Martin Andler

Introduction

1inscription des savoirsécriturechiffreDans le roman Contact de Carl Sagan 1, les radiotéléscopes du monde entier reçoivent des signaux extraterrestres énumérant la suite des nombres premiers : 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, 29, 31… Comme il n’existe aucun processus naturel qui puisse produire cette énumération, le signal reçu indique très clairement qu’il émane d’êtres ayant une forme d’intelligence avancée.

2typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesmathématiquesgéométrie typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesmathématiquesalgèbre typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesmathématiquesRappelons ce que sont les nombres premiers. Les enfants apprennent à compter, c’est-à-dire apprennent les nombres entiers « naturels » 0, 1, 2, 3… ceux avec lesquels on peut dénombrer les objets d’une collection : nous avons 1 nez, 2 bras, 32 dents ; il y a 27 élèves dans cette classe, 63 185 925 habitants en France en 2006 2

3inscription des savoirslivrecolonneOn apprend la multiplication au CP, et la division peu après. Apparaissent donc certains nombres entiers, les nombres premiers, qui ont la propriété de n’avoir aucun diviseur en dehors d’eux-mêmes et 1. Géométriquement, un nombre p est premier si on ne peut en aucune manière disposer une collection de p objets dans un ordonnancement rectangulaire fait de lignes et de colonnes régulières.

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11 est premier 12 n’est pas premier

4Il est très facile de vérifier si un nombre entier est premier : on essaie de le diviser par les nombres plus petits que lui autres que 1. Si l’on échoue, c’est que le nombre est premier3, d’où la liste entamée plus haut : 2, 3, 5, 7… S’il n’est pas certain que tout être intelligent aurait perçu l’intérêt des nombres premiers et donc découvert cette liste, en revanche l’argument de Carl Sagan selon lequel cette liste serait une manifestation d’intelligence supérieure est convaincant.

5Cette remarque mérite que nous nous y arrêtions un instant : s’il y a d’autres formes d’intelligence que la nôtre, en admettant que l’on puisse, comme cela a été abondamment envisagé dans la science-fiction, capter des signaux manifestant une forme d’intelligence, leur interprétation serait probablement à jamais impossible : si les Martiens discutaient de l’existence de Dieu, le saurait-on ? Tandis que les nombres premiers…

6construction des savoirsépistémologieconnaissance construction des savoirsépistémologiethéorie construction des savoirslanguelangue savantegrecLeur étude a commencé avec les Grecs, comme le montrent les Éléments de géométrie d’Euclide 4 puis les travaux d’Ératosthène (276, Cyrène - 194, Alexandrie) et Diophante (200-284, Alexandrie) qui sont les débuts de ce qu’on appelle aujourd’hui la théorie des nombres. Depuis l’Antiquité, la théorie des nombres est au cœur du développement des mathématiques. Peut-on imaginer poursuite plus gratuite ? Car cela ne sert à rien. Ou, pour être précis, jusqu’à récemment on pensait que cela ne servait à rien, et les mathématiciens qui y travaillaient s’en glorifiaient, pensant travailler uniquement « pour l’honneur de l’esprit humain5 ». Les avancées des dernières décennies en cryptographie ont bouleversé leurs tranquilles certitudes : la théorie des nombres, loin d’être seulement recherche pure, est aujourd’hui une des branches les plus « utiles » des mathématiques, avec des applications à la transmission des données confidentielles, notamment militaires.

7inscription des savoirscodage de l’informationcode construction des savoirsépistémologiesignesymbole2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, 29, 31 : de ces signes tout de même inutiles les Grecs jugèrent utile de produire des propositions mathématiques : que dire des nombres premiers, et comment le dire ? Dans les signaux extraterrestres, ils sont codés comme une suite d’impulsions : 2 impulsions, puis 3, puis 5… Mais nous n’en usons pas ainsi, préférant le symbole 13 à : • • • • • • • • • • • • • . Symbole arbitraire certes, mais symbolisation constitutive de l’écriture des mathématiques, des mathématiques elles-mêmes.

Quelques transformations de l’écriture mathématique

8inscription des savoirsécritureNous nous limiterons ici à décrire les étapes essentielles de l’écriture des mathématiques « occidentales », celles qui sont nées en Grèce antique et se sont développées chez les Arabes à Bagdad au Moyen Âge en bénéficiant de l’apport indien, pour revenir en Europe à la fin du Moyen Âge et s’y épanouir à partir du xvii e siècle.

Page de géométrie, in Elementa Geometriae
            d’Euclide, Venise, 1482. British Museum, Londres.
Figure 1. Page de géométrie, in Elementa Geometriae d’Euclide, Venise, 1482. British Museum, Londres.

9construction des savoirsépistémologieméthode pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementdéduction La démarche déductive. Les Grecs apportent aux mathématiques et à leur écriture deux avancées décisives concomitantes. La première est la place centrale de la méthode déductive : on ne s’intéresse plus tant à disposer de méthodes de calcul plus ou moins précises ou de faits géométriques empiriques, mais à la production d’un raisonnement logique prouvant des énoncés généraux. Mais comme la déduction doit partir de quelque part, la deuxième avancée grecque, dont les Éléments d’Euclide sont caractéristiques, consiste à poser des axiomes, propriétés consensuelles considérées comme vraies au départ de la chaîne déductive6 : définitions, axiomes, propositions. La comparaison des Éléments avec un texte contemporain montre que sur ce plan la norme définie par Euclide reste actuelle.

Portrait de Leonardo
            Fibonacci (1170-1245).
Figure 2. Portrait de Leonardo Fibonacci (1170-1245).

