Anne Goldgar

Espace privé et discours public : Thomas Hearne

1espaces savantslieuuniversitéL’antiquaire anglais Thomas Hearne mena une vie pour le moins circonscrite, quand bien même elle ne le fut pas autant qu’il aurait pu l’espérer. Né en 1678, Hearne était le fils d’un pauvre fonctionnaire de paroisse qui dirigeait aussi une petite école de village afin de subvenir aux besoins de ses sept enfants. Hearne aurait très probablement fini ouvrier, comme ses frères et sœurs, s’il n’avait été envoyé à l’école à quatorze ans par un propriétaire foncier voisin. À dix-sept ans, il entra à St. Edmund Hall, l’Université d’Oxford. Une fois là-bas, cependant, il ne devait plus jamais en sortir. Il y mourut en 1735 1.

2construction des savoirstraditionreligionchristianismeprotestantisme construction des savoirstradition espaces savantslieucloître Hearne se définit un jour comme une « personne élevée, pour ainsi dire, dans un cloître2 ». Oxford était tout pour lui. Aigri, prompt à dénigrer ceux qui avaient des principes religieux ou politiques différents des siens, Hearne concentrait une bonne part de ses émotions sur les personnalités et événements de l’Université. Oxford était toute petite au début du xviii e siècle, avec des effectifs estudiantins en déclin, en partie du fait que l’Université souffrait de la réputation d’être plutôt de droite3. Les journaux de Hearne attestent sa fascination pour d’autres collèges, les machinations (de son point de vue) de leurs doyens, de leurs étudiants et même de leurs domestiques. Cela tenait en partie à ses intérêts antiquaires (de défenseur des traditions). Hearne ne jurait que par les statuts de l’Université, et son aigreur venait pour une large part de la façon « scandaleuse » dont les affaires universitaires étaient gérées de son temps. Il s’offusquait du système moderne des postes électifs, des soirées de jeûne qui n’étaient pas respectées le vendredi à St. Edmund Hall, de l’heure tardive des débats universitaires le mercredi des Cendres (« du fait que d’aucuns restent au lit plus longtemps qu’ils ne devraient »), et ainsi de suite. Pour lui, tout ce qui était ancien était bon : « Quand les vieilles coutumes louables changent, c’est le signe que le savoir s’amenuise », disait-il (parce que la coutume s’était perdue, à son collège, de changer les heures des repas et de servir des beignets le mardi gras4).

Figure 1. Portrait de Thomas Hearne, gravure de George Vertue d’après Peter Tillemans, 1723.

              , gravure de George Vertue d’après Peter Tillemans,
            1723.

3inscription des savoirslivre inscription des savoirslivremanuscrit acteurs de savoirprofessionbibliothécaire espaces savantslieubibliothèque typologie des savoirsdisciplinessciences humaines et socialeshistoire Hearne se découvrit de bonne heure une passion des études antiquaires et déclina l’offre d’un poste de missionnaire au Maryland afin de rester à Oxford. Il se consacra essentiellement à l’histoire antique et médiévale de la Grande-Bretagne. Il restait si longtemps à la Bodléienne, la bibliothèque de l’Université, plongé dans ses recherches pour la publication de manuscrits – aussi longtemps qu’elle restait ouverte, affirmait-il – qu’il fut embauché comme aide-bibliothécaire. Il se chargea personnellement du catalogage des livres, des manuscrits et des pièces de monnaie. La bibliothèque en question n’était pas une institution florissante. À la fin du xvii e et au début du xviii e siècle, elle ne consacrait guère d’argent aux livres : en 1692 et 1693, elle n’acheta qu’un livre par an ; en 1730, elle ne disposa que de sept livres sterling à dépenser à cette fin dans l’année. La bibliothèque était aussi de moins en moins fréquentée ; dans les années 1740, après la mort de Hearne, les lecteurs demandaient moins de livres en un an qu’autour de 1700 en un mois5.

4construction des savoirspolitique des savoirsrégime politiquemonarchieCette situation et le fait que Hearne eût accès à la Bodléienne à toute heure lui donnaient tout le loisir de travailler à ses propres éditions. En revanche, ses diatribes, orales et écrites, contre ses collègues faisaient de lui un personnage controversé ; qui plus est, sa position politique était chancelante : il était un « non-jureur ». Il refusa de prêter serment d’allégeance à la nouvelle monarchie après la Glorieuse Révolution de 1688, alors que de nombreux postes n’étaient accessibles qu’aux assermentés. Hearne cumulait son travail en bibliothèque avec d’autres postes, dont la direction des presses et les visites de l’École d’anatomie, mais il réussit, parfois en baissant la voix au bon moment, à éviter de prêter pleinement serment6. Sa conduite et ses convictions le mirent cependant en conflit avec l’administration de l’Université, qui lui signifia qu’il ne pouvait cumuler deux postes et le contraignit finalement à démissionner de toutes ses fonctions pour ne conserver que son travail à la bibliothèque. Reste que, même là, il n’était pas le bienvenu. On changea les verrous de la Bodléienne ; il ne lui fut plus possible de travailler après la fermeture, sauf à accepter qu’un collègue honni restât tout le temps assis à côté de lui. Entre l’expérience éminemment symbolique de se voir fermer la porte de ce qu’il tenait pour son espace naturel et la crainte d’être finalement contraint à prêter le serment d’abjuration, il cessa purement et simplement de se rendre à la bibliothèque le 23 janvier 1716. Il ne devait plus jamais y remettre les pieds.

5espaces savantslieuPour Thomas Hearne, l’espace revêtait une grande importance. Des liens d’affection profonde l’unissaient à l’Université ; quant à la bibliothèque, il y était attaché comme à son bien. Quand des évêques non jureurs refusèrent de prêter serment à la nouvelle monarchie, ils perdirent leurs postes ; Hearne, leur disciple, aspirait à ce genre de martyre glorieux. Alors même qu’il ne fut pas congédié de la Bodléienne, il prétendit avoir été contraint par la loi de rester chez lui. Jusqu’à la fin de sa vie, il tint le compte des émoluments qu’il aurait dû recevoir tout en observant que, jusque-là, il n’avait pas « eu d’honoraires ». Toute sa vision du monde devait être liée à son exclusion d’un espace physique – de l’espace même qui rendait possibles ses recherches.

6espaces savantslieucellule monacale construction des savoirspolitique des savoirsmécénat Hearne se confina dès lors à ce qu’il appela un jour « sa petite cellule7 », son appartement de St. Edmund Hall, où il entassait son immense bibliothèque personnelle. Dix-neuf années durant, il vécut du mécénat de ses amis et des savants de sa connaissance ainsi que de l’argent tiré de ses publications. Il comptait sur des amis savants, parfois éloignés, pour lui fournir livres et manuscrits en vue de son travail. John Bowles devait s’en plaindre :

Vous avez une façon très civile de mettre dans l’embarras vos amis, qui ne sont pas disposés à vous prendre en charge, et bien que vous ayez la même liberté à la Bodléienne que d’autres, vous avez pourtant choisi, en conséquence, de vous interdire ces lieux […]8.

