Anastasia Serghidou

Abstract

This study questions the theoretical problems raised by the ancient history on the «man of sensibility». Based on the first questions asked by L. Febvre, we examine the problem of sensibility as a matter of history and propose an encouragement of a new reading of the historiographical impact of the emotions. The study is developed on the basis of Aristotles’theoretical frame of involving the formation of characters and finishes on a more specific question attached to the dissemination of sentiments by the tragic face.

L’apport de l’historicité du sensible

1construction des savoirstraditionhistoriographie typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoire acteurs de savoirémotion Lucien Febvre posait dans les années quarante une série de questions cruciales sur l’utilité de l’étude des émotions dans le contexte de l’histoire. L’historien s’interrogeait sur le sensible comme objet historique en signalant, notamment, les réticences exprimées par ses contemporains sur les impasses méthodologiques que présenterait une telle étude. En effet, le domaine des affects ne se rattachait pas pour certains à celui de la « véritable histoire »2.

2Il n’est pas question de débattre ici de ces critiques à replacer dans le contexte historique de son époque. En effet, les interrogations de Lucien Febvre sur l’histoire affective ne sont plus sujettes à provocations3. Ceci étant, si l’on place la complexité méthodologique relative à l’historicité des émotions dans le contexte de l’évolution des sciences affectives, il est évident que les questions posées à l’époque avaient leur propre fondement logique : L’émotion, expression avant tout thymique, ne pouvait se comprendre que par rapport à la vie affective de la personne et en conjonction avec le subjectivisme purement psychologique. De ce fait son profil et son évolution n’ont aucune valeur historique4.

3typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences cognitives typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialespsychologie construction des savoirsépistémologieOr, l’innovation épistémologique que Lucien Febvre apportait dans sa quête de compréhension de la sensibilité comme objet d’histoire reposait sur le fait que l’historien cherchait principalement à comprendre ces traits de l’affectif qui se distancient du psychologisme comportemental et du cognitivisme5. L. Febvre précisait, avec perspicacité, que l’émotion, principal agent de la vie affective, doit se distinguer de la simple réaction automatique de l’organisme aux sollicitations du monde extérieur. En d’autres termes, il écartait l’idée dustimulus et de sa pertinence dans l’étude des phénomènes émotionnels et nous faisait comprendre que, même si on insistait pour reconnaître l’« automatisme des réactions au monde extérieur », il faudrait par ailleurs accepter que « les émotions sont contagieuses »6 . Cette « contagion mimétique », comme il l’appelait est déterminante en tant qu’elle évoque une dimension interactive et performative de l’émotion. Ceci émane, logiquement, du fait que son expression est souvent « le résultat d’une série d’expériences de vie commune et de réactions semblables et simultanées au choc de situations identiques et de contacts de même nature »7. De ce fait, elle souligne le principe de la réciprocité et de la dépendance, nous rappelant que l’émotion est une manifestation qui implique des rapports d’homme à homme, des relations par conséquent interactives à la fois personnelles et collectives.

4C’est la problématique du collectif et de l’historicité des émotions et des sentiments, proposées par Lucien Febvre, que Marc Bloch allait par la suite interroger pour comprendre la gestion des sentiments au Moyen Âge qui amenèrent à des comportements politiques irrationnels8. Cette approche qui s’intégrait dans le contexte de la psychohistoire, et que l’on pourrait aujourd’hui associer à celui de la régulation émotionnelle9, s’est enrichie comme l’on sait par la suite d’interprétations plus holistiques qui ont voulu voir dans l’émotion un sens culturel, dépendant de systèmes sociaux et de jugements moraux, esthétiques et juridiques10. D’autres ont également insisté sur la dimension politique des affects liée à l’usage stratégique des émotions par des autorités dirigeantes11. De manière générale, on aurait tendance à voir dans ces analyses une interrogation qui traite de l’historicité des émotions et du vécu et de la disposition permanente de sentiments dans le contexte de la communauté civique.

5Ceci étant, le monde antique, reste plutôt discret sur l’« expérience » collective des émotions. C’est un problème essentiellement lié au manque de sources directes relatives aux sensibilités collectives12. À l’évidence, l’étude des sensibilités dans laquelle s’intègre l’étude des émotions prend dans le cas de l’Antiquité une allure différente en posant des questions nouvelles à l’histoire Ancienne. Elle donne place à l’individu comme être socialisé et contextualisé, souvent vu comme un catalyseur des inquiétudes civiques : approche qui favorise par une méthode holistique, l’étude de ce que certains historiens, dans la mouvance de l’École des Annales, ont qualifié d’« homme sentiment »13.

6Parmi les antiquisants, J.-P. Vernant, dans son étude sur « la fabrique de soi »14, mettait l’accent sur l’importance de l’étude des sensibilités pour la compréhension de l’homme Grec. Il attirait, de ce fait, notre attention sur l’approche comparatiste et les complexités engendrées par une interprétation unilatérale d’un objet d’étude polyvalent : l’être humain. « Comportements humains [écrivait-il] faits de civilisation, contenus spirituels, il y a là trois aspects d’une même réalité concrète »15. De surcroît, l’intérêt des antiquisants pour l’étude des sensibilités individuelles et collectives n’est perçu que comme un prolongement du développement de nouveaux chantiers de recherche. Sans vouloir insister sur le déterminisme social, depuis un certain temps, la recherche s’oriente vers les mécanismes des structures qui conditionnent les individus et leurs affects16. Dans ce contexte, l’être humain acquiert une nouvelle dimension devenant désormais un objet d’histoire, situé dans le temps et dans l’espace.

7typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesdroithistoire du droit construction des savoirsvalidationpreuve acteurs de savoirémotioncuriositéLa curiosité des antiquisants pour l’« homme sentiment » tire également ses origines de la problématique des « preuves » déductives avancée par le questionnement philosophique : un intérêt légué peut-être par Aristote qui nous initia à l’étude des pathê humains à partir d’une interrogation qui implique des questions plus amples sur l’impact persuasif et performatif des émotions dans le contexte judiciaire et oratoire17. En effet tant dansl’Éthique à Nicomaque que dans laRhétorique, les deux traités qui fournissent une liste et une définition des passions, le philosophe montre la spécificité des passions en fonction de leur qualité et de leurs effets sur les autres, un mouvement qui fait de surcroît varier le jugement de l’auditeur : la passion n’étant pas uniquement une manière d’être, elle est aussi une « émotion », c’est-à-dire un mouvement en soi et envers les autres. Dans ce mouvement interactif, un rapport s’établit entre le destinateur et le récepteur de l’émotion ; mouvement qui trouve en l’occasion expression dans la parole persuasive de l’orateur censé émouvoir l’âme de ses auditeurs. Plus encore, c’est un contexte dynamique où la passion en tant qu’émotion transitoire est divisée en plusieurs parties déterminantes dont l’une se réfère à l’habitus, c’est-à-dire à la disposition durable dans laquelle elle peut être ressentie18.

8acteurs de savoirqualités personnellesDe manière intéressante, cethabitus (hexis) est également présent comme partie déterminante des « caractères »19. En effet, ces caractères qui sont décrits selon les passions (ϰατὰ τὰ πάθη) c’est-à-dire selon la prédisposition à éprouver telle ou telle passion sont, d’après Aristote, dépendants de l’habitus, des âges, des conditions de fortune : autant de dispositifs qui entraînent des modifications de l’ethos humain, l’inscrivant ainsi dans la mouvance d’une histoire personnelle dépendant du collectif et du social : une logique des passions qui sous-tendrait le profil polyvalent de lapersona éthique.

