Jean-François Bert

1typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentales construction des savoirstraditiondoctrine construction des savoirstraditionreligionDurant le dernier tiers du xvii e siècle un changement s’opère dans la cité de Calvin. L’affaiblissement de l’influence du dogme et de la théologie calviniste réformée s’accompagne de l’éclosion de nouvelles trajectoires scientifiques, en particulier dans les sciences exactes1. Un processus qui trouve une partie de son origine dans l’introduction du cartésianisme à l’Académie de Genève par Jean-Robert Chouet (1642-1731) et Jean-Alphonse Turrettini (1671-1737).

2construction des savoirstraditionHistoriens et philosophes des sciences, spécialistes de l’histoire de Genève, se sont attelés à préciser la chronologie de ce basculement en suivant le grand récit d’une sécularisation progressive qui continue d’être une grille de lecture féconde (surtout en histoire des sciences) lorsqu’il s’agit d’expliquer l’avènement d’une modernité fondée – disons-le rapidement – sur un usage critique de la Raison. Une Raison qui, surtout, n’hésite pas à imposer ses points de vue face à d’autres traditions, dont la tradition religieuse.

3typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentales matérialité des savoirssupportFace à ces lectures macrostructurelles, une approche matérielle des savoirs permet de désigner avec bien plus de précision les nombreuses lignes de faille qui se sont ouvertes entre les sciences et la religion dans la Genève du xviii e siècle 2. En effet, le processus de différenciation entre les deux domaines a été particulièrement complexe car même si ils ont bien fini par entretenir des rapports d’exclusion (les sciences modernes – expérimentales – demandant des mesures de plus en plus précises, requérant des vérifications et excluant toute supposition d’une exception de type miraculeux ou d’une finalité immanente3), sciences et religion ont entretenu pendant une grande partie de ce siècle des relations d’appui, voire de renforcement réciproque4.

4construction des savoirsépistémologietournant matériel pratiques savantespratique intellectuelledocumentation construction des savoirstraditionreligionchristianismeprotestantisme acteurs de savoirstatutsavantÀ titre d’exemple, une approche matérielle nous conduirait certes à repérer comment les savants genevois ont perçu et présenté dans leurs écrits publiés les grands – et les petits – obstacles épistémologiques à surmonter pour véritablement faire œuvre de science. Mais aussi, et en regard de ces textes, à prendre au sérieux la manière dont ils ont mis en scène la question confessionnelle, de manière souvent bien plus libre, dans des documents à caractère privé qu’il s’agisse des correspondances, des brouillons, des carnets, et surtout pour ce qui va nous intéresser ici, des fiches. Sur ce point, la trajectoire du physicien et mathématicien Georges-Louis Le Sage (1724-1803), connu pour avoir émis une hypothèse mécaniste de la gravitation5, pour avoir rédigé vers 1742-1743 un traité sur les causes finales, mais aussi pour avoir occupé son temps à remplir des milliers de fiches à partir de cartes à jouer, nous permettra de voir comment celui-ci envisagea la question de Dieu et surtout celle de sa place dans son système physique, par ailleurs assez complexe. À cette fin, nous nous appuierons sur les très nombreux matériaux accumulés par Le Sage sous forme de fiches et qui rendent compte des petits accommodements du physicien pour repenser l’idée d’un dieu créateur ou, pour reprendre la formule de Newton que Le Sage fera sienne, d’un « agent agissant6 ». Nous essaierons de faire hypothèse que la mobilité qu’offre le format des fiches, la possibilité de les mélanger à loisir, de les faire se répondre ou au contraire s’opposer, a eu des répercussions tant sur la créativité scientifique et intellectuelle de Le Sage que sur sa capacité à faire exploser les dogmes classiques du protestantisme calviniste dans le but de se choisir une croyance qui soit en adéquation avec ses principales hypothèses physiques7.

Un premier décentrement : logique spatiale et appareillage objectuel

5À première vue, il peut sembler étrange de faire appel à une histoire matérielle des savoirs afin de documenter la question des rapports entre science(s) et religion dans la modernité genevoise. C’est oublier que cette perspective a déjà été largement adoptée tant en histoire des religions qu’en histoire des sciences, lorsqu’il s’est agi, par exemple, de déterminer le rôle des espaces et des architectures, ou celui des objets, dans la production des savoirs.

6typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessociologiesociologie des sciences pratiques savantespratique artistiquearchitecture typologie des savoirsobjets d’étudeespaceL’aspect territorial, spatial et architectural des lieux de culte a été une thématique très tôt mise en avant en histoire des religions, comme en témoignent les travaux sociologiques d’Émile Durkheim et de Marcel Mauss, pour qui le sacré, au sens propre, s’identifie avec ce qui est séparé et circonscrit, contrairement au profane qui, comme l’indique son étymologie, désigne ce qui se trouve à l’extérieur de l’enceinte réservée (pro-fanum). C’est en reconnaissant et en définissant le sacré aussi bien dans un ensemble de monuments fixes (églises, chapelles, cimetières) que dans des parcours (lors de pèlerinages), des trajets (lors de processions), des routes et des frontières (entre le permis et l’interdit, le pur et l’impur), que la socio-anthropologie française du religieux s’est détachée d’un point de vue théologique. En effet, dès que l’on prend le « paysage » religieux au sérieux, les cultes que l’on croyait jusque-là immémoriaux ne cessent de se transformer. Ils résultent de choix et de la volonté de tel ou tel groupe social. Ils se construisent en fonction de certains rapports de force, de tensions et d’intérêts partagés entre les logiques spirituelles et temporelles.

7espaces savantscirculationCette première approche qui a mis volontairement l’accent sur l’ancrage spatial des savoirs et des croyances religieuses a connu un important renouveau au tournant des années 1980, en particulier dans le champ des Science and Technology Studies (STS)8. Dans son livre Putting Science in Its Place 9, l’une des premières synthèses d’ampleur sur la manière dont la dimension spatiale et géographique affecte les activités de savoir à travers l’histoire, D. N. Livingstone précise comment toutes les formes d’analyse de distribution des savoirs dans l’espace architecturé d’un lieu précis ou d’une géographie plus vaste sont susceptibles d’offrir un surcroît d’intellection pour mieux cerner, justement, la question de la production de ces savoirs. En un même mouvement, il propose de saisir le locus des savoirs (la configuration spatiale générale), les phénomènes de circulation (les trajets), et les structures profondes de l’organisation des savoirs (les manières dont ils sont mis en forme, mais surtout reformulés et transformés durant leur circulation)10.

