Adriana Zangara

La naissance des images historiques : le surgissement d’une aporie

1inscription des savoirsvisualisationimagetableau construction des savoirsépistémologiefiction typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoireQu’est-ce qu’on voit lorsqu’on « croit voir » le passé et qu’est-ce que fait l’historien lorsqu’il nous le « fait voir » ? La présence en laquelle consiste la représentation du passé est celle d’une image. Une image que l’on ne saisit que par les yeux de l’imagination et qui est évidemment l’effet d’une fiction produite par le langage, puisque rien de ce que l’on « croit voir » en lisant l’histoire, rien de ce que l’historien « peint » en écrivant, n’est jamais présent devant nous, ni en personne, ni dans un tableau. Une image, pourtant, que l’on dit « du passé » comme si l’objet mis « devant nos yeux » était bien ce réel aujourd’hui disparu surgissant des profondeurs du temps jadis. Mais comment savoir si la scène que l’on croit « voir » et « vivre » en lisant l’histoire est bien la scène qu’on aurait vue et vécue si on avait été là, in illo tempore et in illo loco ? La puissance magique de l’« effet de présence » produit par ces images qui nous rendent visionnaires joue en fait, comme l’a montré Paul Ricœur, un rôle ambivalent par rapport à la « visée intentionnelle » de l’histoire. D’une part, elle la « concrétise », puisque la « quasi-présence des événements « placés sous les yeux » du lecteur par un récit animé » pallie, « par son intuitivité, sa vivacité, le caractère élusif de la passéité du passé »1. Mais, d’autre part, elle la menace aussi car, face à l’image présente devant les yeux de l’imagination, « comment maintenir la différence de principe entre l’image de l’absent comme irréel et l’image de l’absent comme antérieur ? »2.

2construction des savoirsépistémologiecroyance construction des savoirsépistémologievérité inscription des savoirsvisualisationimagePoser la question de l’enargeia dans l’historiographie ancienne c’est interroger la naissance de ces images aux effets puissants et ambivalents. Des images qui, loin de se dissiper comme des songes face à l’évidence de la preuve – que les Modernes auraient substitué à l’« effet de vérité » de l’enargeia des Anciens3 – semblent bien n’avoir cessé de hanter la réflexion sur la représentation historique. Car l’enargeia, l’art du pro ommatôn tithenai,duante oculos ponere, est précisément le nom le plus ancien attribué à l’« effet de présence » dont parle Ricœur. Un effet que les historiens connaissent sans doute depuis Hérodote – « tu vois comme il prend ton âme et il la conduit à travers les lieux, faisant de l’écoute la vue (tên akoên opsin poioun) ! »4 – même si ce n’est qu’à partir de l’époque hellénistique qu’ils apprennent, par l’intermédiaire du concept d’enargeia, à le reconnaître et à le désigner. C’est à ce moment que naissent les images historiques : des images, des « tableaux » que les Anciens reconnaissent et désignent comme étant les produits d’une force – une dunamis,disent les rhétoriciens5 – capable d’amener les auditeurs à « croire voir (oiêtai horân) ce qui est dit »6, et de les « transformer en spectateurs (theatên poiêsai ton akroatên) »7. Or, aussitôt nées, ces images ont pris place au centre d’une problématique d’où elles ne sont plus sorties depuis. Car la force de l’enargeia donne à l’histoire les pouvoirs extraordinaires de la fiction. Et toute la question est de savoir si et comment on peut légitimer ces pouvoirs sans transformer l’histoire en fiction.

3Au moyen de ces pouvoirs l’historien est censé accomplir la fonction proprement représentative de son récit : « exhiber les faits avec le plus d’évidence possible (eis dunamin enargestata epideixai) », comme l’écrit Lucien, constitue l’objectif ultime de l’élocution historienne8. Un objectif, pourtant, que l’historien ne paraît atteindre qu’en dépassant les possibilités propres au récit lui-même. Car le récit historique, de par sa structure d’énonciation et sa dimension diachronique, est considéré comme incapable de faire, à lui seul, « tableau » et d’abolir cette distance temporelle qui, comme le remarque Plutarque, fait toute la différence entre la peinture et les arts littéraires : « Les actions que les peintres représentent comme si elles étaient en train de se dérouler (hôs ginomenas), les œuvres littéraires les racontent et les exposent une fois achevées (gegenêmenas) » 9 . Ajouter l’enargeia au récit, imiterla peinture, produire des images capables de se substituer si parfaitement aux choses que la différence même entre la réalité et la représentation paraît disparaître, c’est éliminer toute distance entre le présent et le passé, et abolir ainsi le handicap majeur de l’histoire à l’égard de la mimêsis. Les auditeurs, transportés « sur la scène même des événements »10, « au milieu du danger »11, emportés par « les sentiments de stupeur et de trouble éprouvés par ceux qui assistaient aux faits en train de se dérouler »12, oublient d’un seul coup l’absence du passé : « mis sous les yeux », les événements racontés ne sont plus des faits passés mais « des actions en train de s’accomplir »13. Et ces actions, mises en visibilité, apparaissent d’emblée comme des modèles exemplaires, des événements inoubliables. Leur valeur et leur sens sont intensifiés, « amplifiés »14 par l’image, par son pouvoir d’augmenter, d’accroître l’être même de ce qu’elle montre. C’est grâce à ce pouvoir que l’historien peut ériger un personnage, un événement, une scène, en exemple instructif : « mis devant les yeux », le passé apparaît d’emblée comme digne de l’éloge.

4construction des savoirslangage et savoirsstyleclarté construction des savoirslangage et savoirsstylelisibilitéToutefois, dans la mesure même où la force de l’enargeian’accomplit la fonction représentative de l’histoire qu’en poussant l’historien à dépasser les limites de son récit, il n’est pas étonnant que les effets produits par cette force aient été perçus aussi comme une sorte de transgression par rapport aux normes du récit historique, et avant tout par rapport à la distinction fondatrice entre res gestae et historia rerum gestarum. Capable de ramener au présent ces faits que le récit historique « éloigne dans l’aoriste », la force de mise en visibilité propre à l’enargeia est, de facto, irréductible à la lisibilité de ce récit où « personne ne parle » et « les événements semblent se raconter eux-mêmes »15. Car « faire voir », ce n’est pas retransmettre, « purement et simplement », une information : l’enargeia ne coïncide pas avec la clarté du discours qui, comme disait Aristote, « s’il ne montre pas son objet ne fait pas son travail »16. De par son pouvoir démiurgique, elle se caractérise plutôt comme étant, selon les mots de Cicéron, « quelque chose en plus de la clarté »17. Et ce « plus », dans un contexte où le bon historien est décrit comme un simple mênutês – « montreur » – et non poêtês de ce qu’il raconte18, n’a évidemment pas manqué d’éveiller des soupçons. En effaçant la distance entre le passé et le présent, entre la réalité et la représentation, entre le récit et le tableau, ne risque-t-on pas d’effacer aussi la distance qui sépare l’histoire de la fiction ? En nous amenant à confondre les faits et les mots dans la réalité unique de l’image, l’enargeia ne nous entraîne-t-elle pas trop loin, dans une direction où l’image n’aurait plus à tenir compte d’une coïncidence possible avec l’événement et où elle ne serait que fascination pure, rêve éveillé ? Et son pouvoir d’amplification n’est-il pas pour l’historien qu’un excellent prétexte pour exhiber son talent littéraire ? Ou encore pour abuser le public, en manipulant son jugement ?