Aux origines de l’émotion socialisée : le pathos aristotélicien

9L’importance du code social dans l’expression des émotions, finement élaborée dans l’œuvre d’Aristote, est clairement manifeste, dans la composition despathê que le philosophe établit dans le livre deux de laRhétorique. C’est essentiellement dans ce traité qu’Aristote développe l’importance de la sociabilité dans la dynamique émotionnelle et la formation des caractères :

Les développements relatifs aux passions doivent se diviser en trois parties ; voici ce que je veux dire : pour la colère par exemple, en quel habitus y est-on porté ; contre quelles personnes se met-on habituellement en colère et à quels sujets (… πῶς τε διαϰείμενοι ὀργίλοι εἰσί, ϰαὶ τίσιν εἰώθασιν ὀργίζεσθαι, ϰαὶ ἐπὶ ποίοις). Si, en effet, nous ne possédions qu’une ou deux de ces notions, sans les posséder toutes trois, il nous serait impossible d’inspirer la colère ; et il en est pareillement des autres passions20.

10Tout d’abord, il est évident que l’habitus a une part déterminante dans la qualification de la prédisposition d’un individu envers les autres. La réflexion du philosophe s’étend par la suite au domaine des facteurs sociaux précis qui forment l’ethos humain, à savoir la noble naissance, la richesse, le pouvoir et la chance : conditions de fortune qui peuvent modifier les caractères.

Traitons après cela des caractères selon les prédispositions aux passions, leshabitus (ϰατὰ τὰ πάθη ϰαὶ τὰς ἕξεις) les âges et les conditions de fortune. J’entends par passions (πάθη) la colère, le désir et les émotions de ce genre, dont nous avons parlé précédemment ; parhabitus (ἕξεις), les vertus et les vices (ἀρετὰς ϰαὶ ϰαϰίας) ; il en a été parlé auparavant : quelles sortes de choses préfèrent chaque groupe, quelles sortes d’actions il est porté à accomplir. Les âges sont la jeunesse, la maturité et la vieillesse. Par condition de fortune, j’entends la noblesse, la richesse, les variétés du pouvoir, ainsi que leurs contraires, et, en général, la bonne et la mauvaise chance21.

11acteurs de savoircatégorie socialeélite pratiques savantespratique lettréeimitation acteurs de savoirqualités personnellesUne logique des émotions est ici avancée, traitant du caractère comme un penchant intérieur conditionné par des états sociaux. En effet, l’origine des classes d’âge, l’aspect du pouvoir, la prédominance physique et politique servent de filtres d’interprétation des comportements humains : cette appréciation devient d’autant plus intéressante quand il s’agit de comportements de multitude ou de figures d’autorité, tels ceux de personnages politiques, figures hégémoniques par excellence à qui unethos est reconnu. C’est à cetethos socialisé que se reconnaissent des éléments d’exaltation ou de dégénérescence du pouvoir hégémonique, par exemple. Interrogeant les groupes et le pouvoir des élites, Aristote met l’accent sur lesgenê et les comportements qui nuèrent à leur autorité, à savoir lamania ou la lourdeur (il est question de ἀβελτερίαν ϰαὶ νωθρότητα) : « Les familles bien douées dégénèrent en des caractères plus exaltés, tels, par exemple, les descendants d’Alcibiade et ceux de Denys l’Ancien ; celles qui sont d’un caractère posé dégénèrent en sottise et en lourdeur, par exemple les descendants de Cimon22 »

12construction des savoirspolitique des savoirsinégalité socialeLa lecture aristotélicienne des caractèreskata pathê socialement conditionnés ouvre la réflexion sur l’autorité, le pouvoir politique et la différenciation sociale23. Cette approche se retrouve chez les sociologues contemporains qui ont dans maints cas voulu associer les actions collectives à des états comportementaux alors que des modèles de dirigeants politiques se sont vus interprétés par le biais d’une moralité fondée sur des valeurs émotives24 : cette sensibilité classe l’émotion et ses agents dans la mouvance historique, culturelle et sociale. Cette perspective ethico-sociale de l’émotion valorise l’idée des dépendances affectives en fonction d’une série d’attitudes comportementales qui scellent les liens de subordination.

13typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesphilosophie acteurs de savoircatégorie socialeesclaveSi l’on reste dans la problématique du philosophe, on peut remarquer que l’analyse relative aux émotions est souvent structurée selon des modèles de hiérarchies classiques qui impliquent des relations de dépendance institutionnellement bien établies, telles celles de maître à esclave25. L’idée de la subordination est ainsi significativement présente dans l’analyse du désir alors que l’émotivité de l’esclave en tant que destinataire de l’orgê, la colère, sert d’exemple d’insignifiance : « Aussi faut-il faire précéder le châtiment d’une réprimande verbale ; ainsi, les esclaves mêmes s’indignent moins d’être châtiés » (διὸ δεῖ τῷ λόγῳ προϰολάζειν ἀγαναϰτοῦσιν γὰρ ἦττον ϰολαζόμενοι ϰαὶ οἱ δοῦλοι)26. La dimension même de l’esclavage est déterminante du fait qu’elle est liée à des actes qui impliquent la honte et l’impudence (αἰσχύνη).

Tirer profit de choses mesquines ou honteuses, ou de morts ; d’où le proverbe : prendre à un mort ; car de tels actes proviennent de la lésine et de la ladrerie (Καὶ τὸ ϰερδαίνειν ἀπὸ μιϰρῶν ἢ τεθνεώτων, ὅθεν ϰαὶ ἡ παροιμία τὸ ἀπὸ νεϰροῦ φέρειν. ἀπὸ αἰσχροϰερδείας γὰρ ϰαὶ ἀνελευθερίας)27.

14Cette analyse prend en compte les idéaux civiques relatifs, notamment, à l’aspect négatif du gain28. En ces termes, le comportement de la honte est censé être considéré comme un état conditionné par une éthique civique qui reconnaît aux plus faibles le droit de ne pas être exploités par les plus forts. Le cas contraire n’est qu’un signe de « non-liberté » : πάντα γὰρ ἀνελευθερίας ταῦτα σημεῖα 29.

15La même condition de « non-liberté » relative à la soumission au gain est mise en question dans le contexte de traitement des classes d’âge pour désigner les contraintes de la vieillesse, conditionnée par la mauvaise influence du gain superflu et excessif30. Lekerdos, source de tant de maux les amène à un état de dépendance affective, remplacent ainsi le « désir », relâché, lui, par la force de l’âge (αἵ τε γὰρ ἐπιθυμίαι ἀνείϰασι ϰαὶ δουλεύουσι τῷ ϰέρδει). L’ensemble de la réflexion se lie à la façon dont Aristote fait usage de la dialectique du gain et de la force, de la δύναμις résultant de la richesse (πλοῦτος)31.