8construction des savoirslangage et savoirsstyle espaces savantslieuacadémie espaces savantslieubibliothèqueCette approche spatiale des savoirs et des croyances, doublement héritière d’une socio-anthropologie du sacré et d’une histoire des sciences portée sur la question des logiques sociales de production et de diffusion des savoirs savants, semble particulièrement pertinente dans le cas qui nous intéresse ici, à savoir la ville de Genève au xviii e siècle car il existe alors plusieurs pôles d’affinités, des circulations privilégiées, des divisions plus ou moins évidentes entre science et religion. C’est le cas des différents lieux d’apprentissage que sont l’Académie, le Collège ou la Bibliothèque de Genève qui structurent alors fortement la production et surtout la diffusion des savoirs dans la cité de Calvin. L’Académie, lieu de formation des pasteurs, aura beau s’ouvrir au début du xviii e siècle à de nouvelles philosophies, telles que le cartésianisme, elle ne cessera jamais d’être une institution conservatrice soucieuse, surtout, de « transmettre une vision du monde cohérente dans laquelle les acquis scientifiques et philosophiques [peuvent] coexister sans problème avec les fondements logiques et conceptuels de la théologie naturelle et de l’ontologie11 ». Ces quelques « hauts lieux » de la production des savoirs sont d’autant plus importants qu’ils vont aussi jouer un rôle non négligeable dans la construction d’une forme d’entre-soi, d’une identité, voire d’un « style » singulier de faire science à Genève 12.

9matérialité des savoirsinstrument pratiques savantespratique manuellesavoir-faireAprès la prise en compte de cette matérialité spatiale des savoirs, ce que l’on a convenu d’appeler l’object turn permet d’ajouter une autre ligne d’investigation relative cette fois-ci à la question de la densité des choses, de l’affection portée pour un objet, ou encore de l’apprentissage et des nombreux savoir-faire qu’exige tout engagement dans les pratiques religieuses/savantes. En histoire des religions, et depuis Durkheim et son analyse fondatrice des churingas australiens dans les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), plusieurs approches récentes ont cherché à prendre au sérieux la question des objets – surtout de leur façonnement et de leur diffusion – conduisant les auteurs à mieux documenter l’attachement profond que le croyant développe à leur égard13. De la même manière, l’histoire des sciences, en particulier celle portant sur l’époque moderne, s’est longuement interrogée sur la mobilisation par les savants de certains instruments lors de leurs expérimentations, afin de penser et d’élaborer de nouvelles hypothèses scientifiques. Le Léviathan et la pompe à air de S. Shapin et S. Schaffer a ouvert la voie à ce type de description où un instrument, souvent complexe, comme pouvait l’être la pompe à air de Boyle, se retrouve projeté au cœur d’un conflit théorique et philosophique d’importance, ici concernant le statut de l’expérimentation14.

10Comme l’approche spatiale, cette manière de prendre en compte la place des objets semble particulièrement heuristique lorsqu’il s’agit de préciser la question de l’essor de l’histoire naturelle, de la physique expérimentale ou encore des sciences de la terre à Genève durant le xviii e siècle. Un détour par les objets mobilisés permet de mieux comprendre la quête de la mesure qui anime alors certains savants, en particulier au travers de l’usage répété des thermomètres, des baromètres ou des hygromètres, ce qui ne manque pas de provoquer d’importantes controverses15. Ces objets de mesure, souvent inventés spécifiquement pour cela, ont parfois aussi été détournés de leur usage initial. Certains sont venus reconfigurer des pratiques savantes, d’autres ont permis de faire émerger de nouvelles interrogations, dont une partie a pu favoriser l’éloignement progressif des savants genevois du dogme religieux. En utilisant tel ou tel instrument, en mesurant mieux, en comptant mieux, ou encore en accroissant leur capacité à maîtriser la nature, ils ont fini par établir une séparation de plus en plus stricte entre le domaine du religieux et celui de la science.

Le cas des pratiques savantes et des technologies de papiers

11Il est possible d’envisager un troisième déplacement matériel qui, après le détour spatial et objectuel, s’occuperait des pratiques savantes, celles du moins qui disposent les corps savants à observer, classer, manipuler, porter, déplacer, regarder, scruter, lire et écrire. Le naturaliste, on l’oublie trop souvent, collecte et étiquette ses échantillons avant de les analyser et de les inventorier16. Le bibliothécaire, lui, catalogue et indexe ses livres. Le philologue transcrit, corrige et compare ses recueils de mots ou de textes.

12acteurs de savoirstatutérudit pratiques savantespratique lettréecompilation pratiques savantespratique intellectuellemémorisation pratiques savantespratique intellectuelledocumentationAvant d’explorer la nature de ces différents savoirs savants, il paraît essentiel d’observer la chorégraphie des différents gestes qui sont à l’œuvre, par exemple, en suivant l’usage et le maniement par ces mêmes savants d’outils de référencement spécifiques tels que les index ou les thésaurus. Plusieurs historiens de la période moderne ont pu montrer, à ce sujet, qu’une analyse approfondie des méthodes de travail, des manières spécifiques de citer et de mobiliser des textes, de prendre des notes, de commenter, de corriger, ou encore de faire appel à des stratégies mnémotechniques personnelles était tout à fait possible et ce en regardant attentivement comment se transforme la pratique documentaire, qui devient de plus en plus proliférante au cours du xvii e et du xviii e siècle 17. Les mouvements de la pensée s’incarnent dans le maniement de ces objets, et en particulier dans l’emploi de certains supports graphiques.

13matérialité des savoirssupportsupport d’inscriptionfiche inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l’informationliste matérialité des savoirssupportsupport d’inscriptioncodexPour ce qui est des savants suisses de la République des Lettres, il existe une littérature fournie concernant leurs usages de la correspondance18. Mais il est temps, peut-être de s’interroger, aussi, sur la place du support « ordinaire » du travail savant, à savoir le codex sous ses différentes formes (livre, cahier, carnet, registre, etc.), en particulier dans les activités d’observation. Il est sans doute difficile d’expliquer l’extension de la pratique du carnet, surtout à partir du xvii e siècle, en essayant de la rattacher à une croyance religieuse particulière, étant donné que la technique est utilisée aussi bien chez les savants catholiques (comme Redi en Italie) que chez les protestants (comme le fait Boyle). Par contre, on peut se demander si l’usage du carnet, à Genève, n’est pas le signe d’une intensification des observations sur la nature qui aurait pour origine la valorisation protestante de l’œuvre de Dieu. Comme d’autres avant nous19 et tel que nous le verrons dans ce qui suit, nous pensons qu’il existe un lien entre le choix de certains supports d’inscription et la mise en œuvre de rationalités spécifiques. On pourrait d’ailleurs étendre cette hypothèse à l’usage des listes ou à celle des fiches20. Ces « micro-opérations » savantes peuvent en tout cas faire l’objet d’une histoire comparée, et cela d’autant plus que nous en savons davantage sur l’organisation de certaines cultures savantes particulières21.