5Ce sont là des soupçons que semble bien confirmer la perception des images historiques propre aux Anciens. Ces images, admirées pour leur beauté par les théoriciens de l’ekphrasis de l’époque impériale19, ou bien critiquées par les philosophes pour leur « immoralité » – « l’imitation des histoires (mimêsis tôn historoumenôn) n’est pas plus utile pour l’âme que l’imitation des peintures pour les yeux », écrira le platonicien Maxime de Tyr 20 – n’ont pas manqué, en effet, d’être vues comme des images de fiction. Et d’ailleurs, dans le seul classement où elles figurent, à savoir celui des imaginesproposé par Augustin, ne finissent-elles pas par apparaître, avec celles que produisent les poètes21, comme les phantasmata par excellence, l’exemple même de ces images d’objets apparents qu’il faut à tout prix distinguer de celles issues d’objets réels ? Même la réflexion de ceux qui, comme Polybe, Plutarque ou Lucien, ont cherché à définir le plus nettement la spécificité historienne de l’art de « faire voir », paraît marquée par le poids constant du soupçon. Car le moins qu’on puisse dire de cette réflexion, c’est qu’elle fut particulièrement contrastée : visant d’une part à légitimer le pouvoir des images et de l’autre à le démonter. Défini au livre XII par Polybe comme la prérogative exclusive du récit véridique, l’art de « faire voir » est aussi sévèrement condamné en tant que « procédé vulgaire et efféminé » ne visant qu’à titiller le voyeurisme du public22. Considéré par Lucien comme le but de la diction historique, cet art est également critiqué et ridiculisé à plusieurs reprises23. Employé par Plutarque, dans les Vies, comme le moyen propre à la paideia historique, l’art de « faire tableau » est aussi défini, dans le De Gloria Atheniensium, comme un art de fiction24.

6pratiques savantespratique corporelleperceptionFace au problème que posent ces attitudes et ces jugements ambivalents et contradictoires, la critique historiographique a choisi le plus souvent d’adopter une attitude de déni : il n’y aurait pas, en fait, de contradiction, car l’enargeia que les Anciens jugent tantôt positivement tantôt négativement ne serait pas la même. Autrement dit, on serait confronté, dans l’Antiquité, à deux usages bien distincts de l’art historien de « faire voir ». D’une part, une enargeia « pragmatique » – essentiellement celle que Polybe théorise au livre XII – qui, en conformité avec la déontologie historienne, n’aurait d’autre but que de reproduire la vérité des faits et d’instruire le public. De l’autre, une enargeia « tragique » – celle que Polybe dénonce chez Phylarque 25, Plutarque chez Douris de Samos 26 et Lucien chez de nombreux historiens de son époque – qui, en revanche, n’aurait visé qu’à émouvoir et à charmer le public par des effets pathétiques et spectaculaires27. Totalement bâtie sur les effets de sens que produisent ces jugements de légitimation ou de délégitimation de l’enargeia, cette distinction répond, sans doute, aux vœux de ceux qui les ont formulés. Mais en départageant ainsi la vérité de la fiction et en déniant toute possibilité d’accointance entre l’une et l’autre, elle me paraît effacer le problème crucial que ces jugements supposent, la question à laquelle ils s’efforcent de répondre.

7pratiques savantespratique intellectuelleimagination construction des savoirstraditionmémoire construction des savoirsépistémologievéritéUn problème qui est tout inscrit dans l’ambivalence de ces jugements mêmes : pourquoi les images historiques peuvent-elles nous apparaître tantôt comme « vraies », tantôt comme purement et simplement « fictives » ? Poser cette question c’est interroger l’aporie à laquelle se heurtent les images du passé, une aporie qui, mise en résonance avec la réflexion actuelle sur le rôle de l’« effet de présence » dans la « fictionalisation » de l’histoire, apparaît remarquablement durable. Pallier par l’image l’absence du passé n’est-ce pas risquer de rendre son antériorité « irréelle » ? Plus ancienne sans doute que l’histoire, cette aporie découle, selon Ricœur, de l’idée même d’« image du passé », une idée qui, née de l’enchevêtrement de la mémoire et de l’imagination, est un « héritage grec »28, un legs destiné à devenir le tourment de la phénoménologie de la mémoire et, par là même, de l’histoire, puisque l’histoire, « héritière savante de la mémoire », est également l’héritière de son « aporie fondatrice »29. Or, si c’est bien l’aporie de l’image du passé qui surgit, ou plutôt qui resurgit dans l’aporie de l’image historique, dans l’enchevêtrement de la représentation historique et de la fiction littéraire, questionner l’enargeia et la naissance des images historiques, creuser encore le fond énigmatique et inépuisable de notre « héritage grec », c’est interroger ce moment crucial où l’aporie de la mémoire devient, pour la première fois, une aporie pour l’histoire. Quel rôle joue le concept d’enargeia dans ce devenir ? Et précisément quel rôle joue-t-il par rapport à la perception, à la prise de conscience de l’ambivalence de la notion même d’image à l’égard de la « visée du passé » ?

L’image du passé, la force de l’enargeia et le pouvoir des images

8inscription des savoirsvisualisationimagetableau« La mémoire est du passé », écrit Aristote 30, et toute la difficulté est de savoir comment évaluer la vérité de ce « tableau » qu’on appelle souvenir et qui est présent en nous, comme la trace de l’empreinte (tupos) laissée par la chose même dans l’âme, dès lors que cette chose est passée et désormais irrévocablement absente. Défini comme une image-copie (eikôn), le souvenir opère dans le sillage de cette phantasia qu’Aristote définissait comme la faculté de « disposer des choses devant nos yeux » (pro ommatôn poiêsthai)31. Car l’image du souvenir est un phantasma et le problème majeur avec les phantasmata est que leur signification ne dépend finalement que de la manière dont nous les « regardons ». Ainsi, explique Aristote, de même que l’on peut regarder un tableau de deux manières, comme une copie (eikôn), c’est-à-dire en fonction de ce à quoi il renvoie, ou bien comme une simple image peinte sur un support, de même l’on peut voir un phantasma ou bien comme une eikôn – et c’est le souvenir – ou bien comme un phantasma tout court ne renvoyant à rien d’autre qu’à lui-même32. Mais puisque la référentialité n’est jamais que dans l’œil de celui qui regarde, la confusion est toujours possible : ainsi, l’on peut « regarder comme une copie ce qui ne l’est pas », comme il arrive à ceux qui « en état d’extase, parlent des images comme si c’étaient des faits passés et comme s’ils s’en souvenaient »33 ; ou inversement, l’on peut voir une copie comme une simple image car, si l’on ne reconnaît pas l’original dont le tableau est la copie, le tableau n’apparaîtra que comme un simple dessin, dont on n’appréciera alors que l’exécution technique34.

9construction des savoirstraditionmémoireQu’en est-il de la vérité de l’image du passé, alors que c’est en lisant l’histoire que ce passé surgit « devant nos yeux » ? Alors qu’il est mis « devant nos yeux » afin qu’on s’en souvienne35  ? Contrairement à l’image de la mémoire, l’image historique ne « fait voir » que des souvenirs qu’elle constitue elle-même et qu’elle ne constitue qu’en faisant fonctionner, pour ainsi dire, à rebours la machine même de la mémoire : ce n’est pas l’empreinte laissée par l’événement ayant frappé l’âme qui « fait tableau », c’est plutôt l’image qui, en « faisant tableau », « frappe » l’âme et y inscrit l’« empreinte » d’un événement destiné à demeurer à jamais comme un « souvenir inoubliable ». Et celui-ci sera d’autant plus « inoubliable » que sera fort le choc émotionnel suscité chez les lecteurs par des images « impressionnantes », des images qui, comme diraient les théoriciens de l’ars memoriae, seront « agissantes, vives, remarquables »36. Ce souvenir, destiné à nourrir la mémoire que nous appelons « collective », ne pourra être « reconnu » par le lecteur d’histoire ni comme la copie de quelque chose qu’il aurait vue, entendue ou éprouvée antérieurement ni même comme une image qui « ressemblerait » à d’autres images déjà imprimées dans sa mémoire. Car l’image historique, ayant pour objet des événements « dignes de mémoire » parce que nouveaux et toujours plus grands et plus merveilleux que les précédents, semble bien échapper, dans son présupposé même, au cadre du « déjà vu »37.