16Allant un peu plus loin dans ses analyses, Aristote, examine le rôle social desenthymèmes, facteur aussi déterminant dans la formation des caractères. Dans le cheminement de sa pensée, l’exemple des maximes offre matière à une critique dont l’objet répond à un questionnement social sur le mécanisme à la fois affectif et performatif de l’enthymème. Ainsi réunissant des maximes exemplaires, Aristote exalte le sens desenthymèmes qui souvent rajoutent, nous dit-il, une dimension déterminante à l’idée exprimée :

Il n’y a point d’homme qui soit heureux en tout, de même qu’« il n’y a point d’homme qui soit libre » (οὐϰ ἔστιν ἀνδρῶν ὅς τις ἔστ’ἐλεύθερος). Mais ces deux maximes peuvent être suivies d’une autre que l’on doit qualifier comme unenthymème : « car il est esclave ou de l’argent ou de la fortune » (ἢ χρημάτων γὰρ δοῦλός ἐστιν ἢ τύχης)32.

17La réflexion développée ici est de première importance en tant qu’elle sous-tend les arguments généraux du philosophe sur la définition des caractères et des passions. Ce qui nous fait réfléchir à l’intérêt que les dépendances sociales présentent pour l’auteur par rapport à la performativité thymique, condition qui se met habituellement en action par l’éleos, la pitié : émotion qui évoque la théâtralisation des sentiments dans le contexte précis de la tragédie ; problématique que le philosophe développe dans laPoétique et qu’il reprend dans laRhétorique pour désigner l’eleos comme une « peine consécutive au spectacle d’un mal destructif ou pénible… (… ἐπὶ φαινομένῳ ϰαϰῷ φθαρτιϰῷ) »33. Paroles, gestes, ton de la voix et apparences du personnage contribuent à la « représentation » des émotions.

Sociabilité et théâtralité des émotions : l’exemple de l’eleos

18pratiques savantespratique artistiquethéâtreDe fait, l’individu demeure au centre de l’interprétation de l’eleos, condition affective où se joue la dimension performative des émotions. Plus encore, son rôle est contextualisé voire historicisé : une façon de placer l’affect non seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. Dans laRhétorique, par exemple, le philosophe concentre son analyse relative à l’eleos, sur le cas d’Amasis, figure hégémonique d’importance dans lesHistoires d’Hérodote. Le comportement thymique de ce personnage à la suite de la mort de son fils sert d’exemple concret à Aristote pour décrire les subtilités d’une passion comme l’eleos en dehors des données de la scène tragique. Or, le récit en question met en avant la problématique de la sociabilité dans l’expression despathê, donnant ainsi de l’importance aux rapports d’échange, de dépendance et de hiérarchie. Mais il souligne également l’intensité des rapports et des effets sensibles par la théâtralité des émotions activée par la force du « spectaculaire »34 :

Ce sont donc ces choses-là et les semblables que l’on prend en pitié ; les personnes sont les gens de notre connaissance, si les liens qui nous unissent à eux ne sont pas très étroits ; car dans ce dernier cas, notre disposition est la même que si nous devions pâtir nous-même ; c’est pourquoi Amasis, dit-on, ne pleura pas sur son fils qu’on conduisait à la mort, mais sur son ami qui lui demandait l’aumône ; le cas de l’ami était pitoyable ; celui du fils, horrible ; il exclut même la pitié et sert souvent à émouvoir le sentiment opposé35.

19acteurs de savoirémotion pratiques savantespratique manuellegesteL’ensemble de l’interprétation de cepathos particulier est précisément fondé sur l’exposition visible du mal. Ainsi elle se définit comme une phénoménologie de malheurs, qui « paraissant proches émeuvent la pitié ». (Ἐπεὶ δ’ἐγγὺς φαινόμενα τὰ πάθη ἐλεεινά ἐστιν…)36. La gestualité et l’apparence, le regard, en un mot la « mimique » que la scène théâtrale produit offrent à l’eleos une consistance concrète, rendant ainsi cette émotion « visible » et palpable : « il s’en suit nécessairement, lisons-nous, que ceux qui complètent l’effet de leurs paroles par les gestes, la voix, les vêtements, et, en général, la mimique, excitent davantage notre pitié (ὑποϰρίσει ἐλεεινοτέρους εἶναι) ; car, en nous mettant les choses sous les yeux (τὸ ϰαϰὸν πρὸ ὀμμάτων), ils nous les font paraître proches ou dans l’avenir ou dans le passé »37. Ce qui structure l’émotivité est une relation au mal, à la peine, plus précisément, qui est de l’ordre non pas duponos mais de la λύπη et du ϰαϰόν. Il s’agit d’une appréciation d’ordre éthique résultant de l’argumentaire déjà avancé par le philosophe sur la « non-action » de l’eleos tragique38, mais elle avance aussi un questionnement plus ample qui prend en considération l’effet de l’opsis (τὸ ϰαϰὸν πρὸ ὀμμάτων ποιοῦντες) 39 dans les émotions40.

20Pour aller plus loin, les effets de l’eleos nous invitent à réfléchir sur la dimension performative de l’émotion de manière générale. À cet égard, il serait important de noter que l’idée de la dépendance affective résultant par exemple de la perception du mal entre celui, qui regarde et celui, souffrant, est regardé pose une série de problèmes relatifs à la dynamique interactive des émotions41.

Autour du visage : marqueur identitaire et lieu d’affect

21acteurs de savoircorpsvêtement acteurs de savoirémotion typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialessciences du langagepragmatiqueL’ensemble de ces interrogations nous amène à réfléchir à la réception des états affectifs dans le contexte pragmatique de la scène théatrâle où l’opsis a sa propre place. En effet, plusieurs lectures visent à localiser les « lieux » de production des affects « exposés » aux yeux de spectateurs. F. L. Shisler, dans un article des années quarante qui n’a rien perdu de sa fraîcheur, mettait l’accent sur la représentation des émotions sur scène. Il parlait de cette mise en portrait des émotions localisées notamment dans les gestes : la peur, la honte, la perplexité, l’angoisse ou la haine deviennent actives ou s’attestent par une gestuelle précise. À ce titre, les gestes de supplication sont, selon son interprétation, des gestes expressifs d’un état émotionnel mis en acte42, alors que les vêtements et toute sorte d’apparences entrent dans un jeu d’expression physique du mal et de la souffrance.

22acteurs de savoircorpsSi l’on reste dans le contexte de l’expression visible de l’émotion, on est invité à examiner ce qui, de manière représentative, peut être reconnu comme un lieu privilégié d’expression des émotions, à savoir le visage. À cet égard, un débat supplémentaire pourrait s’engager sur l’expression faciale des émotions43 et sur ce qui se met devant les yeux du destinataire, portant d’abord sur l’idée ambiguë de l’uniformité des gestes faciaux. Une problématique sur l’expression phylogénétique des émotions viendraient à l’appui de cette théorie44. Or, les écarts produits entre la systématisation de l’expressivité émotionnelle et la spontanéité ou la diversité de sentiments émis dénotent de manière non négligeable des écarts plus complexes.