7espaces savantsterritoirecampagne espaces savantslieucollègeIl rejeta des occasions comme le poste de bibliothécaire de la Royal Society, à Londres, où il ne devait jamais se rendre de toute sa vie. Il persista à effectuer sa ronde quotidienne – dîners au collège, visites à la taverne, au café et dans un club, Antiquity Hall – et des excursions antiquaires hebdomadaires dans la campagne des environs d’Oxford. Mais là encore, il se montra de moins en moins assidu. Hearne était bel et bien un moine dans sa cellule.

8espaces savantscirculationréseau construction des savoirslangage et savoirslanguelatin Hearne se situe à l’extrémité d’un spectre d’interactions entre espace et savoir au xviii e siècle. Où certains historiens voient l’espace du savoir s’élargir au cours de cette période, le sien se fit plus limité. Le tableau que nous avons brossé jusqu’ici indique pourtant que sa solitude n’était pas complète. Outre ses discussions avec des amis au collège ou à la taverne, outre les visites qu’il recevait de savants, Hearne entretenait une correspondance suivie avec d’autres antiquaires de Londres, de Cambridge, de Leeds et de bien d’autres régions du pays. Il publia aussi près de soixante ouvrages, de nombreux manuscrits latins illustrant l’histoire de la Grande-Bretagne, qui lui valurent une correspondance plus nourrie encore. Ainsi, même reclus dans sa « cellule », Thomas Hearne était-il très présent sur la scène publique.

La République des lettres

9pratiques savantespratique lettréecorrespondance acteurs de savoircommunautéPar ses contacts hors des limites de son appartement de St. Edmund Hall, Hearne fit partie, au xviii e siècle, d’une communauté intellectuelle élargie connue, depuis plus de cent ans, sous le nom de République des lettres. En tant qu’Anglais, isolé à bien des égards des courants intellectuels du continent, en tant qu’universitaire, en tant qu’homme profondément ancré localement, avec des centres d’intérêt locaux et une correspondance non moins locale, mais aussi, en l’occurrence, en tant qu’homme fortement attaché aux convictions politiques et religieuses qui affectaient ses recherches, il n’était guère un membre idéal de cette République, d’autant qu’il avait une propension certaine à jouer les empêcheurs de tourner en rond. En revanche, il n’aurait pas nié son appartenance au monde savant, même si sa définition n’était pas aussi large que celle qu’on en donnait généralement au xviii e siècle.

10construction des savoirsvalidationcontroverse pratiques savantespratique lettréepublication construction des savoirspolitique des savoirsrégime politiquerépubliqueLa République des lettres était un espace virtuel, une nation pour les savants de tous pays9. Elle avait ses lois, rarement couchées par écrit et certainement jamais ratifiées, mais souvent invoquées quand un savant franchissait une ligne invisible ou une autre. Tout le monde savait ce qu’étaient ces règles ; et qui ne le savait pas ne tardait pas à se les voir rappeler en cas de transgression. Les savants étaient liés les uns aux autres par des liens d’obligation mutuelle : loin d’être exclusivement personnels, ces liens mettaient en relief l’importance de la communauté tout entière. Les hommes de renom n’étaient pas seulement ceux qui publiaient des ouvrages brillants, mais aussi ceux qui comprenaient leur devoir envers le monde du savoir et se souciaient d’apporter une assistance aux savants qui avaient besoin d’aide. La publication faisait partie de cette générosité parce qu’on y voyait un « honneur rendu à la République des lettres ». Celle-ci était aussi censée s’élever au-dessus des allégeances politiques et religieuses. En 1709, Étienne-François Geoffroy écrivit ainsi à sir Hans Sloane, dont le pays était en conflit avec le sien, que « le tumulte de la guerre et le bruit des armes interrompent ordinairement le repos & l’étude des muses », mais que « les sçavants ne se sont presque point aperçus de ces temps facheux si ce n’est par la difficulté du commerce avec les habiles gens des pays etrangers10 ». Les querelles du monde faisaient-elles irruption dans la République des lettres qu’on jugeait la chose dangereuse : il était impératif que les controverses savantes fussent toutes menées avec civilité et modération.

11inscription des savoirsgenre éditorialencyclopédie construction des savoirséconomie des savoirsvaleurCet idéal était naturellement difficile à atteindre. La notion de République des lettres postulait une division des allégeances – locales et cosmopolites, professionnelles et personnelles – qu’il était presque impossible de respecter. Toute la vie de Thomas Hearne met en évidence la tension entre les exigences du monde et celles de la République des lettres. Cette tension devait marquer l’expérience de toute cette République au xviii e siècle, en particulier du fait des changements survenus au cours de la période. Alors que le sentiment national se faisait plus conscient et que les institutions de l’État étaient plus élaborées, les auteurs encourageaient plutôt un ensemble de valeurs centrées davantage sur la scène internationale. Les valeurs de la première République des lettres promurent l’internationalisme en raison de ses effets par nature bénéfiques sur sa communauté : avec l’affirmation des Lumières au fil du siècle, le cosmopolitisme devint un mot d’ordre pour les auteurs qui recherchaient le bien de l’humanité dans son ensemble. L’Encyclopédie renvoyait sommairement le lecteur qui recherchait le mot « Cosmopolite » au mot « Philosophe11 ». Cela ne devait pas empêcher pour autant les membres de la République des lettres, même au temps des Lumières, de sentir l’attrait de leur nation et de leur propre ancrage local, faisant ainsi écho au genre de gallocentrisme qui avait conduit l’abbé Bouhours* à déclarer, à la fin du xvii e siècle, que les Allemands ne pouvaient être de beaux esprits12.

Nouveaux espaces : académies et journalisme

12acteurs de savoirstatutacadémicien espaces savantslieuacadémie espaces savantslieumonastère espaces savantslieumusée espaces savantslieulaboratoireLes espaces de pratique et de discussion du savoir changeaient aussi. De fait, une bonne partie de la société savante du xviii e siècle se situait hors des confins institutionnels de l’Université. Des laboratoires aux musées, des monastères aux cours de la noblesse, des demeures privées aux cafés, la diversité des lieux est immense et en partie variable d’un pays à un autre : en territoire allemand, par exemple, les universités jouèrent un rôle crucial et intensifié dans les Lumières13. Mais les historiens de la société littéraire au xviii e siècle, plus peut-être que de toute autre période, s’intéressent à la façon dont de nouveaux espaces de discussion se développèrent. Parmi ceux-ci figurent les fondations officielles telles que les académies nationales, à commencer par l’Académie royale des sciences de Paris en 1666. De même, estimant une académie nécessaire à sa position en Europe, Pierre le Grand en fonda une en 1724, il est vrai sans membres russes, tandis qu’un des premiers actes de Frédéric Ii de Prusse fut de reconstituer l’Académie de Berlin sous une forme qui encouragerait la science aussi bien que la culture allemande14. Les objectifs scientifiques et savants des académiciens entraient souvent en conflit avec les améliorations pratiques qu’envisageaient leurs souverains. Mais ainsi que Pierre-Louis Moreau de Maupertuis, président de l’Académie prussienne, le fit valoir à propos de l’activité académique en relation au développement de l’État-nation :

[l’]utilité des académies ne se renferme pas dans les limites de chaque nation. Une académie possède de ces hommes destinés à éclairer le monde entier ; toutes les nations doivent avoir part à leurs découvertes […]15.

