Gabrièle Wersinger-Taylor

Abstract

What means in the contemporary works of the humanities, the inflation of titles beginning with this ambiguous word “invention” ? It seems that an anthropology claiming having got rid of archaeological models praising “Greek inventors” would have to question the meanings of the paradigms of invention. But how can one get rid of an heurematographic archaeology as illustrated by the Altertumswissenschaft and the “Greek Miracle” paradigm ? While considering Gernet’s and Vernant’s use of “invention”, one may notice that they did not succeed in completely breaking up with a demiurgic and progressive interpretation of history. And if it is more evident in Loraux’and Detienne’s works that anthropology is aware of the self-referentiality of its methods, it may be shown that the project of a critical science of 'ideologies' cannot prevail as long as the promethean value of invention strengthens itself in the institution of contemporary research.

‘« L’extraordinaire du roman, c’est que pour comprendre le réel objectif, il invente d’inventer » Aragon, Les cloches de Bâle.

1typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et sociales typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesanthropologie construction des savoirstraditioninventionOn constate l’« inflation », dans les milieux des sciences humaines et de l’anthropologie, de publications récentes dont le titre contient le mot invention : L’invention du sujet moderne ; L’invention de Dieu ; L’invention du monde ;L’invention de la culture 1 . Aucune notion ne semble aujourd’hui échapper à son invention.

2pratiques savantespratique lettréetraduction typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoireS’agissant des Grecs anciens, est-il nécessaire de rappeler, entre autres, des titres tels que L’Invention de la mythologie (Detienne 1981) ou L’invention d’Athènes (Loraux 1981) ? Un chercheur contemporain n’hésite pas à relier explicitement l’usage de ce concept à l’école de Paris : « All the scholars of this group appear to be deeply concerned with invention » (Miller 2000, p. 56). Il semble bien, en effet, y avoir eu un privilège de l’usage du mot invention dans les études anciennes surtout à partir des années 80, comme en témoigne, par exemple, la traduction française d’un ouvrage de Moses Finley paru en 1983, Politics in the Ancient World, qui, deux ans plus tard, a fait date en France, sous le titre dont apparaît clairement le caractère forcé : L’invention de la politique. Or, si Finley écrit bien (p. 53) : « Politics […] were a Greek invention », le titre français ne reflète pas l’intention de l’ouvrage (Darbo-Peschanski 1986, p. 305).

3construction des savoirsépistémologiedécouverte pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementparadoxe construction des savoirstraditioninvention construction des savoirsépistémologieconceptQu’en est-il du concept d’invention, que signifie exactement l’invention dont on parle ? Il y a une différence flagrante entre le point de vue selon lequel les Grecs ont inventé au sens de découvert le théorème de Pythagore, la géométrie d’Euclide, le cadran solaire, le principe d’Archimède, la machine à vapeur, l’orgue hydraulique, et le point de vue selon lequel ils se sont inventés ou imaginés eux-mêmes. Dans le premier cas, l’invention est entendue au sens heuristique et démiurgique, alors que dans le second cas, elle désigne une fiction idéologique.

4pratiques savantespratique lettréeinterprétation typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesanthropologie construction des savoirstraditiongénéalogieLe mot ambigu « invention », chargé de rendre intelligible un devenir et ses « événements2 », fonctionne dans les sciences humaines de manière in-interrogée comme une sorte de fossile verbal, et ce malgré la disparité de modèles d’interprétation tels que celui du « Miracle grec » selon l’expression bien connue d’Ernest Renan, les paradigmes généalogique et heuristique qui dominent l’après guerre chez Richard Onians et Bruno Snell, l’anthropologie historique et sociologique de Louis Gernet et Jean-Pierre Vernant, ou plus récemment de Nicole Loraux ou Marcel Detienne.

5Il existe un rapport différentiel entre une série de conventions épistémologiques et culturelles propres à l’anthropologue ou à l’historien qui étudient les Grecs anciens, et celles des Grecs anciens eux-mêmes. Faute de prendre en compte ce rapport et de continuellement le réviser ou le corriger, on tombe dans les anachronismes et les points aveugles épistémologiques et méthodologiques.

Un exemple : le prôtos heuretès

6Un exemple est offert par la façon dont la tradition grecque du « premier inventeur » (prôtos heuretès)3 infiltre les histoires modernes de la science grecque ancienne.

7construction des savoirstraditionmythologie pratiques savantespratique artistiquepratique musicaleChacun connaît dans le Prométhée enchaîné d’Eschyle, le titan « premier à inventer » les techniques et la culture (vers 465-468) ou encore la figure d’Hermès-Thoth qui concentre toute une série de traditions d’inventions et de révélations4 à la fois grecques et égyptiennes dont on a des échos chez Platon (Cratyle, 407e) et Diodore de Sicile (I, 16). Cette « mythologie » de l’origine divine ou héroïque des sciences ou des techniques imprègne les histoires anciennes, comme celles de la musique. Plutarque mentionne les histoires dont les harmoniciens (harmonikoi) sont les auteurs (Plutarque, De la Musique, 1136d-e) et déclare s’appuyer sur les historiens anciens, comme Istros et Anticleides, auteurs du iii e siècle avant J.-C. (De la Musique, 1135f-1136a). Cette « mythologie » imprègne non seulement, à l’époque hellénistique, une pléthore de traités de propagande personnelle, le plus souvent perdus, de médecine, de stratégie, de peinture ou d’architecture5, mais elle imprègne aussi la Renaissance (De Rerum inventoribus de Polydore Vergilius), et la Modernité (par exemple, tout le début du Manuel de Philologie classique de Salomon Reinach, publié en 1880, peut être considéré comme un catalogue des grands inventeurs dans les humanités et possède le ton emphatique des histoires hellénistiques, marqué par le ressassement d’adjectifs et de substantifs dans le style de l’éloge : « le plus grand » ou « premier » ; « novateur »). Et selon un effet de miroir symptomatique, on appelait prôtos heuretèsde la philologie moderne le philologue allemand Friedrich August Wolf, auteur en 1807 d’une Darstellung der Altertumswissenschaft (Hummel 2000, p. 110) destinée à étayer le récit fondateur de la science allemande qu’est le Griechenmythos(Andurand 2013 ; Roche et Demetriou 2018).