10Toute sa vérité et son pouvoir de représentation ne reposent alors que sur la force avec laquelle cette image se présente à nous et nous frappe. C’est cette force que désigne le nom même d’enargeia : une force d’autoprésentation qui agit dans la représentation de la chose, tout en la débordant puisque – à l’instar de la lumière qui, comme disait Chrysippe, ne saurait « faire voir ce qu’elle enveloppe » sans « faire voir à la fois elle-même »38 – elle en est la condition de possibilité et d’effectivité. C’est cette force qui donne à l’image enargês la « qualité paradoxale » d’un signe transparent « qui pourtant se donne nécessairement à voir comme signe, pour mieux souligner sa performance »39. Une qualité qui transforme le concept même d’image : « transparente » et « opaque », « transitive » et « réflexive », cette image qui ne montre qu’en montrant qu’elle montre échappe à l’alternative qu’impliquait, chez Aristote, l’arbitraire du regard face aux images mentales : on ne pourra plus la voir comme la copie de son référent, ou bien comme une simple image, sans référent. En esquissant les lignes de ce que nous appelons aujourd’hui la structure bipolaire de l’idée de représentation40, et en faisant de la force d’autoprésentation de l’image la condition de possibilité et d’effectivité de son pouvoir de représentation, le concept d’enargeia, change la donne : on verra désormais l’image comme « plus » qu’une copie – comme la manifestation d’une présence – ou bien comme « plus » qu’une simple image – comme une sorte d’hallucination ou comme une fiction. Toute l’ambivalence de l’image relève désormais de l’interprétation de la nature et de l’origine de la force avec laquelle elle se présente.

11D’où vient la force de l’enargeia ? Les différentes réponses qui ont été données à cette question dans le domaine de l’historiographie nous renvoient aux interprétations multiples et divergentes du concept d’enargeia en tant que notion philosophique et procédé littéraire. Car l’ambivalence de l’image historique ne peut être pensée qu’en fonction du trait paradoxal de l’enargeia historienne qui réunit en elle-même les caractères opposés de l’enargeia des rhétoriciens et de celle des philosophes. Comme lenargeia rhétorique elle est un effet de fiction, comme l’enargeia des philosophes elle est censée manifester un objet réel. Mais cette opposition ne suffit pas à rendre compte de la complexité des interprétations dont paraissent susceptibles la nature et l’origine de la force de l’enargeia. Car, aussi bien dans le domaine de la philosophie que dans celui des arts littéraires, la réponse donnée à la question de savoir d’où vient la force de l’enargeiaest loin d’être univoque. Parmi les philosophes, elle est l’enjeu même du débat qui oppose les Dogmatiques et les Sceptiques au sujet de la question du « critère de vérité ». Croire, comme le font les Stoïciens, que la force par laquelle l’image se présente ne saurait avoir pour origine qu’un objet réel, c’est évidemment croire que l’enargeia est un critère de vérité et qu’il est donc possible de distinguer les « vraies » et les « fausses » images, les images d’objets réels (phantasiai)et les images d’objets apparents (phantasmata), ces images hallucinées n’étant que le piège où la traction à vide du phantastikon entraîne « les mélancoliques et les fous »41. Mais pour les Sceptiques c’est précisément ce piège du phantastikon qui fournit le meilleur exemple du fonctionnement de l’enargeia : sa force propre ne consiste-t-elle pas à nous faire transposer l’effet produit par l’image sur autre chose que l’image elle-même42 ? Comment croire à l’effet produit par l’enargeia alors qu’« il n’y a pas une seule représentation issue d’un objet vrai qui ne puisse avoir les mêmes caractères quand elle est issue du faux », et que « toutes les deux paraissent également évidentes (enargeis) et impressionnantes (plektikas) »43 ?

12typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagerhétoriqueL’usage du concept d’enargeia dans les arts du discours ne fait qu’appuyer ce constat troublant : cette enargeia qui est un effet du discours ne consiste-elle pas en la capacité de « faire voir » un objet « faux » comme s’il était « vrai » ? Mais, mis au profit de la persuasion et du plaisir, le pouvoir « hallucinatoire » que l’enargeia donne aux images, désamorce ses aspects les plus inquiétants. Car les objets apparents que nous « croyons voir » en lisant ou en écoutant un texte, ne sont au fond que des hallucinations passagères et volontaires (« ce qu’ils veulent, ils le croient aussi »…)44, qui relèvent moins d’une pathologie que de cette ancienne faculté de pro ommatôn poiêsthai qu’Aristote appelait phantasia 45 . Produits par le discours, ces objets sont des effets de fiction. Mais toute la question là aussi est de savoir d’où vient la force qui permet de les produire : dérive-t-elle d’une « vision » préalable née dans un état d’« enthousiasme » et de « passion », comme le croient Longin et Quintilien 46, ou bien de la force même du discours, de ces ruses du « métier » que les auteurs des Progumnasmata enseignent aux apprentis écrivains47  ? Encore une fois, c’est de l’interprétation de la nature et de l’origine de la force de l’enargeia que dépend la signification attribuée au pouvoir des images. Car, si l’on croit que cette force ne relève que d’une « vision » préalable, alors l’image sera chargée de manifester et de communiquer au public la « vérité » persuasive et contagieuse d’une « inspiration » passionnée et enthousiaste que celui qui parle ne saurait feindre. Si, en revanche, elle est interprétée comme l’effet de la force même du discours, alors l’image, comme il arrive avec ce « discours spécialisé dans la mise en œuvre de l’enargeia » 48 qu’est l’ekphrasis,sera plutôt chargée d’accentuer et de dénoncer l’illusion de « vérité » qu’elle produit, afin que la virtuosité de l’écrivain soit pleinement reconnue et admirée.

13Et la « vérité » de l’image historique ? Dans quelle mesure peut-elle se fonder sur l’efficacité de la force avec laquelle l’image elle-même se présente et nous frappe ? Toute la difficulté, pour l’image historique en tant qu’image du passé, en tant qu’image d’un objet absent parce que antérieur, d’un objet apparent mais réel, vient du fait que cet objet antérieur d’où elle est censée tirer toute sa force est aussi un objet absent, que l’on ne pourra « croire voir » que grâce à la capacité du discours à « faire voir » des objets apparents. Les différentes manières dont les Anciens « voient » et « font voir » les images historiques supposent cette aporie que le concept d’enargeia explicite. Et les différentes manières dont ils l’ont abordée, tantôt pour légitimer le pouvoir de représentation des images, tantôt pour le démystifier, supposent à leur tour une analyse de la force de l’image que seul le concept d’enargeia a rendue possible. Si les raisons pour lesquelles ils ont décidé tantôt de justifier et tantôt de dénoncer le pouvoir des images nous renvoient aux enjeux d’une histoire – vero testis temporum et magistra vitae –qui désormais n’est plus la nôtre, la possibilité qu’ils font surgir de porter sur les « tableaux » historiques un regard ambivalent fait encore partie du regard que nous portons sur l’« effet de présence » que ces images produisent. Au fond, ce sont les Anciens qui nous ont appris à les « voir » : tantôt comme l’effet d’une présence antérieure et réelle, tantôt comme un effet de fiction.