13construction des savoirslangage et savoirslanguefrançais Maupertuis terminait sa phrase par ces mots : « Il faut les leur communiquer dans la langue la plus universelle. » Pour lui, cette langue était le français. Que cela pût s’affirmer dans un discours public à Berlin en dit long sur les géographies changeantes de la République des lettres. La communauté était certainement plus septentrionale qu’autre chose ; on ne prêtait guère attention à l’activité savante considérable qui se déroulait en Italie, et c’est à peine si la Scandinavie paraissait exister pour le monde des savants européens. La France se considérait comme le centre du savoir, et le refuge huguenot, après 1685, contribua largement à imposer le français comme langue des échanges savants internationaux. L’essor concomitant du sentiment national, de l’idée d’un monde des lettres cultivé sans être savant, et l’institutionnalisation de la correspondance dans les journaux littéraires aidèrent aussi à asseoir la domination du latin. Les huguenots étaient des journalistes par excellence ; et, alors même que les Allemands s’accrochaient à leur idéal d’une Respublica latine, le lancement de publications comme les Nouvelles de la République des lettres de Pierre Bayle, en 1684, suivies de nombreuses imitations, fit de la République des lettres un espace largement français. « Tout le monde veut sçavoir parler français », écrivit Bayle, et quand Jacques Basnage* publia, en 1719, son histoire officielle des Pays-Bas, il écrivit en français : « La Latine est devenuë l’apanage d’un petit nombre de Savans. » Il était naturellement hors de question d’utiliser le hollandais16.

14pratiques savantespratique discursiveconversation construction des savoirspolitique des savoirsespace publicL’essor du français et la domination croissante du journalisme aidèrent à créer un espace de discussion au sein de la République des lettres. De tels espaces se développaient déjà localement ; et, si les historiens du xviii e siècle s’intéressent tant à l’espace, c’est, entre autres raisons, que les espaces physiques – les lieux de vraies discussions orales – pouvaient se transformer en espace rhétorique : la « sphère publique » où se formaient et s’exprimaient les opinions politiques17. Tout comme ces conversations semi-privées pouvaient alimenter une culture politique publique foisonnante, la correspondance entre savants transformait une discussion privée en affaires publiques. La plupart des journaux littéraires étaient rédigés par un petit groupe, voire par une seule personne, mais tous s’appuyaient sur un réseau de correspondants. Les savants convenaient souvent formellement de s’adresser les uns aux autres des nouvelles littéraires, et les revues étaient, à bien des égards, une version officialisée de cette correspondance plus privée.

15Le caractère personnalisé des journaux se traduisait, là encore, par une grave tension entre espaces locaux et espaces cosmopolites.

Local et cosmopolite : François Bruys

16espaces savantslieulibrairie espaces savantslieuécole acteurs de savoirprofessioncopisteArrêtons-nous sur le cas de François Bruys. En 1729, il n’avait que vingt et un ans et évoluait aux marges de la communauté littéraire de La Haye. Né à Mâcon de parents convertis de force au catholicisme, Bruys, au cours de sa vie brève (il mourut à trente ans), ne cessa d’hésiter entre les confessions catholique et protestante. Après des études à Genève, il essaya de gagner sa vie dans les bas-fonds du monde des lettres en Hollande : d’abord comme copiste pour le journaliste et géographe Bruzen de La Martinière*, puis, sur recommandation du journaliste et historien Jean Rousset de Missy*, comme assistant de Jean-Baptiste Le Fèvre, qui dirigeait une petite école pour garçons18. Il se mit alors à rencontrer des libraires, comme Pieter De Hondt*, chez qui il achetait des livres pour ses élèves, avant de commencer à travailler comme correcteur d’imprimerie19. Les librairies étaient en tout état de cause des lieux où lecteurs et auteurs se rencontraient souvent. Quand on demanda à Bruys le nom de ses tout premiers amis à La Haye, il en donna cinq, dont ceux de deux libraires : Hendrik Scheurleer* et Christiaen Van Lom*20.

17Bruys avait de plus hautes ambitions, nourries par ce type de compagnie. Il traduisait Tacite en français, mais, du fait de ses accointances avec le monde des journalistes, il vit une façon plus rapide de se faire un nom en publiant un journal littéraire : la Critique désintéressée des journaux, qui vit le jour (et disparut) en 1729. « Il ne manque point à La Haye de ces plumes vénales », devait observer le pasteur huguenot Armand de La Chapelle 21. Les fortunes de Bruys et de son journal, si lu fût-il, se révélèrent limitées dans le petit monde des cafés, des librairies et des églises de La Haye. Parmi les autres amis dont Bruys donna le nom lors de sa comparution devant la Haute Cour, on trouve celui de Jacques Saurin*, le prédicateur huguenot le plus renommé de son temps. Loin du monde de Grub Street dans lequel évoluait Bruys, Saurin était déjà bien connu à travers la République des lettres aussi bien que dans l’« Internationale protestante » formée en partie par le refuge huguenot. Il avait publié divers volumes de sermons, un catéchisme et deux volumes de discours sur la Bible agrémentés de magnifiques gravures. Saurin, qui avait vécu à Genève, Londres et La Haye, entretint une correspondance avec d’autres personnalités littéraires et religieuses de l’époque22. Ces deux personnalités si différentes se connurent à l’occasion d’un incident qui met bien en lumière les étranges relations que cultivaient les communautés locales et internationales.

18En 1728, Saurin fut la cible d’une attaque anonyme dans une revue littéraire, la Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savans de l’Europe. Alors que le second volume de ses discours avait fait l’objet d’une première recension bienveillante, une deuxième reprocha vertement à Saurin de blasphémer en laissant entendre que Dieu pouvait parfois approuver les pieux mensonges. En vérité, comme Saurin le soupçonnait, l’attaque anonyme venait de l’un de ses collègues, Armand de La Chapelle, qui avait des raisons personnelles d’en vouloir à Saurin, à commencer par sa popularité et sa paye relativement élevée. L’accusation débouchant sur une action formelle contre Saurin au synode, diverses autres publications prirent fait et cause pour lui, dont les Lettres sérieuses et badines et la Critique désintéressée de Bruys. Ce dernier intervint alors même que la querelle avait commencé à se calmer, et le soupçon qu’il y avait été encouragé par Saurin en personne – ce dernier le nia énergiquement – explique la scène dramatique de 1730 qui vit Saurin sur son lit de mort, quelques instants avant son décès, entouré de ses collègues accusateurs.

19La mort de Saurin n’arrangea guère les affaires de François Bruys. L’enquête de la Haute Cour l’avait déjà effrayé au point de le pousser à se réfugier à Londres. Là, ses contacts avec la communauté littéraire huguenote lui valurent protection, argent, conversation et conseils. Écoutant ces conseils, il regagna La Haye au bout de trois semaines. Mais l’enquête se poursuivit et, en juillet 1731, Bruys fut condamné à payer une amende et banni de la province de Hollande. Pour lui, les séductions de la gloire littéraire eurent des fruits amers.

20Cette querelle avait un caractère local très prononcé. Saurin fut attaqué aussi bien que défendu par des hommes qui le connaissaient, qu’il voyait chez lui, à l’église et dans les librairies de La Haye. Bruys, à son tour, se trouva entraîné dans des querelles impliquant sa paroisse, des journalistes qu’il côtoyait dans les cafés du coin, des libraires dont il cherchait la protection et dont les boutiques servaient de lieu de rencontre à tout le monde des lettres. La Chapelle se plaignit de Jan Van Duren, l’éditeur de Bruys, ainsi que des libraires Gosse et Neaulme, qui publiaient le Journal Litéraire [sic] :

la boutique de van dure a eté de tout temps le rendez vous favori de Messrs Falaizeau, Sacrelaire, & autres Intimes de feu Mr. Saurin, de sorte que Cette boutique est Comme le Bureau d’adresse de tout le Parti aussi bien que celle de Gosse, & Neaulme, & delà vient la belle union qui regne entre l’esprit du Journal Litéraire & celui des Lettres Sérieuses & badines en tout ce qui concerne M. Saurin 23.