8construction des savoirsépistémologierationalitéLe « Miracle grec », vanté par Ernest Renan, convoque la figure d’une création unique et fondamentale, ethnologiquement marquée, et caractérisée par un commencement à la fois absolu, singulier, nouveau et immortel. C’est ce même concept d’invention qui anime les travaux de John Burnet (1914, p. 3) : « Now rational science is the creation of the Greeks and we know when it began. » Et passant en revue les traces papyrologiques et archéologiques des sciences d’origine indienne, égyptienne, ou babylonienne, il écrit (1920, p. 27) :

Nous pouvons résumer tout cela en disant que les Grecs n’ont emprunté à l’Orient ni leur philosophie ni leur science. Sans doute ont-ils tiré d’Égypte certaines règles de mesure qui, une fois généralisées, ont donné naissance à la géométrie tandis que de Babylone ils ont appris que les phénomènes des cieux se reproduisent circulairement en cycles avec la plus grande régularité. Cette partie de la connaissance avait sans doute beaucoup à voir avec l’essor de la science ; parce que cela suggéra aux Grecs des questions nouvelles, telles que les Babyloniens ne les avaient pas même rêvées (trad. personnelle).

9construction des savoirstradition pratiques savantespratique intellectuellecritiqueMême si la tradition du Prôtos heuretès est examinée de manière critique dès 1933 6, lorsque Kurt von Fritz par exemple, déclare qu’« Hécatée inaugure l’enquête historique », qu’« il invente la critique rationnelle des vieilles généalogies » ou qu’« il apporte les lumières du premier esprit scientifique » (1967, I, p. 51), force est de constater qu’il réactive sans aucun recul cette tradition. Il en va de même encore lorsque le philologue Arpad Szabo fait de Pythagore l’inventeur du monocorde (Creese 2009, p. 85, 90, 97-99).

10acteurs de savoirqualités personnellescréativité construction des savoirstraditioninvention construction des savoirstraditionhistoriographie acteurs de savoiracteur non humainanimalOr, en dépit du fait que les Grecs anciens eux-mêmes n’hésitaient pas à reconnaître d’autres peuples comme inventeurs (Zhmud 2006, p. 40)7, l’invention fonctionne dans l’historiographie moderne comme l’attracteur d’une histoire avide de se donner un patrimoine. On invente les anciens Grecs comme ces grands inventeurs dont il s’agit de saluer le génie, la puissance créatrice inauguratrice d’une tradition ancestrale dans une temporalité faite d’événements, on invente ses inventeurs 8.

L’invention face à ses paradigmes

11construction des savoirstraditiongénéalogie construction des savoirsépistémologieparadigmeIl existe toutefois plusieurs modèles heurématographiques (au sens où ils font intervenir l’invention, Zhmud 2006, p. 23). C’est pourquoi il nous faut revenir sur ce qui a déterminé des anthropologues comme Louis Gernet à user du mot invention en opposition non pas simplement à un modèle d’invention relié à la thèse du « Miracle grec », mais aussi aux paradigmes généalogique et heuristique qui dominent l’anthropologie de l’après-guerre chez Onians et Snell.

12En 1946 paraissait le livre de Bruno Snell, Die Entdeckung des Geistes (La découverte de l’esprit), et en 1951, la version finale du livre à gestation longue de Richard Broxton Onians, The Origins of European Thought. Selon cet auteur, c’est un paradigme généalogique qui fonde l’histoire, et l’origine de la pensée européenne est grecque (Introduction, p. 7). Et, après avoir déclaré que Thalès et Anaximandre sont les « branches » survivantes d’un « arbre » beaucoup plus vaste, il enchaîne (p. 7) :

Tout au long des siècles passés, se tend la tige de la parenté (stretches the parent stem), la pensée de la race (the thought of the race), le système de croyances par lequel la race se rendit intelligible à elle-même, pour de nombreuses générations (whereby the race rendered intelligible to itself for many generations), la vie de l’homme et le monde dans lequel vit l’homme ; une foi à l’œuvre, avec de légères différences, sans doute, d’un endroit à un autre, et qui s’accroît progressivement de la pensée de ces individus dont la contribution n’est plus discernable aujourd’hui et dont le nom est à jamais perdu. Ses racines (its roots) sont profondément enfouies comme les races convergentes de l’union heureuse desquelles a jailli le tronc que nous connaissons (as the converging races from whose happy union sprang the stock we know). Les Philosophies plus tardives, les théories des individus et des écoles, sont des critiques et des améliorations, de plus en plus parfaites, sur le fond de ce schème racial (upon this racial scheme) et ne peuvent pas être correctement comprises indépendamment de leur rapport à lui (trad. personnelle).

13inscription des savoirsvisualisationvisualisation de l’informationarbre pratiques savantespratique intellectuellehiérarchisation construction des savoirstraditionhéritage pratiques savantespratique intellectuellecomparaisonLe cadre idéologique de ce passage est remarquable et la traduction ne doit pas l’édulcorer9 : la métaphore de l’arbre généalogique et des racines voisine avec le paradigme de la race qui transmet un héritage à travers les siècles. On comprend que Richard Onians devait être critiqué par Jean-Pierre Vernant qui a parfaitement saisi l’intention idéologique présente dans son œuvre : « l’homme grec se trouve, dans cette perspective, élevé au-dessus des autres peuples, prédestiné » (Vernant 1957, p. 183).

14typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la vie et de l'environnement typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesgéographie humaine typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophie Bruno Snell, qui avait pourtant réfléchi sur la pertinence anthropologique de la notion d’invention, tombe aussi sous le coup des critiques de Jean-Pierre Vernant. Lorsqu’il rédige son célèbre chapitre « Zur Entstehung des geschichtlichen Bewusstsein » (littéralement « la Formation de la conscience historique »), Bruno Snell, qui appelle Hérodote « le Père de l’Histoire », considère que l’histoire marque l’avènement de la rationalité dans la littérature grecque, à côté des autres disciplines que sont la philosophie et les sciences de la nature et la géographie (Snell 1994, p. 206). Et il souligne l’originalité heuristique des Grecs (p. 214) :

Les Grecs ont eu la chance de vivre, depuis l’époque des migrations doriennes jusqu’au début du cinquième siècle, dans un lieu à l’abri de l’histoire mondiale, et ils ont consolidé ce privilège en créant leur culture spécifique. Leurs temples constituent des édifices monumentaux bien différents des forteresses de l’époque archaïque ou des sanctuaires de l’Orient. Assurément leur architecture alla chercher en Égypte certaines idées, mais elle était nouvelle.

