Emmanuelle Valette

Abstract

The centrality of grammar in teaching practices immediately gives a normative dimension: at the end of the Republic, thegrammaticus appears in Rome as the «guardian of the language», responsible for defining the rules of linguistic correctness and for preserving the purity of the Latin language (Latinitas). With the exceptional power to give citizenship to foreign words and to exercise his judgement on the work of poets, the grammarian takes an important place in society of the Imperial era, often to the point of investing the political space. But the texts also show the ambivalent image of this character, whose excessive severity, the quarrelsome spirit or even questionable morals are often criticized. These critical discourse denouncing the arbitrary nature of grammatical authority shows how the norm in Roman culture is negociated.

1acteurs de savoirmodes d’interactionconformisme construction des savoirséducation typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagegrammaire« Nous sommes livrés à la grammaire depuis l’âge des balbutiements et de nos premiers langes »1. Cette phrase, ouvrant le traité que Sextus Empiricus écritContre les grammairiens au deuxième siècle de notre ère, révèle la place essentielle jouée par la grammaire dans l’éducation du jeune citoyen d’époque impériale : première dans l’ordre chronologique des apprentissages, la grammaire apparaît donc aussi comme une sorte de préalable indispensable à l’acquisition des autres savoirs2. La remarque de Sextus Empiricus rappelle surtout l’une des spécificités de la grammaire antique : son enracinement dans une pratique d’enseignement. En effet, à la différence du grammairien moderne qui, « indépendamment de tout souci normatif, peut se spécialiser dans l’étude historique ou synchronique du système grammatical »3 et ne faire que de la grammaire « descriptive », legrammaticus antique, parce qu’il est professeur et s’adresse à un public d’élèves, ne peut concevoir sa discipline que dans une perspective normative. Dans l’Antiquité, la description de la langue vise toujours à établir des règles. Enfin, les mots employés par Sextus Empiricus soulignent l’emprise exercée par cette discipline sur l’individu : le citoyen paraît « modelé » par la grammaire dès son plus jeune âge, comme les langes contribuent à façonner son corps. C’est précisément contre cette emprise de la grammaire que Sextus Empiricus s’insurge avec force dans son traité.

2Cette place ambivalente donnée à la grammaire dans la culture d’époque impériale — une reconnaissance de sa suprématie inégalée souvent mêlée de dédain ou de critique à son encontre — a bien été étudiée dans les travaux récents consacrés à la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Age 4. En revanche, ce domaine est resté plus inexploré pour la période qui précède, celle qui a vu la naissance, puis la diffusion de la grammaire en tant que discipline autonome (ars), de la fin de la République aux deux premiers siècles de l’Empire. C’est donc sur cette période que sera centré l’essentiel de notre enquête.

3construction des savoirstraditioncanonisation construction des savoirstraditionécole de penséeL’articulation entre la grammaire antique et le concept de normativité ouvre un champ d’étude très vaste et donne lieu à une infinité de questionnements. Ainsi pourrait-on décrire la façon dont les discours philosophiques sur le langage (chez Platon, Aristote, les Stoïciens) ont à la fois longtemps différé la naissance d’une science grammaticale autonome et largement contribué à l’élaboration des principales catégories de la grammaire5, préciser la façon dont chaque « école » ou chaque « courant » de grammairiens a pu élaborer ses propres critères de normativité6, enfin, étudier comment les Alexandrins, dans leur travail de philologues, ont, par un processus de tri et de sélection, participé à la définition d’un « canon » d’œuvres et d’auteurs, qui aboutit progressivement à la constitution d’une norme littéraire qui s’est imposée durablement dans l’histoire de l’Occident latin7. Mais ces questions sont à la fois trop amples pour être abordées ici et déjà bien documentées par les spécialistes.

4Notre réflexion se focalisera plutôt sur les discours tenus sur la grammaire par les Anciens eux-mêmes, à la fois dans les définitions que les Romains donnent de cette science, dans les fonctions qui sont assignées au grammairien et dans les anecdotes qui mettent en scène ce personnage ou qui évoquent l’autorité de la grammaire dans les affaires publiques (dans la vie politique, juridique, sociale…). Nous essaierons de saisir ce qui fonde et caractérise le pouvoir normatif de la grammaire dans la culture romaine du début de l’Empire ; nous tenterons aussi d’apercevoir la façon dont cette société réagit à la norme. Force est de constater, en effet, que, dans plusieurs textes de cette époque, de genres divers, l’autorité normative du grammairien est explicitement contestée ou du moins débattue. Dans ce cadre, nous prêterons une attention particulière au lexique et aux images utilisés pour qualifier ou décrire le grammairien, mots et images qui donneront accès à une forme d’imaginaire sur la langue, propre à la culture romaine.

Constitution de la grammaire comme ars et mise en ordre du langage par des préceptes

5construction des savoirslangage et savoirslanguelatinL’origine grecque de la « grammaire » est bien connue ; elle est manifeste dans l’origine même des mots qui en latin désignent la grammaire et le grammairien : comme l’expliquent Suétone et Sextus Empiricus, lagrammatica est d’abord la science des lettres (grammata). Le mot grammaticus est introduit à Rome avec le double sens que la tradition grecque attribuait au termegrammatikos 8 : se substituant aux termeslitteratus oulitterator 9 , legrammaticus était donc à la fois un enseignant chargé d’apprendre à lire et à écrire aux enfants et un savant connaisseur de textes.

6typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagerhétorique construction des savoirspolitique des savoirsrégime politiquearistocratieL’essor de la grammaire à Rome est lié à la dispersion des Grecs d’Alexandrie et à l’installation de plusieurs d’entre eux dans l’Vrbs à la fin du II e et auI er siècle av. J. C. 10 Mais l’importation à Rome de lagrammatikê est associée dans les textes à la figure de Cratès de Mallos, autour duquel se cristallise le mythe d’origine de la grammaire latine. D’après le récit de Suétone, repris par Aulu-Gelle 11, Cratès de Mallos, venu en ambassade à Rome en 168 ou 159 av. J. C. 12, se serait cassé la jambe en glissant dans une bouche d’égout et, contraint de rester à Rome le temps de sa convalescence, il aurait tenu plusieurs conférences d’affilée, y attirant toute la bonne société. Cette anecdote13, plus cocasse que vraisemblable, permet d’expliquer la dette de Rome envers la Grèce et surtout l’attrait que suscite la grammaire dans l’aristocratie à partir de cette époque ; selon Suétone, ses concitoyens voulurent « imiter » Cratès en commentant et en faisant partager par des lectures (akroasis) les textes qu’ils avaient aimés. La grammaire semble d’autre part avoir bénéficié de plus de tolérance de la part des pouvoirs publics que la rhétorique grecque, qui se développe au même moment. On ne trouve pas, par exemple, vis-à-vis des grammairiens, l’équivalent des sénatus-consultes dirigés contre les écoles de rhétorique. La grammaire en tant que discipline est rapidement incluse dans la culture romaine, au point que le latin devient d’ailleurs la langue la plus couramment utilisée dans les traités, alors que la philosophie par exemple reste traditionnellement attachée au grec14.

7construction des savoirsépistémologiethéoriePourtant, comme l’explique F. Desbordes, l’émergence de la grammaire comme science autonome ne s’est faite que progressivement15 et surtout, à Rome, la codification du savoir grammatical commears, c’est-à-dire comme exposé systématique sur le modèle de la technê grammatikê, est très tardive (IV e siècle). L’Ars grammatica demeure, pendant longtemps, la science des textes16. Ce n’est qu’au tournant des II e etI er siècles avant notre ère que s’amorce un changement dans la conception de la grammaire : la grammaire comme description du système de la langue se distingue peu à peu de la conception de la grammaire comme compétence en matière de textes17. Mais en fait de théorie grammaticale, n’existent, à la fin de la République et au début de l’Empire, que des traités épars sur la correction, tels ceux de César ou de Varron, consacrés à un aspect de la grammaire : l’orthographe, l’analogie18

8inscription des savoirsgenre éditorialtraitéOr, si le premier traité en latin portant le nom dars grammatica est attribué par la tradition à Remmius Palémon (grammairien du milieu duI er siècle ap. J.-C.), le premier exposé systématique conservé est celui que Quintilien introduit au livre i de son fameux traité de rhétorique,l’Institution oratoire (fin du I er siècle ap. J.-C.). La naissance de la grammaire systématique est en effet le résultat d’une sorte de partage des tâches, dans le cadre rhétorique, dont témoignait déjà cette déclaration de laRhétorique à Herennius :

pratiques savantespratique lettréecorrectionLa correction (latinitas) est ce qui garde sa pureté au langage et qui le met à l’abri de tout défaut. Les défauts du langage (qui l’empêchent d’être vraiment latin) peuvent être de deux sortes : le solécisme et le barbarisme. Comment éviter cela, nous le montrerons dans unSystème grammatical 19.

9La rhétorique mentionne la correction, mais elle renvoie à la grammaire pour plus de détails20.

« Recte loquendi scientia » : les règles du « bien parler »

10construction des savoirséducationapprentissage construction des savoirslangage et savoirslangue pratiques savantespratique lettréecorrectionCe net partage des tâches explique la démarche de Quintilien, qui expose sa conception de la correction linguistique dans le livre i de l’Institution oratoire, consacré à la grammaire, tandis qu’il réserve aux autres livres, dédiés à la formation rhétorique du futur orateur, le développement sur les autres qualités du discours. La grammaire, rappelle-t-il, comporte deux parties, « la science du bien parler » (recte loquendi scientia)21 et le « commentaire des poètes » (poetarum enarratio)22. L’école du grammairien, complétée par celle du rhéteur, se donne explicitement trois buts : la maîtrise d’une langue correcte, la connaissance d’un nombre restreint de textes « classiques », et l’aisance à transformer cette connaissance de la langue et de la littérature en aisance pour écrire et pour parler. Quintilien dans les chapitres 4 et 5 du livre i de l’Institution oratoire éclaire en effet le lecteur sur ses intentions : se défendant d’avoir voulu composer un traité de grammaire23, le rhéteur essaie de définir la formation idéale de l’orateur et veut montrer comment la grammaire doit s’intégrer dans cette formation. S’insurgeant au passage contre ceux qui dénigrent cette discipline24, il en montre le caractère indispensable en comparant l’enseignement de la grammaire à des fondations (fundamenta), en l’absence desquelles tout l’apprentissage de l’orateur « s’écroulera » (corruet). Cette intégration de la grammaire dans le cursus de l’orateur est une façon de reconnaître sa valeur, mais c’est aussi une manière de la placer dans une position subalterne par rapport à la rhétorique25.

11La question des « qualités du discours » qui, selon Quintilien, sont au nombre de trois — correction, clarté, ornementation — forme donc le terrain commun de la grammaire et de la rhétorique. Mais seule la première de ces qualités est du ressort exclusif de la grammaire : « le grammairien devra établir la règle d’une parole corrigée (emendate loquendi regulam), qui forme la première partie de la grammaire »26. Les préceptes donnés par le grammairien visent donc d’abord à normaliser l’exercice de la parole.

12pratiques savantespratique corporelleparoleLa science du « bien parler » (recte loquendi scientia) vise essentiellement à apprendre à l’élève les règles qui gouvernent la phonologie et la morphologie27. Elle est au cœur de l’enseignement grammatical ; la correction linguistique est d’ailleurs ce qui fonde l’« utilité » de l’ars, car comme toutes lestechnai (artes), la grammaire a été créée pour répondre à un besoin et, de même que la médecine a été inventée pour soigner les plaies et les maladies, de même la grammaire a pour fonction première de corriger (emendare) la langue28. Ce cadre amène ainsi Quintilien à définir négativement tout ce qui vient la corrompre. Apprendre à bien parler, dans ce contexte, c’est apprendre à éviter les défauts (vitia). Comme l’explique M. Baratin, « le fait de parler sans fautes et en respectant l’usage tel qu’il est confirmé par les spécialistes, c’est la définition même de la norme en matière de correction, et non une caractéristique positivement marquée (en matière de correction, il est possible de faire moins bien que la norme, mais pas mieux) »29. Cette perspective d’origine stoïcienne, qui met lalatinitas (correction) au centre de ses analyses, participe donc de la définition d’une norme neutre et repose sur une opposition entre cette norme, définie par un certain nombre d’aretai (ouvirtutes, aspects indissociables de la correction linguistique), et des fautes (vitia)30.