Ut pictura historia I : peindre au naturel. La force de l’expérience vive

14pratiques savantespratique intellectuelleimagination acteurs de savoirémotionLa toute première interprétation historienne du concept d’enargeia est déjà une justification de sa force et une légitimation du pouvoir qu’elle donne aux images. L’argument qu’elle présuppose est inscrit tout entier dans la question qui, selon ce que rapporte Agatharchidès de Cnide, historien, géographe et grammairien du ii e siècle, semble avoir occupé une place importante dans la toute première réflexion sur l’art de « faire voir » : « Beaucoup de gens, aussi bien chez les politiciens que chez les poètes, ont traité de la question : comment quelqu’un qui s’est trouvé à l’extérieur des dangers peut-il raconter d’une manière expressive (emphanês) une mésaventure peu commune ? »49. On reconnaîtra là une préoccupation qui n’a jamais cessé de hanter la réflexion poétique et rhétorique : peut-on « faire voir » une scène qu’on n’a pas « vue » au préalable ? Peut-on émouvoir sans être ému ? Mais l’on remarquera que la tournure donnée par Agatharchidès à cette question semble exclure d’emblée toute « vision » ou « émotion » ayant trait à des expériences purement imaginatives. C’est déjà là une manière toute « historienne » de poser le problème du « faire voir ». Et la fameuse « théorie » de lemphasis et de l’enargeia formulée par Polybe au livre XII des Histoires, ne sera qu’une manière toute « historienne » d’y répondre : l’autopatheia, l’expérience personnelle de l’historien, est la condition sine qua non d’un récit capable de reproduire et transmettre l’emphasis et l’enargeia de la réalité. Ceux qui ne possèdent pas cette expérience « font comme les peintres qui prennent pour modèles des mannequins empaillés : dans leurs tableaux le trait extérieur est quelquefois conservé, mais il manque l’emphasis et l’enargeia des êtres réels, ce qui est pourtant le propre de l’art du peintre »50.

15Or, Polybe et Agatharchidès sont, au ii e siècle, parmi les premiers témoins de l’usage du substantif enargeia,un terme qu’ils associent souvent au motemphasis 51  – comme il arrivait par ailleurs, semble-t-il assez couramment, dans la critique poétique de l’époque52 – et que les manuscrits confondent souvent avec le mot energeia,ce terme qui, avec celui d’empsuchia,désignait chez Aristote les effets d’animation et de mouvement produits par l’art de « mettre devant les yeux » propre à la métaphore53. Et pourtant, rien n’est apparemment plus loin de la poésie que le pouvoir de « faire vivant » et de « faire tableau », de « donner à voir » et de « donner à entendre au-delà de ce que les mots expriment » propre à cette enargeia qu’Agatharchidès définit, en l’opposant précisément à la fiction poétique, par l’adjectifpragmatikê 54. Car, définie avant tout comme une qualité propre aux faits (parfois par opposition aux discours)55, une qualité qu’on ne saurait reproduire que si l’on est, comme le veut Polybe, un pragmatikos anêr , cette enargeia, apparaît plutôt comme la prérogative des « tableaux » historiques et véridiques. Voire, comme leur critère de vérité, car s’il est vrai que seulement l’expérience vécue peut garantir la production de l’effet d’enargeia par le récit, alors il faut en conclure que seul l’effet d’enargeia peut garantir que le récit est effectivement fondé sur une expérience vécue. En d’autres termes, l’« effet de présence » produit par le récit, à l’instar de celui que, selon les philosophes, produisent les phénomènes, devrait être considéré comme le certificat infalsifiable de l’authenticité de sa provenance, autrement dit, de la « chose » réelle – le phantaston diraient les philosophes – qui en est la cause motrice.

16Certes, il est clair que, dans le cas du récit, l’image qui « frappe » l’auditeur ne saurait être immédiatement produite par la « chose » elle-même. Mais, elle en est pourtant, aux yeux de Polybe, la re-production, le portrait fidèle puisque celui qui l’a « peinte » en a été « frappé », « affecté » lui-même en personne. Peinture d’après nature, le « tableau » historique exhibe sans crainte les conditions de sa propre production : car l’autopatheia, l’expérience personnelle de celui qui a produit le tableau et dont celui-ci est censé tirer toute sa force, tout son pouvoir d’émotion contagieuse, loin d’en menacer la transparence objective, en garantit au contraire la crédibilité, lui donnant l’aspect touchant et convaincant d’un témoignage. Et c’est bien la force de ce témoignage qui légitime le pouvoir de l’image. Car elle ne saurait être efficace, si elle n’était pas vraie. Aux yeux de Polybe, les images sans vie, les images « peintes » d’après des livres, d’après des « mannequins empaillés », sont des images inefficaces parce qu’elles sont fausses. En effet, elles ne sont pas en mesure « d’éveiller un alêthinos zêlos chez les auditeurs »56. Elles sont incapables de susciter cette admiration véritable, ce vrai désir d’émulation qui est, aux yeux de Polybe, l’effet propre de la représentation vivante d’êtres réels, d’hommes vivants, autrement dit l’effet propre à la représentation historienne. Polybe n’a aucun doute à ce propos : ce sont bien « des hommes vivants (empsuchous andras) plutôt que des constructions sans vie (apsuchôn kataskeuasmatôn) » que « l’on est susceptible d’admirer et d’imiter(zêlôsai kai mimêsthai) » 57.

17À quoi pense Polybe en parlant de ces images d’« hommes vivants » ? L’admiration avec laquelle il décrit au livre VI la procession desimagines maiorum, les portraits des ancêtres des grandes familles romaines portés par des personnes ressemblant « par la taille et l’apparence au mort »lors des funérailles d’un grand personnage, suggère que c’est sans doute là une des sources d’inspiration de l’ut pictura historia polybien. « Il n’y a guère de plus beau spectacle – s’exclame l’historien – pour un jeune homme épris de gloire et de vertu (philodoxôi kai philagathôi) : qui ne serait inspiré en voyant les images réunies et pour ainsi dire, vivantes et animées (zôsas kai pepnumenas) des hommes qui par leur valeur ont atteint la gloire ? »58. Capable de susciter cet amour pour la gloire et la vertu qui est, pour les Anciens, la substance même de la passion historique, le « tableau » d’histoire, loin d’être une simple « copie », est, à l’instar des imagines maiorum, le délégué à la représentation d’un modèle.

Ut pictura historia II : peindre l’horrible. La force vide du « tragique »

18Mais que se passe-t-il lorsque l’image n’est pas le délégué à la représentation d’un modèle « édifiant » et lorsqu’elle nous frappe d’autant plus fort que ce qu’elle montre nous fait horreur ? Face à la force de ces images, Polybe avance une interprétation qui est absolument divergente par rapport à celle qu’il propose au livre XII. Car, dans ce cas, la force avec laquelle ces images se présentent et nous frappent n’est censée relever de rien d’autre que de leur qualité « spectaculaire », « impressionnante », « tragique ». Une qualité que Polybe désigne par le mot phantasia, un mot qu’il n’emploie qu’à propos de ce genre d’images qui frappent et effraient par leur caractère insolite – comme celle des éléphants d’Hannibal (to paradoxon ekplêttomenoi tês tôn zôon phantasias)59 – ou par leur caractère « tragique » : il définit par exemple comme une phantasia « tragique et extraordinaire » (tragikên kai parêllagmenên) l’image du courant violent du Tigre dans lequel se jettent les soldats affolés et désespérés, « charriant avec les nageurs les chevaux, les bêtes de somme, les armes, les cadavres et un matériel de toute espèce »60. « Effets » à l’état brut, pures puissances d’affect, les phantasiai sont, pour Polybe, des images dont le pouvoir de représentation est vide : elles se présentent, elles nous frappent, mais elles ne représentent rien en dehors d’elles-mêmes, elles ne sont le délégué d’aucun modèle.