15construction des savoirsépistémologiedécouverte construction des savoirsépistémologieparadigmeCet extrait permet immédiatement de remarquer comment le paradigme généalogique (illustré par la paternité d’Hérodote) se noue au paradigme heuristique, et comment les notions d’avènement, de nouveauté et d’originalité se joignent à l’idée de la découverte « chanceuse » suggérant, qu’on le veuille ou non, le « miracle grec ». Mais le plus intéressant est ceci : l’auteur a hésité, au moment de choisir son titre, entre les mots « découverte » et « invention ». Au terme d’une réflexion sur la pertinence des deux notions au regard de celle d’Esprit, il finit par s’expliquer ainsi :

La découverte de l’Esprit’ signifie autre chose que lorsqu’on dit de Christophe Colomb qu’il a découvert l’Amérique : l’Amérique existait avant la découverte, l’esprit européen est né en étant découvert ; il acquiert une existence dans la conscience de soi de l’homme. Pourtant c’est sciemment que nous employons ici le terme découverte. On n’a pas inventé l’esprit comme l’homme invente un outil pour améliorer ses organes corporels, ou encore une méthode pour aborder un problème particulier. Ce n’est pas quelque chose qu’on aurait imaginé arbitrairement ou que l’on pourrait façonner, comme des inventions que l’on modifie pour les mieux adapter à leur finalité ; à la différence d’une invention, l’esprit n’est pas associé à une fin ; d’une certaine façon il existait avant que d’être découvert, mais sous une autre forme, et non pas en tant qu’esprit (Snell 1994, p. 8).

16L’Esprit se constitue par l’acte de sa propre découverte :

En disant que les Grecs ont découvert l’esprit (dass die Griechen den Geist entdecken), […] nous entendons […] que l’Esprit se réalise par cet acte (dass der Geist dadurch erst wird).

17typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophieontologieL’Esprit est une réalité performative, comme un acte de langage. Découvrir l’Esprit, cette entité éminemment téléologique, c’est cette étrange opération, accomplie par les Grecs, par laquelle découvrir c’est instantanément susciter en soi. Comme le dit ironiquement encore Jean-Pierre Vernant (1957, p. 183) : « La pensée vraie ne saurait avoir d’autre origine qu’elle-même. » Le paradigme heuristique de l’invention est, si l’on peut dire, « auto-génératif ».

18Il en découle que des auteurs obéissant au paradigme généalogique, comme Richard Onians qui croit en une souche ethnique providentielle conduisant au rameau grec et au-delà des Grecs à la pensée occidentale, ou des auteurs qui suivent un paradigme heuristique, comme Bruno Snell qui croit en une révélation grecque, un avènement grec, une invention de l’esprit, voire de l’Esprit, reconduisent l’idéologie selon laquelle les Grecs, « premiers inventeurs », ont eu la « révélation brusque et inconditionnée de la Raison » (Vernant 1957, p. 187).

19disciplinessciences humaines et socialesanthropologieRappelons que pour Vernant, l’invention ne relève pas d’une création originale et unique, mais d’une construction, élaboration innovante, en rupture avec ce qui précède, et globale, dès lors qu’elle concerne toute une série de phénomènes culturels et sociaux intriqués et reliés entre eux. C’est ainsi que dans Les Origines de la pensée grecque (1962), il montre comment les cités grecques d’Asie Mineure du vi e siècle av. J.-C. sont passées « du mythe à la raison », de la « religion » à la « science », suivant une perspective qui privilégie précisément l’invention considérée à partir de connotations telles que la rupture, le tournant, la mutation, convoquées pour combattre l’idéologie de la notion éternelle.

20Or, c’est Louis Gernet qui passe pour avoir défini la méthode de l’anthropologie historique et sociologique dans son livre Recherches sur le développement de la pensée juridique et morale en Grèce, paru en 1917.

Ce qui intéresse ce sociologue qui est aussi un historien, écrit Jean-Pierre Vernant, ce sont moins les systèmes constitués que la façon dont ils se sont successivement construits, modifiés, décomposés : les périodes de crise, les mutations, les ruptures, les innovations dans tous les domaines et sur tous les plans de la vie sociale. Ces faits de changement, brusques et profonds, qu’ils soient d’ordre technique, économique, religieux, scientifique, ou esthétique, comportent toujours une dimension proprement humaine. […] Louis Gernet apporte sur ce point une démonstration décisive quand il examine en Grèce ancienne toute une série de « tournants » où les mutations mentales et les changements sociaux apparaissent en raison dialectique : avènement du droit à partir du pré-droit, création de la monnaie et dégagement du plan de l’économie à partir de comportements qui impliquent une notion mythique de la valeur, naissance de la Cité et d’une pensée politique, origine de la philosophie (Gernet 1968, p. IV-V).

21construction des savoirsépistémologieméthode construction des savoirstraditionhistoriographieDans sa préface au livre rassemblant des textes inédits de Louis Gernet, réunis par Riccardo Di Donato, Les Grecs sans miracle (1983), Jean-Pierre Vernant rappelle qu’il s’agissait tout d’abord de s’opposer au « Miracle grec », et il reconnaît dans l’œuvre de Louis Gernet la méthode de l’anthropologie sociologique qui consistait à substituer à ce qu’on peut considérer comme une histoire de mirabilia, une autre histoire fondée sur la construction de systèmes sociaux plutôt que sur des systèmes constitués, c’est-à-dire sur leurs modifications et sur les ruptures. Louis Gernet voulait rompre avec l’éternité de la cité ou de l’homme grec, ou encore avec l’âme éternelle de l’humanité et avec la philologie concomitante de telles idées, représentée par Rudolf Hirzel dans sa monographie à propos de laquelle Louis Gernet écrit (1917, p. 7) :

La justice reste une pure Idée ; d’enseignement positif sur la conscience grecque, point de pertinent, sinon que c’est la même chose dans toutes les « démocraties » et qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