10construction des savoirstraditiontransmission pratiques savantespratique lettréetraduction Système de numération. Par rapport à aujourd’hui, une des choses qui manquaient aux Grecs est le système de numération décimale ou un autre système d’efficacité comparable. Notre système est une « numération de position en base 10 » qui nécessite 10 symboles. Dans un tel système, l’interprétation des symboles, les chiffres, utilisés pour représenter les nombres, dépend entièrement de leur position. On en trouve les premières traces en Inde dès le vi e siècle, sans que l’on sache s’il avait été inventé par les Indiens, ou importé de Chine ou d’ailleurs. Au viii e siècle, sous l’impulsion du calife Al-Mamoun, Bagdad devient le principal centre mathématique du monde, bénéficiant à la fois de l’apport grec, par la traduction systématique par les savants de la Maison de la sagesse des manuscrits conservés à Constantinople, et de l’influence indienne. On y adopte rapidement le système indien de numération, probablement dès la première moitié du viii e siècle 7. La méthode se répand dans le monde arabe par l’intermédiaire des marchands, et c’est à Bejaia (dans l’Algérie d’aujourd’hui) que Léonard de Pise, alias Fibonacci, l’apprend à la fin du xii e siècle et l’expose dans son Liber Abaci 8. La numération dite « arabe », et en fait indienne, est ensuite progressivement adoptée dans toute l’Europe.

11typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesinformatiquealgorithmique et combinatoire pratiques savantespratique intellectuellecalculOn saisit bien le saut symbolique que représente la numération de position par rapport au système des chiffres romains. Alors pourquoi cette méthode difficile se répand-elle aussi universellement ? Une réponse est la facilité des calculs, c’est-à-dire l’existence d’un algorithme simple et efficace permettant d’effectuer les calculs (multiplication, division). Pour la multiplication, un tel algorithme est détaillé dans l’ouvrage d’Al-Khwarizmi 9, qui est pour l’essentiel le même que celui enseigné dans l’enseignement primaire : on apprend à « poser » sa multiplication et on combine des multiplications par les nombres à un chiffre et une addition – avec des « retenues » éventuelles à tous les stades10.

12construction des savoirsépistémologiedécouverte typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesmathématiquesalgèbre Calcul algébrique. Al-Khwarizmi est surtout l’inventeur de l’algèbre11. C’est lui qui, pour la première fois, donne la résolution complète des équations du second degré. C’est d’autant plus remarquable que ses calculs algébriques sont formulés par des phrases en langue naturelle. Pour lui, une équation se formule de la manière suivante : « un malet dix xayégale trente-neuf dirhams », ce qui se traduit en langage mathématique moderne par la résolution de l’équation x 2+10x = 39. Il faut attendre sept siècles pour que les algébristes italiens (Tartaglia, Cardan, Bombelli…) aillent au-delà, avec la résolution des équations du troisième degré. Mais chez eux comme chez Al-Khwarizmi, les calculs algébriques sont formulés en langue naturelle : dans les écrits de l’algébriste italien Cardan (1501-1576)12, on trouve des phrases du type :

prends le tiers du nombre des choses au cube, auquel tu additionnes le carré de la moitié du nombre de l’équation, et de tout cela tu extrais la racine carrée

13qui se traduit en langue moderne par l’expression

14construction des savoirsépistémologiesignesymbole Écriture symbolique. Une troisième révolution13 se produit avec l’invention de l’écriture symbolique, dont l’introduction revient à François Viète (Fontenay-le-Comte 1540 - Paris 1603). Son traité14 est le premier où l’on utilise systématiquement des lettres pour symboliser des quantités connues (les consonnes) ou inconnues (les voyelles). Notre usage de la lettre x en est directement issu. Cette révolution est confirmée quelques années plus tard par Descartes, dont l’écriture des mathématiques est très proche d’une écriture moderne, comme une lecture, même en diagonale, de l’appendice « Géométrie » du Discours de la méthode 15 suffit à en convaincre.

15construction des savoirsépistémologiefiction construction des savoirslangage et savoirsstyleL’écriture symbolique n’est pas seulement affaire de commodité. Revenons un peu en arrière avec l’invention par les algébristes italiens des nombres « imaginaires » au xvi e siècle. Dans les travaux de Cardan, puis de Bombelli, intervient, comme pur artifice de calcul, un « nombre », noté aujourd’hui i, dont le carré est -1 (i 2 = -1) ; ce « nombre » ne peut pas en être un au sens habituel du terme, car la règle des signes impose que le carré d’un nombre soit positif. Donc -1 ne peut pas être le carré d’un nombre : le « nombre » i est imaginaire. Mais une fois qu’on l’a accepté, on doit aussi accepter d’autres nombres tout aussi « imaginaires », que l’on peut obtenir par les opérations usuelles (addition, multiplication) à partir de i et des nombres réels (exemples : 3i, i+1). Pour Cardan et Bombelli, ces nombres imaginaires ne sont qu’un artifice, certes indispensable, pour le calcul des solutions de l’équation du 3e degré.

16Ils sont néanmoins appelés à jouer un rôle central dans toutes les mathématiques à partir du xviii e siècle, quand Leonhard Euler 16 introduit la notation i et fait des nombres imaginaires des objets d’étude en soi, même si, pour lui, ces nombres ne sont que des symboles. Ce n’est que bien plus tard, au xix e siècle, qu’on donnera à ces symboles un sens précis, comme objets géométriques ; en renversant le cheminement, on donne ainsi le statut de nombre à des objets géométriques17, ce qui sera une source considérable d’idées à partir du xix e siècle.

17construction des savoirsépistémologierévolution scientifiqueAvec le calcul symbolique apparaissent donc deux choses : un outil d’une incomparable efficacité, qui permet des calculs qu’on ne pouvait pas faire auparavant, mais aussi une méthode de création d’objets mathématiques nouveaux, dont l’acte de naissance consiste à préciser les règles de calcul auquel il obéit.

Portrait de Leonhard Euler (1707-1783).
            Gravure sans date du 
               siècle.
Figure 3. Portrait de Leonhard Euler (1707-1783). Gravure sans date du xix e siècle.

18typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la matièrephysique pratiques savantespratique intellectuellecalculAvant même Euler, c’est Leibniz qui, à la fin du xvii e siècle, est le représentant le plus caractéristique de cette approche. Entre 1666 et 1676 est inventé le calcul appelé « différentiel » ou « infinitésimal » de manière indépendante par Newton et Leibniz 18. Il s’agit de deux questions a priori distinctes : calculer les aires de surfaces délimitées par des courbes et calculer les tangentes à ces courbes. A posteriori, ce sont les deux faces du même problème. Il ne fait aucun doute que l’approche de Newton, inspirée par la physique, est plus propice à une présentation rigoureuse. Mais Leibniz a le génie des notations symboliques ; il a recours aux « infinitésimaux » – notion qui n’a aucun sens19 cohérent avec le reste des mathématiques – pour lesquels il invente les notations dx, dy… Leibniz n’y attache aucune interprétation mathématique rigoureuse, mais des règles opératoires précises et une heuristique qui lui permettent de construire une théorie efficace. Celle-ci s’impose dans l’Europe entière dès le début du xviii e siècle. L’explication en est simple : comme pour le système de numération de position et comme pour le calcul symbolique de Viète et Descartes, les notations de Leibniz, qui sont associées à des règles de calcul simples, ont l’avantage d’une ergonomie bien supérieure à celles de Newton.

19construction des savoirsépistémologievéritéÀ l’inverse du golem des légendes juives qui devenait vivant lorsque l’on inscrivait les trois lettres EMET formant le mot « vérité », mais pouvait être désactivé par les deux lettres MET du mot « mort », les symboles mathématiques, tels que l’imaginaire i d’Euler, ou le dx de Leibniz prennent vie une fois pour toutes.

Le texte mathématique

20inscription des savoirsgenre éditorialarticle construction des savoirslanguestyle inscription des savoirslivretexte typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesmathématiquesLes mathématiciens20 sont des écrivains : ils « produisent » des textes, surtout des articles de revues spécialisées, mais aussi des livres (monographies, manuels, ouvrages de synthèse). Comme la recherche en cours est publiée dans les articles, ce sont donc eux qui font la réputation des mathématiciens. Les articles ont le plus souvent entre un et trois auteurs, rangés par ordre alphabétique21. Leur longueur varie entre une dizaine de pages et une centaine, très rarement davantage. Parmi les mathématiciens, certains sont très prolifiques : Jean Bourgain, mathématicien belge né en 1954, établi aux États-Unis, médaillé Fields en 1994, est l’auteur ou co-auteur de 350 articles et monographies. Mais d’autres, également considérés, écrivent peu : la bibliographie complète d’Andrew Wiles, le mathématicien britannique né en 1953 qui a résolu la conjecture de Fermat (dont nous parlerons en détail plus loin), comporte seulement 24 entrées.

21construction des savoirsépistémologiehypothèse construction des savoirsvalidationexpérimentation construction des savoirsépistémologieméthode construction des savoirsépistémologieMais pourquoi la production de textes est-elle si importante ? Ce qui distingue le mathématicien d’un physicien ou d’un biologiste, qui écrivent eux aussi des articles scientifiques, c’est que leurs articles décrivent des dispositifs expérimentaux qui sont en principe reproductibles et/ou décrivent des observations qui peuvent être refaites ou corroborées. Le mathématicien, au contraire, produit un texte qui est sa propre réalité : il n’y a rien d’autre que la définition des objets, la cohérence des énoncés et le cheminement déductif qu’il contient. La vérification de l’article se fait de deux manières : soit par vérification directe de la correction des démonstrations, soit négativement par la production de contre-exemples pour certaines assertions qui y sont faites ou la mise en contradiction de certains énoncés par rapport au corpus établi de la discipline.

22inscription des savoirsgenre éditorialrevueIl se publie plus de 10 000 articles par an, dans un peu plus de 400 revues spécialisées, de qualités et prestiges très différenciés. La plupart de ces articles n’ont que très peu de lecteurs, parfois moins de dix en tout, et seul un petit nombre dépasse la centaine. Un article ne s’adresse qu’à des mathématiciens, et plus particulièrement aux spécialistes de la branche des mathématiques, voire de la spécialité, sous-spécialité… à laquelle l’article se rattache. L’article, s’il est lu, ne l’est pas nécessairement juste après sa parution22.

23inscription des savoirsécriturelettrelettre minuscule inscription des savoirsécriturelettrelettre majuscule construction des savoirsépistémologiesignesymboleDeux choses frappent immédiatement à la lecture d’un article de mathématiques. Rédigé le plus souvent en anglais, parfois en français ou dans d’autres langues, l’article est écrit principalement avec des phrases en langue naturelle, avec des symboles représentant les objets mathématiques considérés. L’abondance des objets, et la pauvreté de notre alphabet, rendent nécessaire de faire appel aux lettres grecques, à l’emploi différencié majuscules/minuscules, mais aussi à des fontes spéciales : caractères gras, italiques, anglaises, gothiques, chacune ayant sa propre signification (l’attribution d’un symbole, en particulier l’usage d’un alphabet ou d’une fonte sont a priori arbitraires ; mais l’usage impose certaines conventions).

24pratiques savantespratique intellectuelleformalisationLorsque les phrases en langue naturelle risquent de manquer de clarté, et seulement dans ce cas, l’écriture mathématique bascule dans la langue entièrement formalisée, où seuls les symboles ont droit de cité.

25Bien que ces textes contiennent peu de « formules », ils sont incompréhensibles pour le lecteur non mathématicien, parce qu’ils font immédiatement référence à des objets mathématiques sophistiqués dont la compréhension n’est possible que pour les happy few. Par exemple, le fameux article d’André Weil de 1964 23 commence ainsi :

L’intervention du groupe métaplectique comme deus ex machina dans l’étude des séries thêta a toujours été mystérieuse. L’objet de cet article est d’apporter…

26Même si chacun peut être sensible à l’élégance de cette première phrase, les deux termes « groupe métaplectique » et « séries thêta » opèrent une démarcation immédiate : sans même parler du grand public cultivé, un professeur agrégé de mathématiques ne tirerait pas grand-chose de la lecture de l’article de Weil, comme d’ailleurs de la plupart des articles récents de recherche mathématique.