13construction des savoirsépistémologieerreur pratiques savantespratique discursiveoralitéDans une longue section consacrée à la correction « orale », qu’il nomme d’abord en grec,orthoepeia, et qu’il définit ensuite comme « l’émission exacte et agréable des sons » (emendata cum suavitate vocum explanatio), Quintilien fait donc l’inventaire des principaux « défauts à éviter », en particulier les barbarismes et les solécismes31. Les barbarismes, définis comme un défaut qui affecte les mots pris isolément (verbis singulis), peuvent être de différentes sortes ; aux barbarismes d’origine ethnique (introduction dans la langue d’un mot d’origine étrangère), s’ajoutent ceux qui résultent d’un état d’âme (animi natura) ou encore ceux, très courants, qui consistent en une simple déformation de mot (omission, substitution, ajout ou interversion de lettres)32. Ce faisant, Quintilien souligne la difficulté de discerner les fautes que l’on fait en parlant — erreurs dans les sons, les tons, les accents — dont le repérage exige de la part de l’auditeur une grande « finesse » (subtilitas)33, finesse qui apparaît comme la première qualité du grammairien.

14Consacrant ensuite un développement à la correction graphique (recte scribendi scientia ouorthographia), Quintilien prétend, dans ces questions délicates, s’en remettre à l’autorité du grammairien34 et ne retient quant à lui qu’un seul principe : « pour ma part, j’estime que, dans les limites prescrites par l’usage, les mots doivent être écrits tels qu’ils sont prononcés »35. Sur l’énoncé de ce principe et sur la définition de l’écriture comme simple dépôt de son, Quintilien clôt son développement sur les deux points qu’il réserve au grammairien : la prononciation et l’écriture correctes (emendate loquendi scribendique partes). Au rhéteur de s’occuper des autres qualités du discours : l’expression (significanter) et l’élégance (ornate)36.

« Ratio/natura, auctoritas/vetustas, usus/consuetudo » : les critères de la normativité linguistique

15Très rapidement la description desvitia amène Quintilien à aborder la question des critères de normativité : sur quoi le grammairien peut-il s’appuyer pour justifier sa règle, légitimer son jugement ?

16construction des savoirstraditionstandardisation construction des savoirstraditionécole de pensée acteurs de savoirmodes d’interactioncompétitionL’histoire moderne des théories grammaticales a longtemps présenté la querelle entre les partisans de l’anomalie et ceux de l’analogie commeLE débat central dans l’histoire de la grammaire antique : tout se résumérait à cette opposition existant entre l’école de « critique » de Cratès de Pergame et les «  philologues » alexandrins sous le patronage d’Aristarque, ce dernier pronant l’analogie, c’est-à-dire la régularité des phénomènes linguistiques, tandis que le premier aurait lutté contre cette « régularité » en défendant le principe de « l’anomalie »37. Aujourd’hui, il semble que cette opposition corresponde moins à une rivalité entre différentes écoles ou différents courants de grammairiens38 qu’à la cristallisation, par les Modernes39, d’une simple opposition théorique entre deux façons de concevoir la norme. Beaucoup plus intéressant que la réalité historique de cette querelle est en effet l’enjeu que pose ce débat : comment établir la règle ? à partir des usages qu’on fait (ou qu’on a fait de la langue) ? ou à partir de la logique interne à la langue (ratio) ? Faut-il plutôt suivre des règles fondées sur le système de la langue ou bien l’usage commun suffit-il à discerner ce qui est correct40 ?

17Quintilien expose, de manière synthétique, ce que F. Desbordes et M. Baratin appellent « la vulgate des grammairiens latins »41 :

Le langage a pour base le raisonnement (ratio), l’ancienneté (vetustas), l’autorité (auctoritas), l’usage (consuetudo). Le raisonnement (ratio) se fonde principalement sur l’analogie (analogia), parfois aussi sur l’étymologie (etymologia)42.

18pratiques savantespratique intellectuelleraisonnementLaratio est le principe clé qui guide l’approche du langage selon Varron 43. Elle est en général associée à lanatura (la nature) pour décrire les propriétés naturelles du langage, déterminées par une analyse raisonnée ou systématique, qui seront définies comme règles (regulae) dans le traité du grammairien (ars)44. La nature du langage est ainsi incorporée dans l’institution et identifiée à la compétence technique du grammairien. Deux méthodes de travail permettent au grammairien de définir cetteratio inhérente au langage : l’analogie et l’étymologie.

19construction des savoirsépistémologieméthode pratiques savantespratique intellectuelleanalogieL’analogia (ou proportioen latin) consistant à « rapporter ce qui est douteux (dubium) à quelque chose de semblable (simile) qui ne l’est pas, à prouver l’incertain par le certain (incerta certis probet) »45 a de nombreux partisans parmi les « érudits » contemporains de Quintilien et fait l’objet de nombreux traités depuis la fin de la République 46. Le rhéteur reste cependant très prudent sur cette méthode, dont il rabat les prétentions à s’ériger en règle universelle en montrant qu’elle n’est pas une loi préexistant à l’invention du langage, mais seulement le résultat d’une observation47.

20typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langageétymologieQuant à l’étymologie, on y aura recours selon Quintilien « toutes les fois que le mot en discussion nécessitera une interprétation »48. Loin de penser que l’origine des mots permet d’accéder à un sens plus authentique, ou qu’elle permet de combattre l’arbitraire du signe en rapprochant les mots et les choses, Quintilien se garde de donner à ce critère une place excessive49 ; il précise bien qu’il faut éviter de se livrer aux mêmes fantaisies que les esprits tordus (prava ingenia) de certains grammairiens ; et notamment, ne pas abuser des calembours pour expliquer le sens des mots.

21Au critère de laratio s’oppose clairement celui de l’usage,consuetudo. Cette référence aux pratiques linguistiques contemporaines implique une autre façon de construire la norme : tandis que laratio présuppose un « ordre naturel » que le grammairien ne fait qu’expliciter (la norme grammaticale est en quelque sorte co-existante avec la norme rationnelle), laconsuetudo se présente comme une norme implicite, partagée, qui s’est construite en-dehors du langage et sur laquelle le grammairien peut s’appuyer pour édicter sa propre loi. L’emploi d’un vocabulaire juridique rend d’ailleurs sensible la spécificité de l’usage érigé en principe normatif ; il n’est pas anodin que le terme utilisé pour le désigner,consuetudo, soit également le mot qui, en droit romain, signifie « la coutume ». Or, la coutume joue un rôle d’autant plus important que la loi a une place restreinte dans le système juridique romain ; et même si la coutume ne figure pas parmi les sources de droit classique avant une époque tardive50, les précédents et la tradition ont toujours dans cette culture constitué une référence importante. Les écrivains la mentionnent souvent et dès le II e siècle de notre ère, leDigeste fait allusion à la longa consuetudofondée sur le consentement tacite du peuple51. Les prudents privilégient deux aspects liés à l’usage, l’ancienneté et l’accord de tous. Il est donc évident que la réflexion sur la grammaire s’enracine aussi dans une pratique juridique qui reconnaît diverses formes de normativité, et que l’activité des prudents52, qui s’accroît à la fin de la République, a dû jouer un rôle dans l’importance accrue donnée à l’usage.

22typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesdroithistoire du droitLa référence au domaine juridique, et même politique, est d’ailleurs prolongée par Quintilien à travers l’emploi d’une image : « l’usage est le maître le plus sûr en matière de langue, il est au langage ce que le coin de l’État est à la monnaie »53. Le rapprochement du langage et de la monnaie fait surgir la question de la diffusion et de la circulation du latin dans un espace élargi. L’allusion au « coin de l’État » inscrit ces réflexions dans la problématique de la latinité, de la langue comme facteur d’unité au sein de l’Empire romain. Cette image témoigne probablement d’une volonté de normaliser les pratiques linguistiques, mais elle contribue surtout à assurer à l’usage une place centrale, en lui donnant un rôle d’authentification, de certification qu’il n’avait jamais eu. Sextus Empiricus, pour reprendre cette idée de l’usage comme garant de la correction linguistique, développe d’ailleurs la même comparaison :

Dans une certaine cité, c’est une certaine monnaie qui a cours localement : celui qui s’aligne sur cette monnaie est capable du même coup de faire des échanges sans encombre ; au contraire celui qui n’accepte pas cette monnaie, celui qui frappe une monnaie nouvelle à son usage personnel et veut qu’elle ait cours, celui-là se fait taxer d’imbécillité. De même, si quelqu’un dans la vie courante, comme on refuserait une monnaie, refuse de se plier au mode habituel de conversation, en s’ouvrant une voie privée, celui-là est proche de la folie. <…> Voilà pourquoi ceux qui veulent converser correctement doivent observer purement et simplement l’usage courant de la majorité, et s’y tenir54.

23L’image est la même, mais le propos est plus polémique. Sextus Empiricus s’en prend ici clairement aux adeptes de laratio et fait de l’usage commun un critère exclusif. C’est précisément ce que la description de Quintilien évite en mettant sur le même plan tous les critères de normativité et en les présentant comme complémentaires55. Mais surtout la définition que Quintilien donne de sa propre conception de laconsuetudo montre qu’il ne l’assimile pas à la pratique de l’ensemble de la communauté linguistique :

Si nous appelons ainsi ce que fait la majorité (quod plures faciunt), nous donnerons un conseil très dangereux, non seulement pour le langage, mais, ce qui est plus grave, pour la vie. D’où nous viendrait en effet tant de bonheur que ce qui est bien obtienne le suffrage de la majorité ? Par suite, de même que s’épiler, porter des cheveux taillés en gradins, boire avec excès dans le bain, usages qui ont pénétré dans notre ville (invaserint ciuitatem)56, ne sont pas l’usage (consuetudo), parce que rien de tout cela n’est à l’abri du blâme (reprensione) et que l’usage se borne à se baigner, à se raser, à prendre ses repas, de même dans le langage, si des locutions vicieuses viennent à se propager, elle ne doivent pas pour autant devenir la règle (regula sermonis). <…> Donc pour le langage, j’appelerai usage l’accord des gens cultivés (consensus eruditorum) et pour la vie, celui des honnêtes gens (consensus bonorum)57.

24La comparaison, qui établit une identité entre correction linguistique et honnêteté des mœurs, est loin d’être fortuite ; le « bon usage » devient l’usage « des hommes de bien ». Totalement dissociée de la recherche de la vérité — comme elle l’était dans la philosophie grecque — l’étude du langage est devenue avec le grammairien un « consensus eruditorum », assimilé au « consensus bonorum ».

25acteurs de savoirmodes d’interactionconformisme construction des savoirstraditionMais les grammairiens latins ne se sont pas enfermés dans cette dichotomieratio/consuetudo ; ils ont utilisé, souvent de façon complémentaire, d’autres critères de normativité. Entre laratio et l’usage, la norme fondée en raison ou calquée sur les pratiques, Quintilien intercale ainsi l’ancienneté (vetustas) et l’autorité (auctoritas) : « Le temps donne aux mots anciens une sorte de majesté et, pour ainsi dire, de sanction religieuse. L’autorité se tire ordinairement des orateurs et des historiens, car les poètes ont l’excuse de la contrainte métrique »58. La notion devetustas qui implique le respect d’un passé grandiose (maiestas) auquel les contemporains sont portés par un sentiment de dévotion (religio) ouvre une question fondamentale du point de vue des pratiques linguistiques, celle de l’archaïsme et, en contre-point, de l’innovation59. Quintilien a, sur le sujet, un point de vue qui reflète bien celui de ses contemporains, un mélange de conservatisme lié au respect de la norme et de pragmatisme réaliste, qui condamne sans appel la folie arrogante (insolentia) de celui qui, en parlant comme les ancêtres, finit par s’isoler de ses contemporains :

Quoi d’aussi indispensable en effet qu’un langage correct (recta locutio) ? Bien plus : j’estime qu’il faut s’attacher à cette règle (inhaerendum ei iudicio), tant qu’il est possible de s’y tenir, et il faut même résister longtemps aux changements (mutantibus repugnandum). Mais vouloir conserver des mots qui ont été abolis ou abrogés (abolita atque abrogata retinere) < par l’usage > est une sorte d’extravagance (insolentiae) et de prétention frivole pour des vétilles (frivolae in parvis jactantiae)60.