22acteurs de savoirstatutgénie typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesmathématiquesgéométrie construction des savoirsépistémologierationalité construction des savoirstraditionprogrèsToutefois, en dépit des éloges dont le couvre Jean-Pierre Vernant, il convient de noter la persistance chez Louis Gernet, du lexique de l’explication génétique, de l’évolution, et même du progrès (1917, p. 28 à propos d’Hésiode), ou encore du passage de la mentalité primitive à la mentalité rationnelle (p. 12-13). Subsiste, de façon latente aussi, l’idéologie d’une sorte d’épopée gréco-européenne du dépassement de la mentalité primitive, et de ses conquêtes spirituelles. Louis Gernet, il faut le rappeler, est aussi l’auteur d’un livre au titre éloquent : Le Génie grec dans la religion (1932), dont les premiers mots ne le sont pas moins (p. 9) :

Dans la formation de l’humanité qui est la nôtre, l’apport de la Grèce a une valeur singulière. Il faut le voir où il est. On peut dire, sinon à la lettre, du moins pratiquement, que les Grecs ont inventé la géométrie et la monnaie ; on se doute de ce qui s’ensuit : ce que nous appelons la raison vient de là.

23typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoirehistoire des sciences typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagelinguistique typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences des textesphilologieQuant à la langue, à l’instar de la philologie de Richard Onians, elle n’est considérée qu’en tant qu’elle conserve les traces d’une généalogie. Ne négligeons pas le fait que c’est dans cette veine que se développe une certaine histoire des sciences : par exemple, parce qu’il était impossible de faire correspondre les géométries grecques ou indiennes avec les géométries babyloniennes ou sumériennes, et de prouver que la géométrie s’était ensuite diffusée vers les Grecs ou les Indiens, certains, comme Bartel Van der Waerden, ont émis l’hypothèse que c’est finalement la racine indo-européenne commune des langues indiennes et grecques qui expliquerait la géométrie dépendant de leurs rituels communs (Staal 1999).

24construction des savoirsépistémologiecroyanceOn ne s’étonnera pas en conséquence de la sévérité des critiques venues d’un autre antiquisant et comparatiste éminent, Gustave Glotz (1918) :

Qu’il le veuille ou non il (i.e. Gernet) procède par pure déduction. Il retrouve dans ses conclusions les notions qu’il a introduites dans ses prémisses soit par une rétroactivité consciente soit par fidélité inconsciente à la doctrine. […] La hardiesse plus que philologique de la pensée, avec l’idée plus qu’historique de s’élever à l’unité, c’est ce qui caractérise la métaphysique : M. Gernet est un métaphysicien. Disons mieux : il apparaît quelques fois comme un croyant qui démontre les dogmes qu’il admet a priori.

25typologie des savoirsobjets d’étudeindividu construction des savoirstraditioninventionTout en rompant avec l’illusion du Miracle grec, Louis Gernet convoquait une notion d’invention assurément désacralisée, mais se définissant néanmoins à partir de ce qui la suit, l’évolution mentale s’accomplissant selon une perspective a parte post. D’où la fréquence dans ses écrits de formules contenant les préfixes pré- ou proto. Il en est de même des catégories ou des paramètres tels que l’origine spatio-temporelle : d’où vient telle chose ; quand s’est-elle manifestée ; au terme de quel processus ; sous quelle(s) forme(s) ?, etc. Tel est le cas emblématique de la notion d’individu (Gernet 2001, p. 5) : « L’idée claire et distincte de l’individu est une conquête de la pensée humaine. »

26typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoire construction des savoirstraditionprogrèsPour ces raisons, l’école de Paris, à commencer par Jean-Pierre Vernant lui-même,a abandonné ce qui pouvait encore demeurer chez Louis Gernet de conceptions progressistes de l’histoire au sens des penseurs des xviii e et xix e siècles, tels que Herbert Spencer, Auguste Comte ou même Hegel (Vernant 1957, p. 184) :

Au cours des cinquante dernières années […] la confiance de l’Occident en ce monopole de la Raison a été entamée. La crise de la Physique et de la science contemporaines a ébranlé les fondements qu’on croyait définitifs de la logique classique. Le contact avec les grandes civilisations spirituellement différentes de la nôtre, comme l’Inde et la Chine, a fait éclater le cadre de l’humanisme traditionnel. L’Occident ne peut plus aujourd’hui prendre sa pensée pour la pensée […] La pensée rationnelle, dans le temps où elle s’inquiète de son avenir et qu’elle met en question ses principes, se tourne vers ses origines.

L’Anthropologie comme science des « idéologies »

27typologie des savoirsobjets d'étudetempsUn refus inquiet et sceptique de l’ethnocentrisme imprègne, on le voit, la quête des origines. La conséquence de ce scepticisme est une histoire dans laquelle désormais la temporalité change. Au lieu d’être une succession d’événements, le temps fait coïncider l’origine et la fin. Ainsi, dans le livre de Francis Macdonald Cornford, publié en 1953, Principium Sapientiae. The Origins of greek philosophical Thought, la rationalité baigne dans la religion, selon l’esprit des recherches des Cambridge Ritualists,dont la bergsonienne et durkheimienne Jane Ellen Harrison avait constitué une figure de proue. Comme le dit Jean-Pierre Vernant de la philosophie (1957, p. 184) :

Elle transpose dans une forme laïcisée et sur un plan de pensée plus abstraite, le système de représentation que la religion a élaboré.

28acteurs de savoirstatutchaman construction des savoirséconomie des savoirsinnovation construction des savoirstraditioninvention typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophieNotons que l’idée de transposition qu’il introduit ici, induisait la notion de renouvellement plus que celle d’invention. Cependant, contre toute attente, ce n’est pas dans ce sens que se dirige Jean-Pierre Vernant, mais bien vers l’idée d’innovation. Car si le mérite de Francis Cornford avait été de mettre en évidence la continuité du mythe et de la raison et de rompre définitivement avec le commencement miraculeux, Jean-Pierre Vernant lui reproche de se borner à retrouver dans la philosophie l’ancien, alors qu’il faut « en dégager le véritablement nouveau » (1957, p. 187). Et le vocabulaire convoqué parle de lui-même. La philosophie est rupture avec le passé, elle inaugure un nouveau « commencement », à charge pour l’anthropologue de percevoir cette innovation en innovant lui-même. Le style de Jean-Pierre Vernant exprime cette rupture : sans doute le philosophe conserve-t-il les traits religieux du sage, mage, devin comme Phérécyde ou Épiménide ; sans doute Parménide mêle-t-il encore le religieux et l’abstrait (1957, p. 192-193), et sans doute enfin Pythagore est-il redevable des exercices de respiration shamaniques qui concentrent la psychè diffuse dans le corps pour la détacher du corps (1957, p. 195)10. Mais, soudain, la phrase de Jean-Pierre Vernant marque la mutation : « Pourtant, le premier philosophe n’est plus un shamane » (1957, p. 196). Et l’anthropologue parle d’innovation, de tournant entre le mage et le philosophe (1957, p. 194).