27construction des savoirstraditionvulgarisationIl y a donc une frontière très nette entre texte savant et texte de vulgarisation : un texte de vulgarisation ne peut pas rendre compte complètement d’une avancée mathématique, car il ne contient pas les éléments nécessaires à sa validation comme vérité mathématique.

Études de cas

28construction des savoirsvalidationdémonstration construction des savoirsvalidationAyant mis en évidence le rôle très particulier du texte mathématique savant, c’est-à-dire de l’article de recherche, nous allons maintenant observer, à partir de deux exemples tirés des mathématiques des quinze dernières années, ses modes de validation. Tentons d’abord d’en présenter les critères. On peut considérer qu’il y en a trois :

  • intérêt et originalité des résultats et des méthodes : le résultat est-il intéressant ?
  • difficulté et élégance des démonstrations : le résultat est-il difficile ?
  • correction des démonstrations : le résultat est-il juste ?

29Ces trois critères ne se situent pas sur le même plan. Le troisième définit le caractère mathématique ou non de l’écrit. Il intervient comme préalable ; car, s’il n’y a pas de démonstration, il n’y a pas de théorème24 et il est donc inutile de se prononcer sur l’intérêt ou la difficulté de l’article.

30construction des savoirsvalidationdémonstration Le théorème de Fermat.Le premier est la démonstration, en 1994, par le mathématicien Andrew Wiles, du fameux « grand théorème de Fermat »25. L’énoncé de Fermat est un des très rares que l’on puisse comprendre avec les connaissances du « socle commun » enseigné au collège.

Soit n un entier supérieur ou égal à 3. L’équation x n + y n = z n n’admet pas de solution entière (c’est-à-dire avec x, y, z entiers) avec x, y et z non nuls26.

31inscription des savoirslivremargeLe mathématicien français Pierre de Fermat (1601-1665), magistrat de profession, prétendait en avoir une démonstration, mais ne l’avait pas révélée malgré l’insistance des mathématiciens de son temps : il avait écrit vers 1637, dans la marge de son livre de chevet, l’Arithmétique de Diophante, l’énoncé du théorème, ainsi que la phrase :

De cette chose admirable cette marge trop étroite ne contiendrait pas la démonstration27.

32construction des savoirsépistémologiehypothèseDepuis, de nombreux cas particuliers (pour des valeurs particulières de n) avaient été résolus, mais les nombreuses tentatives, par les plus grands mathématiciens, pour en donner la démonstration dans le cas général avaient toutes échoué. Bref, le théorème de Fermat n’était qu’une conjecture, comme les mathématiciens appellent une proposition qui n’est pas démontrée, mais pour laquelle il existe des indices et intuitions convaincants de ce qu’elle est vraie. En l’occurrence, la conjecture était tellement célèbre qu’elle était couramment abrégée en « Fermat » tout court : « Il travaille sur Fermat », « Ceci réduit Fermat à… »

33Les attaques successives, au cours des années, de Fermat, avaient fait évoluer le problème. La formulation de la conjecture de Taniyama-Shimura-Weil à la fin des années 1950, puis les travaux de Hellegouarch, Frey et Serre avaient abouti à la démonstration, en 1986, d’un théorème de Ribet montrant que la vérité de la conjecture de Taniyama-Shimura-Weil impliquait celle de la conjecture de Fermat.

34pratiques savantespratique discursiveconférence espaces savantslieucongrès Andrew Wiles, mathématicien anglais né en 1954, professeur à l’université de Princeton, était considéré comme un des meilleurs spécialistes mondiaux de la « théorie des nombres », cette branche des mathématiques qui s’intéresse aux propriétés des nombres entiers. Pour autant, il publie peu, préférant se consacrer à des projets de longue haleine. Ainsi, en 1993, il n’a rien publié depuis plusieurs années. Lors d’un congrès en juin 1993 à l’institut Newton de Cambridge (Royaume-Uni), il doit donner une série de trois conférences sur un titre ésotérique pour le commun des mortels, évocateur pour les initiés « Formes modulaires, courbes elliptiques et représentations galoisiennes28 », mais en même temps assez vague pour ne rien révéler. La rumeur enfle, passant en quelques jours de « Va-t-il annoncer un progrès décisif vers Fermat ? » à « Va-t-il annoncer Fermat ? » En effet, à la fin de sa troisième conférence, Wiles annonce la démonstration d’un cas particulier de la conjecture de Shimura-Taniyama-Weil – cas particulier certes, mais suffisant pour que la conjecture de Fermat s’en déduise !

35construction des savoirsépistémologieerreur construction des savoirsvalidation inscription des savoirsgenre éditorialarticle inscription des savoirsgenre éditorialrevueReste une barrière décisive : sa démonstration est-elle correcte, et en particulier est-elle complète ? Sept ans de travail acharné sont en jeu. L’article de 200 pages est tout de suite soumis à la revue mathématique allemande Inventiones Mathematicæ. L’éditeur, l’américain Barry Mazur, désigne, à la place des deux qui sont la norme, un groupe de six « referees », ces relecteurs qui doivent, comme pour toute revue à comité de lecture, donner un avis sur la nécessité de la publication. L’un des six, Nick Katz, collègue de Wiles à Princeton, chargé plus particulièrement du chapitre 3, y consacre son été. Par souci de ne rien laisser au hasard, il se fait assister par Luc Illusie, professeur à Orsay. L’un et l’autre sont des mathématiciens de premier plan, connus pour leur rigueur. Ils lisent ligne à ligne, avec pour but de comprendre les arguments avancés, et parfois ils restent bloqués. Ils interrogent alors Wiles par courrier électronique et obtiennent dans un délai de quelques heures une réponse qui apporte les précisions nécessaires. Mais la question qu’ils posent le 23 août reste sans réponse. Dans le courant du mois de septembre, Wiles se rend compte qu’il y a une erreur.