21Toute l’affaire était manifestement au centre des conversations à La Haye. Ami de nombreux libraires et journalistes, Prosper Marchand* recueillit assidûment les vers de mirliton manuscrits accusant La Chapelle et ses collègues d’avoir, au fond, assassiné Saurin 24.

22Mais, la République des lettres et l’imprimé aidant, ce conflit très circonscrit ne pouvait le rester. Bruys lui-même avait des correspondants à Londres ; d’autres personnages concernés, et notamment Saurin, La Chapelle, La Martinière et tous les libraires avaient un large cercle de contacts internationaux. Depuis Londres jusqu’à Berlin, on discutait de la bataille littéraire qui se déroulait à La Haye ; à Lausanne, on disait tout haut des vers manuscrits sur les quatre ministres de l’Église française ; et, à travers l’Europe entière, on lisait toutes les revues impliquées dans l’affaire et on en discutait. Les affaires locales prenaient un tour international en raison de l’espace élargi de la République des lettres et de l’espace rhétorique du journalisme : dans les cafés et les clubs littéraires de Berlin ou de Londres, ces discussions trouvaient des échos locaux. Dans ce monde, il n’était pas si facile de distinguer le local du cosmopolite25.

Autres espaces nouveaux : cafés, conversation et sphère publique

23espaces savantslieucaféParmi ceux qui ont pu parler de Saurin et de Bruys, d’aucuns étaient eux-mêmes écrivains ; d’autres, seulement lecteurs. Mais tous, probablement, parlaient. À la fin du xvii e et au xviii e siècle s’ouvrirent de nouveaux espaces où de telles discussions pouvaient prendre place. Le plus célèbre d’entre eux était le café. Dans les centres urbains de l’Europe entière, on vit se multiplier les établissements qui servaient du café, donnaient accès aux journaux et offraient aux hommes intéressés par la littérature et les affaires du jour un lieu où se retrouver pour discuter à bâtons rompus. Même en territoire allemand, où le café était moins populaire qu’en Angleterre ou en France, se développa une culture du café de plus en plus importante pour le discours des Lumières. Hambourg, qui n’avait que six cafés en 1700, en possédait quinze en 1780, et Berlin douze. Au cours des trois semaines de son séjour à Londres, Bruys fréquenta sans doute le Rainbow et Slaughter’s, deux rendez-vous favoris de ses contacts londoniens ; dans un café de Rotterdam, il entendit deux inconnus discuter de sa revue littéraire et spéculer quant à son identité et ses intentions26.

24acteurs de savoircommunautésociété savanteLes cafés étaient ouverts à quiconque avait de l’argent et du temps à y consacrer (ce qui limitait leur accès aux bourgeois). Mais certains lieux de rendez-vous étaient plus sélects. Des sociétés littéraires ou des groupes de lecture restreints se formaient et se réunissaient tant pour le plaisir que pour discuter littérature. En Allemagne, par exemple, où existaient de longue date des groupes littéraires informels, le xvii e siècle vit naître des clubs consacrés à la langue et à la littérature allemandes. Les territoires allemands, qui ne comptaient que cinq sociétés de lecture avant 1760, en avaient près de deux cents à la fin du siècle27. Les réfugiés huguenots et autres personnalités internationales étaient une fois encore au premier rang de ces petites sociétés littéraires. David Durand, pasteur d’une église française de Londres et auteur d’une Vie de Vanini, rapporta, en 1715, qu’il était :

Membre d’une Société Littéraire, qui s’assemble tous les Lundi chez M. Bonet, & dans laquelle nous avons un Evêque, un Envoyé du Czar, un Secretaire du Prince de Gales, un Resident de Prusse, un Ancien Conseiller au Parlement de Paris, un Conseiller du Roi de Danemark, Un Chapelain de S. James, deux Ministres de La Savoye [autre église huguenote], & quatre de mon Eglise, tous, éxcepté moi, des plus dignes du Réfuge. Toutes ces personnes ont ouï dans nos conférences la lecture que je leur ai faite de [ma] … Vie de Vanini, & m’ont si fortement encouragé à la publier, que j’ai eû la foiblesse de succomber à leurs éloges28.

25Qu’une société promût une publication n’avait rien d’inhabituel. Diverses revues littéraires étaient liées à des sociétés littéraires. Les Chevaliers de la Jubilation, qui étaient aussi les auteurs du Journal Litéraire, se retrouvaient le vendredi pour converser, plaisanter et discuter de causeries écrites pour l’occasion ; à Berlin, la Bibliothèque germanique trouvait son origine dans un groupe semblable, la Société amusante, qui se réunissait le lundi au domicile d’un historien de l’Église, Jacques Lenfant 29. Nous retrouvons une fois encore le cercle dessiné par le monde littéraire au sens large et les intérêts de ceux qui lisaient ou écrivaient des œuvres littéraires. Les groupes de lecture et les sociétés littéraires ne se limitaient pas non plus à ceux qui avaient de grandes prétentions intellectuelles. De même que les cafés, les sociétés de lecture, parfois associées au phénomène de plus en plus répandu des bibliothèques à souscription, avaient parfois un recrutement mélangé. Ce brassage social, tout au moins dans la bourgeoisie et la noblesse, restait un idéal promu par les loges maçonniques, nouvelles au début du xviii e siècle, où l’excitation des rituels secrets se mêlait à l’idéologie des Lumières30. Ces groupes liaient des intérêts sociaux locaux à un cadre idéologique cosmopolite.

26Aux Pays-Bas, en terre allemande et en Grande-Bretagne, les sociétés littéraires partageaient un espace intellectuel et social avec les sociétés de réforme morale. Leurs versions des Lumières insistaient toujours plus sur la mise en œuvre concrète de plans servant le bien public. Aux Pays-Bas, par exemple, des sociétés littéraires telles que Kunst Wordt door Arbeid Gekregen (« l’Art s’obtient par le travail »), fondée à Leyde en 1766, et l’Amsteldamsch Dichten Letteroefenend Genootschap (la Société poétique et littéraire amstellodamoise), créée en 1783, furent rejointes par des groupes œuvrant pour le progrès social, notamment en 1784 la Maatschappij tot Nut van ‘t Algemeen (Société pour le bien de tous). D’orientation plus populaire que certaines sociétés littéraires, celle-ci se consacrait à la réforme de l’éducation et à la propagation de préceptes moraux et utilitaristes31. Les objectifs largement pratiques de ces groupes les liaient naturellement aux aspects locaux du gouvernement, de l’économie et de la société, mais leur idéologie aussi bien que leur forme avaient une résonance internationale.

Paris et le monde : d’Alembert

27La tension local / cosmopolite, en partie du fait des prétentions des philosophes, a récemment préoccupé les historiens des Lumières. L’Encyclopédie évoque sur un ton admiratif un philosophe antique à qui l’on demandait d’où il venait et qui répondit :

Je suis cosmopolite ; c’est-à-dire citoyen de l’univers. Je préfère, disoit un autre,ma famille à moi, ma patrie à ma famille, & le genre humain à ma patrie 32.