29construction des savoirsépistémologietechnique typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesarchéologie construction des savoirstraditiongénéalogiePlus instructive cependant encore est la façon dont il montre comment la pensée ionienne passe du paradigme de la généalogie à celui de l’archéologie en convoquant les inventions techniques (1957, p. 189) :

Tant que restaient confondus les deux sens de phuein : produire et enfanter, comme les deux sens de genesis : origine et naissance, l’explication du devenir reposait sur l’image mythique de l’union sexuelle. Comprendre, c’était trouver le père et la mère, dresser l’arbre généalogique. Chez les Ioniens, les éléments naturels, devenus abstraits, ne peuvent plus s’unir par mariage à la façon des hommes. La cosmologie, par là, ne modifie pas seulement son langage ; elle change de contenu. Au lieu de raconter des naissances successives, elle définit les principes premiers, constitutifs de l’être. De récit historique, elle se transforme en un système qui expose la structure profonde du réel. Le problème de la genèsis du devenir, se mue en une recherche, par-delà le changeant, du stable, du permanent, de l’identique. En même temps, la notion de phusis est soumise à une critique qui la dépouille progressivement de tout ce qu’elle empruntait encore au mythe. On fait appel de plus en plus, pour rendre raison des changements dans le cosmos, aux modèles qu’offrent les ingéniosités techniques, au lieu de se référer à la vie animale ou à la croissance des plantes. L’homme comprend mieux et autrement, ce qu’il a lui-même construit.

30construction des savoirsépistémologieparadigme typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagerhétorique typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la Terre et de l'UniversastrophysiquecosmologieCe texte qui rend compte avec tant d’acuité du passage du paradigme botanique et généalogique au paradigme technologique de la cosmologie et de la phusis grecque, demeure aveugle à ses propres présupposés heurématographiques. On constate que la notion d’invention est élargie de façon à envelopper à la fois la construction d’un modèle de compréhension de la réalité et un modèle technique, avec cette conséquence inévitable de penser l’un à partir de l’autre. On le constate notamment aux moyens rhétoriques auxquels recourt Jean-Pierre Vernant pour pallier les aspérités rencontrées lors de son application. C’est ainsi que, dans une note, conscient de la difficulté que pose l’existence dans le « mythe » de nombreuses images techniques telles que le tissage ou le filage, la roue, la balance, il se sent obligé d’opérer un distinguo (1957, p. 189, n. 8) :

typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoirehistoire des techniquesÀ ce niveau de pensée, le modèle technique sert à caractériser un type d’activité, ou la fonction d’un agent : les dieux filent le destin, pèsent les sorts, comme les femmes tissent la laine […]. Dans la pensée rationnelle, l’image technique assume une fonction nouvelle, structurelle et non plus active. Elle fait comprendre le jeu d’un mécanisme.

31pratiques savantespratique intellectuelleabstraction construction des savoirsépistémologietechniqueOr, un peu plus loin, Jean-Pierre Vernant se place sous l’égide de… Bruno Snell lorsqu’il oppose Homère, pour lequel la comparaison technique exprime une manifestation « vitale et active », et Empédocle pour lequel elle exprime la structure permanente d’un objet ! C’est dire combien est fragile l’argumentation qui a pour but de faire de l’invention une transformation mentale, une révolution mentale, pour étayer la thèse selon laquelle les Grecs sont passés de la mentalité du mythe à celle de la pensée positive et abstraite. Il arrive même à Jean-Pierre Vernant de dire comme Benjamin Farrington, auteur en 1953 d’une Greek Science, que le rationalisme se rattache au progrès technique, tout en faisant remarquer avec George Thomson (auteur en 1955 de Studies in ancient Greek Society) que, sur le plan technique, la Grèce n’a jamais « rien inventé, innové » (1957, p. 191-192). Et il ajoute aussitôt cette curieuse remarque (1957, p. 192) :

Tributaire de l’Orient en ce domaine, elle ne l’a jamais réellement dépassé. Et l’Orient, en dépit de son intelligence technique, n’a pas su se dégager du mythe et construire une philosophie rationnelle.

32construction des savoirséconomie des savoirsinnovationCes contradictions traduisent les difficultés posées par l’urgence de se défaire de « l’immaculée conception de la raison » ainsi que la volonté de débarrasser la notion d’innovation du paradigme de l’invention au sens du Miracle grec : « Ces innovations qui apportent une première forme de rationalité ne constituent pas un miracle » (1957, p. 205). D’où la convocation des ressources épistémologiques du terme génétique « mutation » (la « mutation mentale » solidaire des transformations qui se produisent entre le vii e et le vi e siècle, à tous les niveaux des cités grecques), mais aussi, à la limite de la contradiction, celles de la métaphore de la racine qui permet d’installer le changement dans la continuité (« enracinée dans le passé », se « formant à partir de lui en même temps que contre lui »).

33De telles tensions peuvent assurément être réduites au style dialectique qui habite le projet de Jean-Pierre Vernant. Il ne faut pas toutefois que cette réduction dissimule le fait que toutes les informations dont dispose l’interprète sont distribuées en fonction d’un schème binaire dominant l’examen : le nouveau, l’invention (technique et mentale), et l’ancien, ou encore l’origine première et le nouveau commencement. L’équation qui consiste à poser le problème suscité par cette tension dialectique est en place, reste à trouver la solution.