14La question est centrale car, si certaines pratiques d’érudition ont bien leur origine dans la construction de l’État moderne et dans le développement de l’action administrative entre le xii e et le xviii e siècle 22, une anthropologie historique et comparée des pratiques savantes pourrait révéler l’existence d’un lien, souvent étroit, avec des pratiques plus anciennes, d’ordre religieuses ou spirituelles. Les archives des savants genevois apporteraient ici de précieuses indications. Il suffit de rappeler quelques trajectoires entre science et religion : le mathématicien Gabriel Cramer (1704-1752) est issu d’une famille protestante ; le physicien Jean Jallabert (1712-1768), consacré pasteur en 1737, est le fils du théologien Étienne Jallabert ; le naturaliste et biologiste Charles Bonnet (1720-1793) a conservé une croyance résolue en la religion mais surtout a transformé la pratique de l’examen de conscience, centrale dans le protestantisme réformé calviniste, en un principe épistémologique de réflexivité savante quotidienne23 ; Abraham Trembley (1710-1784) s’est préparé à devenir pasteur avant de se consacrer à la zoologie ; le météorologue Jean-André Deluc (1727-1817) a développé une géologie en partant de données issues de la Genèse24 ; le botaniste Augustin Pyramus de Candolle (1778-1841) condamna toute religion dogmatique au profit de la seule légitimité de la Révélation25. La plupart de ces savants ont aussi côtoyé, parfois de près, le naturaliste et bibliothécaire Jean Senebier (1742-1809), petit-fils de pasteur devenu lui-même pasteur en 1769, avant d’être nommé bibliothécaire de la nouvelle bibliothèque de Genève en 1772-1773 26.

15Ces connexions finissent en tout cas par soulever de nombreuses questions qu’il faut, pour certaines, envisager sérieusement : d’où vient la vocation scientifique ? Comment se déclare-t-elle chez des savants qui ont d’abord « rêvé » de devenir pasteurs ? Quel rôle jouent certaines valeurs spécifiquement religieuses, telles que l’humilité, l’honnêteté, la piété, la responsabilité devant Dieu, ou la condamnation de l’oisiveté, que ces savants vont parfois mobiliser au cours de leur activité de recherche ? Quel est l’impact de l’institutionnalisation et de la professionnalisation des activités de recherche savante, en particulier à une époque où elles ne sont pas encore considérées comme une profession, une activité à temps plein, une nécessité pédagogique, politique et sociale ?

16En poussant encore plus loin notre hypothèse matérielle, il serait encore possible de distinguer les savants genevois pour qui la question des relations entre science(s) et religion a été un problème à résoudre au préalable, et dont les travaux (ou certaines parties de leurs travaux) s’en ressentent directement ou indirectement (comme Trembley, Bonnet, Deluc, Senebier), de ceux pour qui cette différenciation semble moins problématique ou a déjà été réglée (Jallabert, Saussure, Cramer, Calandrini). De ce point de vue, le cas du mathématicien et physicien Georges-Louis Le Sage qui, dans une de ses nombreuses affirmations de son non-conformisme religieux, dit et répète croire « à sa manière27 », semble intéressant. Il montre en effet concrètement comment s’articule, en particulier durant la seconde moitié du xviii e siècle, le jeu de tensions complexes qui s’organise entre science et religion dont les plans d’intelligibilité vont rapidement finir par devenir fondamentalement contradictoires28.

Georges-Louis Le Sage et son traité sur les causes finales

17construction des savoirstraditionreligion inscription des savoirslivremanuscritOutre son travail de physicien et de mathématicien, Le Sage a aussi longuement réfléchi à la question religieuse, projetant d’écrire à partir des années 1742-1743 un traité sur les causes finales. Le manuscrit, malheureusement inabouti, comme plusieurs autres de ses travaux, connaît une histoire complexe. Sollicité par la duchesse d’Enville (1716-1797), le physicien genevois lui fait remettre, en 1763, 72 pages manuscrites. Trente ans plus tard, en 1793, Le Sage lui redemande sa copie qui lui parviendra finalement en 1794. Désabusé par le peu d’écho rencontré par sa théorie mécanique de la gravitation, Le Sage décide de reprendre ses notes éparses, sans réussir pourtant à leur donner une forme exploitable avant sa mort en 1803. En 1805, l’un de ses élèves, Pierre Prevost (1751-1839), décide de publier les pages rédigées du traité dans la notice biographique qu’il consacre à Le Sage ; pages qui ont été revues et corrigées par Salomon Reverdil (1732-1808) avec qui Le Sage s’était entretenu de son projet en 1755 29.

18L’ébauche publiée en 1805 est loin de rendre compte de la profondeur des vues du physicien comme l’indique d’ailleurs Reverdil dans sa courte introduction30. Il manque, en particulier, un chapitre entier sur les causes finales des formes différentes des corps organisés. Le Sage y critique « la pensée de quelques auteurs, qui admiraient la variété comme un but, ou comme une beauté dans la création, au lieu que ce n’est qu’un résultat de fins et de moyens très supérieurs. Ce chapitre n’a jamais été entièrement rédigé ; il y manque des considérations physico-mathématiques, qui en auraient fait la richesse31 ».

19acteurs de savoiracteur non humainêtre surnatureldivinité pratiques savantespratique intellectuelleobservationLa notation est importante. En effet, une lecture rapide du traité pourrait facilement déceler chez Le Sage des propositions somme toute classiques concernant la place de Dieu, la religion naturelle, ou les aspects rationnels et éthiques de la religion. La théologie naturelle, alors en vogue chez les savants genevois, semble leur offrir la possibilité de concilier facilement le discours de l’expérience et l’observation des merveilles de la nature32. Il y a cependant plusieurs éléments qui différencient nettement les propositions et les hypothèses de Le Sage d’autres tentatives concordistes, comme celle de Senebier qui lui aussi chercha à démontrer l’existence de Dieu par les causes finales dans son Essai de téléologie ou théorie des causes finales 33.