26L’emploi des participesabolita etabrogata signifie clairement la force de l’usage et sa capacité à invalider la norme. Les lois du grammairien ne peuvent rien contre laconsuetudo et la résistance excessive de celui-ci ne peut que susciter le rire. Le discours sur lavetustas est donc inséparable d’une réflexion sur le temps, qui tantôt consacre un usage et lui donne force de loi, tantôt l’invalide, et avec lequel l’autorité est en perpétuelle négociation61.

27pratiques savantespratique lettréeimitationDifficilement dissociable de l’antiquitas, le termeauctoritas 62 renvoie en effet à l’imitation des écrivains les plus illustres (summi auctores), c’est-à-dire des auteurs reconnus par la tradition pour servir de modèles63. Ce critère présuppose donc l’établissement d’une norme préalable, d’un canon d’auteurs « fréquentables » sur lequel il y a un accord64. Les œuvres de Caton, Varron, Cicéron, celles des annalistes, sont conçues comme le conservatoire des traditions. Puis sous le principat, on se réfère aux érudits qui ont fixé la tradition, à l’œuvre desclassici ouantiquiores (par opposition auxrecentiores)65. Pour Aulu-Gelle par exemple, l’autorité ne remonte pas très loin : sont consacrés par le temps « tous les auteurs antérieurs à Auguste, qui avaient une langue pure et intacte » (XIII, 6). Cette pureté de la langue ancienne va bien sûr de pair avec la pureté supposée des mœurs de la Rome républicaine ; elle correspond à l’invention et à l’histoire dumos maiorum 66.

« Donner la citoyenneté aux mots » : le pouvoir du grammairien

28acteurs de savoircatégorie socialepeuple construction des savoirslangage et savoirslangueCette correction linguistique appliquée à l’exercice du discours s’exprime chez Quintilien et chez les autres grammairiens à travers la notion delatinitas. Or, ce concept est très paradoxal puisqu’il se présente explicitement comme un calque de la notion d’hellenismos 67 tout en affirmant une volonté de promotion des qualités de la langue latine par rapport au grec68. La question des pérégrinismes, et plus spécifiquement du statut des mots grecs dans la langue latine, se trouve ainsi au cœur de la réflexion quintilienne sur la correction. La langue est explicitement mise en parallèle avec le peuple et les institutions de Rome, dont Quintilien note le caractère composite :

Des mots étrangers (peregrina), donc, sont venus, je dirais volontiers, de toutes les nations, comme notre population, et comme aussi beaucoup d’institutions69.

29À propos de la question posée par la déclinaison des mots grecs passés dans la langue latine70, Quintilien évoque la volonté affichée par certains grammairiens de « rendre la langue latine plus imposante » (potentiorem facere linguam Latinam) en n’avouant pas que les Romains ont besoin de « règles étrangères » (nec alienis egere institutis)71. Tandis que ses contemporains ont, par contraste avec ces grammairiens des générations précédentes, établi comme règle de décliner les mots grecs « à la grecque »72, Quintilien avoue préférer « suivre le système latin (rationem Latinam sequi), tant que ce n’est pas choquant (quousque patitur decor) »73 :

Car je n’aimerais pas direCalypsonem par analogie avecJunonem, bien que C. César, qui a suivi les Anciens (secutus antiquos), décline ainsi ce mot ; mais l’usage a prévalu sur son autorité (auctoritatem consuetudo superavit).

30Cet exemple choisi par Quintilien montre bien la supériorité de l’usage sur l’autorité, que César avait pourtant appuyée sur l’exemple des anciens (antiquitas). Il dévoile aussi à quel point le rhéteur est attentif à l’évolution de la langue, aux écarts qui séparent le latin des Anciens de celui qu’utilisent ses contemporains. Enfin, on note que, personnellement, Quintilien privilégie ce qui lui parait « convenable » (decor = decus), c’est-à-dire qu’il adapte son discours au contexte (aux circonstances de l’énonciation : au lieu, au moment, aux interlocuteurs). Cette remarque sur le « convenable » fait glisser le propos grammatical vers une problématique de type rhétorique. La conclusion du paragraphe est d’ailleurs éloquente :

Dans tous les cas où les deux façons (utroque modo) de décliner ne heurteront pas les convenances (non indecenter), celui qui suivra la forme grecque (Graecam figuram) ne parlera pas latin (non Latine quidem loquetur), mais il ne pourra pas subir de reproche de la part des grammairiens (tamen citra reprehensionem)74.

31Cette remarque fait écho à une autre formule de Quintilien, également exprimée sous forme de paradoxe. Après différents exemples d’emplois fondés sur l’analogie qu’il juge absurdes, le rhéteur conclut : « Aussi a-t-on dit, non sans esprit, qu’autre chose est de parler latin, autre chose de parler grammaticalement »75. S’il est vrai qu’on peut parler latin sans suivre les règles des grammairiens, il est clair aussi pour Quintilien, qu’on peut user de formes grammaticalement correctes, sans pour autant « parler latin ». En jouant sur le double sens du concept delatinitas (latinité/correction), il souligne la distance existant entre la langue parlée et la langue sanctionnée par les grammairiens, et ce faisant, introduit une faille dans l’autorité normative de ces derniers.

32Une métaphore politique sert à exprimer le pouvoir accordé au grammairien, celle du «  droit de cité » que l’on « donne » aux mots d’origine étrangère. Un passage de Sénèque témoigne de cet emploi :

Comme le mot « analogie » (analogian) a reçu des grammairiens latins droit de cité (civitate donaverint), j’estime qu’il faut non le condamner (damnandum), mais le ramener en son état de « citoyen » (in civitatem suam redigendum). Je l’emploierai donc (utar ergo), comme un terme non seulement adopté (recepto), mais usité (usitato)76.

33pratiques savantespratique intellectuelleanalogieDans ce passage, la référence aux grammairiens latins permet à Sénèque d’utiliser un terme grec qui est au cœur de sa démonstration. Il a besoin du mot « analogie » pour prouver à Lucilius que la notion première du bien et de l’honnête n’a pas été enseignée à l’homme par la nature, mais qu’elle résulte d’un travail d’observation et de la « confrontation » de certains actes fréquents dans l’existence : « C’est par le moyen de l’analogie que l’esprit a conçu l’honnête et le bien ».Analogia, employé par la philosophie pour désigner l’opération intellectuelle de mettre en parallèle deux séries de faits ou deux phénomènes semblables, aurait pu être remplacé par le terme latinsimilitudo, mais Sénèque lui préfère un terme plus technique, dont il souligne à la fois l’origine grecque et l’intégration dans la langue latine ; intégration à laquelle l’ancienneté a donné l’autorité de l’usage (usus).

34Ce pouvoir de « donner la citoyenneté aux mots » dit quelque chose sur l’imaginaire de la langue (la langue considérée comme un peuple de mots, le statut spécifique de la langue grecque et le processus de son inclusion dans la langue latine…), mais il en dit long aussi sur l’autorité du grammairien, capable de rivaliser avec l’empereur et même de l’emporter sur lui en matière linguistique. Cet aspect ressort bien d’une anecdote rapportée par Suétone, évoquant le pouvoir presque tyrannique de M. Pomponius Marcellus qui n’hésite pas à corriger ses adversaires dans les tribunaux, ni même à sanctionner les écarts linguistiques de l’empereur :

C’est encore M. Pomponius Marcellus qui, ayant critiqué un mot (verbum reprehendisset) que Tibère avait employé dans un discours et entendant Ateius Capiton affirmer que ce mot était latin (illud Latinum) et que, s’il ne l’était pas, il le serait en tout cas dorénavant (futurum certe iam inde), répliqua : « Capiton est un menteur ; car vois-tu, César, tu peux donner le droit de cité à des hommes (civitatem dare potes hominibus), mais pas à un mot (verbo non potes) »77.

35L’insolence du personnage, qui va jusqu’à refuser à l’empereur le droit de légiférer en matière linguistique, est typique de la personnalité de M. Marcellus ; Suétone rapporte d’autres anecdotes qui confirment l’arrogance de ce grammairien78. Mais en même temps, cette attitude reflète bien la réalité du rapport de la culture romaine avec sa langue : on a souvent souligné, pour s’en étonner, l’absence de politique linguistique à Rome. Si les empereurs, ponctuellement, ont pu introduire des réformes dans les façons de parler ou d’écrire79, ces actions ne s’inscrivent pas dans une politique d’ensemble visant à faire de la langue latine un instrument impérialiste d’acculturation80. Comme le rappelle le grammairien de Suétone, il n’est pas du ressort de l’empereur de légiférer en matière linguistique. Le texte va même plus loin : son statut deprinceps ne lui donne pas l’autorité nécessaire pour acclimater de nouveaux mots81. Le texte de Suétone fait de Pomponius Marcellus un personnage belliqueux et très arrogant. Son effronterie s’oppose à la courtisanerie de l’autre grammairien. Mais une autre version de l’anecdote rapportée par Dion Cassius 82 donne à l’histoire une tonalité légèrement différente : tout d’abord il ne s’agit plus d’un discours, mais d’un édit ; ensuite, c’est l’empereur qui a des doutes sur la latinité d’un mot qu’il a employé et qui prend l’initiative de convoquer aussitôt tous les spécialistes, dont Ateius Capiton et Pomponius Marcellus. Enfin, Dion Cassius ajoute que Marcellus ne fut pas puni pour ses paroles irrespectueuses. Cette version souligne le rôle pris par les grammairiens dans la société d’Empire, rôle dont témoignent diverses anecdotes transmises dans lesNuits Attiques d’Aulu-Gelle. Désormais, le grammairien est un personnage qui gravite autour de l’empereur ; celui-ci n’hésite pas à le consulter, à soumettre ses discours à son contrôle. La parole du prince paraît soumise à la norme grammaticale.

« Sermonis Latini custos » : le grammairien « gardien de la langue »

36Si l’empereur se soumet volontiers à l’autorité du grammairien et ne le châtie pas pour son insolence, c’est que le statut de celui-ci dans la culture romaine lui procure une sorte d’impunité. Le grammairien apparaît en effet dans les textes comme un gardien, « custos », chargé de veiller sur « la langue latine », sur « la voix articulée », mais aussi « sur l’histoire » de Rome, dans la mesure où il doit conserver tous les fragments de tradition enchassés dans les textes qu’il explique, qu’il s’agisse d’éléments de prosodie, de personnages réels ou fabuleux, d’événements historiques...

37Cette fameuse image du grammairien « gardien de la langue », qui réapparaît chez Saint Augustin avec de légères variations, est présente dans un passage de Sénèque, où il est encore question de légitimer l’emploi d’un mot d’origine grecque. Le vocabulaire utilisé tourne entièrement autour de ce qui est interdit et de ce qui est autorisé, les grammairiens étant placés en position d’arbitres :

Posidonius estime nécessaires non seulement la « préception » — rien ne nous interdit l’emploi de ce terme (nihil hoc verbo uti prohibet) — mais aussi les conseils, la consolation et l’exhortation. Il y ajoute la recherche en tout du pourquoi, l’étiologie (aetiologian) et ce terme, que nos grammairiens, gardiens de la pure latinité (custodes Latini sermonis), se sont adjugé, je ne vois nulle raison de ne pas en risquer l’emploi83.