34Cette solution est offerte par un autre paradigme dans la méthode de Jean-Pierre Vernant, ce qu’on peut appeler un paradigme du « chemin » ou de la « voie ». Partons de ce qu’il dit encore dans sa préface de 1968 (p. II-III) :

Dépouillée de sa prétention à incarner l’Esprit absolu, la Raison éternelle, l’expérience grecque […] prend tout son sens dès lors que confrontée aux grandes civilisations différentes comme celles du Proche-Orient, de l’Inde, de la Chine, de l’Afrique, et de l’Amérique pré-colombienne, elle apparaît comme une voie, parmi d’autres, dans laquelle l’histoire humaine s’est engagée.

35Voie différente sur le chemin de l’histoire et non plus, comme chez Bruno Snell, voie nouvelle et originale (1994, p. 214), telle est l’évidence grecque qui n’est plus singulière et incomparable, et peut éventuellement se répéter, la chronologie ne paramétrant plus l’histoire (Vernant 1968, p. 12-13) :

Une explication objective est celle qui atteint des rapports nécessaires, non pas purement temporels : de là vient, en particulier, qu’un même processus, par exemple le passage d’une mentalité primitive à une mentalité rationnelle, s’avère fort bien à des époques différentes dès lors qu’on le considère à des plans différents.

36typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesethnosciencePar exemple, l’on pense aujourd’hui que les sciences dont « l’invention » a été attribuée aux Grecs étaient présentes chez d’autres peuples : c’est le cas pour la géométrie qui existait chez les Indiens dans la période védique comme en témoignent les Sulbasûtras du dernier millénaire avant J.-C. Dans cette perspective, on s’intéresse plutôt aux situations qui ont favorisé l’étude de la géométrie, à savoir les nécessités rituelles. Ainsi le problème de la duplication du cube à propos de l’autel d’Apollon à Délos pour la Grèce, et le problème de la surface de l’autel de Agnicayana, une construction en forme d’oiseau, pour les Indiens, supposaient tous deux la connaissance du théorème de Pythagore (Seidenberg 1962).

37construction des savoirsépistémologiesigne typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesanthropologie typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagelinguistiqueOn se rapproche alors de la notion de structures de l’invention. Sans doute ne s’agit-il pas en toute rigueur chezJean-Pierre Vernant du concept de structure au sens où Claude Lévi-Strauss dégageait les structures élémentaires de la parenté en 1958. Les systèmes de parenté sont, au modèle de la linguistique structurale, des systèmes de symboles ou systèmes séméiologiques d’écarts différentiels ou de variantes qui obéissent à la nécessité de « remplacer un système de relations consanguines, d’origine biologique, par un système sociologique d’alliance » de sorte qu’on pourrait exprimer mathématiquement au moyen d’une algèbre de groupes de transformations « tous les systèmes d’échange concevables entre n partenaires pour en déduire les règles de mariage à l’œuvre dans les sociétés existantes.» (Lévi-Strauss 1974, p. 75). Si Jean-Pierre Vernant n’hésitait pas à parler d’une « rupture épistémologique » à propos de l’anthropologie structurale (1974, p. 238), en lui reconnaissant le mérite d’avoir dégagé la notion de système symbolique de relations, il ne convoque pas la notion de variante comme le fait Claude Lévi-Strauss. Pour lui la variante demeure une version singulière qu’il faut examiner comme telle dans un contexte historique en rapport avec une mentalité suivant la psychologie historique d’Ignace Meyerson 11.

38Dans cette perspective, les métaphores du chemin, de la route ou de la voie impliquent l’abandon du schème de l’invention compris comme une découverte et une création inaugurale. Le commencement se répète et s’oublie pour devenir recommencement. Lorsque Marcel Detienne mentionne Aristote, c’est pour affirmer que « toutes les inventions ont été trouvées une infinité de fois » (1981, p. 13).

39espaces savantsterritoire pratiques savantespratique intellectuellecomparaison construction des savoirsépistémologieméthodeIl en découle que le concept d’invention devient lui-même problématique. Marcel Detienne qui a effectué en 1990 une enquête sur une catégorie proche de celle de l’invention, la fondation, recourt à cet exemple afin d’illustrer sa méthode définie comme « comparaison de l’incomparable » (2009, p. 44-56), suivant laquelle il s’agit de construire des catégories aptes à faire surgir des dissonances. La méthode de l’enquête doit examiner aussi bien l’Inde védique que les sociétés africaines, et des sociétés les plus éloignées les unes des autres, jusqu’à ce qu’on découvre une société dans laquelle il n’y a pas de fondation mais une restauration, comme c’est le cas du Japon. On est ici devant la « dissonance » qui suffit à ébranler une catégorie qui semblait aller de soi. On s’interroge alors sur la catégorie en question, à savoir quel rapport entretient la fondation avec des notions comme l’habitation ou la localisation, pour faire ressortir la différence essentielle : fonder c’est « établir un territoire ». La recherche se poursuit avec cette nouvelle catégorie afin d’observer ses rapports avec d’autres voisines, telles que commencer, inaugurer, historiciser, historialiser ou encore avoir des racines, etc.

40Avec une telle méthode, on comprend que Marcel Detienne ait creusé de manière significative le décalage ou l’écart épistémologique entre l’invention comme mutation dans une évolution mentale, et l’invention comme idéologie. Ainsi, l’évolution de la pensée mythopoiètique des Grecs vers la rationalité est comprise en un sens critique quasi ironique : si nous sommes les héritiers des Grecs, c’est avant tout et surtout parce que nous sommes prisonniers de notre rationalité. En mettant en évidence le caractère idéologique de l’anthropologie d’un Max Müller ou d’un Edward Tyler, Marcel Detienne débarrasse l’anthropologie de ses attaches avec l’idéal du « progrès civilisatoire ». De même, désormais coupée de son sol proto-logique, l’invention n’est plus rupture ou mutation, elle est création au sens d’idéologie, de représentation phantasmatique. Or, il est intéressant de remarquer que cette redéfinition passe par une réflexion sur la notion d’archè et par la prise de conscience du caractère pragmatiquement auto-référentiel de l’entreprise archéologique (Villani 1992) :

construction des savoirstraditionfondationLa Grèce est le pays des commencements. Les Grecs réfléchissent sur l’archè au sens d’inaugurer, ils se pensent comme des gens qui ont commencé toute une série de choses. L’attention se porte très vite chez eux sur l’inventeur, dans un temps des hommes, séparé, mais en même temps voisin de celui des dieux, sans être oblitéré par le poids de ces dieux. D’où une subtile enquête sur les manières d’inventer, et l’invitation à poser les questions de l’initium à partir du champ grec.