28Mais les Lumières furent-elles vraiment un phénomène paneuropéen ? Ceux qui se penchent sur la République des lettres à cette époque se cantonnent souvent à la seule France et d’aucuns se sont demandé si l’on ne risquait pas de brouiller la notion de Lumières, au point de la vider de tout sens, en étendant à l’Europe entière l’idéologie ou les pratiques sociales associées à la forme parisienne des Lumières. Les thèmes utilitaristes et le rôle des Lumières allemandes protestantes dans l’État et l’Université paraissent assurément fort loin de ce qui se passait dans les espaces sociaux de Paris au cours des années 1750, alors même qu’on observe une orientation idéologique commune. Le débat continue. Toutefois, même si nous examinons Paris à cette époque, nous observons à la fois une spécificité sociale locale et une vision internationale33.

29typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalessciences de la matièrephysiquemécanique typologie des savoirsdisciplinessciences formelles et expérimentalesmathématiquesPour ses contributions scientifiques comme pour son Discours préliminaire à l’Encyclopédie, Jean le Rond d’Alembert se trouva confronté aux contradictions d’une identité locale et cosmopolite dans sa quête d’une vie de philosophe. Son discours se présentait comme un plan ambitieux visant à éclairer le monde par une réorganisation complète du savoir humain et de sa distribution. Pour d’Alembert, le philosophe était un être sociable qui, dans l’intérêt du bien public, avait besoin de s’impliquer dans le monde qui l’entourait, y compris dans le monde non savant ; l’opposition était tranchée avec le relatif isolement de Thomas Hearne. Né en 1717 d’une mère aristocrate, qui l’abandonna à sa naissance, d’Alembert fut élevé par l’épouse d’un artisan vitrier, tandis que son père naturel prenait en charge les frais de son éducation. En 1739, il se lança pour de bon dans l’étude des mathématiques ; en 1741, il avait été nommé membre junior de l’Académie royale des sciences. Il publia des travaux de mécanique, des études sur le vent et les fluides, qui lui valurent d’être promu au sein de l’establishment académique ; avec l’aide d’une « salonnière », la marquise du Deffand, il fut élu, en 1754, à l’Académie française.

Figure 2. Anicet Charles Gabriel Lemonnier, Lecture de la tragédie de L’Orphelin de la Chine de Voltaire, dans le salon de Madame Geoffrin, 1755, huile sur toile, 129 x 196 cm, château de Malmaison et Bois-Préau.
Anicet Charles Gabriel Lemonnier,  L’Orphelin de la
            Chine , 1755, huile sur toile, 129 x 196 cm, château de
            Malmaison et Bois-Préau.

30espaces savantslieusalon mondain acteurs de savoirmodes d’interactionretrait D’Alembert préférait travailler chez lui le matin, dans la solitude, et se rendre en société dans l’après-midi et la soirée. C’est vers 1746 qu’il se mit à fréquenter l’archétype même de l’espace social parisien des Lumières : les salons. Ceux-ci avaient été des institutions sociales importantes au xvii e siècle pour les aristocrates, surtout les femmes, qui s’estimaient plus raffinés que les membres de la cour royale. Ils encourageaient une atmosphère de civilité au contact de dames qui dirigeaient subtilement la conversation. Au xviii e siècle, la plupart des salons restaient tenus par des femmes ; au milieu du siècle, ils étaient devenus des lieux de rendez-vous réguliers pour une petite coterie d’écrivains et de causeurs comme pour ceux qui voulaient les rencontrer34. Ainsi que d’Alembert l’explique dans l’Encyclopédie :

notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point être en pays ennemi ; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre ; il veut trouver du plaisir avec les autres : & pour en trouver, il en faut faire […]35.

31Des salonnières telles que Mme Geoffrin, Mme du Deffand et Mlle de Lespinasse, ainsi que le baron d’Holbach, réunissaient, rapporta plus tard Amélie Suard, des penseurs et des auteurs comme d’Alembert, Buffon, Diderot, Marmontel et le mari de Suard, mais aussi des nobles, des ambassadeurs et d’éminents étrangers tels que le philosophe David Hume, le romancier Lawrence Sterne ou l’acteur David Garrick 36. Il appartenait à la salonnière de concocter le mélange qui obligerait ses hôtes à donner le meilleur d’eux-mêmes et de les canaliser vers la meilleure conversation possible : Marmontel affirmait que Julie de Lespinasse jouait de ses hôtes en musicienne consommée. Aux soupers comme dans les après-midi de ses salonnières favorites, d’Alembert dénicha des mécènes et fit la connaissance de philosophes susceptibles d’écrire des articles pour l’Encyclopédie. Et dans ces salons, bien entendu, il trouva aussi un public réceptif à son esprit et à ses idées37.

32En 1765, Diderot évoqua avec admiration le sentiment de libération qu’il éprouva dans le salon du baron d’Holbach :

C’est là qu’on parle histoire, politique, finance, belles-lettres, philosophie, c’est là qu’on estime assez pour se contredire ; c’est là qu’on trouve le vrai cosmopolite38.

33Le vrai cosmopolite était là, mais c’était une institution assurément très parisienne, très localisée dans son recrutement, et les projets qui virent le jour dans ces salons, comme l’Encyclopédie, étaient avant tout centrés sur Paris. Sur les 140 auteurs de l’Encyclopédie, 56 uniquement habitaient hors de Paris, et encore la plupart d’entre eux vivaient-ils à Versailles 39. La vision seule aurait-elle été cosmopolite, pas la réalité ?

34Les philosophes français entretenaient un large réseau de correspondants et leurs travaux étaient connus dans l’Europe entière – d’où les invitations de monarques avides d’idées nouvelles et des styles de discours qui se manifestaient dans les cercles parisiens. Catherine la Grande courtisa Diderot ; Frédéric Ii de Prusse, grand admirateur de Voltaire, le fit venir un temps à sa cour et fit entrer Maupertuis, d’Argens et d’Argenson à l’Académie de Berlin. Les deux monarques recherchèrent également les services de d’Alembert. Catherine aurait voulu en faire le précepteur de son fils, tandis que Frédéric eût aimé le voir présider l’Académie. D’Alembert ne fut pas le moins du monde tenté par l’offre de Catherine, mais considéra avec soin celle de Frédéric. Un séjour de trois mois à sa cour, en 1763, lui fit forte impression, et il reconnut en Frédéric la figure et le compagnon idéaux des Lumières. Il écrivit à Julie de Lespinasse :

Je puis vous assurer qu’indépendamment de mon respect et de mon attachement pour lui, sa personne, sa manière de vivre, son application à ses affaires, son affabilité, sa gayeté, les lumières qu’il a sur tout le rendent vraiment digne de la curiosité des sages et même de ceux qui, comme moi, ne le sont guères [sic].