23Dans ce cas, il serait légitime d’approuver l’importance que l’expression faciale joue dans la localisation physique des émotions et reconnaître en l’occasion la complexité que toute tentative d’uniformisation de leur extériorisation présente. En effet, c’est dans la polyvalence des gestes expressifs et le statut social du porteur que l’on doit révéler la pertinence de l’expression faciale des sentiments : cette lecture interroge l’implication du social et du culturel dans la gestuelle physique45. C’est une problématique particulièrement pertinente, car elle fait avancer le questionnement sur les lieux d’expression des sentiments et les différences sociales qui les accompagnent, faisant éclater l’univers intime et uniforme des émotions46. Peut-on parler par exemple du visage comme entité unique et inaltérable quand on a affaire à un système de hiérarchies qui fixe socialement la posture, les gestes et le discours des individus ? Il est évident que la scène tragique à laquelle Aristote prêtait une attention particulière, reflétait une réalité ethico-sociale qui ne négligeait pas les schémas de dépendances et des hiérarchies sociales de la cité classique. Ces schémas conféraient la variété nécessaire dans l’expression de sentiments, respectant la diversité et la dynamique interne de catégories sociales distinctes. À cet égard il est significatif de noter l’attention que le philosophe portait sur ceux qui n’étaient pas dignes de telle ou telle émotion. C’est le cas de l’indignation par exemple à propos de laquelle on apprend que « les caractères serviles, bas et sans ambition ne sont pas sujets à l’indignation (οὐ νεμεσητιϰοί) ; car il n’est rien dont ils se croient dignes »47.

24Ignace Meyerson, sensible à la spécificité du visage, réunissait une série de textes révélateurs sur les rapports entre visage comme marqueur identitaire et comme expression primordiale de la personnalité juridique48. Son examen, portant sur la « migration sémantique » que le terme latin persona subissait, mettait en valeur le passage du sens de l’individualité à l’universalité du visage-masque exprimé en grec par le termeprosôpon 49 . L’auteur expliquait que la « migration sémantique continue » deprosôpon, c’est à dire du visage au masque et vice-versa, fut riche de signification car elle remettait en question l’idée généralement admise de la « personne » comme simple entité juridique. Mais il y a plus. Pour désigner sa singularité polysémique, Meyerson, s’arrête entre autres sur trois textes qui sont de première importance pour notre propos. Ces textes traitent de l’identité de l’esclave et de son maître. L’auteur précise dans son étude que pour comprendre le sens de ces textes « une étude juridique ne suffit pas »50. En effet, leur singularité repose sur la façon dont l’existence de la personne se définit en matière d’autonomie identitaire. De manière intéressante, l’auteur analyse trois passages de Théophile qui présentent la dépendance servile en termes d’absence deprosôpon 51 :Ὁ γαρ οἰϰέτης ἀπρόσωπος ὢν ἐϰ τοῦ οἰϰείου χαραϰτηρίζεται δεσπότου (« l’esclave domestique, étant sans identité/sans visage se donne une identité par son maître »)52. Plus loin on lit une appréciation équivalente : Οἱ οἰϰέται ἀπρόσωποι ὄντες ἐϰ τῶν προσώπων τῶν οἰϰείων δεσποτῶν χαραϰτηρίζονται ϰαὶ ἐϰεῖθεν ἕξουσι τὴν ϰατάληψιν πότερον ἐπερωτᾶν δύναται ἢ δύνανται (« les esclaves domestiques étant sans identité se caractérisent par leur propres maîtres »)53. En cela s’ajoute une dernière phrase où l’esclave (doulos) est qualifié comme étant sans visage devant la loi (ἀπρόσωπος δὲ παρὰ τοῖς νόμοις ὁ δοῦλος)54.

25construction des savoirspolitique des savoirsinégalité sociale typologie des savoirsobjets d’étudeindividu typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialesdroithistoire du droit Meyerson chercha à élucider le glissement continu de l’identité juridique à l’identité personnelle. Or, hormis les questions qu’il avance par rapport à la problématique de l’identité, de sa formation et de son expression, l’intérêt de la lecture de Meyerson porte surtout sur la complexité de la valeur deprosôpon en raison des empreintes sociales dont elle est porteuse. Le visage, lieu que l’on reconnaît par ailleurs comme siège possible, des affects, est conditionné, selon lui, par les hiérarchies sociales qui orientent son expression, ses mouvements et son rôle comme marqueur identitaire.

26pratiques savantespratique artistiquethéâtreL’image du serviteur domestique qui n’existe que dans la continuité avec son maître est presque un lieu commun. Le passage de Théophile ne fait que retransmettre une réalité bien établie à l’époque classique quant à l’absence du visage servile : les traits fusionnels sont déjà présents dans l’épopée homérique alors qu’ils apparaissent de manière finement élaborée dans la tragédie. Étant marquée par l’absence de personnalité indépendante, la figure du serviteur tragique est par exemple dépourvue de toute opacité et de toute « conduite volontaire »55. Plus encore, elle manifeste une différence majeure quant à la gestuelle et l’expression de manifestations thymiques véhiculées par le visage. Enjeu visuel par excellence, le visage,prosôpon, à la fois masque et face dans le contexte du théâtre, semble introduire des différences et des contraintes attachées aux différences sociales et culturelles qui séparent les personnages libres des esclaves. Comme tel, il est facilement lié à l’altérité produite par la fonction du masque. Mais il est aussi lié par son premier sens à l’idée de la surface et, par là, à l’idée même de la « présentification ». Leprosôpon est de ce fait le lieu où sont censés s’exposer les émotions du personnage.

27Peut-être pourrait-on rappeler l’arrivé à ce point de la démonstration du cas d’Électre, une figure tragique qui propose un code d’apparence précis, un questionnement social sur la souffrance56. Dans le contexte de ce code, l’héroïne reconnaît à la fonction duprosôpon une présence qui peut lui procurer joie et plaisir. Il s’agit du prosôpon de son frère. L’argument avancé laisse entendre un visage humanisé, porteur de vie et marqueur d’identité : « Ne me prive pas de la joie où ton visage me plonge et ne me force pas à y renoncer »57, lui dit-elle. En réponse Oreste reconnaît la valeur représentative du visage : « Prends garde aussi que notre mère ne saisisse la vérité sur ton visage radieux (φαιδρῷ προσώπῳ), quand nous entrerons au palais »58. Le visage est à la fois un réceptacle et un émetteur d’émotions. Un lieu d’affect interactif qui se laisse lire comme un signe qu’on déchiffre là où la parole fait défaut. Le chœur dans l’Oreste d’Euripide reprend de manière significative la même idée pour le cas d’Électre : « Malheureuse fille ! Quel visage assombri tu penches vers la terre (ξυνηρεφὲς/πρόσωπον)59 . »

28construction des savoirsvalidationautoritéFonctionnant comme un signe, un indice apparent qui permet de conclure à une vérité souvent cachée, le visage devient un agent de dévoilement ou de dissimulation, une preuve d’existence qui signifie, qui laisse apparaître des traces de vie et qui promeut la réciprocité nécessaire qui assure l’interactivité émotionnelle. À la fois objet et sujet de regard, le visage est susceptible de recevoir et d’émettre des messages que l’expression verbale cache souvent soigneusement. Or, l’importance du visage-signe repose sur le fait qu’il indique et dévoile essentiellement un code thymique. Dans la tragédie, il devient siège déterminant d’émotivité, apparaissant comme une entité qui active l’eleos et qui met en avant une problématique plus ample sur l’autorité sociale du personnage. Ses spécificités laissent apparaître chaque fois des états douloureux qui souvent tracent les marges de l’héroïque mettant en avant des traits d’exclusion incarnés par les héros déchus. Ce faisant, le visage-signalétique trace les frontières entre les affects du héros et ceux de personnages auxiliaires, non indépendants, une discrimination qui rejoint le questionnement sur la dynamique sociale de l’interactivité des émotions.