38pratiques savantespratique rituelleComme le montre bien Kaster 84, le termecustos a des implications politiques qui proviennent de ses emplois dans le domaine militaire, administratif et politique. Il faut en effet, pour comprendre le rôle assigné au grammairien dans l’imaginaire, le mettre en parallèle avec d’autres figures romaines de « custodes » attestées dans les inscriptions épigraphiques notamment : le commandant qui veille aux frontières de l’Empire (limes)85 ; le gouverneur de province dans son rôle de juge et de « gardien des lois »86. Chacun de ces personnages est une figure pivot : le soldat préservait la distinction géographique entre le dedans et le dehors ; le gouverneur placé entre la population locale et le gouvernement central maintenait les distinctions hiérarchiques qui formaient la structure politique de l’Empire et son système de lois. De la même manière, le grammairien se tenait à l’endroit où convergent les distinctions linguistiques, géographiques et sociales ; gouverneur de province, gardien des lois ou commandant militaire contrôlant les confins d’un territoire, legrammaticus, sauvegardant l’expression et la tradition, contrôlait la limite entre la règle et la faute, l’ordre et le chaos, le latin et les langues barbares. La figure du gardien sert donc l’imaginaire des frontières linguistiques et acquiert une dimension particulièrement importante à la fin de l’Empire, au moment où la langue latine se sent menacée par l’assaut des langues barbares et assigne au grammairien un rôle de protecteur87. L’image peut aussi faire référence au personnel chargé de contrôler le bon déroulement des rituels ; en contexte religieux, dans les rituels impliquant une double lecture, le termecustos sert en effet à désigner l’assistant chargé de vérifier l’exactitude de la formule88. Cette position est un peu celle que les empereurs assignent au grammairien quand ils lui demandent de contrôler leurs discours. Enfin, lecustos peut faire allusion à la garde d’un trésor (thesaurum, aedes), trésor de mots, de tournures, de textes, d’histoires et de personnages sur lequel veille le grammairien. Les deux aspects de son « gardiennage » répondaient donc à la division entre les deux tâches du grammairien, la maîtrise du langage « correct » et l’explication des poètes.

« Vergilius debuit dicere… ». Usage normatif de la poésie

39pratiques savantespratique lettréelectureLe commentaire des poètes (enarratio poetarum) constitue selon Quintilien la deuxième partie de la grammaire. Lesartes tardives la subdivisent en diverses tâches : au commentaire proprement dit,enarratio, ils ajoutent lalectio, l’art de la lecture à haute voix, l’emendatio, la correction et leiudicium, le jugement critique. Or, dans tous cesofficia, la grammaire se présente comme une activité normative89.

40Quintilien explique ainsi que, lors de la lecture expliquée, « le maître devra relever tout ce qui est barbare, impropre, contraire aux lois de la langue », précisant toutefois que ce relevé n’a pas pour fonction de « censurer à tout prix les poètes » (non ut ex his utique inprobentur poetae), car en poésie les écarts par rapport à la norme ne peuvent être considérés comme des défauts (vitia), mais seront appelés « métaplasmes et figures »90. Le but de cette opération critique est « d’informer l’enfant des éléments techniques de l’art et de stimuler sa mémoire ». Ces précisions éclairent bien la manière dont les deux parties de la grammaire (letheorikon et l’historikon) sont articulées dans la pratique de l’enseignement91. Le commentaire des textes n’a pas seulement pour fonction d’apprendre aux élèves à lire et à comprendre les monuments de la littérature ; il permet aussi de valider sur des exemples concrets l’application des règles de correction linguistique qui ont été énoncées dans la partie théorique92. Et la poésie, parce qu’elle prend plus de liberté avec les règles de la langue, constitue un terrain idéal pour relever les écarts et rétablir la norme.

41pratiques savantespratique artistiquepoésieCet usage « pratique » de la poésie, et même du plus grand poète qu’est Virgile, apparaît très bien dans les commentaires d’époque tardive, comme ceux de Servius ou de Donat et n’est pas sans poser problème. Ces commentateurs, conscients de l’espèce de sacrilège qu’ils commettent périodiquement en « corrigeant » le sacro-saint poète, ont souci de réaffirmer le statut particulier de la poésie et le caractère nécessairement intentionnel des écarts relevés93. L’argument de la « contrainte métrique » (necessitas metri) est ainsi régulièrement invoqué par Servius pour justifier les écarts entre ce qu’il lit chez Virgile et ce qu’on doit dire. Comme l’explique bien R. Kaster, le texte de Virgile n’est qu’un instrument. En employant l’expression « debuit dicere… » (il aurait dû dire…), Servius n’a pas l’intention de corriger Virgile, mais de montrer à ses élèves l’usage qu’ils doivent suivre94. L’emploi de la 3e personne du singulier a pour effet d’isoler la langue de l’auteur, du latin qu’il veut enseigner.

42La figure apparaît ainsi comme le lieu où le grammairien éprouve les limites de la normativité linguistique95. Lesfigurae occupent une sorte de no man’s land entre le terrain des grammairiens et celui des rhéteurs, et, dans le commentaire des poètes, elles sont souvent la scène d’un conflit entre différentes formes et sources d’autorité, entre la déférence due à un auteur prestigieux et la domination exercée sur le texte par le grammairien, entre lalicentia accordée aux poètes (et parfois aussi aux orateurs) et la contrainte exercée sur la langue des simples particuliers (singuli)96. La manière dont le grammairien contrôle de tels conflits montre le type d’autorité dont il fait preuve depuis sa « niche professionnelle »97.

« La peur des grammairiens » : la force du jugement critique (iudicium, nota)

L’art d’écrire est lié avec l’art de parler et le commentaire implique d’abord une lecture sans faute et, dans tous ces exercices, intervient le sens critique (iudicium) ; les grammairiens anciens en ont fait un usage si sévère qu’il se sont permis d’affecter des vers d’une sorte de virgule censoriale et d’éliminer de l’œuvre d’un écrivain, comme apocryphes, des livres dont l’attribution leur semblait inexacte ; de plus, parmi les auteurs, ils ont dressé des uns une liste ordonnée et ils en ont exclu radicalement les autres98.

43acteurs de savoirqualités personnellesLe thème de la « sévérité » des grammairiens et la dénonciation du caractère à la fois arbitraire et discrétionnaire de leur pouvoir s’expriment ici à travers une image qui tire son sens une fois encore d’une pratique politique et sociale essentielle dans la culture romaine, celle de la censure. Ce rapprochement est facilité par la terminologie qui désigne l’activité critique du grammairien :iudicium (le jugement),reprehensio (le blâme),vitium (le défaut, le vice),damnare (condamner), et surtoutnota, le signe critique apposé par le grammairien en marge d’une graphie ou d’une forme défectueuse, qui désigne aussi en contexte politique la marque d’infamie apposée par le censeur sur l’album, la liste des sénateurs99. Cette homonymie contribue à assimiler le personnage du grammairien à un censeur sévère, qui dispose sur les citoyens d’un pouvoir à la fois politique et moral100.

44construction des savoirsvalidationréputationPlusieurs passages témoignent des réactions à l’égard de ce pouvoir discrétionnaire laissé aux grammairiens de toucher à la réputation (fama) des auteurs qu’ils voulaient sanctionner. Ainsi, dans sa préface à l’Histoire Naturelle, Pline l’Ancien cite le mot-valise de Caton forgé pour blâmer le caractère chicanier du grammairien et dénoncer le pouvoir destructeur de ce personnage, capable de ruiner la réputation d’un écrivain : le grammairien est unvitilitigator, terme composé à partir devitium (défaut) etlitigator (celui qui cherche chicane). Un peu plus haut, Pline avait précisé qu’on pourrait ajouter beaucoup à ses livres (à ceux-ci et à tous ceux qui ont déjà été publiés) :

Cela pour me garder, en passant, de la bande des Zoïles101 (car je peux bien les appeler d’un nom si justifié) : j’ai appris en effet que des Stoïciens, des Péripatéticiens et des Épicuriens (quant aux grammairiens, je m’y suis toujours attendu) sont en travail de critique contre les livres que j’ai publiés « Sur la grammaire » et qu’ils avortent depuis dix ans de suite ; même la gestation des éléphants est plus rapide102.

45Pline fait ensuite le catalogue de tous ceux qui avant lui ont subi les méfaits de la critique : Théophraste, qui trouva une femme pour écrire contre lui, Caton le Censeur qui, écrivant sur la discipline militaire, fut menacé « par ces gens qui veulent se tailler une renommée en rabaissant le savoir d’autrui ». Au livre XXIV del’Histoire Naturelle, Pline l’Ancien décrit aussi la « férocité des grammairiens », qu’il rapproche de celle des bêtes sauvages, et que seule une plante aux propriétés curatives, l’onothuris, peut adoucir103. Et Aulu-Gelle à plusieurs reprises fait allusion aux critiques trop sévères de grammairiens qui ont injustement attaqué Cicéron ou Salluste 104.

46L’expression de ces réticences à l’égard de l’autorité normative des grammairiens se retrouve dans les textes d’époque tardive, en particulier chez les auteurs chrétiens, à travers le thème de la « peur du grammairien » dont il faut se libérer. L’enjeu exprimé par Saint Augustin dans leDe Doctrina Christiana est de parvenir à inventer un nouveau type de discours, suffisamment accessible pour toucher les foules, tout en ayant l’autorité nécessaire pour donner accès à des textes importants par leur vérité mais souvent obscurs. La création d’une culture littéraire « alternative », fondée sur l’Écriture, suppose d’abord que l’on s’affranchisse de l’autorité de la grammaire et de la rhétorique classiques. Non seulement les jugements définitifs des grammairiens concernant la dignité du sujet abordé n’ont plus de pertinence dans le contexte chrétien, mais toutes les définitions et les règles de la grammaire classique, concernant la phonologie, la morphologie, les barbarismes et solécismes n’ont pas de validité absolue105, elles correspondent seulement à l’observance de règles habituelles : « Quelle est donc cette “pureté d’expression” (integritas locutionis) si ce n’est la conservation de l’habitude d’autrui (aliena consuetudo) soutenue par l’autorité des locuteurs d’autrefois ? »106. La force des règles (et donc celle du grammairien lui-même) réside dans sa faiblesse et dans celle des autres : « Les hommes sont d’autant plus offensés par la violation des règles < des grammairiens > qu’ils sont plus faibles, et d’autant plus faibles qu’ils veulent passer pour instruits »107. Cette faiblesse peut être dépassée par notre soumission à Dieu et par la prise de conscience que la seule forme de correction réside dans l’efficacité du langage, celui qui communique la Vérité de façon claire, qu’il soit ou non correct du point de vue de sa forme extrinsèque108. L’utilité de l’ars grammatica est donc réduite à la formation des enfants jusqu’à ce qu’ils soient en âge de parler avec des adultes qui eux s’expriment « correctement »109. Une fois encore, la grammaire est ramenée à sa vocation première et à sa définition la plus étroite : l’enseignement des rudiments de l’écriture et de la lecture. À l’âge adulte, il est temps d’échapper à la « peur des grammairiens »110.

Des grammairiens vicieux ? de la norme linguistique à la norme morale

47acteurs de savoirqualités personnellesOn peut se demander si cette peur du grammairien et cette volonté d’échapper à sa censure n’expliquent pas l’existence d’un autre discours critique : celui qui dénonce les déviances sexuelles des grammairiens. Les récents travaux de M. G. Bajoni consacrés aux « grammairiens lascifs »111 montrent en effet que dans le genre satirique notamment, mais pas exclusivement, s’est élaboré un véritabletopos littéraire, celui de l’immoralité des grammairiens ou du « grammairien libidineux », qui parcourt toute la latinité et que l’on retrouve encore dans l’Enfer de Dante (chant xv)112.