36Des rumeurs se répandent, et finalement, Wiles lui-même annonce en décembre qu’il y a une « lacune » dans sa démonstration et ajoute qu’il espère pouvoir la combler rapidement29.

37Il décide en janvier 1994 de faire appel à Richard Taylor, son ancien étudiant, désormais professeur à Harvard. Ils travaillent tout le printemps et tout l’été. Wiles est sur le point de renoncer. Mais en septembre, il comprend brusquement comment combler la lacune. L’article de 1993 est transformé en deux articles, l’un de Taylor et Wiles, l’autre de Wiles seul. L’architecture générale reste la même : ces articles démontrent ce cas particulier de Shimura-Taniyama-Weil 30 qui implique Fermat. Cette fois, la plus grande partie de l’article de 1993 ayant déjà passé le test de la vérification avec succès, ce qui reste est plus facile, et les deux articles sont publiés rapidement, dès 1995, dans la revue Annals of Mathematics 31.

38Pour notre propos ici, l’intérêt de cette longue histoire est d’abord qu’elle montre que la lecture d’un texte mathématique peut demander un effort énorme. Il ne s’agit pas ici seulement de son caractère ésotérique pour le non-mathématicien, qui va de soi comme l’introduction du chapitre II de l’article de Wiles le montre :

Ce chapitre est consacré à l’étude de certaines représentations galoisiennes. Dans la première section, nous introduisons et étudions la théorie des déformations de Mazur et en étudions divers raffinements. Ces raffinements seront nécessaires pour rendre précise la correspondance entre anneaux universels de déformation et anneaux de Hecke32.

39construction des savoirsvalidationconfirmationCet effort de compréhension a été effectué, pour le texte de Wiles, par quelques-uns des meilleurs spécialistes mondiaux33 du sujet abordé, ceux-là mêmes qui avaient essayé de démontrer la conjecture. Ils étaient, pour la plupart, présents lors de la conférence de CambridgeWiles avait annoncé sa démonstration. Et ils étaient bien sûr volontaires pour participer à la relecture du manuscrit, aboutissement d’un effort collectif étalé sur des centaines d’années.

40La conjecture de Fermat est un de ces grands problèmes qui structurent les mathématiques sur la longue durée ; les efforts pour la résoudre ont fait naître, en plus de trois cent cinquante ans, de nombreuses idées nouvelles, profondes, dont les conséquences sur le développement des mathématiques vont bien au-delà du problème posé par Fermat. Car paradoxalement, l’équation de Fermat est sans grand intérêt, et la réponse apportée par Wiles n’a guère de conséquences34. Certains ont même regretté la disparition de ce véritable moteur de découverte qu’était la poursuite de la conjecture Fermat, regret tempéré par la nouveauté et les conséquences des méthodes de Wiles.

41La conjecture de Poincaré. Deuxième exemple, la résolution toute récente de la conjecture de Poincaré par le mathématicien russe Grigori Perelman. C’est Poincaré qui, en 1904, posa la question suivante :

Est-il possible que le groupe fondamental d’une variété V de dimension 3 se réduise à la substitution identique, et que pourtant V ne soit pas la sphère35 ?

42Question rhétorique, car Poincaré pensait que la réponse était négative.

43En langage mathématique contemporain, la conjecture se traduit par : Si une variété compacte de dimension 3 est simplement connexe (SC), alors cette variété est homéomorphe à la sphère de dimension 336. Poincaré sait bien que cette dernière propriété est vraie en dimension 2. Essayons d’abord de comprendre ce cas « bien connu ». Quand le mathématicien parle de sphère, il distingue l’objet plein, appelé boule, de sa surface, la pellicule sans épaisseur séparant intérieur et extérieur, que l’on appelle sphère. Ainsi, la surface de la Terre est une sphère37, dont tous les points sont à 6 378 km du centre, mais les personnages de Jules Verne voyagent dans la boule. Ce que nous mangeons d’une orange est son intérieur, la boule, et non la peau, la sphère. Une sphère est de dimension 2, car il faut exactement deux paramètres pour y repérer un point : dans le cas de la Terre, la longitude et la latitude, tandis que la boule est de dimension 3, car un point de la boule est repéré par sa longitude, sa latitude et sa profondeur.

44Du point de vue de la topologie, la boule est un objet très simple, tout simplement parce qu’on peut rapetisser une boule à l’infini jusqu’à un point sans en changer la forme. Ce n’est pas le cas pour la sphère, qui est donc plus intéressante. La principale observation est qu’on ne peut pas attraper un objet sphérique, par exemple un ballon, avec un lasso : dès qu’on serre le nœud coulant, la corde glisse sur le ballon et finit par ne rien enserrer. C’est cette propriété qu’on exprime mathématiquement par « la sphère est SC  ».

45Une surface ayant la forme d’une chambre à air n’est pas SC  : on peut nouer une corde autour de la chambre à air de telle façon qu’il ne sera pas possible de l’enlever sans défaire le nœud, casser la corde ou déchirer la chambre à air. Une chambre à air ne peut pas être déformée en un ballon, mais un ballon de rugby peut être déformé en ballon de football. Ces faits sont des manifestations visibles de la propriété de Poincaré en dimension 2 : une variété SC de dimension 2 est homéomorphe à une sphère.

46Concevoir ce qu’est une sphère de dimension 3 n’est pas chose facile ; de même qu’une sphère de dimension 2 ne peut être comprise que baignant dans un espace de dimension 3, une sphère de dimension 3 ne peut être comprise que baignant dans un espace de dimension 4, dont notre intuition géométrique ne rend pas compte. L’idée géniale de Poincaré est que ce qui vaut en dimension 2 doit être également vrai en dimension 3.