20pratiques savantespratique intellectuellecritiqueEn premier, il faut noter l’intention profondément critique du traité de Le Sage. Si le physicien décide d’écrire sur un tel sujet, c’est d’abord parce qu’il est exaspéré par le caractère vague et hasardeux des ouvrages de théologie qui sont le plus souvent écrits à partir d’observations décousues. N’existe-t-il pas des règles fiables d’analyse pour fonder, sur certaines prémisses, la proposition que Dieu existe ? L’objectif principal du physicien n’est donc pas, comme on pourrait s’y attendre, de « sauver les apparences34 » et de maintenir l’idée d’un Dieu créateur, encore moins de maintenir coûte que coûte l’existence d’une union entre science et religion. Il s’agit, au contraire, d’épingler les faiblesses logiques, argumentatives et théoriques dont sont remplis les traités de théologie qui ignorent le corpus de la nature et, plus particulièrement, le fait qu’il existe des lois régissant son fonctionnement. Pour Le Sage, tout ne peut pas être la preuve de l’existence d’un être intelligent. Il faut cependant le dire et surtout l’écrire en utilisant un langage mesuré et pesé. En ces questions, il est important de s’écarter d’un discours convenu, idéologique dirions-nous aujourd’hui, mais il faut aussi savoir éviter la précipitation en commençant par accumuler des preuves, peu importe qu’elles soient complètes ou incomplètes. Dieu se logeant dans les détails, c’est dans cette direction qu’il faut, pour Le Sage, savoir tourner le regard : « il n’y a point d’absurdité à représenter l’Être Éternel occupé à plier l’aile d’un scarabée, ou à compasser l’alvéole d’une abeille35 ».

21construction des savoirsépistémologiehypothèse pratiques savantespratique discursiveargumentation pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementLa seconde singularité du traité de Le Sage réside dans un type particulier de raisonnement qui résulte d’une stricte application de deux méthodes conjointes. Dans un premier temps, Le Sage fait appel à ce qu’il nomme le « tâtonnement », entendant par là un procédé dont le but est de recomposer le tout en partant des différentes parties impliquées : « Lorsqu’on ne pourra pas embrasser d’un coup d’œil tout le système proposé, il faudra, suivant les règles ordinaires de la logique, le considérer par parties : ou, ce qui est la même chose, le décomposer en plusieurs systèmes moindres, pour les considérer chacun à part36 ». En fonction de la présence ou de l’absence d’éléments factuels sur lesquels fonder son raisonnement, Le Sage pourra également avoir recours à une seconde technique, qu’il nomme l’« hypothèse » :

Lorsqu’une analyse exacte ne peut pas nous conduire à la découverte des fins dans un système proposé, et que toutes les questions qu’on doit résoudre pour en donner une théorie complète se présentent de front (ce qui arrive le plus souvent) ; comme il n’y a pas de preuves qui puissent diriger une analyse régulière, il faudra former une hypothèse qui paraisse répondre à toutes les questions, et tâcher ensuite de confirmer ou de détruire cette hypothèse par la comparaison exacte qu’on en fera avec les faits37.

22construction des savoirsépistémologieméthodeCette double « méthode » est particulièrement appliquée par le physicien dans le troisième chapitre de son traité qui porte sur la question de la variété dans la nature. Cherchant à comprendre l’origine de cette variété, Le Sage ouvre son chapitre ainsi : « Nous avons déjà fait voir que Dieu n’a pas créé le monde pour lui-même, ni pour manifester ses perfections : ce n’est donc pas de pareilles considérations qui ont pu le porter à répandre dans la nature cette variété que l’on se plaît quelques fois à étaler38 ». La variété n’est pas l’œuvre d’un Dieu qui aimerait la contempler car elle serait la preuve de la grandeur de sa création. Elle relève au contraire d’une explication physique, de la confluence de plusieurs phénomènes « géométriques » et « mécaniques » comme la rotondité de la planète, sa rotation sur un axe, la succession du jour et de la nuit et des saisons, l’inégale répartition de la chaleur et de nourriture…

23C’est bien par un raisonnement de type « scientifique », ascendant (et déductif), que le physicien envisage l’origine de la variété du vivant (végétal et animal)39.

Mettre Dieu en fiche

24matérialité des savoirssupportsupport d’inscriptionficheL’adhésion du physicien à ce modèle de raisonnement est encore plus évidente quand on décide de se pencher sur les nombreux matériaux dont Le Sage s’est servi pour nourrir son projet de traité, et qui sont rassemblés sur des cartes à jouer qu’il rangea thématiquement dans une multitude de petits sachets40. Ce fichier, commencé au milieu du siècle, est un dispositif complexe qui, en fonctionnant par fragments et par accumulation progressive d’informations, est un témoignage important de la vie savante à Genève. Le Sage fait état des discussions et des polémiques qui agitent ce petit monde, en particulier dans le cas de questions religieuses, dogmatiques et théologiques41.

25Les nombreux sachets qui portent sur la religion, la téléologie ou l’observation de la nature nous offrent de précieux indices sur la manière dont Le Sage entend mener sa réflexion sur Dieu. Une réflexion qu’il veut « expérimentale », à l’image de ce qui se fait alors dans toutes les autres sciences.

Figure 1 - Sachet titré « Expérience ; pour
            décider une question théologique ». Fonds Le Sage, BGE.
Figure 1. Figure 1 - Sachet titré « Expérience ; pour décider une question théologique ». Fonds Le Sage, BGE.

26Dans plusieurs fiches, le savant genevois décide par exemple d’aborder très directement le problème de la place qu’il faut accorder à Dieu dans le plaisir de l’investigation des phénomènes naturels. Sa conception est, au départ, largement étayée par les propos de Newton qui, sur ce sujet, conçoit la science comme un moyen d’ouvrir les yeux sur Dieu en mettant l’accent sur la perfection d’un système qui repose sur une loi (celle de l’attraction42). Mais à bien y regarder, l’adhésion de Le Sage aux développements du génie anglais lui permet d’ouvrir la voie à un virage plus matérialiste qui va le contraindre à envisager la possibilité de l’athéisme et de l’impiété à un moment où, encore, ces opinions sont étroitement surveillées par les autorités genevoises. L’autocensure est de mise43.

27C’est là, sans doute, que réside l’intérêt du système de Le Sage. En effet, n’ayant pas vocation à être lues par d’autres, ses cartes/fiches sont un lieu d’exposition du combat intérieur que le physicien (se) livre entre le basculement complet dans l’athéisme et le respect, nécessaire, d’une certaine morale religieuse. Un choix cornélien, comme Le Sage l’indique sur l’une de ses cartes : « Quoique j’eusse bien assez de religion pour un laïque, je n’étais cependant pas assez orthodoxe pour un ecclésiastique qui serait appelé à prêcher de temps en temps les dogmes ». Le Sage sait surtout parfaitement que la question de la religion peut non seulement conduire à l’affrontement, mais qu’elle peut surtout avoir des conséquences néfastes sur la compréhension et la diffusion de certaines hypothèses scientifiques. C’est donc avec une grande précaution oratoire – y compris dans ses fiches – que Le Sage envisage divers scénarios pour se prémunir contre les éventuelles accusations d’impiété qui serait faites à son système d’explication mécanique de la gravitation. Il faut éviter à tout prix que celle-ci soit entendue comme étant un premier pas qui mènerait nécessairement les physiciens vers l’athéisme. Cela ne pourrait être le cas, précise Le Sage que si – et seulement si – les physiciens intéressés par son hypothèse tenaient l’atomisme pour l’explication ultime de toutes les choses.