48S’interrogeant sur les raisons qui peuvent expliquer l’association entre grammaire et sexualité — association favorisée à la fois par les conceptions romaines de la lecture et les discours grecs sur l’écriture113M. G. Bajoni évoque d’abord la crainte des relations de type pédérastique entre enseignant et enseigné et la permanence du contrôle exercé par l’État romain sur la moralité de ses enseignants114. Mais cette explication n’est pas suffisante, ne serait-ce que parce que les vices prêtés au grammairien ne sont pas tous explicitement liés à la pédérastie115. Faut-il plutôt établir un lien entre ce discours critique et tous les préjugés sociaux attachés à ce personnage ? M. G. Bajoni rappelle en effet l’ambivalence du statut social du grammairien, qui est à la fois auréolé d’un prestige dû à l’étendue de ses compétences techniques et surtout au recrutement des élites qu’il contribue à former, et dévalorisé par son appartenance aux couches sociales les plus humbles de la société. Cet écart entre l’autorité culturelle des grammairiens et la bassesse de leur condition sociale et économique peut expliquer la virulence des attaques dont ils sont l’objet116.

49Mais surtout la transgression de la norme morale par un comportement sexuel déviant semble être comme l’envers de l’expression de la norme en matière linguistique117. Un grammmairien est d’autant plus déviant du point de vue moral qu’il est un censeur intraitable dans le domaine de la langue. Plusieurs textes insistent en effet sur l’écart existant entre la réputation professionnelle d’un grammairien et son absence notoire de moralité118 ; et le vocabulaire utilisé pour dénoncer les vices des grammairiens fait exactement écho à celui qui sert à décrire son action sur les textes et les auteurs. Profitant de ce que le grammairien utilise un lexique de type moral pour caractériser les écarts par rapport à la norme linguistique (analyse desvitia de la langue, « laideur » d’un discours malmené —foeditas — terme qui exprime aussi la laideur morale, etc…), les textes littéraires exploitent la porosité existant à Rome entre les pratiques linguistiques et les comportements moraux et jouent sur l’inversion de la norme pour contrebalancer le pouvoir du grammairien. Le plus intéressant dans ce dossier, c’est qu’il pose la question des frontières et de l’éventuelle contamination des domaines où s’exprime la norme.

La norme en débat : imaginaire du conflit autour de la langue

50L’exposé de Quintilien ne porte pas de tels jugements moraux sur la personnalité des grammairiens, mais il témoigne des dérives possibles de la grammaire et, à plusieurs reprises, le rhéteur rappelle les limites raisonnables à l’intérieur desquelles elle doit se cantonner :

51« Je ne crois pas que nous devions nous laisser aller jusqu’à nous tourmenter à l’extrême et à descendre à des chicanes absurdes, car ainsi l’on brise et l’on dégrade le talent. Ce qui serait nuisible ici, ce n’est pas la grammaire : ce sont ses superfluités »119.

52Traquer le superflu (supervacuum), débarrasser la grammaire de tout ce qui la rend vaine, excessive, prétentieuse120 : Quintilien n’a de cesse d’opposer un bon usage de la grammaire, dont il recommande d’ailleurs la pratique aux jeunes comme aux vieillards121, et un usage vain, qui l’expose aux critiques. En filigrane de son exposé, apparaît l’image caricaturale du grammairien qui « épluche » (excutitur) des ouvrages en tous genres, souvent sans intérêt ou qui donne toutes sortes d’explications fallacieuses aux histoires légendaires. Cette peinture négative fait écho à toutes les anecdotes qui, chez Suétone, chez Sénèque, chez Aulu-Gelle enfin, mettent en scène des grammairiens grotesques, pinaillant sur des questions pointues, des vétilles. Anecdotes qui se multiplient dans la littérature du début de l’Empire et qui témoignent de l’image ambivalente que traînent alors les grammairiens.

53On pense par exemple à l’anecdote rapportée par Suétone concernant l’habitude qu’avait Tibère de fréquenter les grammairiens et de leur poser toutes sortes de questions sur les mythes :

Il s’appliqua surtout à étudier l’histoire légendaire au point d’en arriver à des plaisanteries et au ridicule. Ainsi les questions qu’il proposait aux grammairiens, catégorie de gens pour lesquels il avait un faible, étaient ordinairement de ce genre : quelle était la mère d’Hécube ? Quel nom portait Achille au milieu des jeunes filles ? Quels étaient les chants des sirènes122 ?

54Cette série de questions, qui au dire de Suétone nourrissaient les loisirs cultivés de l’empereur, sont, dans leur forme, trop proches des questions posées aux enfants dans le cadre de la lecture expliquée pour ne pas être risibles (même si le contenu de ces questions est détourné, dans une sorte de plaisanterie au « second degré »). La dénonciation implicite du caractère puéril de ce passe-temps annonce les critiques plus directes lancées contre les grammairiens dans les textes satiriques ou le caractère cocasse des disputes grammaticales mises en scène par Aulu-Gelle.

55Le ridicule de ces scènes est fondé sur la capacité des grammairiens à s’affronter sur des questions sans intérêt ou sans réponse, ne serait-ce que parce qu’il existe plusieurs façons de construire la norme grammaticale et qu’elle ne fait pas consensus. Michel Griffe a bien montré dans un article récent la fréquence dans lesNuits Attiques des « disputes grammaticales »123. La diversité des lieux où sont situées ces scènes, et notamment la mention de nombreux lieux publics (bains, places, port, bateau, librairies, antichambre de l’empereur) montre la forte présence du grammairien dans la société d’Empire.

56pratiques savantespratique discursivedébatLe plus souvent, chez Aulu-Gelle, les grammairiens s’affrontent entre eux ; l’agôn verbal, sur le modèle du débat philosophique, met en présence un savant authentique (doctus) et un charlatan (docens, semidoctus), « débat qui tourne inévitablement à la confusion dudocens prétentieux et ignorant qui finit par abandonner le terrain »124. Les anecdotes rapportées par Suétone dans ses biographies de grammairiens jouent davantage sur les confusions d’espace et sur la propension desgrammatici à investir l’espace public. Voici ce qu’il raconte par exemple à propos de M. Pomponius Marcellus :

M. Pomponius Marcellus, contrôleur très pointilleux de la latinité (sermonis Latini exactor molestissimus), au cours d’une plaidoirie (in advocatione quadam) — car il lui arrivait aussi de défendre des causes (et causas agebat) — s’acharna tant et si bien à dénoncer (arguere soloecismum) un solécisme commis par son adversaire, que Cassius Sévérus finit par en appeler aux juges et demander un report du procès afin que son client (litigator) pût faire venir un autre grammairien (alium grammaticum), « puisque cet homme ne pense pas qu’il va débattre avec son adversaire d’un point de droit, mais d’un solécisme (non putat is cum adversario de iure sibi, sed de soloecismo controversiam futuram) »125.

57Figure de l’excès (le grammairien ne se contente plus d’être un gardien de la langue, il en est un « contrôleur pointilleux »126), M. Pomponius Marcellus sort de ses attributions traditionnelles en exerçant dans l’espace public une sorte de tyrannie langagière qui est hors de propos. Le tort de M. Pomponius Marcellus, décidément bien arrogant127, est d’avoir déplacé le débat, d’une question juridique (de iure) à une question linguistique (de soloecismo) : le relevé d’un solécisme en plein débat judiciaire bloque la procédure et son adversaire n’a d’autre solution que de faire appel à un autre avocat.

58Enfin, il arrive qu’un tiers soit obligé d’intervenir pour faire taire les grammairiens et ramener la concorde dans la cité. C’est le cas dans l’épisode rapporté par Aulu-GelleCicéron, sommé de trancher sur l’orthographe d’un mot à apposer sur une inscription, a su contourner le débat des grammairiens en adoptant une solution de compromis, l’abréviation, qui ne fâchait personne128. Ce stratagème montre l’intelligence politique du personnage et souligne aussi les risques encourus par la collectivité lorsqu’elle s’en remet à l’autorité des grammairiens. L’excès de zêle et les rivalités personnelles menacent la paix civique.

Conclusion : dans un même pré, le bœuf, le chien et la cigogne…

59pratiques savantespratique lettréeinterprétation pratiques savantespratique lettréelectureLe développement de la grammaire dans le monde romain a donné naissance à une autre façon de lire les textes, qui s’est ajoutée, sans les remplacer, aux approches qui existaient déjà. C’est ce qu’explique Sénèque, en commençant par une comparaison savoureuse :

Dans le même pré, le bœuf cherche de l’herbe, le chien, un lièvre, la cigogne, un lézard. Qu’un savant, un grammairien, un adepte de la philosophie prennent tous trois, chacun de son côté, laRépublique de Cicéron, chacun porte son attention sur un aspect différent. Le philosophe s’étonne qu’on ait pu dire tant de choses contre la justice. Quand l’historien aborde la même lecture, il met en apostille qu’il y a deux rois de Rome, l’un de père, l’autre de mère inconnus, car sur la mère de Servius, il n’y a rien de certain. <…> Le grammairien compulse à son tour l’ouvrage. Il enregistre d’abord dans son commentaire les composés depse :reapse mis par Cicéron pourreipsa, et, non moins souvent,sepse, pourse ipse. Puis il en vient aux termes dont l’usage moderne a changé l’emploi <…> Ensuite, il recueille précisément les vers d’Ennius <…> où il voit la preuve que, dans l’usage ancien,opem signifiait non seulement “secours” mais “concours prêté” <…> Après cela il s’estime tout heureux d’avoir découvert d’où vient qu’il plut à Virgile d’écrire…129.

60typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophieL’intention de cette lettre adressée à Lucilius est de rappeler l’importance et même la supériorité de l’approche philosophique. Mais ce passage, en soulignant la pluralité de lectures possibles d’un même texte, a aussi pour effet de placer le grammairien aux côtés d’autres figures d’autorité prestigieuses — le philosophe, l’historien — et de montrer la spécificité de son regard, un regard méthodique, concentré, sans doute un peu myope… Mais l’ironie légère qui teinte le texte contraste avec l’austérité des portraits qu’on a l’habitude de rencontrer ; le grammairien apparaît ici comme une figure un peu naïve qui semble retirer, de l’effort intellectuel et du plaisir de la découverte, une joie évidente.

Notes
1.

Sextus Empiricus,Adversus Mathematicos I, 41. On consultera les deux éditions récentes de ce traité : Sextus Empiricus,Against the Grammarians, traduit et commenté par David L. Blank, Oxford, 1998 ; Sextus Empiricus,Contre les professeurs, introduction, glossaire et index par Pierre Pellegrin, trad. Catherine Dalimier, Daniel et Joëlle Delattre, Brigitte Perez, Paris, 2002.

2.

La première place occupée par la grammaire dans l’ordre chronologique des apprentissages contribue aussi à justifier la place liminaire des grammairiens dans un ensemble plus vaste,Adversus Mathematicos, où Sextus Empiricus s’attaque à tous ceux qui font profession d’enseigner : rhéteurs, philosophes, mathématiciens…

3.

Bajoni 2008, p. 27.

4.

Voir notamment les travaux de Kaster 19801, Kaster 19802, Kaster 1988, Irvine 1994, Banniard 2007, Bajoni 2008, Riché 1995, Schouler 2008.

5.