41construction des savoirstraditionmythe typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesarchéologieParallèlement à la déconstruction de la mythologie, Marcel Detienne entreprend celles de l’archéologie et de la généalogie, en faisant ressortir leur caractère épidictique, rhétorique, et relatif à une idéologie politique : la pratique de reconnaissance des familles nobles à travers l’armorial et la généalogie, doublés, au moment de la colonisation, par les récits sur les origines et la fondation des cités. L’Archéologie désigne le répertoire généalogique des logographes ou des sophistes comme Hippias, répertoire qui s’étend des théogonies aux récits de fondation d’une cité.

42construction des savoirstraditionarchivage typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesarchéologieTel est le soubassement « archiviste » de l’archéologie. Toute archéologie est gestion de la trace, son contrôle sélectif, sa hiérarchie. L’archivation est hiérarchie, travail d’organisation de ce qui doit survivre en fonction de conditions évaluatrices. On évalue ce qui mérite d’être gardé ou oublié en fonction de ce qui possède un intérêt pour la cité. Et en un sens, on peut affirmer que l’archive est toujours tournée vers l’avenir. Or, si la pratique d’archivage est attestée depuis l’Âge de Bronze en ce qui concerne le Moyen-Orient, il semble qu’en ce qui concerne les Grecs, elle remonte au iv e siècle (Detienne 1981, p. 66), ce que confirme Stella Georgoudi dans son examen du Metrôon d’Athènes, dépôt de lois et de décrets, alors que les temples recevaient les archives propres aux phratries ou aux dèmes (1988, p. 228-233).

43pratiques savantespratique discursiveoralitéSelon Detienne, la cité est orale, elle méprise l’archive (1981, p. 67). Les Grecs sont oublieux comme le rappelle le Critias de Platon (que Detienne cite à la p. 166). Mais n’en résulte-t-il pas, contre toute attente que, si l’oralité implique l’absence d’archive, elle favorise en réalité le pire des archivages ?

Il y a des œuvres d’art qui survivent, d’autres qui ne survivent pas. Il y en a qui vont dans les musées, et il y en a qu’on oublie, qui se détruisent. Il y a des œuvres littéraires sans génie et qui restent, et on soupçonne qu’il y a pu y avoir des œuvres littéraires, artistiques, picturales, cinématographiques peut-être géniales dont on ne garde pas l’archive, dont l’archive pour une raison ou pour une autre, n’a pas été ou a même été détruite. Et par définition on ne saura jamais, puisque ça a été détruit […] (Derrida 2014, p. 64).

44C’est en conséquence à l’épreuve de la différence de l’écriture et de l’oralité que la notion d’invention devient synonyme d’idéologie, pour une anthropologie qui saisit qu’il faut en finir avec un certain concept d’invention noué à la tradition du prôtos heuretès, « premier inventeur ».

45pratiques savantespratique artistiquepratique musicale construction des savoirstraditionPrenons l’exemple de la musique ancienne qui offre certains des témoignages les plus anciens de cette tradition (Wersinger 2014 ; 2016)12. C’est la musique telle qu’elle est reconstruite par les historiens grecs, transcrite sur papyrus, une musique en « trompe-l’œil » selon l’expression de Florence Dupont (1994, p. 76), archivée et liée à une institution de concours musicaux dans le cadre de performances agonistiques soumises à évaluation lors de festivals, qui, aux xix e et xx e siècles, est assimilée à la musique authentique et originelle grecque. Tout se joue dans la notion de « commencement ». Dans le modèle historiographique du traité sur la musique attribué faussement à Plutarque (qui comprend de nombreux extraits de la pensée d’Aristoxène de Tarente 13), le commencement se confond avec une invention première, la musique devenant une série d’inventions successives :

Maintenant que j’ai décrit, au mieux que j’ai pu, la première musique et ses premiers inventeurs (peri te tês prôtès mousikês kai tôn prôtôn heurontôn autèn), et mentionné les gens qui ont ajouté à ses ressources à travers le temps avec des inventions supplémentaires (kai hupo tinôn kata chronous taîs prosexeuresesin èuxètai) (Plutarque, De la Musique, 1135d7-9).

46typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophieontologieDe plus, ce concept d’invention implique une ontologie de type platonicien :

Il est visible qu’Olympos développa la musique (auxèsas mousikèn) en introduisant quelque chose qui n’existait pas avant (tôi agenèton ti) et était inconnu à ses prédécesseurs (kai agnooumenon hupo tôn emprosthen eisagageîn) et qu’il devint le fondateur (archègos) de la musique grecque et noble (Plutarque, De la Musique, 1135B10-C2).

47construction des savoirstraditionfondation typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophieL’inventeur, qui est un initiateur, un fondateur (archègos), crée à partir du non-être. Quelque chose qui « n’existait pas » s’est mis à exister, ce qui correspond à la définition de la production (poièsis) au début du Sophiste de Platon (219b4-6).

48typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophieontologieBref, l’invention au sens du prôtos heuretès convoque une dimension ontologique, didactique (le passage à la connaissance), fondatrice (l’inauguration d’un commencement) ; et elle édifie une archéologie disciplinaire postulant une série successive de commencements.

49pratiques savantespratique artistiquechantAu contraire, au chant VIII de l’Odyssée, l’aède Démodocos est dit « commencer avec le dieu » (theou archeto), ce qui signifie à la fois qu’il chante un hymne, le verbe archein indiquant la marque rituelle du chant mais aussi le fait de lancer le signal du chant en un sens performatif (Nagy 2002, p. 72 ; Letoublon 2012, p. 23). De même le poète-musicien Archiloque est dit « avoir commencé le beau melos » (kalon exarxai melos) pour donner le signal du dithyrambe (fr. 120 West). Il n’a rien à voir ni avec un prôtos heuretès,ni avec un novateur. Or il s’agit d’une tradition orale et surtout aurale, interactive et improvisée, de chant et de danse, distincte de celle de la musique des concours et des virtuoses soumis à évaluation et archivés.