28C’est principalement dans son boîtier 2021b que Le Sage accumule plusieurs sachets portant sur la question de Dieu. C’est le cas du sachet 10, intitulé « La pesanteur considérée comme une loi divine » ; du sachet 27, « sur l’inexpugnabilité de Dieu » ; du sachet 33 « sur le repos de Dieu entendu comme une cessation de mouvoir et de façonner immédiatement la matière », ou encore du sachet 24, « arguments adressés aux partisans des causes occasionnelles ».

Figure 2 - « Agenda sur le repos de Dieu ».
            [] Fonds Le Sage, BGE
Figure 2. Figure 2 - « Agenda sur le repos de Dieu ». [Agenda : Sur le Repos de DIEU ; entendu comme une cessation de mouvoir et de façonner immediatement la Matière. L’Encyclopédie. Checher dans Leibniz, Bilfinger & Bonnet. Demander à Mme LeFort, la 1er forme du commentaire de Mr Chais sur la Bible. Emprunter Theses de Mr Roybaz sur la Creation ; de Mr Martin, DeRochas.] Fonds Le Sage, BGE

29Dans son sachet 11, le physicien reviendra longuement sur l’opinion soutenue par le théurgisme : « qui rapporte la pesanteur à une action perpétuelle et immédiate de Dieu lui-même ». Le Sage veut alors ouvrir une juste discussion sur cette perspective, tout en regrettant : « que les partisans de l’Opinion que c’est DIEU lui-même qui produit immédiatement la Pesanteur ; l’ont tellement liée, par plusieurs expressions ambiguës, avec le Dogme respectable de la Providence, qui en est cependant fort distinct, qu’ils ont enlevé à leurs adversaires l’égalité de Liberté qui doit régner dans toute dispute »44. La question est malgré tout importante et poursuivra Le Sage bien après la publication de ses travaux scientifiques sur la pesanteur. En 1782, par exemple, il discute à nouveau du théurgisme avec son élève Pierre Prevost, recopiant sur l’une de ses cartes à jouer un extrait d’une de ses lettres :

Pour pouvoir mieux réfuter les physiciens qui rapportent la pesanteur à une action immédiate de DIEU ; j’avais d’abord remarqué ; qu’ils le faisaient auteur direct, de tous les maux physiques que produis la chute de certains corps, la grêle par exemple : Et cela m’avait engagé à sauver la Bonté de DIEU, de la même façon que le faisaient les Stoïciens ; savoir en disant, que la Matière était indocile. Mais : Pour montrer aux Lecteurs timorés que cette solution, n’aient rien d’Hérétique : je rassemblais les Passages les plus caractéristiques de tous les Auteurs réputés les plus religieux et les plus sages. Et je faisais voir : qu’en pressant leurs termes, et en remontant aux Principes qu’ils supposaient en passant ; on retrouvait toujours, la solution des Stoïciens45.

30typologie des savoirsobjets d’étudenature typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la matièrephysique typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophieCette « solution des stoïciens » indique, rappelons-le brièvement, que Dieu et la matière sont au principe de toutes choses, inséparables46. Si leur physique poursuit l’idée aristotélicienne d’une matière éternelle et incréée, immobile et inactive, celle-ci reste pourtant capable de se transformer en fonction d’un principe actif. On comprend mieux pourquoi Le Sage, un physicien corpusculaire, s’intéresse à cette solution car en prétendant que la matière, l’âme et dieu sont des corps, cette « solution » lui permet de concevoir les rapports de l’homme et du monde autour d’une religiosité sans véritable dieu anthropomorphe47. La nature est d’abord un ordre et un agencement du sacré.

31Ce jeu de positionnements apparaît comme d’autant plus subtil que Le Sage est convaincu que Dieu n’est pas au principe de la variété et qu’il ne pousse pas les corps les uns vers les autres. En un mot, il ne peut pas être la cause immédiate et perpétuelle des mouvements célestes. Là encore, pour asseoir sa conviction, le savant genevois se sert de ses fiches pour échafauder différents scénarios de questions-réponses censés, encore une fois, devancer d’éventuelles accusations d’impiété qui serait faite à son système :

Je ne demande pas à l’athée : comment il est arrivé ; qu’il n’y ait point d’animaux, qui ayant tout à la fois les jambes longues et le col court. Parce qu’il ne manquerait pas de me répondre : qu’un concourt fortuit avait bien produit de tel animaux ; mais qu’ils étaient pris de soif et de faim, à cause de la difficulté qu’ils avaient à atteindre leur boisson et leur pâture. Mais je lui demande : comment il est arrivé qu’un animal n’ait tout à la fois les jambes courtes et le col long ; ou que, n’ayant point de tout de jambes (comme c’est le cas de toutes les espèces de poissons), il ait cependant un col (ce qui n’est le cas d’aucune de ces espèces, si différentes d’ailleurs), vu qu’une longueur superflu dans le col, ou même un col entièrement superflu, ne seraient pas des incommodités suffisantes pour faire périr une espèce entière, ni (à plus forte raison) toutes les espèces qui se seraient trouver dans ce cas48.
Figure 3 - Fiche tirée du sachet Ms Fr.
            2004-6 (recto). [] Fonds Le Sage, BGE
Figure 3. Figure 3 - Fiche tirée du sachet Ms Fr. 2004-6 (recto). [Je ne demande pas à l’Athée : Comment il est arrivé ; qu’il n’y ait point d’Animaux, qui ayant tout à la fois les jambes longues & le col court. Parce qu’il ne manquerait pas de me repondre : Qu’un concours fortuit, avait bien produit de tels animaux ; mais qu’ils étaient pris de soif & de faim, à cause de la difficulté qu’ils avaient à atteindre leur boisson & leur pâture. Mais je lui demande : Comment il est arrivé ; qu’aucun Animal n’ai tout à la fois les jambes...] Fonds Le Sage, BGE
Figure 4 - Fiche tirée du sachet Ms Fr.
            2004-6 (verso). [] Fonds Le Sage, BGE
Figure 4. Figure 4 - Fiche tirée du sachet Ms Fr. 2004-6 (verso). [courtes & le col Long ; ou que, n’ayant point du tout de jambes (comme c’est le cas de toutes les espèces de Poissons), il ait cependant un Col (ce qui n’est le casd’aucune de ces espèces, si différentes d’ailleurs) : Vû quelques longueur superflue dans le Col, ou même un Col entièrement superflû ; ne seraient pas des Incommodités suffisantes, pour faire perir une espèce entière, ni (à plus forte raison) toutes les Espèces qui se seraient trouvées dans ce cas.] Fonds Le Sage, BGE