35Mais c’était tristement insuffisant. Les Lumières, en Prusse, laissaient à désirer ; tout au moins, le style ne lui convenait-il pas : « Malheureusement, il est presque la seule personne de son royaume avec qui on puisse converser […]. » D’Alembert en était tout autant attristé que le roi. Ils n’en continuèrent pas moins de correspondre, échangeant notamment des lettres détaillées sur l’administration de l’Académie des sciences. Quant à s’installer en Prusse, expliqua d’Alembert à Mlle de Lespinasse : « Il est vrai que sans ses bontés […], je ne resterois pas un quart d’heure ici40. »

36Le manque d’attrait de la cour de Potsdam ou de Berlin, qui restait une petite ville sans grande institution, notamment sans université, n’était pas la seule raison de la décision de d’Alembert 41. Dans son esprit, les philosophes ne devaient pas se mettre sous la coupe d’un monarque. Un observateur confia en 1754 :

Je suis fâché de voir courir après les grands un philosophe qui a si justement censuré le commerce des savants avec eux ; je suis fâché de voir le plus illustre des gens de lettres de notre siècle, assis, à Potsdam, à côté du marquis d’Argens et de ses pareils42.

37D’Alembert protesta, en 1752, qu’une « vie retirée et assez obscure » faisait parfaitement son affaire ; ajoutez à cela son « amour extrême pour l’indépendance », et la vie à la cour de Prusse ne pouvait pas lui convenir43. La destinée de Frédéric, confia-t-il à Julie de Lespinasse en 1763, était d’être roi, « et la mienne d’être libre44 ». Mais il y avait aussi le sentiment, courant jusque parmi les réfugiés huguenots, que Paris était le centre du mouvement. Le cosmopolitisme ne devait pas effacer chez d’Alembert le sentiment de loyauté envers Paris, la France ou, en vérité, le petit cercle de ses intimes. En 1752, d’Alembert fit part à d’Argens de sa résolution de ne point renoncer à sa patrie ni à son « attachement pour ses amis45 ».

38Dans cette attitude et dans ses conceptions, y a-t-il contradiction ? Je ne le pense pas. Tout comme Diderot pouvait trouver dans le salon du baron d’Holbach le site du « vrai cosmopolite », le cosmopolitisme des Lumières était autant intérieur qu’extérieur. Même chez soi au milieu de ses amis, même seul, en menant la vie « obscure » que revendiquait d’Alembert, il était possible d’avoir des idées larges. Et comme dans la précédente République des lettres, il était possible de le faire hors d’un cadre traditionnel. Même pour ceux qui n’avaient pas leurs entrées dans les salons ou dans les académies, la publication et la vulgarisation avaient élargi la communauté du discours pour les lecteurs aussi bien que pour les auteurs. La culture de café, les discussions au Palais-Royal, à Paris, ou sur les marchés d’Amsterdam, les conversations dans une société de lecture ou une organisation patriotique étaient autant de manifestations qui donnèrent un nouvel espace, réel et métaphorique, au public savant, à ceux qui lisaient et débattaient. Ce phénomène profita de la hausse du niveau de vie et des progrès de l’alphabétisation, permettant à plus de personnes de fréquenter les cafés, d’acheter des journaux, d’entendre parler des tout derniers livres. En définitive, assure-t-on, cet espace physique a rendu possible la formation d’une opinion publique indépendante qui a aidé à promouvoir le changement révolutionnaire en 1789. Cela signifiait certainement, comme l’idéologie de la République des lettres l’avait précisé au début du siècle, qu’on pouvait être tout à la fois local et cosmopolite.

39acteurs de savoirmodes d’interactionsociabilitéEn 1772, Frédéric le Grand devait y aller de sa mise en garde : la sociabilité et ses espaces n’étaient pas toujours de bonnes choses. Lui-même et d’Alembert avaient acquis le sentiment que la société littéraire française n’était plus ce qu’elle avait été. À Paris, écrivait Frédéric, combien de temps reste-t-il à un « homme du grand monde » pour étudier, a fortiori pour penser ?

La matinée, des visites, un déjeuner, ensuite le spectacle, de-là au jeu, au souper, encore jusqu’à deux heures du matin, puis bonnes aventures, ensuite on se couche ; on se lève à onze heures ; ainsi tous les moments sont pris, et l’on est fort occupé sans rien faire46.

40Quelles que fussent leurs convergences, il y aurait toujours une sorte de conflit entre les espaces de sociabilité et les espaces d’étude. De la même façon, observa d’Alembert, il y avait toujours des conflits entre les idéaux cosmopolites, d’un côté, les exigences et points de vue locaux, d’un autre. L’opposition des anti-Lumières, à Paris, lui donna, à ce sujet, ample matière à réflexion. Mais Frédéric se montra plus avisé en 1772, et ses propos valent pour la République des lettres tout au long du xviii e siècle :

Souvenez-vous que l’univers n’est pas concentré dans Paris, et que si l’on ne connaît pas dans votre patrie le prix que vous valez, l’on vous rend plus de justice ailleurs47.
Notes
1.

Le Journal et la correspondance de Thomas Hearne, dont le manuscrit est déposé à la Bodleian Library, ont été partiellement imprimés in Hearne, 1885-1921. Pour des portraits modernes, voir notamment Douglas, 1975 ; Levine, 1977 ; Harmsen, 2000.

2.

Thomas Hearne à Katherine Willis, 17 mai 1716, in Hearne, 1885-1921, V, p. 222-223.

3.

Green, 1986, p. 310.

4.

Hearne, 1885-1921, XI, p. 242 ; VIII, p. 355 ; IX, p. 125, Thomas Hearne à J. West, 30 avril 1726 ; VIII, p. 240 ; VIII, p. 327 ; X, p. 326 ; XI, p. 103 ; IV, p. 161, Thomas Hearne à sir Philip Sydenham, 20 avril 1713 ; VIII, p. 50.

5.

Philip, 1986, p. 726, 731, 734, 735.

6.

Hearne, 1885-1921, V, p. 45-46.

7.

Bodleian Library, ms. Rawl. Lettre 34.33, Thomas Hearne à Thomas Rawlinson, 1er juillet 1718, cité in Harmsen, 2000, p. 137.

8.

Hearne, 1885-1921, VIII, p. 83-84, John Bridges à Thomas Hearne, 6 juin 1723.

9.

Pour un tableau général de la République des lettres, voir Goldgar, 1995 ; Bots et Waquet, 1997 ; et pour la période des Lumières, notamment en France, Goodman, 1994. Sur l’espace physique qu’occupait la République des lettres, voir Waquet, 1994, p. 182-187.

10.

British Library, Sloane ms. 4041, fol. 315v, Étienne-François Geoffroy à Hans Sloane, Paris, 18 avril 1709.

11.

Diderot et   al., 1754, IV, p. 297. Sur le cosmopolitisme, voir Schlereth, 1977.

12.

Bouhours, 1691, p. 242-244.

13.

Blanning, 1974, p. 12-14.

14.

Sur l’Académie de Paris, voir Hahn, 1971 ; sur la Russie, voir Vucinich, 1963 ; sur la Prusse, Terrall, 1990 et 2002.

15.

Maupertuis, in Formey, 1761, I, p. 50.

16.

Grafton, 1985, p. 37, 42 ; Nouvelles de la République des lettres (2e éd.) II, p. 618-619 ; Basnage, 1719, I, lettre dédicatoire.

17.

Ce courant important s’inspire essentiellement de Habermas, 1962.

18.

La Haye, Nationaal Archief, 3.03.01.01, inv. 5422, dossier 15, fol. 53v.

19.

La Haye, Nationaal Archief, 3.03.01.01, inv. 5422, dossier 15, fol. 137.