19Par conséquent, elles sont censées n’avoir aucune place dans un ouvrage d’histoire : à quoi bon – se demande à plusieurs reprises l’historien – mettre sous les yeux des lecteurs des images qui dépassent les bornes du justifiable, du raisonnable, de l’imaginable ? Sans profit pour les lecteurs, l’enargeia même de ces « tableaux » hautement dramatiques (ekplêktikas) ne nous impressionne qu’une seule fois (mian echein phantasian) ». Par la suite, explique Polybe, elle « inspire un sentiment de lassitude »61. « Voudrait-on trouver des modèles à suivre dans des renversements de fortune qui échappent à toute logique ? […] De tels spectacles peuvent, il est vrai, nous captiver une fois, car il nous apprennent que ce qui nous semblait impossible est tout à fait possible. Mais une fois que nous en sommes convaincus, nous n’éprouvons plus aucun plaisir à nous arrêter longuement sur des anomalies, et personne ne souhaiterait tomber plus d’une fois sur des cas de ce genre »62. Comment expliquer alors la place qu’occupent, dans les récits historiques, toutes ces « anomalies », qui « conviennent plus à la tragédie qu’à l’histoire »63 ? Polybe ne donne pas de réponse univoque à cette question. D’une part, il invite à une certaine indulgence : les historiens qui « ont paré leur récit d’épisodes extraordinaires (terateias) et de scènes à effet, afin de frapper l’imagination de leurs lecteurs (pros ekplêxin) » ont cru sans doute « que parmi les faits passés, les plus importants (megista) et les plus merveilleux (thaumastotata) sont ceux auxquels ils ont assisté eux-mêmes »64. Autrement dit, l’horrible est, malgré tout, partie intégrante des axiologa, voire, il est même un moteur de l’écriture de l’histoire. Mais d’autre part, il considère qu’il est plutôt un signe de la « décadence » de l’époque : « de nos jours, il en est de même dans tous les arts et dans d’autres ordres d’activité : on néglige le beau et l’utile et on loue et on recherche le faux brillant et l’impressionnant (to pros alazoneian kai phantasian) car c’est cela qu’on trouve grand et admirable (mega kai thaumasion), alors qu’en fait, c’est la chose qui demande le moins de peine et qui procure le succès à meilleur compte »65.

20pratiques savantespratique intellectuelleimagination pratiques savantespratique discursivepersuasionEt enfin, il propose une explication qui vise directement le projet de persuasion caché derrière ces images impressionnantes. Pourquoi Phylarque, racontant la prise de Mantinée, cherche-t-il toutes les occasions de « mettre sous les yeux » du public des spectacles affreux (pro ophthalmôn tithenai ta deina) – « les étreintes des femmes, les chevelures éparses, les seins découverts, et encore les pleurs, et les lamentations des hommes et des femmes emmenés pêle-mêle avec leurs enfants et leurs vieux parents » – sinon pour « provoquer la pitié (eleon) de ses lecteurs, pour les amener à les faire compatir (sumpatheis) à son récit »66 ? Pourquoi, à propos de la fin d’Aristomachos d’Argos, imagine-t-il (plattei) la scène atroce – « les cris du supplicié frappant toute la nuit les habitants du voisinage, dont les uns épouvantés par cette abomination, les autres incrédules, les autres encore indignés de ce qui se passait, accourraient sur les lieux » – sinon pour « inciter les lecteurs à partager son indignation du traitement qu’il a subi »67 ? Ce sont là, aux yeux de Polybe, des moyens de persuasion d’autant plus déplacés dans un ouvrage d’histoire que Phylarque met « sous les yeux » des lecteurs des événements terribles et malheureux « sans indiquer les causes (aitiai) ni les modalités (tropoi) de ce qui se produit, faute de quoi il n’est pas possible de s’apitoyer raisonnablement ni de s’indigner justement sur ce qui arrive »68. Car, si les lecteurs avaient connu les causes des malheurs des Mantinéens ou d’Aristomachos, ils n’auraient éprouvé aucune pitié : leur crime a été si grand que, même si leurs souffrances décrites par Phylarque étaient véritables, de toute manière ils ne mériteraient pas de pitié. « Le jugement (dialêpsis) définitif sur des faits de cet ordre ne dépend pas des actes eux-mêmes, mais des raisons et des intentions des auteurs »69.

21Démystifier le pouvoir de ces images, en démonter le projet implicite de persuasion, les dénoncer comme « tragiques », c’est faire éclater au grand jour le conflit latent qui existe entre l’art de « faire voir » et la vigilance critique que l’historien doit communiquer à ses lecteurs. Un conflit que la peinture de l’admirable semble pouvoir se permettre d’ignorer, comme si l’horrible n’était pas l’inverse symétrique de l’admirable, comme le blâme l’est de l’éloge.

Ut pictura historia III : peindre la peinture. La force admirable de l’art

22pratiques savantespratique lettréeimitationMais il existe aussi une autre manière de résoudre ce conflit et de réintroduire la juste distance entre la représentation et la réalité : il s’agit de faire l’éloge du pouvoir de l’image qui a pu si bien nous induire à les confondre. C’est la stratégie adoptée par Plutarque dans La Gloire des Athéniens. C’est en effet danscette déclamation destinée à prouver que la gloire des hauts faits des Athéniens ne saurait se confondre avec la beauté de l’art qui l’a célébrée que l’on peut lire une des versions les plus surprenantes de l’ut pictura historia. Dire que l’histoire est comme un tableau c’est, pour Plutarque, rétablir cette distance mimétique que les images nécessairement effacent, c’est dire que l’image n’est pas la chose et qu’elle ne saurait faire ni la beauté ni la grandeur de la chose. Car une image n’est qu’une image, elle n’a qu’un statut de suppléant et une valeur dérivée : il y a d’abord la réalité et ensuite son image, son portrait, son reflet. Sans Périclès il n’y aurait pas de Thucydide : « Loin que les logoi créent (poiousi) les praxeis, ce sont les actions qui leur valent d’être simplement écoutés »70. C’est pourquoi « vous ne mettriez pas en balance le peintre et le général et vous ne souffririez pas qu’on préférât le tableau au trophée et la copie (to mimêma) à la réalité (tês alêtheias) »71. Mais dire que l’histoire est comme un tableau c’est aussi dire qu’en tant que art de l’illusion, elle est bien capable de nous « faire croire » qu’elle est la réalité. Et Plutarque va nous expliquer, avec admiration, comment elle nous trompe, en délivrant tous les secrets du pouvoir illusionniste de l’enargeia.

23acteurs de savoirémotion acteurs de savoirprofessionpeintreLe meilleur historien est un peintre : « il est celui qui, grâce au pathétique et aux caractères (pathesi kai prosôpois), donne à son récit le relief d’un tableau (tên diêgêsin hôsper graphên… eidôlopoiêsas) » 72 . Et cet historien peintre est évidemment Thucydide qui « s’efforce toujours d’atteindre l’évidence (enargeia) dans son récit »73. Cette évidence, Plutarque va la décrire comme si elle était vraiment l’évidence d’un tableau, dont il fait lui-même l’ekphrasis en décrivant en ces termes le récit thucydidéen de la prise de Pylos : « Voyez Démosthène mettant les Athéniens en ligne le long même du rivage escarpé de Pylos, Brasidas pressant le pilote d’échouer son bateau, courant à l’échelle, criblé de coups et tombant évanoui à l’avant du navire, les Lacédémoniens livrant un combat terrestre de la mer et les Athéniens un combat naval de la terre […] Voilà qui, par la disposition (diathesis)et la figuration (diatupôsis) des événements, relève de la suggestivité picturale (enargeia graphikê) »74. Diathesis et diatupôsis : voilà le secret de fabrication des images historiques, voilà d’où vient toute la force de l’enargeia. Les techniques de l’historien sont dévoilées : ce qu’on « croit voir » dans l’image n’est que le fruit d’un art, l’émotion qu’on ressent en « voyant » l’image n’est qu’un effet de l’art. Un art que Plutarque décrit en respectant lui-même les règles de l’art. Son instance sur la gestuelle dramatique qui caractérise ces personnages agissants vise directement à illustrer le procédé de la diatupôsis, cet art du portrait75 destiné tout particulièrement à produire un effet de translatio temporum 76 .