29En effet, la relation de dépendance qui unit les deux entités nous fait remarquer par des exemples précis que le code social peut aisément s’étendre au domaine de l’affect. On parle d’une différenciation des émotions dans le contexte de laquelle le visage d’un esclave servira de médiateur et celui du héros de lieu d’affectivité. La différence d’expression émotionnelle sera de la sorte filtrée par la différence des statuts sociaux. Le visage du héros, personnage libre et autoritaire, sera à ce niveau différemment marqué que celui du serviteur, simple porteur des émotions de ses maîtres. C’est sur ce dernier que je voudrais m’arrêter pour insister sur l’impact du social dans l’expression performative des émotions.

Expression faciale et gestion de sentiments

30Apparaissant, surtout dans le cas des messagers60, comme un « visage qui indique », le prosôpon des héros déchus ou des humbles serviteurs s’associe aux fonctions médiatrices des esclaves : il apparaît, d’abord, comme un agent démonstratif dont le fonctionnement souvent précède l’énonciation verbale. Plus encore, allant de pair avec la fonction d’un regard, à son tour indicateur, il est essentiellement sans profondeur : porteur uniquement de messages, ignorant l’expression émotive, fonctionnant ainsi comme un simple opérateur démonstratif. Affirmant son entité par des qualités extérieures à soi, le visage d’un esclave ou d’un personnage servile en général, ne fait que refléter l’autre, un monde qui n’est pas le sien et qui fait appel à l’univers affectif des personnages libres, ses maîtres. Les mots du vieillard dansIon, sont significatifs à ce sujet quand il songe à son acte de « remplir » (ἐμπίμπλαμαι) sa propre figure de pitié en regardant un visage bien aimé, celui de Créuse : « O ma fille, ta vue me remplit de pitié. Mais tu m’as fait vraiment sortir de ma raison61. ». Figure creuse, vide d’émotion et de vitalité personnelles, le vieillard attribue à son visage l’émotivité de ses maîtres. « Pourquoi voilant ta tête, ô vieillard, pleures-tu ? lisons-nous. « Hélas, répond-il, ton père et toi, je vous vois malheureux !62 ». À l’évidence, dépendant de son maître la figure d’un esclave doit être exempte de toute autonomie émotive. Le visage que l’on observe et qui devrait refléter l’univers affectif du personnage n’est qu’un récepteur des sentiments et des raisonnements venant des maîtres. Le visage a toute son importance car le visage assure par ce rôle la communication avec les maîtres dans un contexte d’interactivité émotive. D’où les sentiments de solidarité que ce vieux pédagogue éprouve envers ses maîtres, en l’occurrence Créuse 63, qu’il assimile à une amie. « Parle ; pour mes amis, je sais gémir de manière noble », dira-t-il64.

31À cet égard, le comportement du serviteur n’est pas autre chose qu’une expression de compassion propre à l’éthique servile qui exige fidélité et obéissance aux maîtres suite à cette fonction ; elle est l’expression d’un habitus où gestes, regard et expressivité faciale s’accordent pour favoriser la médiation nécessaire entre maîtres et personnes extérieurs au palais à la maisonnée. Dans ce contexte d’échange mutuel, la réciprocité affective entre maître et esclave est présente de manière active, mais l’expression faciale n’est pas opérationnelle pour les deux parties. Le rôle duprosôpon, contraint très probablement par le contexte scénique et la dynamique dramatique de l’apparence, perd son sens humanisé pour acquérir celui du code. Le visage renvoie de ce fait au signe informateur et ordonne le réajustement des sentiments selon les conventions scéniques et les normes statutaires. Le serviteur, personnage secondaire et socialement subalterne, manque d’opacité et, de ce fait, d’autorité affective. L’importance de cette condition est indéniable : elle met en avant une logique émotionnelle qui dévoile les raisons de la souffrance des maîtres, et enregistre le code des catastrophes internes à la maisonnée.

32Cela étant, on peut remarquer que la puissance émotionnelle, inscrite sur le visage d’un personnage servile, émane de l’extérieur, nous rappelant que de toute manière le corps entier de l’esclave est dans le contexte tragique un simple objet de représentation et un signe. Ignorant les peines émotionnelles et les qualités de lapsychè, ce souffle de vie qui réside dans le corps mais qui est « l’autre du corps »65, source par laquelle émanent les désirs, les sentiments, la perception, ou encore l’action de se mouvoir, de grandir et d’évoluer, le corps de l’esclave est une instance physique, sans fonctions affectives autonomes. À ceci s’ajoute la fonctionnalité de son visage, entité creuse, vide d’émotion et de tout sentiment positif ou négatif en soi. Un processus d’objectivation est ainsi mis en marche transformant son entité en support lisible et interprétable.

33De manière significative, Électre, dans l’œuvre ne reconnaissant pas le visage du messager venant « signifier » les nouvelles66, insiste sur la difficulté qu’elle éprouva à « lire » (δυσγνωσίαν ἔχων) son visage67. Revêtant la forme d’un signe graphique, l’expression du visage du messager appelle à la lecture ainsi que le désigne un verbe à double sens, à la fois « reconnaître » et « lire »68. C’est précisément par cette écriture fictive que les contours du visage lui confèrent le rôle d’un support direct pour la voix69. Traçant la face du messager comme un objet de lecture, Euripide attribue au visage servile une apparence qui se forme comme un signe graphique. À cet égard, il revêt le sens premier duprosôpon, à savoir ce qui s’« offre à la vue » (πρὸς ὄψιν) sans pour autant assurer les effets de l’eleos. Un peu comme une surface écrite, le visage s’offre à l’oeil de l’interlocuteur comme un simple objet de lecture.

34construction des savoirslangage et savoirsstylelisibilitéCette entité « lisible » qu’est le visage signifiant des serviteurs ne fait que renforcer le caractère opérationnel de leur existence et les opposer aux personnages héroïques, porteurs des joies et des malheurs personnels. Assurant le rôle du médiateur, le visage « servile » n’est pas le siège de l’extériorisation des sentiments omis, il est la source d’informations étrangères à sa propre destinée, car il apporte en signifiant ce qui fut accompli loin des yeux du maître dans un temps, un espace et un contexte relationnel étranger à la vie personnelle du serviteur. Dans l’œil sombre et le visage triste du messager dansLes Phéniciennes, par exemple, on ne peut voir que les preuves d’un indice annonciateur : un signe de catastrophe qui n’a pas d’affinité avec la sensibilité propre du personnage. Dénudé de son entité vivante, le visage et l’œil du messager, deviennent les supports du « signe » (σημεῖον εἰσορῶ)70. À ce titre, nous pouvons nous référer au triste (σϰυθρωπόν)71 visage du serviteur, dans l’Alceste d’Euripide, qui comme un émissaire de deuils étrangers, devient le porteur de peines et des malheurs extérieurs à soi (θυραίου πήματος). C’est ainsi du moins qu’Héraclès caractérise l’air triste du serviteur qui l’accueille : « Oh là ! que signifie cet œil grave et plein de soucis ? Le serviteur ne doit pas être sombre devant les hôtes, mais les recevoir d’un cœur affable. Toi qui vois ici un ami de ton maître, c’est la face maussade et renfrognée que tu l’accueilles, parce que tu prends à coeur un deuil étranger72 ».