32Les nombreuses interrogations de Le Sage sur la religion seront aussi l’occasion, grâce à une longue introspection suscitée par l’accumulation progressive des fiches, de revenir sur son histoire familiale49, et sur la manière dont son éducation a fini par conditionner certaines de ses croyances, ainsi que sur la légitimité qu’un homme de raison et de science peut encore accorder à des croyances qu’on lui a présentées depuis son enfance comme étant la seule vérité envisageable. C’est le cas sur cette fiche :

construction des savoirstraditionlittéralismeJe prenais à la lettre, presque tout ce que je visais ou que j’entendais. À l’âge de douze ans, par exemple : je croyais ; que c’était Dieu en personne, qui faisait croitre les plantes ; et qu’il cessait de le faire tous les Dimanches. Et jusqu’à l’âge de majorité ; j’ajoutais honnêtement foi, aux offres qui m’étaient adressées faites par une simple politesse50.
Figure 5 - Fiche tirée du sachet MS Fr.
            2001b-60. [] Fonds Le Sage, BGE
Figure 5. Figure 5 - Fiche tirée du sachet MS Fr. 2001b-60. [Je prenais à la Lettre, presque tout ce que je visais ou que j’entendais. A l’âge de douze ans par exemple : je croyais ; que c’était Dieu en personne, qui faisait croitre les Plantes ; & qu’il cessait de le faire tous les Dimanches. Et jusqu’à l’âge de majorité ; j’ajoutais bonnement foi, aux offres qui m’étaient faites par une simple politesse.] Fonds Le Sage, BGE

33construction des savoirsépistémologiedoute construction des savoirsépistémologiecroyanceCe qui occupe Le Sage, c’est d’essayer de décrire et de comprendre l’évolution de son comportement religieux qui ressemble à une lente séparation vis-à-vis du dogme. À l’âge de 9 ans et demi, note-t-il par exemple : « j’abandonnais les prières qu’on m’avait fait apprendre par cœur, pour en composer d’autres que même je changeais en partie suivant les occasions »51. Le reste de la carte est plus intéressant encore : « et, de tous mes condisciples ; il n’y en avait qu’un, qui en fit autant ; et qui même, quoique plus âgé que moi de 9 mois, ne commença à le faire que quelques mois après moi »52.

Figure 6 - Fiche extraite du sachet 41,
            boîtier 2056c. [] Fonds Le Sage, BGE
Figure 6. Figure 6 - Fiche extraite du sachet 41, boîtier 2056c. [Dès l’âge de 9 ans & ½ ; j’abandonnai les Prières qu’on m’avait fait apprendre par cœur, pour en composer d’autres que même je changeais en partie suivant les occasions. Et, de tous mes condisciples ; il n’y en avait qu’un, qui en fit autant ; et qui même, quoique plus âgé que moi de 9 mois, ne commença à le faire que quelques mois après moi.] Fonds Le Sage, BGE

34Cette position, rétrospectivement, lui semble proche de celle évoquée par Rousseau dans sa profession de foi du vicaire Savoyard que Le Sage décide justement de relire en 1798, marquant alors dix passages qui, selon lui : « rendent fort bien, ce qui s’était passé chez moi dans l’Examen de la religion ».

35Il va aussi accorder une grande importance au cas de son père, remplissant deux sachets de cartes déposés dans le boîtier 2056c : le sachet 40, intitulé « opinions théologiques de mon père » et le sachet 41, « étude sur la religion ». À lire les fiches de Le Sage, son père, philosophe atypique, avait eu l’ambition de diminuer ou de simplifier les dogmes à Genève, s’efforçant de rapprocher la religion révélée de la religion naturelle, reconnaissant que l’écriture était divinement inspirée « en gros », mais non qu’elle le soit littéralement. Il était surtout pleinement convaincu qu’il existait une religion différente pour chaque peuple. C’est en premier avec son père que Le Sage eut plusieurs conversations théologiques, dont une sur le but de la création qui met en chantier, précisément, la difficile question des relations entre science et religion :

matérialité des savoirsinstrumentinstrument d’observationtélescope matérialité des savoirsinstrumentinstrument d’observationmicroscopePetite discussion avec mon Père ; sur le but que DIEU s’était proposé, en créant l’univers. Mon Père prétendait (avec la plupart des théologiens) ; que le Créateur s’était proposé d’acquérir de la Gloire auprès de ses créatures. Mais je lui objectais : Que dans cette supposition ; il se serait hâté de communiqué aux hommes, mille merveilles ; qu’ils n’ont découvert que dans ces derniers temps, à l’aide des microscopes et des télescopes.

36

37En religion, comme ailleurs, il faut se ranger à l’idée maîtresse de l’anthropologue Marcel Mauss (1872-1950) et décider, à chaque fois que la situation le permet, de partir du concret des situations pour en arriver, ensuite, au plus abstrait, voire au plus intime53. Ce n’est qu’en étudiant, très prosaïquement, comment les savants citent, mobilisent des textes religieux, prennent des notes (et sur quel support), commentent et corrigent que l’on pourra parvenir, à terme, à mieux envisager la représentation que ces mêmes savants se sont fait de la science et, donc, des rapports qu’elle doit/peut entretenir avec la religion. C’est en prenant au sérieux certains savoir-faire, en prenant conscience des nombreuses implications cognitives du travail de type documentaire, un travail patiemment et inlassablement répété, qu’il sera possible d’accéder à certaines stratégies, certaines logiques sociales et politiques, mais aussi et peut-être surtout à des réalités culturelles et religieuses inaccessibles autrement.

38Dans le cas de Le Sage, comme nous l’avons indiqué, c’est par l’accumulation de preuves contraires sur ses milliers de cartes, et en particulier de preuves physiques et géométriques, qu’il va finir par envisager, fiche après fiche, les raisons de son adhésion à un système de croyance déterminé, l’amenant petit à petit à le remettre profondément en cause : comment croire moins fermement se demande-t-il constamment ? Mais aussi, comment continuer à faire confiance tout en gardant un esprit libre de préjugés : « une ferme résolution de se rendre aux raisons les plus vraisemblables » ? Comment, surtout, continuer de soumettre sa raison à la foi ?