24Quant à la diathesis 77 , elle est le procédé qui correspond à cette « indication détaillée des circonstances (tôn parakolouthountôn) » que Denys d’Halicarnasse considère comme la condition primordiale pour « faire voir » les événements décrits « en train de se dérouler »(gignomena ta dêloumena horan)78. Un procédé que Démétrios désigne par le terme d’akribologia 79 et qui a une fonction d’amplification : « inclure les antécédents, les suites et les détails des conséquences ou des circonstances », comme on lit dans la Rhétorique à Herennius, permet de « présenter un fait de telle manière que l’action semble se dérouler et l’événement se passer sous les yeux (ut geri negotium et res ante oculos esse videatur) » et il est « fort utile pour l’amplification et le pathétique (in amplificanda et commiseranda re) »80. Une amplification dont Quintilien donne un excellent exemple en montrant comment « développer » l’idée du « sac d’une ville » : « Si l’on développe ce qui est contenu dans un seul mot, on verra les flammes qui rampent parmi les maisons et les temples, le fracas des toits qui s’écroulent, des cris divers se fondant comme en un seul son, certains habitants fuyant à l’aventure, d’autres ne pouvant s’arracher aux derniers embrassements de leur famille, les pleurs des petits enfants et des femmes […] »81. On reconnaîtra dans cette manière particulière de « disposer » les faits en les présentant par des images juxtaposées, capables de suggérer le mouvement et la simultanéité temporelle, la même parataxe de participes qui caractérise la « description » faite par Plutarque du « tableau » thucydidéen, voire, les résumés polybiens des récits de Phylarque. On y reconnaîtra, de manière plus générale, le style même de l’ekphrasis, avec sa succession de propositions haletantes et son accumulation verbale défiant toute syntaxe narrative pour égaler l’art du tableau : « On y voyait des femmes accouchant, d’autres emmaillotant des nourrissons, des enfants exposés, des bêtes qui les nourrissaient, des pâtres qui les recueillaient, des jeunes gens se faisant des promesses d’amour, une descente de pirates, une invasion d’ennemis… »82. Qu’est-ce alors que l’image historique dans le De Gloria ? Elle est moins certainement une « copie » du passé qu’un effet prodigieux du discours.

Ut pictura historia IV : peindre l’admirable. La force de la vertu

25acteurs de savoirqualités personnelles inscription des savoirsvisualisationimagetableauMais tel n’est évidemment pas le dernier mot de Plutarque à propos des « tableaux » historiques. L’analogie formulée dans la Vie d’Alexandre est bien connue : « Comme les peintres saisissent les ressemblances à partir du visage et des formes visibles par quoi se laisse voir le caractère, en n’ayant cure des autres parties, de même on doit nous permettre de pénétrer plutôt dans les signes distinctifs de l’âme et, par leur truchement, de dessiner (eidopoiein) la vie de chacun, laissant à d’autres les grandeurs et les joutes »83. Portraits de l’âme, montrant aux lecteurs « l’image vivante des vertus en action »84, les « tableaux » de Plutarque demandent à être « vus » en adoptant le même regard que, au dire de Salluste, d’illustres personnages romains tels Fabius Cunctator et Scipion l’Africain, portaient sur ces mêmes imagines maiorum célébrées par Polybe : « ce n’était pas la cire ni les traits inanimés », dit Salluste, qui « enflammaient leur cœur d’un violent amour pour la vertu » ; « c’étaient tant de belles actions dont le souvenir allumait en eux ce feu divin qui ne s’apaisait que quand, à force de vertu, ils avaient égalé tant de renommée et de gloire »85. Le regard idéal, face à ces images de la vertu, ne consiste pas seulement à effacer tout support matériel, mais encore à dépasser la recherche même d’un renvoi à un référent objectif pour ne chercher dans l’image qu’une référence à laquelle se comparer, une référence à imiter, un modèle.

26Portraits de l’esprit, les « tableaux » des Vies sont des anti-ekphraseis : leur enargeia n’est que l’effet de la chose qu’elles représentent, l’effet de la force démiurgique et motrice d’une vertu capable de produire des belles actions comme un art éminent86. Admirerces tableaux c’est admirer cette force qui les rend puissants et qui les distingue décidément des images artistiques : « il n’y a pas un jeune homme bien né qui, pour avoir vu la statue de Zeus à Pise ou celle d’Héra à Argos, souhaite d’être un Phidias ou un Polyclète. Car un ouvrage peut nous charmer par sa beauté sans entraîner nécessairement l’admiration pour son auteur. Aussi n’y a-t-il même aucun profit à contempler de telles œuvres, puisqu’elles n’excitent pas l’émulation ni ce transport qui nous fait désirer et entreprendre de les égaler ». « La vertu au contraire, par les actes qu’elle inspire, nous dispose aussitôt non seulement à admirer les belles actions, mais en même temps à rivaliser (zêlousthai) avec ceux qui les ont accomplies […] C’est que la beauté morale (to kalon) attire activement (kinei pratikôs) à elle et suscite aussitôt dans l’âme un élan vers l’acte pratique »87. Bien plus performante que l’image artistique qui ne produit que des effets esthétiques, l’image des belles actions de la vertu possède une force active qui est inépuisable : elle fait le désir de faire et d’être, et elle engendre, par ce désir, d’autres belles actions.

27Portraits de l’esprit, qu’il faut apprendre à voir avec les « yeux » de l’esprit, ces tableaux possèdent une force de conviction qui, contrairement à celle des phénomènes, demande toujours l’assentiment du lecteur. Car, contrairement à nos sens qui, « suivant l’impression qui les frappe (kata pathos), perçoivent tous les objets qui se rencontrent et […] sont contraints d’appréhender tout ce qui se présente à eux, utile ou inutile », l’esprit « donne naturellement à chacun de nous, s’il veut en faire usage, la possibilité de se tourner et de se diriger vers ce qui lui semble bon. Nous devons donc rechercher ce qu’il y a de meilleur […] et diriger la pensée vers des spectacles qui, par l’attrait du plaisir, la ramènent au bien qui lui est propre. Ces spectacles, ce sont les actions inspirées par la vertu, qui font naître chez ceux qui en prennent connaissance une émulation et une ardeur qui les poussent à les imiter »88 . Et cela ne relève que du choix moral et de la volonté. Finalement, les belles images de la vertu sont censées agir sur les lecteurs comme le font, selon Plutarque, les dieux d’Homère sur les hommes : « quand il s’agit d’actions extraordinaires et inattendues, qui exigent une sorte d’enthousiasme et d’exaltation divine, Homère fait intervenir la divinité, non pour supprimer le libre arbitre, mais pour le susciter, pour créer en nous, non des élans, mais les images (phantasiai) qui font naître ces élans : par ce moyen, loin de rendre notre action involontaire, elle rend possible une action volontaire en nous inspirant courage et espoir »89.