35Que peut-on dire de cette manifestation figurale et objectivée des maux ? La question touche à la nature même de l’identité servile mais aussi à la problématique plus générale de l’habitus comme disposition durable et performative des émotions. Les questions posées par l’aspect polysémique duprosôpon touchent à l’identité, à la nature sociale, affective et culturelle du personnage : cette optique met en avant la problématique du moi servile, opposé en l’occurrence à l’autonomie et à l’autorité du moi héroïque. Mais il y a plus. L’individualité qui est propre aux personnages héroïques est mise en débat dans un contexte de réflexion plus générale sur les émotions et la façon dont elles sont véhiculées et objectivées. À cet égard, le prosôpon comme marqueur identitaire est aussi un instrument de médiation par lequel se véhiculent des sentiments et se construit l’identité. Mais il faut dire que la façon dont les Tragiques s’en sont servi alimente une interrogation plus ample sur les catégories affectives et la fonction sociale du sensible, annonçant ainsi la problématique affinée par Aristote sur les conditions sociales et les dépendances émanant de valeurs interactives des affects. Ce qui nous met en garde sur l’étroite relation qu’il peut y avoir entre les logiques sociales de différenciation affective, l’expression sensorielle des émotions et l’habitus comme trait culturel du processus d’individuation73.

36L’ensemble de cette approche propose un questionnement plus approfondi sur la manière dont on peut réfléchir à l’historicité du sujet en tant qu’être à la fois affectif et socialisé à une période, l’époque classique, où l’idée du prosôpon contrairement à ce qui allait suivre, n’était pas clairement dissociée de la théâtralité du visage-masque. Cette dissociation, on le sait, se fit lentement pour former graduellement dans la modernité, passant par l’idée romaine de lapersona, l’instance d’individualité voire même de la personnalité74. De manière notoire, dans ce parcours d’individuation où se définissent les rapports de l’homme à l’autre et à soi-même, l’instrumentalisation du visage sert de clé de déchiffrement de la gestion culturelle des sentiments. Une problématique qui n’est certainement pas close.

Notes
1.

Une première version de cette étude fut présentée lors du colloqueEmotions over Time : Ancient pathê-moderne sentiments. A comparative approach à l’Université de Crète, Nov. 2004 et à laJournée d’Études sur les Émotions auNational Centre of Competence in Research (NCCR) for the Affective Sciences de l’Université de Genève dans le cadre du programmeMyths and Rites as Cultural Expression of Emotion.

2.

L’historien critiquait les chercheurs qui considéraient que l’étude des sensibilités n’était qu’« un sujet pour amateurs distingués » qui négligeait « la véritable histoire », voir LucienFebvre, « La sensibilité et l’histoire », Combats pour l’Histoire, Paris, 1992 (1941), p. 221-238.

3.

Ces dernières années nous voyons les historiens se tourner facilement vers l’individu, ses attitudes et ses désirs. Les historiens du sensible, comme AlainCorbin ont vu en cet univers l’expression de « l’être intime », tel qu’il se présente souvent dans le contexte des journaux intimes, ou des biographies. Ce tournant historiographique qui va de pair avec la construction du sujet, apparu ainsi auXIX e siècle, est évidemment une révolution moins radicale que l’on peut le croire : l’avènement de l’introspection de soi peut être repoussé à des époques plus lointaines. Voir sur cette problématique les interrogations de Alain Corbin, dansA. Corbin Entretiens avec Gilles Heuré, Historien du Sensible, Paris, 2000 p. 142 et suiv. Il faut signaler aussi que l’introspection de soi donna naissance à l’étude contextualisée des affects. Au prisme de cette perspective les émotions s’introduisirent dernièrement dans le domaine du politique, voir les études repertoriées par Daniel Wickberg, « What is the history of sensibilities? On cultural histories, old and new »,American Historical Review 112, 2007, p. 662-683. RamseyMacmullen (Feelings in History, Ancient and Modern, Claremont, CA, 2003) réfléchit aussi sur l’utilité de la compréhension des sentiments au fil du temps, promue par l’École des Annales et insiste sur l’importance d’une lecture de la procédure de leur mise en discours. Ces manifestations émotives nécessitent un retour à l’origine de leur production étant donné qu’elles sont transmises « de seconde main à travers un langage et des gestes conventionnels » (cf. Barbara H.Rosenwein, « Pouvoir et passion. Communautés émotionnelles en Francie auVII e siècle », Annales, Histoire et Sciences Sociales 6, 2003, p. 1277, sur cette conception performative des émotions, voir l’étude de William M.Reddy, The Navigation of Feelings. A Framework for the History of Emotions, Cambridge, 2001).

4.

Sur les « dangers » du « psychologisme » liés à la marginalisation du culturel et du social, notamment dans le domaine du politique, voir PhilippeBraud, L’émotion en Politique, Paris, 1996, p. 57sq. Sur les émotions comme instances socialement et culturellement travaillées, voir RomanoHarré (ed.), The Social Construction of Emotions, Oxford, 1986.

5.

Les questions posées allaient au-delà de celles avancées par la rupture entre émotion et raison. Cette distance soulignait l’impossible cohabitation de ces deux instances : appréciation qui tirait ses origines dans les doctrines philosophiques qui exaltaient la raison et voyaient dans l’émotion un état pathogène. Association sur laquelle se focalisa, dans la première moitié duXX e siècle, la psychologie comportementale. Voir sur ce sujet le développement de Donald O.Hebb, The organisation of behavior, New York, 1949. Sur cette disjonction et l’évolution qu’elle subit avec l’apparition de la psychologie cognitive et ses répercutions dans la réception sociale des affects voir Nico H.Frijda, Antony S.R.Manstead, SachaBern, «The influence of emotions on beliefs», in Id. (ed.)Emotions and Beliefs, How Feelings Influence Thoughts, Cambridge, 2000, p. 1-10. Pour le « nouveau sentimentalisme » produit à partir du 18e siècle, voir Janet Todd,Sensibility : An Introduction, Londres, 1986.

6.

LucienFebvre, op. cit. (n. 2), p. 224.

7.

Ibid.

8.

MarcBloch, La société féodale : la formation des liens de dépendance, Paris, 1939.

9.

Sur la régulation émotionnelle renvoyant aux acteurs sociaux autorisés à leur intervention dans les luttes idéologiques et les débats politiques, voir PhilippeBraud,L’émotion, op. cit. (n. 4), p. 101-108.

10.

Voir ErrolBedford, «Emotions», Aristotelian Society Proceedings 57, 1957, p. 304; Carol Z.Stearns and Peter N.Stearns, Emotion and Social Change : Towarda New Psychohistory, New York, 1988 ; PaulRousset , « Recherches sur l’émotivité à l’époque romane », Cahiers de civilisation médievale 2, 1959, p. 53-67 et PeterHaidu,The Subject of Violence : the Song of Roland and the State, Bloomington, 1993, p. 69-83.

11.

Voir Theodor W. Adorno, Else Frenkel-Brunswik, Daniel J. Levinson and R. N. Sanford, The authoritarian personality, New York, 1950.

12.