39construction des savoirsépistémologiecertitude construction des savoirsépistémologiescepticismeCes nombreux sachets, accumulés au fil du temps et soigneusement rangées sous la forme d’un savant mille-feuille, ont généré chez lui de l’incertitude, du doute et du scepticisme54. Pour le physicien, il n’y a qu’une seule chose qui doit finalement compter dans toute sa réflexion, à savoir la vérité : « Il semble qu’une méthode où la vérité seule aurait à gagner, serait préférable. Et telle est celle d’un examen, ultérieur à celui de compter en gros quelle est la religion dominante du pays et d’apprendre cette religion telle qu’on nous la donne55 ».

Notes
1.

Voir : Heyd, 1980 ; Pitassi, 1992 ; Fatio, 1991.

2.

Gingras montre comment les valeurs religieuses continuent de conserver un poids social important en interdisant, en retardant ou en essayant de re-dimensionner certaines recherches scientifiques. Voir : Gingras, 2013.

3.

L’exemple de Genève est d’autant plus intéressant qu’il existe une littérature pléthorique sur la structuration des mondes savants durant l’époque moderne. Les réseaux épistolaires ont aussi été largement utilisés pour dessiner les contours mouvants de ce vaste réseau, ou pour préciser l’existence de plusieurs particularités, dont la monopolisation de l’activité savante par les patriciens de la cité ; le développement d’un fort individualisme qui semble être l’une des causes ayant empêché l’éclosion de véritables équipes de recherche ; voire aussi l’intensification d’un certain goût pour la pratique concrète et l’artisanat. Sur ces différents points, voir : Trembley, 1987 ; Ratcliff et Stahl-Gretsh, 2011 ; Montandon, 1975 ; Benguigui, 2006 ; Sigrist, 2004.

4.

Bert, 2021.

5.

Son hypothèse, au sujet de la gravitation, fait intervenir des transferts instantanés d’impulsion par le biais de « chocs » ou de « collisions », conçus sur le modèle des chocs entre des boules de billard. Voir : Chabot, 2003.

6.

Le Sage traduira les fameuses quatre lettres de Newton à Bentley dans lesquelles le premier précise que la force de gravité n’est pas inhérente à la matière et requiert la présence d’un agent immatériel : « La gravité doit être causée par un agent agissant constamment selon certaines lois ; mais que cet agent soit matériel ou immatériel, je l’ai laissé à la considération de mes lecteurs. » Fonds Le Sage : Ms. fr. 2011 /2, copie annotée de quatre lettres de Newton à Bentley sur l’existence de Dieu (traduction littérale par Le Sage). Ces lettres ont été publiées sous la rubrique « Théologie physique », dans Bibliothèque Britannique, t. 4, p. 89-109 et 189-205 (février-mars 1797).

7.

Pour en savoir plus sur le personnage et son fichier : Bert, 2018.

8.

Pour une synthèse : Gieryn, 2000 ; Withers, 2009 ; Besse, 2010 et récemment Bert et Lamy, 2021.

9.

Livingstone, 2003.

10.

Besse, 2004.

11.

Ratcliff et Candaux, 2011.

12.

Jacob, 2007 et 2011.

13.

Voir ces deux colloques internationaux récents : « La force des objets », organisé en 2013 à l’université Toulouse 2–Jean-Jaurès, et « Matérialités religieuses », qui s’est tenu au musée du quai Branly en 2015. Albert, Cohen, Kedzierska-Manzon etMottier, 2016.

14.

Shapin et Schaffer, 1993.

15.

Par exemple : Sigrist, 2011.

16.

On peut penser sur ce point à la « botanophilie », mis en lumière par Ruppel, 2019.

17.

Voir Blair, 2010 et Daston, 2017. Le xviii e siècle est porteur de nombreux autres changements. La gestion des connaissances devient plus flexible, de nouvelles pratiques de compilation se développent, le champ des phénomènes qui comptent comme objets légitimes d’étude scientifique évolue et ne cesse de s’élargir. Plus globalement encore, le travail de l’homme de science ne se conçoit plus comme une forme de loisir sophistiqué, mais renvoie à un effort souvent pénible. La perception qu’ont les chercheurs de leur rôle public change aussi, car la science doit contribuer désormais à la réalisation véritable d’un mieux vivre en commun.

18.

Voir Holenstein, Steinke et Stuber, 2013 ; Nicoli, 2013. On peut penser ici au développement de la plate-forme Haller online : http://www.albrecht-von-haller.ch/d/hallerstiftung.php.

19.

Voir : Bourguet, 2017 ; Minzetanu, 2016 ; Yeo, 2014.

20.

Par exemple, Bert, 2017 ; Delbourgo etMüller-Wille, 2012.

21.

Par exemple : Shapin, 2014.

22.

Sur ce point : Fossier, Petitjean et Revest, 2019.

23.

Voir : von Greyerz, 2016 ; Hahn, 1986.

24.

Hubner, 2010.

25.

Bungener, 2018 ; Bungener, Matille etCallmander, 2017.

26.

Pictet, 1988 ; Grmek, 1991.

27.

« Papiers Le Sage », en particulier BGE Ms. fr. 2001-2067, Ms. suppl. 512-519.

28.

Pour en savoir plus sur l’histoire de l’athéisme durant l’époque des Lumières, voir : Hunter et Wootton, 1992.

29.

Prevost, 1805.

30.

Admis en 1747 à l’Académie de Genève, Reverdil fut consacré en 1755 au ministère ecclésiastique, qu’il n’a cependant jamais exercé. Le boîtier 2009 a/b/c, conservé dans le fonds Le Sage de la BGE, renferme une partie des fiches ayant trait au traité. Les différents sachets ont été annoté par Reverdil en fonction du possible intérêt des vues de Le Sage. Par exemple, et pour le sachet 15, on peut lire, noté au crayon : « Il reste quelques petites idées » ; pour le 16 : « Très mélangé » ; pour le sachet 17 : « Est plus mathématique que physique » ; pour le 23, il note : « Presque entièrement inutile » ; pour le 35, il note au contraire qu’il « peut se conserver ».

31.

Comme l’indique Reverdil, on peut retrouver des éléments du traité de Le Sage dans les Contemplations de la nature de Charles Bonnet, mais aussi dans la Théologie naturelle de Paley, publiée en 1802 et traduite à Genève en 1815 par Charles Pictet.

32.