47construction des savoirsvalidationéchec pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementdémonstrationDans le courant du xx e siècle il y eut de nombreuses tentatives pour démontrer la conjecture de Poincaré. Toutes ont échoué, malgré quelques annonces prématurées réduites à néant par la mise en évidence d’erreurs ou de lacunes dans la démonstration : il y un véritable cimetière d’annonces ratées38, sans parler évidemment des bien plus nombreuses tentatives dont les auteurs ont compris par eux-mêmes qu’elles n’aboutiraient pas.

48La conjecture de Poincaré fut rapidement généralisée aux dimensions supérieures à 3. La formulation en est un peu plus compliquée, et nous ne la donnerons pas ici. Curieusement, les généralisations se sont révélées plus faciles à démontrer que le problème initial : en 1960, le mathématicien américain Stephen Smale donna une démonstration valable en toute dimension ≥ 5. Il fallut encore attendre plus de vingt ans pour qu’un autre mathématicien américain, Michael Freedman, s’appuyant notamment sur des résultats du Britannique Simon Donaldson, donne la démonstration en dimension 4. Pour leurs travaux, Smale, Freedman et Donaldson obtinrent tous trois la médaille Fields, Smale en 1966, Freedman et Donaldson en 1986. Et il fallut encore vingt ans pour qu’un mathématicien russe, Grigori Perelman, publie, en 2002 et 2003, trois prépublications sur le site arXiv annonçant la démonstration en dimension 3.

49Perelman suivait une voie ouverte en 1982 par William Thurston, lui aussi médaillé Fields, et par Richard Hamilton. Thurston avait formulé, dans le cadre d’un ambitieux programme pour « comprendre la dimension 339 », une conjecture dite de « géométrisation » qui impliquait celle de Poincaré. Indépendamment, Hamilton avait proposé une approche utilisant une équation aux dérivées partielles, donc des méthodes d’analyse, pour s’attaquer au problème, et la série d’articles qu’il publie entre 1982 et 1997 fit faire de grandes avancées dans cette direction.

50La parution des prépublications de Perelman suscita immédiatement une énorme curiosité, malgré le scepticisme induit par le nombre important d’échecs précédents, puis une intense activité (aux États-Unis, en Chine, en France…) pour comprendre les idées et vérifier si la démonstration était complète. En 2003, la prudence est encore de mise ; l’éminent mathématicien américain John Milnor écrit :

Néanmoins, il est clair qu’il a introduit des méthodes nouvelles qui sont à la fois puissantes et belles, et qu’il a apporté une contribution substantielle à notre compréhension40.

51En 2005, après deux années de travail collectif à Grenoble sur les manuscrits de Perelman, deux mathématiciens français, Laurent Bessière et Gérard Besson, expriment un optimisme prudent :

Les articles de Perelman sont difficiles à lire et leur vérification pas encore terminée, notamment en ce qui concerne l’étude en temps long du flot avec chirurgie. […] À ce jour, mon humble avis est que la conjecture de Poincaré est prouvée41.
Toutefois, le cas de la conjecture de Poincaré est plus « simple » dans le schéma de G. Perelman. […] L’auteur du présent texte est convaincu que les conjectures 0.1 et 0.2 sont prouvées42.

52espaces savantslieucongrèsEn mai 2006 la prudence est abandonnée : le comité Fields décide d’attribuer à Perelman une des médailles Fields qui doivent être décernées l’été suivant au congrès de Madrid. Sollicité, celui-ci répond en substance au président de l’Union mathématique internationale que le prix est sans aucune importance pour lui, ajoutant cette phrase sublime43 :

Tout le monde comprenant que [ma] démonstration est correcte, aucune autre reconnaissance n’est nécessaire.

53Ce refus fait les titres de journaux, heureux de confirmer ainsi le cliché du savant fou – et en effet, Perelman est un personnage pour le moins excentrique. Les autres médailles Fields passent au second plan, ainsi que l’ampleur de la réalisation de Perelman lui-même.

54*

55pratiques savantespratique intellectuellejugementNous avons indiqué ci-dessus trois critères de jugement d’un résultat mathématique : intéressant, difficile, juste. On ne s’étonnera pas que les deux narrations de la section précédente confirment la pertinence de ces critères.

56construction des savoirsvalidationvérité Vérité. On s’attend qu’une assertion mathématique soit évidemment juste, comme 2 + 2 = 4, ou évidemment fausse : c’est presque le sens courant du mot mathématique. Nos exemples ont montré, au contraire, à quel point il est difficile d’établir un jugement.

57Intérêt et difficulté. Si les résultats annoncés par Wiles et Perelman n’avaient pas été intéressants, ils n’auraient pas suscité un tel effort de vérification. Les problèmes étaient anciens, et c’est l’histoire qui leur avait donné leurs titres de noblesse : toute annonce de solution allait automatiquement susciter l’intérêt des spécialistes et bien au-delà. La difficulté des démonstrations allait de soi, ce que l’effort de vérification a confirmé. Dans un cas comme dans l’autre, les démonstrations n’ont pas déçu, bien au contraire, car elles ont l’une et l’autre dû surmonter des difficultés techniques considérables et se reposer sur des approches entièrement nouvelles.

58On voit ainsi, à travers ces exemples, à quel point les mathématiques s’écartent des clichés dont on les affuble :

  • les mathématiques ne sont pas une pure construction de l’esprit, car la réalité mathématique oppose à l’effort de vérité une résistance obstinée ;
  • les mathématiques ne sont pas un exercice de pure logique ou de simple comptabilité : esprit créatif et imagination sont constamment requis.

59construction des savoirsvalidationéchecLoin d’être un long fleuve tranquille, les mathématiques sont donc un sport de combat. Il faut non seulement travailler, mais construire un cadre approprié de langage. Par surprise, les symboles de ce langage prennent vie bien au-delà du cadre qui leur avait été assigné au départ. Et tout ce combat est mené au nom d’un objectif sublime et dérisoire de vérité, avec le risque permanent de l’échec.