28Images quasi-divines, images d’un passé assigné à la vénération de la postérité, les « tableaux » des Vies possèdent une enargeia qui rend plus que jamais « visionnaire » l’imagination des lecteurs. Censée n’être issue que de la force motrice de ce que ces « tableaux » représentent, cette enargeia ne paraît avoir d’autre égal que l’évidence des phantasiai des amants dont Plutarque parle dans l’Erôtikos.Plus puissantes de ces phantasiai des poètes (phantasiai poiêtikai), dont on dit, « à cause de leur enargeia », qu’elles sont « comme les rêves de gens éveillés », les phantasiai des amoureux, « qui se figurent parler à la personne aimée, l’embrasser ou lui adresser des reproches, alors qu’elle est loin », sont les seuls « souvenirs inépuisables » : « elles retiennent l’image de l’aimé comme si elle était peinte à l’encaustique et gravée avec l’aide du feu, et cette image reste dans la mémoire où elle est doué d’une vie propre (kinoumena kai zônta), et s’y conserve à tout jamais »90.

Notes
1.

P. Ricœur, Temps et récit III, Paris, Seuil, 1985, p. 277.

2.

P. Ricœur, La mémoire, l’histoire et l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 306.

3.

C’est l’interprétation proposée par C. Ginzburg, « Montrer et citer. La vérité de l’histoire »,Le débat, 6, 1989, p. 43-54 qui ne voit dans l’enargeia des Anciens qu’une conséquence de « la relationétroite qui existait entre l’histoire et la rhétorique ».

4.

Longin, Subl. XXVI, 2.

5.

L’enargeia, selon la première définition « littéraire » du concept, chez Denys d’Halicarnasse, Lysias, 7, 1-2, est une dunamis qui consiste à « faire percevoir par les sens ce qui est dit » (hupo tas aisthêseis agousa ta legomena), de sorte que le public « ne peut s’empêcher de voir se dérouler les événements décrits, ni de lier connaissance comme s’ils étaient présents avec les personnages mis en scène ».

6.

Cf. Lucien, Quom. Hist., 51.

7.

Cf. Plutarque, De Gloria, 347 B.

8.

Quom hist., 51.

9.

De Gloria, 346 F.

10.

Cf. Longin, Subl. XXVI, 2 à propos d’Hérodote.

11.

Cf. Plutarque, Artax., 8, 1 au sujet de Xénophon.

12.

Cf. Plutarque, De Gloria, 347 B à propos de Thucydide.

13.

Cf. Plutarque, Artax., 8, 1.

14.

Sur le lien entre l’art de « faire voir » et l’amplification cf. par ex. Cicéron De Orat., III, 53, 202 : « Pour frapper vivement les auditeurs on peut insister sur un point, exposer les faits brillamment (illustris explanatio), les représenter comme s’ils étaient en train de se passer et les placer pour ainsi dire sous les yeux (sub aspectum paene subiecto), procédés qui, même dans l’exposé des faits, ont un très grand poids pour mettre dans tout leur jour ce que l’on expose (ad illustrandum), aussi bien que pour l’amplifier (ad amplificandum) ; car ainsi, lorsque nous agrandirons ces faits, notre discours aura autant d’efficacité (quantum efficere) que la vision elle-même (tantum esse videatur) ».

15.

E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale I, Paris, Gallimard, 1966, p. 241.

16.

Rhet, III, 2, 1404 b 1-3.

17.

Part. orat., 20, 32 : « Celle-ci nous fait comprendre une chose (fit ut intellegamus), l’autre fait que nous croyons la voir (fit ut videre videamur) ». L’enargeia, écrit également Quintilien, VIII, 3, 61-62, est representatio plutôt que clarté (perspicuitas), « la première laisse voir ouvertement (patet), tandis que la seconde, en une certaine mesure, montre (ostendit) ». Dans cette perspective, l’interprétation proposée par C. Calame, (« Quand dire c’est faire voir. L’évidence dans la rhétorique antique », Études de Lettres, octobre décembre, 1991, pp. 3-22) qui voit dans l’enargeia uniquement un concept destiné à rendre la capacité monstrative du logos, me paraît peu convaincante.

18.

Lucien, Quom. hist., 38.

19.

Sur l’utilisation des historiens comme modèles par les Progumnasmata de l’époque impériale dans le cadre de cet exercice de style qu’est l’ekphrasis, voir J. Bompaire, « Les historiens classiques dans les exercices préparatoires de rhétorique », Recueil Plassart, Paris, 1976, pp. 1-7.

20.

Dialexis, XXVIII, 5 Dubner.

21.

Ep. 7, 4 : « imagines qualia figuramus cum legitur historia et cum fabulosa vel audimus vel componimus vel suspicamur ».

22.

II, 56, voir infra.

23.

Quom. hist. 19 ; 25-28.

24.

Voir infra.

25.

II, 56.

26.

Per. 28, 1. Cf. aussi Alex, 75, 5 et Them., 32, 4 contre Phylarque.

27.

Pour cette distinction voir : A. Roveri, Studi su Polibio, Bologna, 1964, pp. 75-78, P. Pédech, La Méthode historique de Polybe, Paris, Les Belles Lettres, 1964, pp. 583-84 ; K. Sacks, Polybius On the Writing of History, Berkeley-Los Angeles, 1981, pp. 148-160 ; B. Gentili-G. Cerri, Storia e biografia nel pensiero antico, Roma-Bari, 1983, pp. 19-45, F.W. Walbank, Polybius, Berkeley-Los Angeles, 1972 ; G. Schepens, « Emphasis und Enargeia in Polybios’ Geschichstheorie »,Rivista storica dell’Antichità, 5, 1975, pp. 185-200 ; H. Strasburger, Studien zur alten Geschichte, II, Hildesheim-New York, 1982, pp. 963-1016 ; F. Montanari, « Ekphrasis e verità storica nella critica di Luciano », dans Filologia e critica letteraria della Grecità, Pisa, 1984, pp. 111-123 ; A. Manieri, L’immagine poetica nella teoria degli antichi. Phantasia ed enargeia, Pisa-Roma, 1998, pp. 158-162. Sur les problèmes que pose cette distinction voir en particulier L. Canfora, « Pathos e storiografia drammatica », Elenchos, 1995, 16 (1), pp. 179-192.

28.

La mémoire, l’histoire et l’oubli, op. cit. p. 5.

29.

Ibid. p. 304.

30.

De mem., 1, 449 b 15.

31.

De anima, 427 b 15.

32.

Cf. De mem.,1, 450 b 20-451 a 2 sq. Pour une analyse de ce passage voir J.-L. Labarrière, « Sentir le temps, regarder un tableau. Aristote et les images de la mémoire », dans C. Darbo-Pechanski, Constructions du temps dans le monde grec ancien, Paris, CNRS Éditions, 2000, pp. 269-283.

33.

Ibid., 451 a 12.

34.

Cf. Poét., 4, 48 b 17 sq.

35.

Dès ses premières occurrences, chez Polybe, l’expression « mettre sous les yeux » est associée à l’idée du rappel. Cf. par exemple II, 35, 8 ; III, 3,4 VI, 53, 3 ; IX, 9, 10.

36.

Cf. Cicéron, De Orat., 2, 87, 358 ; Rhet ad. Herennium, 3, 21-22, 35-36.

37.

L’hypothèse formulée par Ruth Webb (« Mémoire et imagination : les limites de l’enargeia dans la théorie rhétorique grecque », dans C. Lévy et L. Pernot, Dire l’évidence. Philosophie et rhétorique antiques, Paris, L’Harmattan, 1997, pp. 229-248) selon laquelle l’enargeia ferait appel aux images conservées dans la mémoire de l’auditeur, ne me paraît pas pouvoir expliquer le fonctionnement de l’enargeia historienne.

38.

Cf. Aëtius, IV, 12, 1 sq.

39.