Plusieurs méthodologies pourraient corroborer les mécanismes de production des sentiments collectifs, essentiellement perçus comme prompts à l’historicisation. Dans cette voie s’ajoutent les interrogations posées sur la maîtrise des affects collectifs. Le pouvoir hégémonique, étant en liaison directe avec le contrôle des états émotionnels, demeure un agent de régulation des émotions qui rend leur présence opérationnelle dans la mouvance historique. Pour cette problématique, voir William M. Reddy, « Against Constructionism The Historical Ethnography of Emotions »,Current Anthropology 38, 1997, p. 335. Dans cette optique l’on pourrait également évoquer ce qui pourrait contredire l’autorité, l’ordre organisationnel des émotions ou de leur rationalité. Quelques périodes historiques seraient-elles plus dans la spontanéité émotionnelle que d’autres ? Voir les interrogations de Barbara H. Rosenwein, « Worrying about Emotions in History », American Historical Review 107/3, 2002, p. 821-845. La division entre l’émotionnel et le relationnel fut un sujet déterminant : un héritage, selon certains, du cartésianisme. Voir Denis Kamboucher, L’homme despassions. Commentaires sur Descartes, Paris, 1990. Les émotions sont censées entrer dans un contexte culturel, comme des états d’âme susceptibles d’être contrôlés. Ce qui va aussi à l’encontre de la coupure illusoire entre le rationnel et l’émotionnel opérée sur le plan anatomique et fonctionnel par la faculté de raisonnement et par la perception des émotions. Voir sur cette dimension les questions posées par Antonio Damasio, L’erreur de Descartes.La raison des émotions, Paris, 1995. Son questionnement s’approfondit dans des travaux ultérieurs où l’identité personnelle, dépourvue de son impact culturel devient le support d’un moi biologisé. Voir Antonio R. Damasio, Le sentiment même de soi, Paris, 1999.

13.

Pour les origines méthodologiques de cette approche il faudra se reporter à l’article fondateur de Lucien Febvre, « La sensibilité », op. cit. (n. 2).

14.

Jean-Pierre Vernant, Entre mythe et politique, Paris, 1996, p. 71.

15.

Ibid., p. 164.

16.

Sur la façon dont les émotions peuvent conditionner les convictions sociales et politiques d’un individu et se tourner en sentiments stables, voir la théorie avancée par Nico H.Frijda and BatjaMesquita, «Beliefs through emotions», in Nico H.Frijda et alii, Emotions,op. cit. (n. 5), p. 45-73.

17.

Le questionnement, mis en avant par Aristote à propos des techniques persuasives dans la Rhétorique, avait été forgé dans les doctrines des philosophes qui précédèrent les arguments aristotéliciens sur l’importance de « preuves » (paradeigmata ou enthymêmata) en rapport avec l’impact de l’émotion. Pour une synthèse de cette approche, voir FriedrichSolmsen, Die Entwicklung der aristotelischen Logik und Rhetorik, Berlin, 1929. la rationalisation de la preuve dans le contexte du récit historique et son inspiration du contexte de la rhétorique judiciaire, voir CarloGinzburg, Rapports de force, histoire rhétorique, preuve, Paris, 2000, p. 43-56.

18.

Aristote,Rhétorique II, 1378 a-1388 b.

19.

Ibid., II, 1388 b 5-30.

20.

Ibid., II, 1378 a 19-25.

21.

Ibid., II, 1388 b 31-38.

22.

Ibid., II, 1390 b 27-31.

23.

Aristote développe une théorie spécifique sur la formation des caractères en fonction du pouvoir assuré par la richesse. « Les caractères consécutifs à la richesse sautent à tous les yeux : ils sont enclins à la démesure (ὑβρισταί) et à l’orgueil (ὑπερήφανοι), ayant été dans une certaine mesure altérés par l’acquisition de la richesse… les caractères diffèrent chez les nouveaux riches et les anciens… » (Aristote,ibid., 1391a).

24.

Voir MaxWeber, «The Nature of Charismatic Authority and its Routinization»,Theory of Social and Economic Organization, Glencoe, IL, 1947, p. 358-386. HannahArendt (« Qu’est-ce que l’autorité », dans La crise de la culture, Paris, 1972, p. 156-158) allait plus loin en mettant en relation la théorie aristotélicienne de l’autorité politique avec la force de l’éducation des enfants et la formation de la personnalité développées par le philosophe. Sur ces aspects de la paideia aristotélicienne, voir D.B.Nagle,The Household as the Foundation of Aristotle’s Polis, Cambridge, 2006, p. 246-296. Dans ce registre ethico-social de l’autorité politique, se reconnaissent aussi les racines affectives du pouvoir auxquelles se lie l’idée du symbolique : association minutieusement exploitée par les anthropologues, ClifordGeertz (Savoir global, savoir local, Paris, 1985) et MarcelMauss, Sociologie et Anthropologie, Paris, 1991.

25.

Sur l’association de l’esclavage et de la violence, voir HannahArendt, The Human Condition, Chicago, 1958, p. 31 et les commentaires de M.P.Nichols , « The Good Life, and Acquisition : Aristotle’s Introduction to Politics »,Interpretation: A Journal of Political Philosophy 2, 1983, p. 171-176.

26.

Aristote,Rhétorique II, 1380 b 16-19.

27.

Ibid., II, 1383 b 24-25.

28.

Ibid., II, 1383 a 25.

29.

Ibid., II, 1383 b 25-30.

30.

Ibid., II, 1389 b 25-30 : « Ils (les vieillards) manquent de liberté (ϰαὶ ἀνελεύθεροι) car la propriété est une de ces nécessités et, en même temps, ils savent par expérience, combien il est difficile d’acquérir, facile de perdre ».

31.

Ibid., II, 1391 a 5-15.

32.

Ibid., II, 1394 b 5-10. La question de l’enthymème et de l’exemple (παράδειγμα) étant en relation directe avec la problématique de « preuves », pose le problème sur leur efficacité persuasive dans le contexte du discours historique. La parabole et la fable offrent cette performativité nécessaire de preuves narratives qui rend la description d’un événement ou d’un fait crédible (ibid., 1393 b). La problématique de l’enthymème est également développée dans laRhétorique à Alexandre de Ps-Aristote (10, 1-11, 2), la preuve étant ici désignée commesêmeion. Le questionnement tourne autour de la crédibilité du témoignage (10, 15-2), exprimée entre autres dans le contexte judiciaire de labasanos (10, 16, 1-3).

33.

Aristote,Rhétorique II, 1385 b 11-15.

34.

Rappelant ce qui dans laPoétique constitue l’enjeu même de la représentation tragique, à savoir « l’imitation d’une action... suscitant pitié et crainte » (Poétique, 1449 b), l’eleos dans laRhétorique est défini comme une « peine consécutive au spectacle d’un mal destructeur ou pénible... » (Ἔστω δὴ ἔλεος λύπη τις ἐπὶ φαινομένῳ ϰαϰῷ φθαρτιϰῷ ἢ λυπηρῷ...) (ibid., 1385 b 10-15)

35.

Rhétorique, ΙΙ, 1386 a 13-24.

36.

Ibid.

37.

Ibid.

38.

Voir les réflexions de W.W.Fortenbaugh, Aristotle on Emotion, Londres, 2002, p. 83 et R.Hursthouse, «Acting and Feeling in Character: Nicomachean Ethics 3.1», Phronesis 29, 1981, p. 252-267. David Konstan insiste sur la dynamique relationnelle de la pitié et son impact sur la rhétorique judiciaire. Lephthonos accompagne de manière déterminante cette dynamique. Voir DavidKonstan, Pity Transformed, Londres, 2001, p. 44-48.

39.

Aristote,Rhétorique II, 1386 a.

40.

Voir la reflexion de DouglasCairns, «Bullish looks and sidelong glances: social interaction and the eyes in ancient Greek culture», in DouglasCairns, Body Language inthe Greek and Roman Worlds, Wales, 2005, p. 123-155.

41.

