. F., 132, 1989, pp. 1-25. Pour une conception différente, voir maintenant J. A. Almeida,Justice as an Aspect of the Polis Idea in Solon’s Political Poems, Leiden-Boston, 2003, pp. 70-118, qui remarque des limites dans une approche purement littéraire de l’interprétation de la poésie politique de Solon.

48.

Au mariage de Cadmos, les Muses affirment dans leur chant l’équivalence de « belle » (ϰαλόν) et « aimable » (ϕίλον) (15-18), c’est-à-dire, selon G. Nagy, « Theognis and Megara: A Poet’s Vision of his City »,in Figueira, Nagy,op. cit., pp. 27-28, « the overall theme of Theognidean poetry ». Pour une autre interprétation, voir J. Carrière,Théognis. Poèmes élégiaques, Paris,2 1975, p. 141.

49.

Voir M. Tulli, « Investitura e conquista del sapere. La dea nel proemio di Parmenide »,Humanitas, 60, 2005, pp. 658-669. La conscience intellectuelle du poète est soulignée par l’anaphore du με (28 B 1, 1-5 DK) ;cf. J. Mansfeld, « The Rhetoric in the Poem of Parmenides »,in L. Bertelli, P. Donini (eds.),Filosofia, Politica, Retorica, Milano, 1994, pp. 1-11. La métaphore du voyage trouve des parallèles dans la production poétique contemporaine de Parménide, notamment chez Pindare ;cf. H. Fränkel,Wege und Formen frühgriechischen Denkens, München,3 1968, pp. 158-162, et, maintenant, G. Cerri,Parmenide di Elea, Poema sulla natura, Milano, 1999, pp. 96-110. Elle s’apparente bien à l’image du chemin que Parménide utilise pour décrire son enseignement ;cf. N.-L. Cordero,Les deux chemins de Parménide, Paris-Bruxelles,2 1997, pp. 176-183.

50.

Ce n’est pas un hasard si, dans le texte de Parménide (28 B 1, 22 DK), une allusion à laThéogonie (419) met en relation la θεά et la déesse Hécate, qu’Hésiode célèbre comme la plus universelle ; voir A. H. Coxon,The Fragments of Parmenides, Assen, 1986, pp. 166-167. Sur le rapport entre la déesse et l’objectivité de la méthode,cf. L. Tarán,Parmenides, Princeton, 1965, p. 31.

51.

Cf. P. Curd,The Legacy of Parmenides, Las Vegas,2 2004, pp. 18-23.

52.

Voir H. Gomperz,Sophistik und Rhetorik, Leipzig-Berlin, 1912, pp. 209-217, et K. M. Dietz,Protagoras von Abdera, Bonn, 1976, pp. 93-96 et 143-148.

53.

Dumont,trad. cit., modifiée.

54.

Sur la base de laPréparation évangélique d’Eusèbe (XIV 19, 10), V. Di Benedetto, « Contributo al testo del frammento di Protagora sugli dei »,Rivista di Cultura Classica e Medioevale, 43, 2001, pp. 345-346, sauve, comme sujet de l’infinitif εἰδέναι, un με qui, peut-être, confirme notre perspective. À propos de la tradition duSur les dieux de Protagoras, voir O. Gigon, « Il libroSugli dei di Protagora »,Rivista Critica di Storia della Filosofia, 40, 1985, pp. 419-448.

55.

Maiscf. déjà l’ἀϱχόμενος duThéétète (161c4).

56.

G. B. Conte,Memoria dei poeti e sistema letterario, Torino,2 1985, pp. 45-74.

57.

G. Pasquali, « Arte allusiva »,L’Italia che scrive, 25, 1942, pp. 185-187, reprisin G. Pasquali,Pagine stravaganti di un filologo, Firenze,2 1968, pp. 275-282. Pour le rapport entre Homère et ses sources concernant l’histoire de Méléagre,cf. J. T. Kakridis,Homeric Researches, Lund, 1949, pp. 11-42 ; voir aussi maintenant D. Bouvier,Le sceptre et la lyre. L’Iliadeou les héros de la mémoire, Grenoble, 2002, pp. 340-355.

58.

G. Pasquali, « Il proemio dell’Odissea »,in Miscellanea Giovanni Galbiati, I, Milano, 1951, pp. 1-3, reprisin Pasquali,op. cit., pp. 294-297. Pour le rapport entre les deuxincipit,cf. aussi J. Strauss Clay,The Wrath of Athena, Princeton, 1983, pp. 9-53.