Voir à ce sujet Ildefonse 1997, p. 15 : « Le fait que la grammaire se soit constituée tardivement comme discipline autonome tient pour une très large part à la mainmise de la philosophie sur le langage <…> L’accès de la grammaire à l’autonomie en tant que discipline singulière attachée au langage, est différé par la finalité apophantique de la philosophie et par la sélection qu’elle opère de l’énoncé comme forme canonique. Considéré comme un moyen, le discours fait moins l’objet d’une description qu’il ne s’avèremedium à normer — c’est la prégnance de ce principe de normativité qui me paraît différer l’accès de la langue à son statut, grammatical, d’objet ». F. Ildefonse montre aussi dans son ouvrage « comment les catégories grammaticales fondamentales ont pu être issues d’une réappropriation, par les grammairiens, de certains éléments du lieu logique stoïcien, isolé de son contexte systématique. <…> La langue, érigée pour la première fois en objet, est alors pensée comme le critère d’un donné rationnel que le grammairien a pour tâche d’exhiber ; mais le caractère normatif de l’énoncé, réinterprété dans le caractère rationnel de la langue, sépare la grammaire d’une opération descriptive » (p. 29).

6.

Dans cette perspective prend place notamment la délicate question de l’opposition entre anomalistes et analogistes, souvent débattue et qui a donné lieu à des interprétations diverses. Voir à ce sujet Blank 2005 etinfra p. 89.

7.

Voir Irvine 1994.

8.

Sextus Empiricus,Contre les grammairiens 44-45 : « On parle de grammaire par homonymie, à la fois dans un sens général et dans un sens spécifique. Au sens général, la grammaire c’est la connaissance des lettres « grammata » <…> ; au sens spécifique, c’est la grammaire complète, achevée par les disciples de Cratès de Mallos, d’Aristophane et d’Aristarque. Les deux grammaires semblent justement dénommées à partir du terme premier (gramma) ».

9.

Suétone,De grammaticis IV, 1 :Appellatio grammaticorum Graeca consuetudine inualuit, sed initio litterati uocabantur : « Le nom de “grammairiens” prévalut en raison de l’usage grec, mais au début on appelait ces gens des “lettrés” ».

10.

À Rome séjournent Asclépiade, Tyrannion, Tryphon, Philoxène… Sur l’histoire des liens entre la philologie alexandrine et l’implantation de la grammaire à Rome, voir Desbordes 1990, p. 45-49. Sur la grammaire grecque, voir Blank 2000.

11.

Suétone,De grammaticis II, 1-2 ; Aulu-Gelle,Nuits Attiques XV, 11.

12.

Les repères chronologiques indiqués par Suétone posent un problème de date, diversement interprété. Voir les commentaires de Marie-Claude Vacher dans l’édition de la CUF duDe grammaticis de Suétone, Paris, 1993, p. 40-41, note 3, et Viljamaa 1991.

13.

Cet épisode fondateur est à peu près contemporain d’un autre moment clé de l’histoire de l’héllénisation de Rome : la fameuse arrivée à Rome, en 155 av. J.-C., des trois philosophes grecs Carnéade, Diogène et Critolaos et leur introduction au sénat pour régler une affaire diplomatique. Voir sur cet épisode symbolique : Plutarque,Caton l’Ancien 22 et Aulu-Gelle,Nuits Attiques VI, 14, 8.

14.

On peut prendre pour exemple l’usage différencié des langues que fait Cornutus, auteur d’un traité de grammaire en latin, leDe orthographia, et d’une œuvre philosophique en grec. Voir Jean-Baptiste Gourinat, « Cornutus : grammairien, rhéteur et philosophe stoïcien », dans Griffe et Perez 2008, p. 53-92.

15.

Desbordes 1990, p. 44-46 : « Des observations accumulées par la philologie alexandrine en vue de l’établissement de textes corrects, on voit sortir peu à peu l’idée qu’on peut mettre au point des règles générales qui ne dépendent pas des occurrences chez les auteurs, mais qui peuvent éventuellement les justifier ou les expliquer. Des éléments d’une science de la langue sont donc déjà présents dans les travaux des Alexandrins, qui cherchent des critères de correction pour leurs textes, qui distinguent les différentes catégories de mots, qui utilisent l’analogie pour mettre au point des paradigmes etc. ; mais ces éléments sont encore liés à l’étude des textes. Vers la fin duII e siècle av. J. C. apparaît l’idée que ce type de recherches peut avoir une autonomie relative, idée qui s’est sans doute trouvée confortée, orientée et précisée, par les travaux philosophiques sur le langage et, particulièrement, par les recherches des Stoïciens sur le sujet, dans le cadre de ce qu’ils appellent Dialectique ».

16.

Voir à ce propos la définition que donne Varron, rapportée par Marius Victorinus, in Keil 1961, VI, 4, 4 : « D’après Varron, la science grammaticale (ars grammatica) que nous appelons en latinlitteratura est une science aussi complète que possible de ce qui est dit chez les poètes, les historiens et les orateurs ».

17.

L’opposition devient fondamentale (cf. Sextus Empiricus,Contre les grammairiens, 91-93) entre une partie ditehistorikon (où l’analyse procède cas par cas) et une partie ditetechnikon (où l’on dégage des règles générales de fonctionnement).

18.

De ces travaux sur la correction, le plus célèbre et le mieux conservé était leDe analogia de César, et quelques traités en latin sur lalatinitas, comme celui écrit par M. Antonius Gnipho, le maître de grammaire de César (de Sermone latino) ou de Stabérius Eros, maître de Brutus (de Proportione = analogia).

19.

Rhétorique à Hérennius IV, 17 :Latinitas est quae sermonem purum conservat, ab omni vitio remotum. Vitia in sermone, quo minus is Latinus sit, duo possunt esse : soloecismus et barbarismus <…>. Haec qua ratione vitare possumus, in arte grammatica dilucide dicemus.

20.

J’emprunte cette citation et ces analyses à Baratin 1989, p. 303-304.

21.

Quintilien développe beaucoup plus longuement ce qui touche à la correction, la première partie de la grammaire, car c’est ce qui fonde letechnikon, l’exposé systématique des éléments de la langue.

22.

Quintilien,Institution oratoire I, 4, 1-2.

23.

Quintilien,Institution oratoire I, 5, 54 :neque enim artem grammaticam componere adgressi sumus.

24.

Quintilien,Institution oratoire I, 4, 5 : « Aussi ne peut-on tolérer l’opinion de ceux qui se moquent de la grammaire et la tiennent pour une discipline étroite et étriquée (tenuem atque ieiunam) ».

25.

Quintilien déplore d’ailleurs, au début du livre II, que les rhéteurs aient abandonné aux grammairiens des tâches qui leur appartiennent en propre, comme les prosopopées, les suasoires, les exercices préparatoires et il poursuit (Institution Oratoire II, 1, 4) : « lagrammatike, dont on a traduit le nom grec en latin parlitteratura, doit connaître ses propres frontières, d’autant que, si elle a progressé, c’est seulement à partir du domaine modeste que définit son nom et auquel se sont tenus les premiers grammairiens. Étroit au départ, son cours s’est renforcé par l’apport des historiens et des critiques, et il coule désormais à pleins bords, car indépendamment de la théorie du langage correct, dont le domaine est passablement étendu, il a embrassé aussi la connaissance de presque toutes les disciplines les plus importantes ».

26.

Quintilien,Institution oratoire I, 5, 1 :emendate loquendi regulam, quae grammatices prior pars est, examinet.

27.

Rappelons que la syntaxe n’est pas intégrée à l’art grammatical avant Priscien, au début duVI e siècle ap. J.-C. Voir à ce sujet Baratin 1989, p. 7-8.

28.

Voir à ce sujet Vitrac 2007, p. 13. L’association entre la grammaire et la médecine est d’ailleurs fréquente dans les textes grecs comme dans les textes d’époque romaine. Voir par exemple Sénèque,Lettres à Lucilius 95, 8-9 ; Pline l’Ancien,Histoire Naturelle I, 7, 47 ; VII, 123.

29.

Baratin 1989, p. 302-303, montre qu’il existe en effet deux façons de concevoir la « qualité (virtus) d’un discours » : ou bien elle est différente du discours ordinaire, ou bien elle est « l’ordinaire conçu comme norme <…> L’ornement est une amélioration. Mais la correction ne peut guère se concevoir comme autre chose qu’une norme ». Marc Baratin montre d’autre part que l’étude de cette qualité conduit à un type d’analyse spécifique par rapport à la perspective rhétorique : la correction dépend de règles qu’on peut appliquer indistinctement à tout type de discours, sans se soucier de son contenu ou de son intention : « La correction est affaire de langue, non de discours ».

30.

Baratin 1989, p. 296-297, montre en revanche que la construction de la norme est sensiblement différente dans la tradition artigraphique tardive. Chez Donat par exemple les qualités de l’énoncé (virtutes) sont envisagées dans une perspective ornementale (métaplasme, figure, trope) ; elles sont définies comme des écarts marqués positivement par rapport à un énoncé non marqué qui constitue la norme ; de même que, symétriquement, les défauts de langue (vitia) sont marqués négativement par rapport à cette même norme.

31.

Institution oratoire I, 5, 5 :prima barbarismi ac soloecismi foeditas absit.

32.

I, 5, 6-10.

33.

I, 5, 17 :plus exigunt subtilitatis quae accidunt in dicendo vitia.

34.

Quintilien,Institution oratoire I, 7, 30 :Iudicium autem suum grammaticus interponat his omnibus ; nam hoc valere plurimum debet.

35.

Institution oratoire I, 7, 30.

36.

Institution oratoire I, 7, 32.

37.

Voir Blank 1982, p. 1-5 ; Blank 2005.

38.

Pour Blank 2005, le seul texte qui puisse nous servir de source sur cet antagonisme est un passage de Varron (De Lingua Latina 9,1) confirmé par Aulu-Gelle (Nuits Attiques II, 25,1-11). Pour lui, la « querelle » de Varron serait à interpréter à la même lumière que le traité de Sextus Empiricus, comme un débat sur la technicité de la grammaire, qui englobe le statut épistémologique de ses règles et son utilité pour la vie quotidienne. Tandis que le « parti analogiste » est celui de la technique et de la rationalité, maintenant que le langage est un système ordonné rationnellement qui peut être décrit et compris à travers des règles précises, le « parti anomaliste » ou plutôt « empirique » argue au contraire qu’aucune maîtrise complexe de la grammaire n’est possible, que les règles de la grammaire technique sont incohérentes et que ce qui est nécessaire à chacun est la compétence à observer l’usage commun et à modeler sa propre pratique linguistique sur cet usage. Les partisans de l’empirisme n’étaient évidemment pas des grammairiens, mais plutôt des Épicuriens, des sceptiques disciples de Pyrrhon et probablement aussi des Académiciens. Les idées développées dans le traitéContre les grammairiens de Sextus Empiricus vont dans ce sens.

39.

Cette transformation par les Modernes d’un simple débat théorique en querelle d’écoles fait penser à la fameuse opposition entre atticisme et asianisme. Cf. sur ce point Dupont et Valette-Cagnac 2005, p. 37-80 et p. 158-160. Sur le débat entre anomalistes et analogistes, voir Blank 2005.

40.

Pour Baratin 2008, il s’agit dans le débat entre anomalie et analogie de « savoir si les transformations dont les mots sont l’objet par dérivation ou flexion suivent un nombre limité de lois définissables et permettent un classement systématique des mots ou si ces transformations s’effectuent de façon désordonnée », autrement dit la question est celle de savoir si la langue est déterminée ou non par laratio, si oui ou non elle forme système.

41.

Baratin et Desbordes 1981.

42.

Institution oratoire I, 6, 1-2.

43.

Le termeratio est également employé 187 fois chez Aulu-Gelle, renvoyant à l’explication logique des expressions anciennes qui n’étaient plus comprises.

44.

La constitution d’une science grammaticale en langue latine (ars grammatica) est explicitement liée à sa fonction normative, comme le montre l’étymologie du motars selon le grammairien Pompeius (auteur d’un commentaire de l’Ars Donati, auV e siècle de notre ère) : présentant deux étymologies possibles pour le motars, le grecaretê et le latinartus, Pompeius préfère la seconde à cause de la capacité de l’ars à « embrasser le langage dans des principes étroits (artis praeceptis) ». Cette « étroitesse » des principes fonde l’art grammatical ; c’est également cet aspect de la grammaire qui focalise toutes les critiques.

45.