20.

La Haye, Nationaal Archief, 3.03.01.01, inv. 5422, dossier 15, fol. 210v.

21.

La Haye, Nationaal Archief, 3.03.01.01, inv. 5422, dossier 15, fol. 18v. Sur « Grub Street » dans d’autres pays, voir Rogers, 1972 ; Darnton, 1982 et 1995 ; Eisenstein, 1992.

22.

Sur Saurin, voir Gaberel et Des Hours-Farel, 1864, ainsi que Berthault, 1875.

23.

La Haye, Nationaal Archief, 3.03.01.01, inv. 5422, dossier 15, fol. 18v. [L’orthographe et l’italique dans les citations sont reproduits conformément aux textes originaux.]

24.

Voir la collection de ces documents in Universiteitsbibliotheek, Université de Leyde, Marchand 50.

25.

Pour un exemple de correspondance traitant de l’affaire, cf. Bibliothèque publique et universitaire, Lausanne, Arch. De Crousaz XII/ 158-159, où Paul-Émile de Mauclerc (se trouvant à Stettin [Szczecin en Pologne]) en parle à Jean-Pierre de Crousaz (résidant à Lausanne), dans une lettre du 1er août 1730.

26.

Bödeker, 1990, p. 573-574, 577, 579. Sur les cafés à Londres, voir Ellis, 1956 ; Ellis, 2004 ; Cowan, 2004. Bruys relate la conversation dans le café de Rotterdam, in British Library, Add. ms. 4281, fol. 336-338, François Bruys à Pierre Des Maizeaux, 13 mars 1731.

27.

Stützel-Prüsener, 1981, p. 71 et 74 ; Van Dülmen, 1992, p. 11 et 74.

28.

British Library, Add. ms. 61,648, ff. 79-80, David Durand à Lord Sunderland, 25 septembre 1715.

29.

Les archives des Chevaliers de la Jubilation se trouvent à Universiteitsbibliotheek, Université de Leyde, Marchand 1. Sur ce groupe, voir Jacob, 1981, p. 182-185 ; Berkvens-Stevelinck, 1983 ; Jacob, 1984 ; Goldgar, 1995, p. 79. Et, sur la Société amusante, ibid., p. 74 ; Formey, 1757, Ii, p. 53, note (a) ; Bibliothèque germanique, XVIII (1738), p. 68-81 ; Sgard, 1976, p. 30-32, 43-44. Voir aussi les lettres, in Berlin, Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz, Nachlaß Formey, J. et A. de Campagne et Jean Des Champs à J.-P.-H. Formey, 1731.

30.

Sur la maçonnerie, voir Jacob, 1991.

31.

Sur les sociétés littéraires aux Pays-Bas, voir Van Den Berg, 1992 ; sur les organisations morales et culturelles, Mijnhardt, 1987 ; pour un tableau général des Lumières hollandaises, Mijnhardt, 1992. Sur ces sociétés en Allemagne, voir Van Dülmen, 1992.

32.

Diderot et   al., 1754, IV, p. 297.

33.

Sur le caractère foncièrement français de la République des lettres, voir, par exemple, Goodman, 1986 et 1994. Darnton, 1997, soutient avec force que les Lumières étaient confinées à un petit groupe politique à Paris. Ces vues reprennent, jusqu’à un certain point, les analyses de Gay, 1967-1970. Les collaborateurs de Porter et Teich, 1981, insistent sur les grandes différences de style et d’institutions d’un pays à un autre sans sacrifier pour autant totalement l’idée de Lumières. Des auteurs comme Venturi, 1972, et Robertson, 1997, voient dans les Lumières un mouvement intellectuel paneuropéen, mais avec des manifestations tempérées par les circonstances locales.

34.

Sur les salons au xvii e siècle, voir Goldsmith, 1988, et Lougee, 1956. Sur le xviii e siècle, Goodman, 1994 ; Kors, 1976 ; Kale, 2004.

35.

In Diderot et   al., 1754, XII, p. 510.

36.

Suard, 1820, p. 43.

37.

Marmontel cité in Goodman, 1994, p. 100. Sur l’expérience des salons de d’Alembert, voir, par exemple, Grimsley, 1963 ; Kafker, 1988, p. 28.

38.

Diderot cité in Kafker, 1996, p. 33.

39.

Kafker, 1996, p. 22-25.

40.

D’Alembert à Lespinasse, Potsdam, 1er juillet [1763], repris in D’Alembert, 1887, p. 275-276 ; D’Alembert à Lespinasse, Potsdam, 25 juillet 1763, repris in D’Alembert, 1887, p. 290.

41.

Aarsleff, 1989, p. 194.

42.

Scheffer à Du Deffand, Stockholm, 17 septembre 1754, in Du Deffand, 1865, I, p. 223-224.

43.

D’Alembert à d’Argens, Paris, 16 septembre 1752, in Du Deffand, 1865, I, p. 147.

44.

D’Alembert à Lespinasse, Charlottebourg, 18 juillet 1763, in D’Alembert, 1887, p. 287.

45.

D’Alembert à d’Argens, Paris, 20 novembre 1752, in Du Deffand, 1865, I, p. 152.

46.

Frédéric II à d’Alembert, 4 décembre 1772, in Frédéric Ii, 1790, XVI, p. 269-270.

47.

Frédéric Ii à d’Alembert, 4 décembre 1772, in Frédéric II, 1790, XVI, p. 271.