Cet article ne nous permet pas d’aller plus loin sur la question, mais il faudrait, pour bien comprendre la singularité des vues de Le Sage, se demander, par exemple : qui, des savants genevois de cette époque affirma le caractère autonome du discours scientifique par rapport au discours théologique ? Qui, aussi, décida de proscrire toute explication des phénomènes naturels par les causes finales ? Qui, encore, accepta de s’inscrire en faux contre les interprétations littérales de la Bible en valorisant la vérification et l’expérimentation des hypothèses ?

33.

Ms. fr. supplément 472.

34.

Selon la formule de Pierre Duhem : Duhem 1989.

35.

Prevost, 1805, p. 514-515.

36.

Ibid ., p. 524.

37.

Ibid ., p. 527.

38.

Ibid ., p. 536.

39.

Ibid ., p. 551.

40.

On pourra consulter également : Ms. fr. 2053 - Matériaux pour les « Traités sur les causes finales et la téléologie ». Dans ce dossier, on compte plusieurs manuscrits portant sur les « Motifs qui ont engagé le Createur a diversifier si considérablement les animaux et les plantes » (2053 5/6). Plusieurs manuscrits ont également traits à la question religieuse dont un essai sur « un nouveau système de religion naturelle » (2057/4) ; un commentaire intitulé « sur mon incrédulité » (2057/7) ; une argumentation « sur les preuves de l’existence de dieu » (2057/7) et surtout l’ébauche d’un « entretien d’un athée et d’un théiste » (2057/7). Dans cette-dernière, non datée, l’athée commence par poser deux questions au théiste : « Mais vous, comment pouvez-vous vous assurer de la possibilité de votre agent ? » et « pourquoi votre agent, laisse-t-il subsister tant d’imperfections dans son ouvrage, lui qui pouvait le changer continuellement puisqu’il a bien pu le former ? Objection, qu’on ne peut pas faire, contre celui qui croit que le monde ne pouvait pas exister autrement. »

41.

Bert, 2018. Le travail sur fiche implique différentes contraintes scripturales avec lesquelles Le Sage a dû apprendre à composer, par exemple, le choix de la « fragmentation » comme préalable au déploiement d’une écriture linéaire.

42.

Le Sage loue imperturbablement le Newton physicien et mathématicien. Son emballement concerne les grandes qualités du génie que sont la circonspection, la lenteur à publier et l’amour du repos qui deviendront de véritables exemples à suivre. Au titre des qualités de Newton, Le Sage ajoute sa robuste santé, sa liberté et, enfin et surtout, son intelligence sans bornes.

43.

Pittard avait entrevu les conséquences de ce problème sans chercher à le questionner plus avant : « Plusieurs savants genevois de cette époque sont passés à côté de grandes découvertes ; les ayant peut-être pressenties, aperçues, ils n’ont pas osé les proclamer. » Pittard, 1942, p. 436.

44.

Fonds Le Sage, Ms. fr. 2021b, sachet 11.

45.

Fonds Le Sage, Ms. fr. 2021b, sachet 11.

46.

Il peut être étonnant de voir le physicien genevois mobiliser ainsi la pensée stoïcienne qui est, comme le remarquent B. Joly et P.-Fr. Moreau, absente des doctrines scientifiques modernes : « comme si la physique du Portique n’appartenait qu’au passé et ne pouvait en rien contribuer à l’émergence des nouvelles conceptions du monde qui s’élaborent dès la seconde moitié du xvi e siècle ». Cet usage rare tient au fait que les fragments ne sont alors pas disponibles. La connaissance des « opinions physiques » des Anciens existe via, surtout, des histoires de la philosophie. Voir Joly et Moreau, 2008.

47.

Le Sage s’est longuement interrogé sur les perspectives de Lucrèce qu’il commença à lire, comme le rappelle Pierre Prevost, à l’âge de 13 ans, avant de lui consacrer un opuscule, leLucrèce Newtonien (1784), dans lequel il fait du poète latin un précurseur des vues de Newton sur l’attraction. Le Sage n’est alors pas le seul à voir en Lucrèce un compagnon de route et de combat contre le dogmatisme religieux, mais il est sans doute l’un des derniers à croire en sa physique des atomes et à ne pas en faire une absurdité. Sur la réception de Lucrèce au xviii e siècle, voir Vesperini 2017.

48.

Fonds Le Sage, Ms Fr. 2004, sachet 6

49.

Rappelons que le 14 février 1752, le père de Georges-Louis Le Sage, philosophe de son état, fut accusé par le premier syndic de Genève, Michel Lullin de Châteauvieux, d’avoir publié une brochure dangereuse pour la religion et le gouvernement, intitulée « L’esprit des lois ». Voir, à ce sujet : Gür, 1968.

50.

Fonds Le Sage, MS Fr.2001b, sachet 60.

51.

Fonds Le Sage, MS Fr 2056c, sachet 41.

52.

Ibid

53.

Mauss, 1950.

54.

Dans le panel des positions possibles, l’« athéisme » de Le Sage est plus un athéisme sceptique qu’un athéisme « dogmatique » ou « affirmatif ».

55.

Fonds Le Sage : « Minute d’un avis et des réflexions que je veux écrire au dehors de mon portefeuille de métaphysique », n. d.

Appendix A Bibliographie

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  3. Bert, 2017 : Jean-François Bert , Une histoire de la fiche érudite, Lyon, Presses de l’ENSSIB.
  4. Bert, 2018 : Jean-François Bert, Comment pense un savant ? Un physicien des Lumières et ses cartes à jouer, Paris, Anamosa.
  5. Bert, 2021 : Jean-François Bert, « Les spectres de l’érudition. Un travail de bénédictin ! », dans SAVOIRS : https://savoirs.app/fr/articles/les-spectres-de-l-erudition-un-travail-de-benedictin
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  8. Besse, 2010 : Jean-Marie Besse, « Approches spatiales dans l’histoire des sciences et des arts », L’Espace géographique, 39, 3, p. 211-224. https://doi.org/10.3917/eg.393.0211
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  37. Pitassi, 1992 : Maria-Christina Pitassi, De l’orthodoxie aux Lumières , Genève 1670-1737, Labor et Fides, Genève.
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  39. Prevost, 1805 : Prevost, Pierre, Notice de la vie et des écrits de Georges-Louis Le Sage, de Genève, rédigée d’après ses notes par Pierre Prevost, suivie d’un opuscule de Le Sage sur les Causes finales ; d’extraits de sa correspondance avec divers savans et personnes illustres [etc.], Genève, J.-J. Paschoud.
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  42. Ruppel, 2019 : Sophie Ruppel, Botanophilie. Mensch und Pflanze in der aufklärerisch-bürgerlichen Gesellschaft um 1800, Cologne, Böhlau.
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