59.

Dans une perspective tout à fait différente, P. Berrettoni, « La struttura tematica della proposizione protagorea sull’uomo-misura »,in E. Banfi (ed.),Atti del secondo incontro internazionale di linguistica greca, Trento, 1997, pp. 273-292, saisit plutôt un rapport, de toute façon plausible, avec l’incipit duPeri phuseos d’Anaxagore (59 B 1 DK) : ὁμοῦ πάντα χϱήματα, « toutes les choses ensemble ».

60.

Sur les τέχναι dans le mythe duProtagoras, voir G. Cambiano,Platone e le tecniche, Roma/Bari,2 1991, pp. 3-13.

61.

Cf. P. Chantraine,Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1968-1980, pp. 90-91. La polarité entre ἄνθϱωποι et θεοί est active dans la production épique ;cf. J. Latacz, « ἄνθϱωπος »,in LfgrE, I, Göttingen, 1955-1978, coll. 877-905. Elle est largement développée par les philosophes présocratiques, comme le montre l’index de H. Diels, W. Kranz,Die Fragmente der Vorsokratiker, III, Berlin6 1952, pp. 49-53. Selon Mansfeld, « Protagoras… », art. cit., pp. 38-53, elle constitue le fondement du principe de l’homme mesure. Platon, dans lesLois (716c4-6), en renversant le principe de Protagoras, voit dans le dieu la mesure de toutes les choses (πάντων χϱημάτων μέτϱον). Cf. K. Schöpsdau,Platon, Nomoi (Gesetze), IV-VII, Göttingen, 2003, p. 711. Il fait déjà allusion à un dieu mesure dans leThéétète (162c2-e5) ;cf. P. Friedländer,Platon, III, Berlin-New York,3 1975, pp. 146-147.

62.

Protagoras propose, dans un cadre certes relativiste, la « πολλοί-Antithese » : le savant n’est pas distingué des πολλοί par la possession de la vérité mais par la valeur de ses opinions ;cf. H. D. Voigtländer,Der Philosoph und die Vielen, Wiesbaden, 1980, pp. 80-88. Sur le σοϕός de Protagoras oscillant entre les exigences de la pensée éléatique et celles de la cité, voir les conclusions raisonnables de Classen, art. cit., p. 28.

63.

Cf. Arrighetti,Poeti…, op. cit., p. 73.

64.

Sur le poète comme éducateur de la cité, voir surtout lesGrenouilles d’Aristophane, où le poète est le maître des jeunes (1054-1055) et où il ne peut être jugé que sur la base de sa capacité à rendre les citoyens meilleurs (βελτίους) (1007-1010) ;cf. J. Dalfen,Polis und Poiesis, München, 1974, pp. 23-85 ; G. Arrighetti,La cultura letteraria in Grecia, Roma/Bari, 1989, pp. 3-4 et 101-102, et K. Dover,Aristophanes. Frogs, Oxford, 1993, pp. 10-37. Voir encore leProtagoras (325e1-326a4) : Manuwald,op. cit., p. 219.

65.

Dans leGorgias (502c5-8), Platon remonte peut-être précisément à l’Éloge d’Hélène (82 B 11, 9 DK), où la poésie est conçue comme discours marqué par le mètre ;cf. Giuliano,Platone…, op. cit., p. 111, n. 264. Dans la perspective du discours d’éloge, le problème du rapport entre poésie et prose est approfondi par Isocrate dans l’Évagoras (5-11) ;cf. W. H. Race, « Pindaric Encomium and Isokrates’ Évagoras »,Transaction of the American Philological Association, 117, 1987, pp. 131-155 ; Y. L. Too,The Rhetoric of Identity in Isocrates. Text, Power, Pedagogy, Cambridge-New York, 1995, pp. 33-34, et maintenant R. Nicolai,Studi su Isocrate. La comunicazione letteraria nel iv sec. a. C. e i nuovi generi della prosa, Roma, 2004, pp. 88-93.

66.

La condamnation du sophiste est rapprochée dans le Gorgias (518e1-521a1) de celle des politiciens qui n’ont pas su rendre les Athéniens meilleurs ;cf. J. Dalfen,Platon. Gorgias, Göttingen, 2004, pp. 434-480, et M. Vegetti,Quindici lezioni su Platone, Torino, 2003, pp. 86-103. Selon Platon, l’art politique doit soigner les âmes des citoyens en les orientant vers le bien : Cambiano,Platone…, op. cit., pp. 85-115.