Craindre l’erreur et craindre la vérité est une seule et même chose. Celui qui craint de se tromper est impuissant à découvrir. C’est quand nous craignons de nous tromper que l’erreur qui est en nous se fait immuable comme un roc. Car dans notre peur, nous nous accrochons à ce que nous avons décrété « vrai » un jour, ou à ce qui depuis toujours nous a été présenté comme tel. Quand nous sommes mus, non par la peur de voir s’évanouir une illusoire sécurité, mais par une soif de connaître, alors l’erreur, comme la souffrance ou la tristesse, nous traverse sans se figer jamais, et la trace de son passage est une connaissance renouvelée.
Alexandre Grothendieck 44.

60L’édifice ainsi construit est splendide. Mais nous autres mathématiciens savons bien, avant même de commencer, qu’à l’extérieur de notre discipline personne ne peut comprendre notre langue ni apprécier la beauté de notre travail. Et, au milieu du combat, nous découvrons que toutes les précautions que nous avons prises rendent même difficile la communication entre nous.

Notes
1.

Sagan, 1985. Film réalisé par Robert Zemeckis, avec Jodie Foster.

2.

Chiffres publiés par l’INSEE le 2 janvier 2009.

3.

Dans la pratique, c’est facile à faire uniquement pour des nombres assez petits. Sinon, la méthode est impraticable, car trop longue.

4.

Euclide.

5.

« Le but unique de la science, c’est l’honneur de l’esprit humain » (Jacobi, 1830).

6.

Le système d’axiomes est arbitraire, mais c’est la richesse de la théorie qu’on en déduit, richesse formelle ou capacité à rendre compte de la réalité physique, qui lui donne de la valeur.

7.

Il est exposé dans Al-Khwarizmi. Le mot « algorithme » est dérivé du nom du mathématicien de Bagdad Al-Khwarizmi (790-840) : le titre latin de l’ouvrage pourrait se traduire par : « Al-Khwarizmi sur l’art indien de la numération ». La notion d’algorithme, très importante historiquement, a pris une place centrale avec l’apparition de l’informatique : un programme n’est rien d’autre que l’écriture d’un algorithme dans un langage de programmation.

8.

Fibonacci, 1202.

9.

Ibid.

10.

Il y a ici un point mathématiquement délicat : la distinction entre nombre et écriture du nombre. Les nombres « 347 » et « 59 » s’écrivent respectivement 347 et 59. La multiplication « 347 » × « 59 » = « 20 473 » qui a pour écriture 20 473. L’algorithme de la multiplication donne une méthode pour établir cette représentation, justifiée par un théorème montrant qu’en effet le résultat de la multiplication et le résultat fourni par l’algorithme coïncident.

11.

Son ouvrage principal est Al-Khwarizmi, 825, Al Kitab al Mukhtasar fi Hosab al jabr wal-I-Muqabala, publié vers 825. Le mot « algèbre » est dérivé du mot « al jabr » contenu dans le titre du livre, qui en effet donne les bases du calcul algébrique.

12.

Cardan, 1545. La résolution elle-même est attribuée à Tartaglia, mais c’est Cardan qui la publie pour la première fois.

13.

Sur l’écriture symbolique en mathématiques et ses enjeux, on pourra se reporter à Serfati, 2005.

14.

Viète, 1591.

15.

Descartes, 1637.

16.

Mathématicien suisse (1707-1783).

17.

Il ne faut pas confondre cette rupture avec celle de Descartes, qui, par la méthode des coordonnées, rend compte de la géométrie par le calcul. Ici, ce sont les points de l’espace eux-mêmes qui deviennent des nombres. On pourra consulter Dhombres, 2005.

18.

Isaac Newton (Woolsthorpe 1642 - Londres 1727) a élaboré son « calcul des fluxions » dès 1666 ; mais la première publication le développant est Newton 1687. Gottfried Wilhelm Leibniz (Leipzig 1646 - Hanovre 1716) élabore son calcul différentiel entre 1673 et 1676, et l’expose dans Leibniz, 1684.

19.

Cette assertion doit être nuancée : la découverte de l’analyse « non standard » dans les années 1960, à partir des travaux des logiciens, a permis de donner un sens aux infinitésimaux de Leibniz.

20.

Par convention, dans ce texte, le mot mathématicien se réfère uniquement au chercheur en mathématiques qui travaille dans la recherche académique (quel que soit son statut : pour la France, enseignant-chercheur ou chercheur dans un organisme).

21.

Dans les sciences expérimentales, l’ordre dans l’énumération des auteurs est lié à l’importance de leur contribution individuelle, selon des conventions complexes.

22.

En biologie, la plupart des articles publiés sont cités dans un délai de trois ans après leur publication, après quoi ils ne le sont presque plus ; ce qui n’est pas du tout le cas en mathématiques où les citations s’étalent sur de nombreuses années.

23.

Weil, 1964.

24.

Il importe de nuancer cette affirmation. D’abord par une évidence : un article contenant en général plusieurs énoncés, il est possible qu’une erreur éventuelle n’entache qu’une partie des assertions de l’article. Mais de manière plus essentielle, il arrive qu’un travail mathématique dont les démonstrations sont incomplètes soit néanmoins considéré comme représentant une avancée importante (cf. Andler, 2005).

25.

Voir les détails dans l’excellent livre de vulgarisation : Singh, 1997. On pourra aussi consulter avec profit l’ouvrage plus érudit : Goldstein, 1995.

26.

Pour = 2, l’équation admet bien au contraire une infinité de solutions, dont la plus simple est = 3, = 4, = 5. Par le théorème de Pythagore, le cas = 2 s’interprète comme la recherche de triangles rectangles dont les longueurs des côtés sont des nombres entiers.

27.

« Cuius rei demonstationem mirabilem sane detexi hanc marginis exiguitas non caperet. » On pense que Fermat avait appliqué, à tort dans ce cas, sa méthode de descente infinie qui lui avait permis de résoudre d’autres équations analogues à celle-là.

28.

« Modular forms, elliptic curves and Galois representations. »

29.