Quintilien,Institution oratoire I, 6, 4.

46.

César,De analogia ; Varron,De sermone latino ; Pline,De dubio sermone. Voir Funaioli 1907.

47.

Quintilien,Institution oratoire I, 6, 12 et I, 6, 16 : « L’analogie n’est pas descendue du ciel au moment de la formation de l’homme pour lui apprendre à parler, mais elle a été découverte après la parole <…> Ce n’est donc pas la loi du langage (lex loquendi) mais le résultat de l’observation (observatio) ».

48.

Quintilien,Institution oratoire I, 6, 29.

49.

L’étymologie joue en revanche un rôle primordial dans les analyses de Varron ; dans le livre V duDe lingua Latina, écrit vers 45 av. J.-C., il classe cinq sortes d’analyses étymologiques.

50.

Il faut en effet attendre lesregulae duIV e siècle, attribuées à Ulpien (I. 4), pour que la coutume soit mentionnée explicitement parmi les sources du droit. Elle a ensuite une place dans le code Théodosien, puis Justinien. Voir sur ces questions Michèle Ducos,Rome et le droit, Paris, 1996, p. 30-31.

51.

Cicéron lui fait une place importante dans lesTopiques et lesPartitiones oratoriae. Voir aussiDigeste I, 3, 32.

52.

La jurisprudence, « tradition juridique contrôlée par des experts », se développe auII e siècle av. J.-C. Ce travail est approfondi et systématisé auI er siècle par M. Scaevola. Voir Ducos,op. cit., p. 21.

53.

Institution oratoire I, 6, 3 :Consuetudo uero certissima loquendi magistra, utendum plane sermone ut nummo cui publica forma est.

54.

Sextus Empiricus,Contre les grammairiens 178-179.

55.

Ce que Charpin 1986 nomme « l’éclectisme » de Quintilien et qui, d’après lui, se manifeste aussi chez Diomède, Augustin, Maximus Victorinus, Audax… toute la tradition artigraphique ultérieure.

56.

On notera que ces usages sont, dans la culture romaine, marqués comme grecs. Le vocabulaire utilisé, l’envahissement de la cité, montre qu’ils sont pensés sur le mode de l’altérité « exclue ». Sur l’opposition altérité incluse/altérité exclue, voir Dupont et Valette-Cagnac 2005, p. 259-277.

57.

Quintilien,Institution oratoire I, 6, 44-45.

58.

Quintilien,Institution oratoire I, 6, 1-2 :Vetera maiestas quaedam et, ut sic dixerim, religio commendat. Auctoritas ab oratoribus uel historicis peti solet nam poetas metri necessitas excusat.

59.

Sur les usages romains de l’archaïsme linguistique, voir Valette-Cagnac 2006.

60.

Quintilien,Institution oratoire I, 6, 20. Plus loin (I, 6, 22) Quintilien ne peut s’empêcher d’opposer le « droit chemin (recta via) » et celui qui est « plus facile et plus battu (adjacet et mollior et magis trita) ».

61.

Voir à ce sujet l’anecdote rapportée par Macrobe dans lesSaturnales (I, 4), commentée par Kaster 1988. Le jeune Avienus est étonné par la nouveauté (novitas) de certains termes employés par un homme plus âgé, un certain Caecina Albinus. La défense de Caecina est assurée par un grammairien professionnel, Servius, le commentateur de Virgile, qui explique chacun de ces usages et montre que ce qu’Avienus prenait pour de lanovitas, était en fait de l’antiquitas. L’argument n’impressionne pas Avienus qui reproche à Servius d’abuser de son statut de grammairien pour encourager une façon de parler que le temps a oblitérée. Avienus prône l’utilisation de mots courants, contemporains (praesentia verba), jusqu’à ce que le plus prestigieux membre de cette assemblée de lettrés, Praetextatus, le remette à sa place. Comme le montre Kaster, cette défense s’appuyant sur l’archaïsme analogique et le respect de l’autorité des anciens reflète davantage le point de vue de Macrobe et sa vision idéalisée de la culture littéraire que celui de Servius, qui dans son commentaire de l’Énéide ne cesse au contraire de dénoncer les abus de l’analogie et de l’archaïsme.

62.

Auctoritas a également un sens juridique. En droit, il est utilisé pour désigner la ratification des lois par le sénat, la garantie apportée par un tuteur à un acte passé par le pupille, la garantie due à l’acquéreur par l’aliénateur d’un bien, garantie qui offre une protection contre les revendications des tiers. Dans la sphère politique, il est étroitement lié à l’exercice de la parole : celle du sénat, du magistrat, et revêt une signification morale.

63.

Quintilien précise d’ailleurs un peu plus loin (I, 6, 2) que « le jugement des grands maîtres du style a la même valeur que le raisonnement et qu’il y a même de l’honneur à s’égarer sur les traces de tels guides » (error honestus sit magnos duces sequentibus) ».

64.

D’ailleurs, parallèlement à l’énoncé des règles de la correction, Quintilien (I, 4, 4) fournit au futur orateur un « programme de lecture » sélectionnant le meilleur de la littérature grecque et latine. Les œuvres doivent être lues non seulement pour leur contenu (non propter historias modo) mais pour leur vocabulaire (verba), car « les mots tirent souvent leur légitimité (ius) de la caution des auteurs (ab auctoribus sumunt) ».

65.

Voir Aulu Gelle,Nuits Attiques XIX, 8, 15.

66.

Sur lemos maiorum, l’invention par les Romains de leurs traditions et l’articulation de cette notion avec « l’autorité du passé », voir Bettini 2000.

67.

Voir Desbordes 1991. Sur le modèle du grec artificiel, littéraire, fabriqué pour se démarquer du grec de lakoinê, s’est élaborée la définition d’un latin « pur », « cultivé », fonctionnant pour l’élite sociale romaine comme un signe identitaire.

68.

L’éloge des qualités de la langue latine et de sa supériorité par rapport à la langue grecque est un thème traditionnel du discours grammatical. Voir par exemple le commentaire de l’Ars Donati par Pompeius :Vide quam bonam brevitatem invenerunt Latini (127. 25 ; cf. 128. 1 et 128. 6) et, un peu plus loin, à propos des accents :Vides quanta brevitate utantur Latini. Graeci vero chaos fecerunt, totum confuderunt, ut quamvis mille legas tractatus non te convenias (130. 1).

69.

Quintilien,Institution oratoire I, 1, 55 :Verba aut latina aut peregrina sunt. Peregrina porro ex omnibus prope dixerim gentibus, ut homines, ut instituta etiam multa venerunt.

70.

Institution oratoire I, 5, 58 :Sed haec divisio mea ad Graecum sermonem praecipue pertinet. En revanche, I, 5, 56 : « Qu’on me laisse, quant à moi, tenir tout ce qui est italique pour Romain (licet omnia Italica pro Romanis habeam) » et I, 1,57 sur les mots gaulois qui ont cours (evaluerunt) depuis l’époque de Cicéron.

71.

Institution oratoire I, 5, 60. Un exemple de cette « latinisation forcée » de vocables grecs est la suppression, chez certains auteurs comme Cicéron, du s au nominatif de certains noms propres d’origine grecque :Pelia, Euthia, Hermagora, Aenea.

72.

Institution oratoire I, 5, 63.

73.

Ibid.

74.

Institution oratoire I, 5, 64.

75.

Quintilien,Institution oratoire I, 6, 27 :Quare mihi non invenuste dici videtur, aliud esse Latine, aliud grammatice loqui.

76.

Sénèque,Lettres à Lucilius 120, 4.

77.

Suétone,De grammaticis XXII, 2.

78.

Voirinfra p. 110 et note 125. L’arrogance des grammairiens est également dénoncée dans lesÉpigrammes de Martial (par exemple XIV, 120 : « La ligule d’argent. Bien que chevaliers et sénateurs m’appellent ligule, d’ineptes grammairiens m’appellent lingule »).

79.

Voir notamment sur les réformes de Claude, Desbordes 1990, p. 193-194.

80.

Sur ces questions, voir Dupont et Valette-Cagnac 2005, p. 12-18.

81.

On peut d’ailleurs rapprocher cet épisode de la réflexion de Quintilien, déjà citée, concernant la supériorité de l’usage sur l’emploi qu’avait fait César. Cf.supra p. 97.

82.

Dion Cassius, 58, 17.

83.

Sénèque,Lettres à Lucilius 95, 65.

84.

Kaster 1988, p. 18.

85.

CIL III, 6660 à propos de Silvinus, « limitis… fortissime custos ».

86.

CIL VI, 1722, en honneur de Fl. Honoratianus, « custodi iuris ac legum, parenti totius humanitatis, amico civilitatis et iustitiae ». On trouve un équivalent grec de cette expression chez Libanios,Ep. 5 : « hê tôn nomôn phulakê ».

87.

Voir à ce sujet Kaster 1988 ; Bajoni 2008 ; Schouler 2008. Bajoni 2008 (p. 76-77) cite un décret de Cassiodore (daté d’environ 533) dans lequel l’éloge de la grammaire est fondé sur son importance politique. La rémunération des grammairiens doit être proportionnée à l’indispensable fonction politique qu’ils remplissent.

88.

. Dans les rites de double énonciation, lecustos est chargé de contrôler la première lecture, de vérifier qu’elle est conforme au texte sur lequel elle s’appuie. Voir sur les vœux prononcés pour la santé de l’empereur : Sénèque,De clementia I, 19 et sur les prières propitiatoires prononcées par les magistrats : Pline l’Ancien,Histoire Naturelle XXVIII, 3, 11. Textes commentés dans Valette-Cagnac 1997, p. 259-260.

89.

La grammaire se présente comme la science qui donne les clés du sens d’un texte. Irvine 1994 montre l’action décisive de la science grammaticale dans l’émergence, à l’époque alexandrine puis romaine, d’une idéologie de la textualité et de l’herméneutique qui asservit progressivement le texte à la signification et à l’interprétation et qui fait du grammairien un gardien du sens.

90.

Quintilien,Institution oratoire I, 8, 14 :< Grammaticus > deprendat quae barbara, quae inpropria, quae contra legem loquendi sint posita, non ut ex his utique inprobentur poetae, quibus, quia plerumque servire metro conguntur, adeo ignoscitur, ut uitia ipsa aliis in carmine appellationibus nominentur : metaplasmus enim et schemata, ut dixi, vocamus et laudem virtutis necessitati damus, sed ut commoneat artificialium et memoriam agitet.

91.

Quintilien,Institution oratoire I, 9,1 :Et finitae quidem sunt partes duae, quas haec professio pollicetur, id est ratio loquendi et enarratio auctorum, quarum illam methodicen, hanc historicen vocant.

92.

La principale activité du grammairien ancien était en effet l’explication de textes dans un cadre scolaire, tâche qui trouve son origine dans les travaux philologiques des bibliothécaires alexandrins, préoccupés par l’établissement des textes dont ils assuraient la conservation. Étude de vocabulaire, recherches d’étymologie, dictionnaires, recueils dedifferentiae, ces tâches n’avaient en apparence pas grand-chose à voir avec l’orientation systématique du cadre artigraphique. Baratin 1989, p. 305, montre cependant que ces deux domaines hétérogènes ont eu des points de contact, en particulier dans l’analyse des tournures poétiques qui s’apparentaient aux fautes contre la correction, telles qu’elles sont décrites dans la grammaire systématique.

93.

Le commentaire que Pompéius (V e siècle) fait à propos des solécismes de Virgile montre bien son désir de justifier le poète ainsi que sa propre réticence à s’affranchir des règles (292. 20-23) :in hoc loco quid dicimus? pars in frusta secant (Énéide I, 212)et pars in frusta secat : <…> Nefas est autem de isto tanto viro credere per inperitiam hoc fecisse, non per scientiam adfectasse novitatem.

94.

VoirCommentaire de l’Énéide, I, 16 ; IX, 467 (debuit dicere). L’expression est synonyme defacere non debemus, utilisée à propos d’unegraeca figura (I, 319).