Appendix A Bibliographie

Notices biographiques
  1. Jacques Basnage (1653-1722), prêtre huguenot important formé à Saumur, Genève et Sedan, affecté à Rouen en 1676. Peu de temps avant la révocation de l’édit de Nantes (1685), il partit pour Rotterdam où, en 1691, il devint le pasteur de l’Église wallonne avant de s’en aller à La Haye en 1709. Il fut impliqué dans des activités diplomatiques par le Grand pensionnaire de Hollande Anthonie Heinsius. Il rédigea, entre autres, La Communion sainte (1688), une Histoire de l’Église chrétienne (1699) et une Histoire des juifs (1706).
  2. Dominique Bouhours (1628-1702), célèbre jésuite français et homme de lettres, enseigna les humanités au collège de Clermont puis la rhétorique à Tours. Il fut le précepteur des princes de Longueville et du fils de Colbert. Une partie de sa renommée lui vient de violentes querelles littéraires avec d’autres personnalités comme Gilles Ménage. De son œuvre importante on citera Doutes sur la langue françoise (1674), Manière de bien penser dans les ouvrages d’esprit (1687), et une traduction en français de la Vulgate (1697-1703).
  3. Antoine-Augustin Bruzen De La Martinière (1662-1746), neveu du théologien français Richard Simon, fut un géographe et un historien prolifique. Il occupa la fonction de secrétaire français à la cour du duc de Mecklenburgh, puis il partit pour La Haye, où il devint le conseiller du duc de Parme, secrétaire du roi des Deux Siciles et premier géographe du roi d’Espagne. Ses nombreux travaux comprennent un Dictionnaire géographique, historique et critique (1726-1730) en 10 volumes.
  4. Pieter De Hondt (1696-1764), libraire à La Haye, fut très connu pour la qualité de ses productions, qui souvent comprenaient des gravures coûteuses, comme le traité de numismatique de Gerard Van Loon ou la célèbre Histoire générale des voyages (1747-1763) en plusieurs volumes. Il collabora à des éditions avec d’autres libraires et était porté à la spéculation, ce qui lui valu des déboires quand le marché hollandais du livre s’effondra en 1744.
  5. Prosper Marchand (1678-1756) fit ses débuts comme libraire à Paris, mais, après s’être converti au protestantisme, en 1711, il partit pour les Provinces-Unies. Il ouvrit une librairie à Amsterdam, mais rapidement se tourna vers le travail de préparateur et de correcteur pour les libraires et se mit aussi à écrire. Contribuant au Journal litéraire, il publia, en 1714, une série de lettres de Pierre Bayle et une édition de son dictionnaire en 1720. Son ouvrage le plus important est l’Histoire de l’origine et des premiers progrès de l’imprimerie (1740).
  6. Jean Rousset De Missy (1686-1762), écrivain et journaliste fécond. Orphelin protestant, il combattit dans l’armée française aux Provinces-Unies et, en 1709, ouvrit une école à La Haye. Il rédigea de nombreux journaux littéraires et des histoires telles que Mémoires sur la vie de Pierre le Grand (1725) et une série importante de traités de paix et de négociation (1725-1752). Orangiste, il fut nommé conseiller extraordinaire et historiographe du stathouder hollandais, en 1747, mais des troubles politiques le poussèrent à se rendre à Bruxelles, où il mourut.
  7. Jacques Saurin (1677-1730), issu d’une famille de pasteurs huguenots, fut nommé, en 1701, pasteur à Londres et, en 1705, devint prêtre extraordinaire pour la noblesse à La Haye. Excellent orateur, ses sermons publiés étaient fréquemment réimprimés et traduits jusqu’au xix e siècle. Sa mort, à la fin de 1730, fut précipitée par des accusations de blasphèmes que portèrent contre lui, en 1729, ses collègues. Il publia, outre des sermons et des catéchismes, des Discours sur les événemens les plus mémorables du Vieux et du Nouveau Testament, en 2 volumes (1720, 1728).
  8. Hendrik Bastiaansz Scheurleer (1686-1769), libraire à La Haye, traduisit en français en particulier des livres anglais. Il publia, entre autres, Le Mercure historique et politique de Jean Rousset de Missy. En 1716, il édita l’Histoire des juifs de Jacques Basnage.
  9. Christiaen Van Lom (1676-1750), libraire catholique à La Haye, publia de nombreux ouvrages importants, comme les travaux de numismatique de Gerard Van Loon, Hedendaagsche Penningkunde (1732). En 1733, il fit faillite et partit pour les Provinces-Unies du Sud, où il demeura jusqu’à sa mort. Les curateurs de sa faillite furent d’autres libraires impliqués comme lui dans l’affaire Saurin, parmi eux Jan Van Duren et Pieter De Hondt.
Sources
  1. D’Alembert, 1887 : D’Alembert, Œuvres et correspondances inédites de d’Alembert, éd. Ch. Henry, Genève-Paris.
  2. Basnage, 1719 et 1726 : Jacques Basnage, Annales des Provinces-Unies, depuis les négociations pour la paix de Munster, La Haye.
  3. Bibliothèque germanique, ou Histoire littéraire de l’Allemagne et des pays du Nord. Amsterdam, 1720-1741.
  4. Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savans de l’Europe, Amsterdam, 1728-1753.
  5. Bouhours, 1691 : [Dominique Bouhours], Entretiens d’Ariste et d’Eugène, Paris.
  6. Diderot et al., 1754 : Denis Diderot et al., Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris.
  7. Diderot et al., 1765 : D. Diderot et al., Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Neuchâtel.
  8. Du Deffand, 1865 : Marie Du Deffand, Correspondance complète de la marquise Du Deffand, éd. M. de Lescure, 2 vol., Paris.
  9. Formey, 1757 : Johann-Heinrich-Samuel Formey, Éloges des académiciens de Berlin et de divers autres savans, 2 vol., Berlin.
  10. Formey, 1761 : J.-H.-S. Formey (éd.), Choix de mémoires et abrégé de l’histoire de l’Académie de Berlin, 4 vol., Berlin.
  11. Frédéric Ii, 1790 : Frédéric II, Œuvres complètes de Frédéric II, roi de Prusse, 17 vol., Berlin.
  12. Hearne, 1885-1921 : Thomas Hearne, Remarks and Collections of Thomas Hearne, 11 vol., Oxford.
  13. Nouvelles de la République des lettres, Amsterdam, 1684-1689, 1699-1710, 1716-1718.
  14. Suard, 1820 : [Amélie Suard], Essais de mémoires sur M. Suard, Paris.
Autres références
  1. Aarsleff, 1989 : Hans Aarsleff, « The Berlin Academy under Frederick the Great », History of the Human Sciences, 2, juin 1989, p. 193-206.
  2. Berkvens-Stevelinck, 1983 : Christiane Berkvens-Stevelinck, « Les Chevaliers de la Jubilation : maçonnerie ou libertinage ? », Quaerendo, XIII, 1, hiver, p. 50-73, et 2, printemps, p. 124-148.
  3. Berthault, 1875 : E.-A. Berthault, J. Saurin et la prédication protestante jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, Paris.
  4. Blanning, 1974 : Timothy C. W. Blanning, R eform and Revolution in Mainz, 1743-1803, Cambridge.
  5. Bödeker, 1990 : Hans Erich Bödeker, « Le café allemand au xviii e siècle : une forme de sociabilité éclairée », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 37, oct.-déc., p. 571-588.
  6. Bots et Waquet, 1997 : Hans Bots et Françoise Waquet, La République des lettres, Paris.
  7. Brockliss, 2002 : Laurence W. B. Brockliss, Calvet’s Web : Enlightenment and the Republic of Letters in Eighteenth-Century France, Oxford.
  8. Cowan, 2004 : Brian Cowan, « Mr. Spectator and the Coffeehouse Public Sphere », Eighteenth-Century Studies, XXXVIII, 3, p. 345-366.
  9. Darnton, 1982 : Robert Darnton, The Literary Underground of the Old Regime, Cambridge (Mass.) ; Bohème littéraire et Révolution : le monde des livres au Xviii e  siècle, Paris, 1983.
  10. Darnton, 1995 : R. Darnton, The Forbidden Best-Sellers of Pre-Revolutionary France, New York-Londres.
  11. Darnton, 1997 : R. Darnton, « George Washington’s False Teeth », New York Review of Books, 27 mars.
  12. Douglas, 1975 : David Charles Douglas, English Scholars 1660-1730, Westport ; 1re éd. Londres, 1939.
  13. Eisenstein, 1992 : Elizabeth Lewisohn Eisenstein, Grub Street Abroad : Aspects of the French Cosmopolitan Press from the Age of Louis XIV to the French Revolution, New York-Oxford.
  14. Ellis, A. 1956 : Aytoun Ellis, The Penny Universities. A History of the Coffee-Houses, Londres.
  15. Ellis, M. 2004 : Markman Ellis, The Coffee-House. A Cultural History, Londres.
  16. Gaberel et Des Hours-Farel, 1864 : Jean Gaberel et E. Des Hours-Farel, Jacques Saurin : sa vie et sa correspondance, Genève-Paris.
  17. Gay, 1967-1970 : Peter Gay, The Enlightenment. An Interpretation, 2  vol., New York-Londres.
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