La distinction entre erreur et lacune est parfois subtile, ou affaire de communication : la découverte d’une erreur dans une démonstration est la mise en évidence, par un exemple, de ce qu’une proposition qui joue un rôle décisif dans l’enchaînement logique est fausse. Une lacune est la découverte que la démonstration d’une proposition également décisive manque, et qu’elle ne va pas de soi, alors qu’elle était considérée par l’auteur comme plus ou moins évidente.

30.

En 2001, Christophe Breuil, Brian Conrad, Fred Diamond et Richard Taylor ont achevé la démonstration de la conjecture dans le cas général.

31.

Wiles, 1995 ; Taylor et Wiles, 1995.

32.

« This chapter is devoted to the study of certain Galois representations. In the first section, we introduce and study Mazurs’ deformation theory and study various refinements of it. These refinements will be needed later to make precise the correspondence between the universal deformation rings and the Hecke rings. »

33.

Le caractère international de la recherche n’est pas un vain mot. Pour ne parler que du théorème de Fermat et des personnages cités dans ce bref résumé, Fermat est français, comme Weil, Serre, Hellegouarch et Illusie ; Taniyama et Shimura sont japonais ; Ribet, Katz et Mazur sont américains ; Frey est allemand ; Wiles et Taylor sont britanniques.

34.

A contrario la conjecture ou hypothèse de Riemann, qui date de 1859 et n’est toujours pas démontrée, a de très nombreuses conséquences ; beaucoup de théorèmes sur les nombres premiers sont démontrés « si l’hypothèse de Riemann est vérifiée ».

35.

Poincaré [1904].

36.

Voir le texte de John Milnor sur la conjecture de Poincaré, ainsi que plusieurs documents très intéressants à l’adresse : http://www.claymath.org/millennium/Poincare_Conjecture/perelman+expositions.php

37.

Cette assertion est légèrement inexacte, car la Terre est aplatie aux pôles, mais c’est sans importance ici.

38.

Voir Bing, 1964. Depuis 1964, le cimetière s’était bien enrichi.

39.

Après les travaux de Smale, il était clair que les questions ouvertes les plus intéressantes concernaient les dimensions 3 et 4, l’une et l’autre posant des problèmes très différents.

40.

« However, it is clear that he has introduced new methods that are both powerful and beautiful and made a substantial contribution to our understanding. » (Milnor, 2003.)

41.

Laurent Bessière, in Bessière et al., 2005.

42.

Gérard Besson, in ibid.

44.

Grothendieck, 1984, p. 129.

Appendix A Bibliographie

  1. Al-Khwarizmi : Al-Khwarizmi, Algoritmi de numero Indorum (le texte arabe original est perdu) dans le livre d’Al-Khwarizmi (790-840).
  2. Al-Khwarizmi, 825 : Al-Khwarizmi, Al Kitab al Mukhtasar fi Hosab al jabr wal-I-Muqabala, Bagdad.
  3. Andler, 2005 : M. Andler, « Les mathématiques : démonstration, description, expérience », Mathématiques vivantes dans l’enseignement secondaire, Paris.
  4. Bessières et al., 2005 : L. Bessières et al., Gazette des mathématiciens, 106, Paris.
  5. Bing, 1964 : R. H. Bing, « Some aspects of the topology of 3-manifolds related to the Poincaré conjecture », Lectures on Modern Mathematics II, éd. T. L. Saaty, New York.
  6. Cardan, 1545 : G. Cardan, Ars magna sive de regulis algebraicis, Nuremberg.
  7. Descartes, 1637 : René Descartes, Discours de la Méthode, Leyde.
  8. Dhombres, 2005 : J. Dhombres, in Mathématiques vivantes dans l’enseignement secondaire, Actes du colloque de Saint-Flour, Paris.
  9. Euclide : Euclide, Les Éléments, livre I, trad. B. Vitrac, Paris, 1990.
  10. Fibonacci, 1202 : Fibonacci, Livre du calcul ; une édition critique, avec traduction en anglais moderne existe : Fibonacci’s Liber Abaci, trad. L. E. Sigler, Heidelberg, 2002.
  11. Goldstein, 1995 : C. Goldstein, Un théorème de Fermat et ses lecteurs, Saint-Denis.
  12. Grothendieck, 1984 : A. Grothendieck, Récoltes et semailles, Mende.
  13. Jacobi, 1830 : C. Jacobi, « Lettre à Legendre », Gesammelte Werke, Erster Band, Berlin, p. 453-455.
  14. Leibniz, 1684 : G. W. Leibniz, Nova methodus pro maximis et minimis, itemque tangentibus, qua nec fractas nec irrationales quantitates moratur et singulare pro illis calculi genus, Leipzig.
  15. Milnor, 2003 : J. Milnor, Notices of the American Mathematical Society, vol. 50, Providence.
  16. Newton, 1687 : I. Newton, Philosophiae naturalis principia mathematica, Cambridge.
  17. Poincaré [1904] : H. Poincaré, Œuvres, t. VI, Paris, 1953.
  18. Sagan, 1985 : Carl Sagan, Contact, New York ; trad fr., Paris, 1986.
  19. Serfati, 2005 : M. Serfati, La Révolution symbolique : la constitution de l’écriture symbolique mathématique, préface de J. Bouveresse, Paris.
  20. Singh, 1997 : S. Singh, Fermat’s enigma, Londres ; trad. G. Messadié, Le Dernier Théorème de Fermat : l’histoire de l’énigme qui a défié les plus grands esprits du monde pendant 358 ans, Paris, 1999.
  21. Taylor et Wiles, 1995 : R. Taylor et A. Taylor, « Ring-theoretic properties of certain Hecke algebras », Annals of Mathematics, vol. 141, Princeton.
  22. Viète, 1591 : F. Viète, In artem analyticam isagoge, Tours.
  23. Weil, 1964 : A. Weil « Sur certains groupes d’opérateurs unitaires », Acta Mathematica, Uppsala.
  24. Wiles, 1995 : A. Wiles « Modular elliptic curves and Fermat’s last theorem », Annals of Mathematics vol. 141, Princeton.