95.

Ainsi, Quintilien, dès qu’il aborde la description des défauts du discours, reconnaît qu’il est difficile de tracer la limite entre la faute (vitium) et la figure. Un peu plus loin (I, 5, 11) il réaffirme la nécessité de ne pas tirer des exemples de fautes chez les poètes ni d’en incriminer les auteurs (auctores criminantur). Dans lescarmina, les fautes sont « vénielles et même louables » (aut venia digna aut etiam laude duci). À propos d’Ennius, il invoque le « poeticum ius » (I, 5, 12) qui le met à l’abri de tout reproche. Et à propos des solécismes « autorisés », qui sont des « figures » (schemata), il étend ce droit aux orateurs (I, 5, 52 :oratoribus quoque permissa). Toute figure a « presque toujours une justification raisonnée » (aliquam rationem) ; mais si elle n’est pas employée « à bon escient » (per inprudentiam), elle ne manquera pas d’être un solécisme (soloecismo vitio, I, 5, 53).

96.

Voir à ce sujet les fines analyses que Baratin 2008 consacre au point de vue varronien sur l’analogie. Obligatoire pour la communauté (populus universus) qui doit se corriger quand elle a pris une mauvaise habitude (si perperam consuetus est corrigere se ipsum), la contrainte exercée par laratio ne doit pas s’exercer sur l’orateur qui ne peut s’y conformer partout sans choquer l’auditoire, encore moins sur le poète, qui peut s’en affranchir impunément. « Le capitaine doit obéir aux lois de la raison et tout le monde à bord doit obéir au capitaine ; de la même façon la communauté doit obéir aux lois de la raison et chacun de nous doit obéir à la communauté » (Varron,De lingua latina IX, 1). Parmi les individus, Varron distingue donc clairement deux catégories de personnes, les orateurs et les poètes, qui n’obéissent pas aux mêmes lois (non idem ius).

97.

Voir Kaster 1988.

98.

Quintilien,Institution oratoire I, 4, 3.

99.

Voir dans ce sens Claude Nicolet,Le métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, 1976, p. 103-121.

100.

Nicolet,op. cit., p. 103. Réservé depuis Auguste aux seuls chevaliers, l’examen des mœurs était déjà sous la République plus sévère à l’égard des classes supérieures. Il avait des conséquences civiques et politiques, mais aussi judiciaires (ignominia, qui aboutit à une sorte d’infamie).

101.

Le fameux Zoïle, sophiste contemporain d’Isocrate, était surnommé « le fouet d’Homère » pour avoir composé sur lui un ouvrage de critique puérile en neuf livres.

102.

Pline l’Ancien,Histoire Naturelle, préface, 28.

103.

Histoire Naturelle XXIV, 67.

104.

Voir par exemple Aulu-Gelle,Nuits Attiques IX, 10 ; XVII, 1 ; X, 26, 6.

105.

Saint Augustin,De doctrina christiana II, 13, 19-20 ; 38, 56 ; IV, 10, 24. Voir à ce sujet les excellentes analyses de Kaster 1988, p. 84-88.

106.

De doctrina christiana II, 13, 19. Comme l’explique Kaster 1988, p. 83, Arnobe (Adversus Nationes I, 59) avait déjà rejeté les revendications des grammairiens d’une validité permanente des règles fondées en nature : « Aucune parole n’est pure par nature (nullus sermo natura integer est) ». En même temps, l’attitude libérale envers le langage qui se manifeste dans leDe doctrina christiana est au service d’une contre-culture peu tolérante et très exclusive. Même les capacités d’exégète déployées par les grammairiens dans leur lecture des textes sont remises en question par Augustin. Pour lui, la culture traditionnelle n’est utile que dans la mesure où elle peut contribuer directement à comprendre et à communiquer la foi. Kaster 1988, p. 88, note aussi que ce point de vue d’Augustin n’a pas eu d’influence décisive jusqu’à la fin duVI e siècle (Cassiodore). Pendant longtemps, les traditions de la culture littéraire restent des marques de supériorité naturelle de l’aristocratie, y compris dans les milieux chrétiens.

107.

De doctrina christiana II, 13, 20. Cf. aussi II, 14, 21 ; 41, 62 ; IV, 7, 14 ; etConfessions I, 18, 28-29.

108.

Saint Augustin,De doctrina christiana IV, 10, 24.

109.

De doctrina christiana IV, 3, 5.

110.

Saint Augustin,De beata vita IV, 31 etSerm. 37, 14 :dum omnes instruantur, grammatici non timeantur.

111.

L’adjectif « lascifs » appliqué aux grammairiens fait référence au portrait qu’Ausone fait de son ami le grammairien Leontius Lascivus (Commémoration des professeurs de Bordeaux 7). Ausone rend hommage à celui qui fut songrammaticus, mais il ne manque pas de s’appesantir sur la valeur plaisamment érotique ducognomen de celui-ci.

112.

Bajoni 2008, introduction et chap. 4, p. 87-107.

113.

Svenbro 1988 (sur le paradigme pédérastique de l’écriture/lecture).

114.

À l’époque républicaine, les enfants de bonne naissance étaient protégés, dans le cadre du droit familial et des lois publiques, par la Lex Scantinia (149 av. J.-C.), confirmée par la législation augustéenne. Sur la moralité et les devoirs du professeur, voir par exempleInstitution oratoire II, 2, 15 : « Qu’il soit exempt de vices et qu’il n’en tolère pas ». La législation scolaire romaine d’époque tardive imposait aussi à ses enseignants « l’honnêteté des mœurs ». LeCode Théodosien (XIII, 3, 5 : constitution de l’empereur Julien datée du 17 juin 362) montre que les enseignants étaient recrutés à la fois en fonction de leur compétence et de leur moralité.

115.

Selon Suétone par exemple, Remmius Palémon (Gramm. 23, 15) « brûlait de passion pour les femmes jusqu’à l’infamie de la bouche ». Eunus était aussi d’après Ausone (Epigrammes 82-87) un « lécheur de femmes (cunnilinctor, ligurritor) ». Comme le montrent Florence Dupont et Thierry Éloi,L’érotisme masculin à Rome, Paris, 2001, l’érotisme fonctionne à Rome comme un élément de distinction sociale et la sexualité orale était à Rome la transgression la plus grave qu’un homme libre adulte pouvait commettre parce que la bouche était l’organe privilégié du citoyen romain.

116.

Kaster 1988, p. 58 : « Their main claims to cultural standing — their control of the language, and especially their rules — are repeatedly deflated and their intellectual failure is usually combined with ethical lapse and social catastrophe ». Ausone souligne bien le mélange d’honneur et de prestige, liés aux compétences du grammairien (nomen grammatici tam nobile) et de bassesse, liée à son statut économique (sterilis cathedra).

117.

Bajoni 2008, p. 19 : « Il peut se faire que, dans l’imaginaire érotique de l’écriture, le sens d’orthographia comme emploi correct desgrammata ait entraîné, par opposition, la notion de déviation ».

118.

Suétone (De grammaticis 23, 2) souligne par exemple que Remmius Palémon « enseignant à Rome, tenait le premier rang parmi les grammairiens en dépit de la mauvaise réputation que lui valaient toutes sortes de vices (quanquam infamis omnibus vitiis) ». Outre sa débauche, Suétone évoque son goût du luxe, son habitude de prendre plusieurs bains par jour et son inaptitude à subvenir à ses dépenses. Ce type de vices fait précisément partie des fautes punies par le censeur.

119.

Institution oratoire I, 7, 33-34 :Nec ipse ad extremam usque anxietatem et ineptas cavillationes descendendum atque his ingenia concidi et comminui credo. Sed nihil ex grammatice nocuerit, nisi quod supervacuum est.

120.

Quintilien,Institution oratoire I, 8, 18-19 : « À cela se joindra le commentaire explicatif des récits historiques, qu’il doit faire avec soin, certes, mais sans aller jusqu’au travail superflu ; car il suffit d’exposer ce qui est reçu, ou, du moins, ce qui a été rapporté par des auteurs illustres. Mais, à dire vrai, s’attacher à dépister ce que n’a jamais pu dire même le plus indigne des auteurs, c’est peine excessive (nimiae miseriae) ou vaine prétention (inanis iactantiae) et a pour résultat d’entraver et d’étouffer l’esprit, qui serait mieux occupé à autre chose ».

121.

Quintilien (Institution oratoire I, 4, 5) répondant à ceux qui se moquent de la grammaire (hanc artem cavillantur), affirme au contraire que, « nécessaire aux enfants, agréable aux vieillards, aimable compagne de la retraite, c’est, de toutes les études, la seule peut-être de ce genre à comporter plus de substance que d’apparence (plus operis quam ostentationis) ». Quintilien rappelle que les plus grands orateurs — Cicéron, César, Messala — ont tenu la grammaire en haute estime, Cicéron veillant à la correction du langage de son fils et se montrant vis-à-vis de lui « un exigeant contrôleur » (asper exactor). Comparant la connaissance que la grammaire apporte avec les secrets de l’initiation (I, 4, 6), Quintilien fait l’éloge des grammairiens capables de « descendre jusqu’aux menus détails (descendent rerum tenuitatem) » (I, 4, 7-9).

122.

Suétone,Vie de Tibère LXX, 5.

123.

Griffe 2008 recense dans l’ensemble de l’œuvre vingt-quatre de ces scènes, qui sont à peu près toutes construites sur le même schéma.

124.

Griffe 2008 cite de nombreux exemples de ce type. Voir en particulierNuits Attiques V, 21 : un familier d’Aulu-Gelle (vir doctus, doctrina homo seria et ad vitae officia devincta) rive son clou à un « reprehensor audaculus verborum » (un prétentieux censeur de mots).

125.

Suétone,De grammaticis XXII, 1.

126.

Le termeexactor, également utilisé dans le domaine de l’administration, renvoie à toute forme de contrôle, celui des impôts notamment. Son emploi dénote une certaine réprobation de la part de Suétone devant ce zêle exagéré, et chez le personnage auquel il s’applique, il indique une agressivité qui n’est pas dans un autre terme souvent appliqué au grammairien, « Latini sermonis observator » (voir par exemple Sénèque le rhéteur,Controverses 2, 4, 8, expression appliquée à Corvinus Messala, un autre puriste).

127.

Ce procès doit être situé avant 12 av. J.-C., date à laquelle Cassius Severus fut banni. Celui-ci était un orateur et un pamphlétaire de l’époque augustéenne, réputé pour son esprit mordant et brillant. La réplique qu’il aurait adressée à Pomponius Marcellus est tout à fait dans la veine du personnage dans ce qu’elle a de mordant et d’improvisé. M. Pomponius Marcellus est prêt à tout pour défendre lalatinitas, comme le montre l’anecdote qui suit où il corrige Tibère (voirsupra, p. 98 et note 77).

128.

Nuits Attiques X, 1 : Cicéron se demande à propos de la carrière de Pompée si « consul pour la troisième fois » se dit « consul tertium » ou « consul tertio ». N’ayant pas trouvé chez les grammairiens de réponse à son dilemme, il décide de faire rédiger l’inscription en utilisant des abréviations.

129.

Sénèque,Lettres à Lucilius 108, 29-34.

Appendix A

Abréviations bibliographiques
  1. Bajoni 2008 : Maria G. Bajoni,Les Grammairiens lascifs. La grammaire à la fin de l’Empire romain, Paris, 2008.
  2. Banniard 2007 : Michel Banniard, « Les autorités grammaticales, entrave ou adjuvant aux émergences langagières (VIII e -XII e siècles) ? », in Didier Foucault, Pascal Payen (éd.),Les autorités. Dynamiques et mutations d’une figure de référence à l’Antiquité, Grenoble, 2007, p. 283-296.
  3. Baratin1989 : Marc Baratin,La naissance de la syntaxe à Rome, Paris, 1989.
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