Pour Aristote,Rhétorique II, 1377 b 20-25 : « Les passions sont les causes qui font varier les hommes dans leurs jugements et ont pour conséquences la peine et le plaisir, comme la colère, la pitié, la crainte, et toutes les autres émotions de ce genre, ainsi que leurs contraintes ».

42.

Famee L.Shisler, «The Use of stage business to portray emotion in Greek Tragedy»,American Journal of Philology 66, 1945, p. 377-397 ;Id., «The Technique of the Portrayal of Joy in Greek Tragedy»,Transactions of the American Philological Association 33, 1942, p. 277-292.

43.

Voir le débat notamment avancé par PaulEkman et E.Rosenberg, What the Face Reveals. Basic and Applied Studies of Spontaneous Expression Using the Facial Action Coding System, Oxford, 1997. Les auteurs soulignent l’ambiguïté de l’émotivité faciale qui dépend à la fois du domaine neurologique mais aussi cognitif et spontané. JamesRussel et Jose M.Fernandez-Dolz réunissent dans leur ouvrage une série d’études qui traitent des expressions faciales spontanées et préméditées, voirThe Psychology of Facial expressions, Cambridge, 1998. Voir les commentaires de DavidKonstan , The Emotions of Ancient Greeks, Toronto, 2006, p. 11-15.

44.

DouglasCairns, op. cit. (n. 40), p. 124.

45.

Sur la communication non verbale, notamment assurée par les gestes et les mouvements corporels au détriment parfois des expressions faciales, voir Alain L.Boegehold, When a gesture was expected, Princeton, 1999, p. 6 et 12-28 ; M. L.Catoni,Schemata: comunicazione non verbale nella Grecia antica, Pisa, 2005.

46.

DouglasCairns, nous présente ici l’importance des yeux comme lieu physique d’émotivité dans les pratiques amoureuses et leur influence sur la codification des perceptions visuelles. Voirsupra, «Looks of Love and Loathing: Cultural Models of Vision and Emotion in Ancient Greek Culture».

47.

Aristote,Rhétorique II, 1387 b 13-15.

48.

Voir « la notion de personne »,Les fonctions psychologiques et les æuvres, Paris, 1948, p. 151-185.

49.

Sur les complexités identitaires du visage dans son rapport au masque dans la culture grecque voir l’étude de FrançoiseFrontisi-Ducroux, Du masque au visage. Aspects de l’identité en Grèce ancienne, Paris, 1995.

50.

IgnaceMeyerson, Les fonctions psychologiques et les œuvres, Paris, 1948, p. 163.

51.

Theophile,Institutionum Graeca Paraphrasis II, 14, 2, Berlin (C. Ferrini), 1984.

52.

Ibid.

53.

Ibid. III, 17.

54.

Ibid. III, 29, 3.

55.

Je reprends ici la formule de Jean-PierreVernant, « Ébauches de la volonté dans la tragédie grecque »,Mythe et tragédie en Grèce Ancienne, Paris, 1986, p. 41-74.

56.

AnastasiaSerghidou, « Électre ἔποιϰος : aliénation domestique et réintégration dans l’Électre de Sophocle »,Quaderni di Storia 38, 1993, p. 85-111 (remanié dansead.,Servitude tragique. Esclaves et héros déchus dans la tragédie grecque, Besançon, 2010).

57.

Sophocle,Électre, 1277-1278.

58.

Sophocle,Électre, 1296-1300.

59.

Euripide,Oreste, 956-968. Ce dernier passage d’Euripide a aussi un autre intérêt. S’agissant d’une interpolation, il favorise des interprétations multiples, stimulant la curiosité tant des Anciens que des Modernes sur la fonction du visage comme lieu d’affectivité. Les vers en question ne figurent pas dans tous les manuscrits. LouisMéridier (Euripide, Oreste, Belles Lettres, Paris, 1973, p. 70 n. 1) souligne qu’ils furent ou condamnés ou ajoutés après coup. Indépendamment des critiques de scholiastes anciens et modernes, le contenu du passage suggère selon le traducteur, « le jeu de physionomie de l’acteur » (ibid.).Denys Page à son tour (Actor’s Interpolations in Greek Tragedy, Oxford, 1934, p. 34) opte pour l’interpolation et avance l’idée que par celle-ci les scribes ont voulu introduire dans le texte une touche « mélodramatique » correspondant au triste univers du personnage présenté. L’idée démontre l’efficacité signifiante du visage comme lieu d’émotion dans le contexte ancien et la place que ceci a pu acquérir dans la transmission du texte.

60.

Voir sur ce sujet les commentaires de FrançoiseFrontisi-Ducroux, op. cit. (n. 49), p. 57-63.

61.

Euripide,Ion, 925-926.

62.

Ibid., 967-968.

63.

Ibid., 734.

64.

Ibid., 935.

65.

Aristote,De Anima 412, 7 ;id., Génération des animaux, 731b. Sur le corps comme simulacre de l’âme et l’âme humaine comme simulacre du divin, voir Jean-PierreVernant (éd.), « Psychè: Simulacre del corpo o immagine del divino? », dansLa maschera, il doppio e il ritratto. Strategie dell’identità, Sienne, 1991, p. 3-10.

66.

Euripide,Électre 765.

67.

Euripide,Électre 767-768.

68.

Le verbe implique la reconnaissance de caractères puis leur déchiffrage. Cf. Danielle J.Allan, «ἀναγιγνώσϰω and some cognate words», Classical Quarterly 30, 1980, p. 244-251 ; PierreChantraine, « Les verbes grecs signifiant “lire” », dans MélangesGrégoire, t. II, Bruxelles, 1950, p. 126.

69.

C’est du moins le statut que l’écriture occupe avant l’invention de la lecture silencieuse. Sur ce sujet, voir l’ouvrage de JesperSvenbro, Phrasikleia, anthropologie la lecture en Grèce ancienne, Paris 1988, p. 178-238.

70.

Euripide,Les Phéniciennes 1332-1334.

71.

Associé au visage de l’esclave, le terme σϰυθρωπός met l’accent sur le caractère anormal d’une tristesse excessive. Le terme en question est repris par Pollux (4, 138) pour désigner l’expression du regard de l’un des serviteurs.

72.

Euripide,Alceste 773-778.

73.

Pour la notion historicisée de l’individuation, voir Marcel Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne celle de “moi” », dans M.Mauss,Sociologie et anthropologie, Paris, 1950 (réédition, 1985),p. 331-361 ; GilbertSimondon (L’individualisation psychique et collective, Paris, 2007, réédition) innove cette perspective par un regard philosophique qui reconnaît l’impact du collectif dans le processus de l’individuation. Il développe un système de reconnaissance d’individuation dite intérieure, psychique, et d’individuation « extérieure », collective. Cette approche corrobore l’étude de l’affectivité et de l’émotivité comme résonance de l’être (p. 21-22).

74.

Voir sur ce sujet RaymondMartin et JohnBarresi, The Rise and Fall Soul of and Self, an Intellectual History of Personal Identity, New York, 2006, p. 29-38. RichardSorabji (Self, Ancient and Modern Insights about Individuality, Life, and Death, Oxford, 2006, p. 157-171) suggère par son analyse un modèle depersona éthique, précédant l’individualité moderne. Ce modèle puise ses origines dans les doctrines stoïciennes. Pour un aperçu diachronique de la construction de l’individualité, voir JarroldSeigel, The Ideaof the Self, Thought and Experience in Western Europe since the Seventeenth Century, New York, 2005, p. 45-83.