50construction des savoirstraditioninvention construction des savoirséconomie des savoirsinnovation typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoire typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesanthropologieÀ la lumière de tels faits, on comprend pourquoi les anthropologues comme Marcel Detienne emploient le mot invention au sens d’idéologie. Il faut se prémunir contre la puissance persuasive d’un paradigme de l’invention aux connotations ambiguës, démiurgiques et prométhéennes « civilisationnistes », ou « ethnocentriques ». Ainsi, lorsque Marcel Detienne use du mot invention à propos de la Mythologie, c’est au sens de « fiction », « d’illusion essentiellement mouvante », « d’ombre portée d’une raison ou d’une religion de circonstance, chaque vision du monde inventant sa mythologie, ou découvrant une mythologie toujours nouvelle » (1981, p. 230). Lorsque Nicole Loraux emploie le mot invention, à propos d’Athènes, c’est au sens à la fois de la fiction rhétorique d’une Athènes suscitée par l’épithaphios et de la représentation que la démocratie athénienne masculine s’est donnée d’elle-même à travers une institution de parole, autrement dit au sens d’idéologie, mais il s’agit aussi, plus subtilement, de l’image d’Athènes créée par cette idéologie chez les historiens eux-mêmes. Le mot invention dans ces derniers exemples est plus ou moins synonyme d’idéologie, soit au sens de l’ensemble des idées et des croyances propres à une société (Wagner 1975), soit au sens marxiste comme le disent explicitement Mario Vegetti (1975) ou Nicole Loraux (dans sa préface de l’édition de 1993, p. 19)14.

51Se pose alors une question cruciale : pourquoi conserver le mot invention dont les connotations sont si ambiguës ? Faut-il voir dans cet étrange conservatisme verbal l’effet d’une méfiance encore vivace à l’égard du mot idéologie15 ?

52Ce que montre ce rapide parcours, c’est qu’il n’est peut-être pas certain qu’on en ait fini avec l’idéologie de l’invention. L’invention semble être le lemme ou le résidu in-interrogé d’une anthropologie fondée sur une méthode historiciste qui prend conscience du fait qu’elle est piégée par les constructions idéologiques préparées en amont par son objet d’étude, dont l’archive constitue l’illustration la plus saisissante.

53typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et sociales pratiques savantespratique intellectuellecritique construction des savoirstraditionhistoriographie typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesanthropologieDès lors qu’on prend conscience du caractère idéologique de ces questions, peut-on continuer à demander : qui est le premier ? Quel commencement ? Quel père fondateur ? Continuer à dire « invention » lorsqu’on pense idéologie, revient à dissimuler la profonde aporie suscitée par la prise en compte de l’idéologie dans l’anthropologie. Car c’est, pour ainsi dire, un balancement disciplinaire entre, d’une part, une science critique ou analytique des idéologies et, d’autre part, les sciences anthropologiques et historiques, qui se joue à travers ce conflit épistémologique entre les registres de l’explication de dicto et de re. Et cette aporie pourra sembler d’autant plus vertigineuse qu’elle est attisée aujourd’hui par la logique de l’innovation et de l’heuristique par obsolescence programmée qui emporte la recherche actuelle, y compris dans les sciences humaines. Ce n’est plus un secret pour personne que l’économie contemporaine qui mobilise l’ensemble des ressources non seulement naturelles mais aussi symboliques et immatérielles comme l’éducation et la recherche, repose sur une dynamique de l’innovation dont le moteur est la destruction de plus en plus rapide. L’« invention innovante », est alors la figure mystificatrice de la « destruction créatrice » selon la formule de l’économiste Joseph Schumpeter, préconisée aujourd’hui dans nos programmes de recherches universitaires fondés sur la concurrence, et dont le poids risque de peser encore lourdement contre le projet souhaitable d’une anthropologie comme science critique des idéologies.

Notes
1.

Environ 710 titres de l’Année philologique portent cette mention avec une croissance nette à partir des années 2000. Pour une liste indicative, voir la bibliographie.

2.

Les guillemets suggèrent que le statut du terme événement ne va pas non plus de soi (Choplin et Soulier 2014, p. 351-364).

3.

Sur cette tradition bien connue, Kleingünter 1933 ; Brelich 1978 ; Zhmud 2006.

4.

Sur les modalités de la révélation : Festugière 1981, p. 348-354.

5.

Vitruve mentionne une série de traités d’architecture : De l’architecture, VII, introduction (Gros 2015).

6.

Kleingünter 1933. Notons que Vernant (1971, p. 12) n’accorde que peu de place à cette question.

7.

Ajoutons qu’ils allaient jusqu’à reconnaître les animaux comme leurs maîtres, et ce dès le vii e siècle, comme en témoigne le fragment d’Alcman (fr. 39 Page) qui proclame qu’il inventa (heure) des vers et un melos en composant à partir de la voix (opa) modulante (geglôssamenon) des katabis (des perdrix, selon Athénée 9, 43, 4).

8.

J’emprunte la formule à Atkinson (2007).

9.

Dans la traduction française (Onians 1999, p. 7), ce vocabulaire est évité : « la souche mère » traduit « the parent stem » ; « les ancêtres » traduit « the race » ; « sur fond de cet héritage » traduit « this racial scheme ». C’est d’autant plus surprenant que l’expression « converging races» est quant à elle traduite par « races convergentes ».

10.

Vernant suit Gernet (1968, p. 425).

11.

Nous ne sommes évidemment pas concernés dans cette étude par un examen exhaustif de tous les points de convergence et de divergence qui existent entre les deux auteurs et leurs méthodes (Salmon 2007, p. 42-65).

12.

L. Zhmud (2006, p. 24-25) fait remonter l’origine du protos heuretès au fragment du Phoronis anonyme cité par Apollonios de Rhodes (fr. 2 Bernabé) et que l’on situe entre le vii e et le vi e s. av. J.-C., selon lequel les Dactyles de l’Ida, les géants magiciens (goètes) sont les premiers inventeurs du fer (prôtoi … heuron). Mais il ne faut pas négliger qu’on leur attribue aussi la transmission de la musique et de l’enchantement à Orphée.

13.

Barker 2007, p. 63.

14.

Mon propos présent n’étant pas de définir l’idéologie, il n’est pas possible, faute de place, de développer cette remarque concernant Nicole Loraux.

15.

Par exemple, Jacqueline de Romilly (1979, p. 31-33) jugeait ce terme inadéquat s’agissant de son application à la Grèce ancienne, lui préférant … celui d’invention !

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