P. Galand-Hallyn, Les yeux de l’éloquence. Poétiques humanistes de l’évidence, Orléans, Paradigme, 1995, pp. 107-108.

40.

Cf. à ce propos L. Marin, De la représentation, Paris, Gallimard-le Seuil, 1994, pp. 255 ; 342 sq. ; 370 sq.

41.

Selon Chrysippe (Aëtius, IV, 12, 1-4), « la phantasia est une affection qui se passe au dedans de l’âme et qui exprime à la fois elle-même et ce qui la produit ». En revanche « le phantasma est ce vers quoi nous sommes tirés selon le phantastikon ». Et le phantastikon est « l’affection ne survenant dans l’âme à partir d’aucun phantaston, comme dans le cas de l’homme qui combat contre les ombres et porte la main sur le vide. Car la phantasia a comme fondement un phantaston ; lephantastikon n’est fondé sur rien ».

42.

Ainsi, explique Sextus Empiricus, « nous voyons en songe des objets qui ne sont que des chimères pour la veille […] bien qu’ils existent pour nous en songe ». Il en va de même pour les « sujets en proie à la frénésie ou à l’extase qui croient entendre des voix surnaturelles ». Alors, « serait-il absurde de penser qu’il faut accorder crédit à ceux qui ont des sens conformes à la normale et de le refuser à ceux qui sont dans des dispositions pathologiques ? » H. P., I, 104 ; II, 54.

43.

Cf. Cicéron, Acad. priora, II, 24, 77-78.

44.

Quintilien, VI, 2, 5.

45.

Sur le « retour de bâton » de laphantasia aristotélicienne dans la théorie rhétorique de l’enargeia (et notamment chez Quintilien), voir B. Cassin, « Procédures sophistiques pour construire l’évidence », dans C. Lévy et L. Pernot,Dire l’évidence, op. cit., pp. 21-22.

46.

Quintilien, VI, 2, 28-30 ; Longin, Subl., XV, 1-8 ; voir aussi sur l’enthousiasme poétique et rhétorique, Aristote, Poet. 1455 a 30-31 ; Cicéron,De Orat. II, 189 etOr., 132 ; Horace,Ars poet., 102.

47.

Cf. Théon, 118, 7-8 Sp. ; Hermogène, 16, 11-12 Sp. ; Aphthonios, 36, 21-22 Sp. ; Nikolaos, 491, 26-27 Sp.

48.

S. Dubel, « Ekphrasis etenargeia : la description antique comme parcours », dans C. Lévy et L. Pernot, Dire l’évidence, op. cit., p. 252.

49.

De Rubro Mari, V, 21 (= G.G.M. I, Paris, 1855, p. 119, 14-19).

50.

XII, 25 g- h trad. Pédech (coll. CUF, Les Belles Lettres).

51.

Ces deux termes sont introduits par Polybe sans être nullement définis ni distingués entre eux. Le mot emphasis est employé souvent par l’historien : II, 47 ; III, 1, 8 ; IV, 80, 10 ; V, 63,2 ; 110,6 ; VI, 5, 3 ; IX, 1, 6 ; 24, 3 ; X, 18, 13 ; XII, 13, 2 ; XIV, 1, 10 ; XXIII, 5,10 ; XXVI, 1, 4 ; XXVIII, 4, 8 ; XXX, 30, 4.Quant à l’enargeia,cf. III, 44, 6 ; 54, 2 ; 111, 2 ; IV, 17, 2 ; VI, 15, 8 ; XVI, 23, 5 ; XV, 36, 2. L’emphasis sera définie, dans la Rhet ad Her. IV, 67 et chez Quintilien, Inst. Orat VIII, 3,83 comme le pouvoir de « laisser deviner plus qu’il n’est dit », de « donner à entendre au-delà de ce que les mots expriment ».

52.

L’épicurien Philodème, De poematibus, livre V, col. XXX, 6 sq., premier témoin de l’usage du mot enargeia dans la critique littéraire, définit emphasis et enargeia comme les caractéristiques habituellement attribuées au style de la poésie – évident et allusif – à la différence de celui de la rhétorique, qui est seulement évident.

53.

Cf. Rhet. 14, 11 b 24 sq.

54.

Cf. Rubr. M. 1, 8 (G.G.M. I, p. 117).

55.

Cf. par exemple Polybe IV, 17, 2 : « il est manifeste que doit apparaître puéril et frivole un homme qui espère cacher sous les parolesl’enargeia tôn pragmatôn ».

56.

XII, 25 h 4.

57.

X, 21, 4.

58.

VI, 53, trad. R. Weil et C. Nicolet (coll. CUF, Les Belles Lettres).

59.

III, 53, 8.

60.

V, 48, 9.

61.

XV, 36, 1 trad. D. Roussel (éd. Gallimard, 2003) modifiée.

62.

XV, 36, 5 trad. cit.

63.

XV, 36, 7.

64.

XV, 34, 1 et 36, 9.

65.

XVI, 20, 3 trad. Roussel modifiée.

66.

II, 56, 7-8 trad. P. Pédech (coll. CUF, Les Belles Lettres).

67.

II, 59, 2-5 trad. cit.

68.

II, 56, 13 trad. cit.

69.

II, 56, 13 trad. cit.

70.

De Gloria., 347 E ; trad. F. Frazier (coll. CUF, Les Belles Lettres).

71.

Ibid.,346 F trad. cit.

72.

Ibid., 347 A trad. cit.

73.

De Gloria, 347 B trad. cit.

74.

De Gloria, 347 B-C trad. cit. ; cf. Thucydide, IV, 11-12.

75.

Cf. Aquila Romanus, Rhet. Lat. Min, p. 26 Halm : diatupôsis, descriptio vel deformatio, ubi rerum subiectis personarum et formam ipsas et habitus describimus et exprimibus.

76.

Cf. Quintilien 9, 2, 41 : « Cette transposition des temps, dont le nom technique est metastasis, était plus modestement employée par les anciens orateurs dans ladiatupôsis. Ils la faisaient précéder de formules telles que : “credite vos intueri”, ou chez Cicéron : “haec, quae non vidistis oculis, animis cernere potestis” ».

77.

Polybe (Apud. Strabon. I, 2, 17) déjà avait utilisé ce terme pour désigner le procédé fondamental de l’enargeia propre aux récits homériques de batailles.

78.

Lysias, 7, 1-2 (Orat. Ant. II, 6,4).

79.

De elocut. 209-210.

80.

Rhet ad Her., IV, 55, 68. L’association entre diathesis et auxêsis, figure déjà dans la tirade polybienne contre Phylarque (II, 61,1 et 56, 8). L’historien l’utilise aussi à propos des « descriptions » de la ville d’Ectabane, une ville qui constitue « un très beau sujet pour ceux qui choisissent de présenter des narrations qui frappent d’étonnement et qui ont l’habitude de faire certains récits met’auxêseôs kai diatheseôs » (X, 27, 8).

81.

Quintilien 8, 3, 67-70.

82.

Longus, Pastorales (Daphnis et Chloé), 3.

83.

Alexandre, 1, 3 trad. M. Casevitz, dans F. Hartog-M. Casevitz, L’Histoire d’Homère à Augustin, Paris, Seuil, 1999, p. 177.

84.

F. Frazier, Histoire et morale dans les vies parallèles de Plutarque, Paris, Les Belles Lettres, 1996, p. 59.

85.

De Jugutha, IV, 15. Trad. M. Casevitz, dans F. Hartog-M. Casevitz, op. cit., p. 175.

86.

Cf. De genio Soc., 575 C.

87.

Per., 2, 2 ; 4.

88.

Ibid., 2-4.

89.

Coriolan, XXXII, 7.

90.

Amatorius, 759 C.